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Le cadre temporel

Dans le document Luxe Marketing Management (Page 30-33)

Dans l’industrie automobile tout le monde essaie de réduire le temps de dévelop-pement d’une nouvelle voiture afin que les modèles puissent se renouveler plus rapidement. Dans de nombreux secteurs il est possible de redresser une entre-prise en difficulté en un peu plus d’un an. Parfois pour les produits de grande consommation, il est possible de lancer un produit, d’avoir immédiatement une idée précise du potentiel de ce produit et de couvrir, grâce aux ventes, les inves-tissements initiaux en moins de six mois.

En général, dans le monde du luxe, les lancements requièrent plus d’investis-sements et plus de temps. Pour lancer un nouveau parfum, il est nécessaire d’avoir une ligne complète allant des extraits à l’eau de toilette, et même à une ligne de produits de bain, et pour chaque article il faut mouler à grands frais flacons et bouchons. La réalisation des moules peut prendre de 6 à 12 mois. Puis une grande quantité de produits doit être fabriquée pour que le nouveau parfum puisse être disponible immédiatement dans un grand nombre de pays à travers le monde. Le délai total de production peut aller de 18 à 24 mois. En outre, il n’est pas rare, la première année, de dépenser en publicité et promotion, une somme équivalente aux prévisions de vente. Il faudra souvent patienter trois à quatre ans avant de commencer à gagner de l’argent.

Dans le secteur de l’horlogerie aussi, le facteur temps est crucial. La conception et la fabrication doivent être terminées à temps pour les foires de Genève ou de Bâle qui se déroulent à la fin du mois de février ou début mars. Si ce délai ne peut être tenu le lancement doit être repoussé à l’année suivante.

Le cycle de la mode

Dans le cas de la mode, tout revient au « cycle de la mode », tel que décrit dans le tableau 1.1.

Le cycle débute lorsque les fabricants de tissus présentent leurs nouveaux échantillons de matières. Ils proposent de nouvelles couleurs, de nouveaux styles et de nouveaux touchés ainsi que de nouveaux motifs. En septembre ou octobre de chaque année, tous les stylistes viennent à Paris (Première Vision) et en Italie (Idea Como) pour visiter les stands des fabricants de tissus. Ils choisissent alors les couleurs et le style qu’ils utiliseront pour leurs prochaines collections

Automne-Hiver. Pour obtenir l’exclusivité sur un motif donné, ils doivent s’engager à acheter un métrage minimum du tissu qui donnera leur originalité à leurs collections de l’année suivante.

Les stylistes se mettent alors au travail : ils préparent les collections qui seront présentées lors des défilés de février/mars auxquels assisteront, bien sûr, les journa-listes, mais surtout les acheteurs des grands magasins du monde entier. Ces acheteurs disposent de budgets précis pour chaque marque et s’engagent sur des commandes fermes pour les articles qu’ils pensent pouvoir vendre dans leurs magasins.

Les modèles sont ensuite fabriqués et livrés au plus tard en juillet pour devenir la « nouvelle collection Automne-Hiver ». Ce n’est qu’à la fin de la période des soldes, c’est-à-dire à la fin du mois de février que l’on peut savoir si la collection s’est bien vendue : combien d’exemplaires ont été vendus au prix standard, combien d’unités ont été écoulées pendant les soldes et combien de pièces il reste à la fin du processus.

Le cycle de la mode dure donc 18 mois. Pendant cette même période, bien entendu, une nouvelle collection Printemps-Eté sera engagée, choisie, présentée et livrée ; et les résultats ne seront connus qu’à la toute fin du cycle. C’est pour-quoi lorsqu’une entreprise décide de changer de styliste, le nouveau venu aura besoin d’un minimum de deux ans pour affirmer un nouveau style, définir son point de vue sur la marque et réussir.

Quelques marques ont tenté de s’extraire de cette « camisole de force », en lançant des collections supplémentaires (les collections « croisières ») dans les intervalles, mais le système demeure assez rigide. Quelques nouveaux venus sur le marché de masse, comme Zara, ont refusé le système traditionnel et développent

Tableau 1.1 – Cycle de la mode pour une collection automne-hiver Engagement d’exclusivité sur les tissus Septembre-octobre, année t−1 Développement des prototypes

et utilisation des tissus

Septembre année t−1, février année t

Défilé Février-mars, année t

Prise de commande des magasins multi-marques

Mars, année t Livraison aux boutiques Juillet, année t

Ventes à prix normal Septembre-décembre, année t Vente en soldes Janvier-février, année t+1

LES PARTICULARITÉS DE L’INDUSTRIE DU LUXE

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26 collections par an. Cependant, à moins qu’elles ne commandent de très gros volumes, ces entreprises ont du mal à obtenir l’exclusivité sur les tissus et sont donc obligées, le plus souvent, de présenter des collections réalisées principalement avec des tissus simples ou unis.

Le cadre temporel force donc les marques de mode à planifier très en amont, et ce n’est pas avant longtemps que les consommateurs peuvent voir dans leurs magasins les changements majeurs survenus dans le style ou le positionnement d’une marque.

Le temps nécessaire à un changement d’orientation

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, les décisions stratégiques majeures n’ont, dans le secteur du luxe, que très peu d’impact à court terme. Dans certains cas, pour une marque de mode, les conséquences d’un changement de styliste ne seront visibles que trois ou quatre ans plus tard.

De leur côté, les marques elles-mêmes ne peuvent pas être modifiées du jour au lendemain. Elles ont une identité particulière dans l’esprit du consommateur et celui-ci n’est pas prêt à modifier son point de vue. Nina Ricci est une marque très féminine et chaque fois qu’un parfum pour homme ou des produits masculins ont été lancés, les résultats ont été décevants. Paco Rabanne est curieusement un styliste pour femmes, mais la marque est principalement connue pour ses parfums homme : leurs parfums féminins n’ont jamais été une réussite. Quelques marques sont modernes, d’autres sont perçues comme étant classiques. Il est très difficile de changer ce genre d’image. Chanel est une marque pour femmes, mais elle a aussi des parfums pour hommes, des cravates, ainsi qu’un modèle de montre pour homme. Pour l’instant, elle n’a pas de prêt-à-porter homme, même si cette activité sera sans doute développée un jour. Mais cela supposerait un changement majeur par rapport à l’image actuelle de la marque, changement que Chanel prépare en présentant ses modèles pour homme lors des défilés de prêt-à-porter femme. L’idée est de convaincre la clientèle du fait que Chanel est une marque pour homme comme pour femme. Cela peut prendre du temps et ces modèles pour homme ne sont pas encore disponibles en magasin : ils le seront lorsque les consommateurs auront changé d’avis.

Il faut du temps pour redresser une marque, comme le montre l’exemple d’Yves Saint Laurent. Lorsque la marque a été rachetée par le groupe Gucci, tout le monde pensait que tout allait changer très vite et que l’entreprise redeviendrait vite rentable. Après avoir accumulé des pertes se montant à plusieurs centaines de millions d’euros, la marque va probablement perdre de l’argent pendant encore quelques années avant de négocier le virage.

Les conséquences de cette situation pour les investisseurs sont assez claires : acheter une marque qui a perdu son image et réalise un chiffre d’affaires minime, la transformer et la développer, ne sont jamais choses faciles. Cela est peut-être possible pour les montres ou les vins et spiritueux, mais dans le cas de la mode et des parfums, cela est presque impossible. Le paradoxe est que si une marque n’est pas performante il faut relancer les ventes, mais sans doute aussi modifier une identité qui ne correspond plus au goût contemporain. Or, lorsque les gens modifient l’identité d’une marque, les consommateurs ont le sentiment que son histoire a été trahie : au final personne n’est satisfait… à moins que l’on dispose de beaucoup de temps, d’énergie et d’argent.

Bien sûr, comme nous l’expliquerons plus tard, cela a été possible de prendre des marques comme Gucci ou Burberry, qui fonctionnaient encore très bien, et de les transformer au fil des années en augmentant substantiellement leurs chiffres d’affaires. Mais pour des marques plus petites, comme Jacques Fath ou Popy Moreni, qui ont perdu de leur charme, de leur intérêt et de leur raison d’être, il n’y a plus grand-chose à faire pour les ramener sous les feux de la rampe.

Ce cadre temporel explique pourquoi les spécialistes en capital investissement ou les financiers individuels investissent rarement dans de petites marques de luxe. Il existe des exceptions bien sûr – Loewe, Montana Couture et Odiot – mais les redressements se produisent rarement.

C’est sans doute pour cette raison que le luxe est traditionnellement un secteur d’entreprises familiales. Les entreprises familiales ont du temps et peuvent accep-ter de mauvais résultats quelques années de suite avant de croître et de gagner à nouveau de l’argent. Beaucoup sont dans cette situation y compris Chanel, Salvatore Ferragamo, Armani, Versace, mais aussi Laurent Perrier, Pernod Ricard et Bulgari.

N’oublions pas non plus que trois des plus grands groupes du luxe, LVMH, Richemont et PPR Gucci sont également sous contrôle familial.

Dans le document Luxe Marketing Management (Page 30-33)