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Laurin: le Président, le projet de loi dont l'Assemblée nationale entame

Dans le document Le mercredi 13 juin 1983 Vol No 38 (Page 75-78)

aujourd'hui l'étude touche au coeur même de notre promotion collective. Dans les sociétés industrialisées, le développement de la science et de la technologie est la première condition, en effet, et la plus sûre promesse du développement global. Pour nous, Québécois aujourd'hui en Amérique du Nord, il est de loin le principal garant de notre progrès dans tous les ordres, l'assurance d'un rendez-vous réussi avec le XXIème siècle.

C'est pourquoi je suis heureux d'intervenir

dans ce débat pour exprimer ma totale et fervente adhésion au texte qui nous est proposé et dans lequel il convient de reconnaître, au-delà de ses objectifs propres, ses implications capitales et sans doute déterminantes pour le développement économique et technique, mais aussi pour le développement social et culturel.

Aussi, me p l a î t - i l d'espérer qu'au moins sur les principes directeurs et sur les objectifs généraux, un large consensus se manifestera dans cette Chambre. Et cela d'autant plus que ce projet de loi no 19 est au moins autant un couronnement qu'un point de départ. Il a été rendu possible par l'ensemble des efforts engagés depuis le début des années soixante pour faire accéder le Québec à la modernité d'abord par la mise en valeur des ressources humaines, puis par la mise en place d'un système éducatif progressiste et démocratique correspondant à la fois à nos aspirations collectives et aux exigences de l'époque. À cet égard, je voudrais rendre hommage à l'action de tous mes prédécesseurs au ministère de l'Éducation qui a permis qu'il soit possible aujourd'hui de nous doter d'une loi fondamentale sur la science et la technologie.

Ce projet de loi constitue en effet l'aboutissement de la longue démarche du Québec dans la conquête et l'appropriation des instruments de son développement et en quelque sorte une éclatante réponse à cette interrogation que posait dès 1939 Marie Victorin dans son livre: Pour l'amour du Québec, et je cite: "Utiliser tous les jours la conquête de la science sans collaborer à son développement, jouir du progrès sans fournir sa part des institutions et des hommes, instruments de ces progrès, n'est-ce pas là l'attitude des peuples esclaves d'autrefois, des peuples inférieurs d'aujourd'hui?"

Il nous aura d'abord fallu, au cours des années soixante, prendre conscience des formidables potentiels qui étaient les nôtres tant pour ce qui est des ressources naturelles que pour ce qui constitue la première force vitale d'une société, c'est-à-dire ses ressources humaines. Pendant que l'exploitation minière et le harnachement de nos rivières occupaient toute une génération, la société québécoise acceptait de consentir à un autre investissement capital, c'est-à-dire la scolarisation massive de la génération appelée à prendre le relais des grands bâtisseurs. À la fin des années soixante, sur le plan économique, on a assisté à la nationalisation des compagnies d'électricité, à la création de la Caisse de dépôt et placement ainsi qu'à la mise en place des sociétés d'État à mission économique, SIDBEC, SOQUEM, SOQUIP. Pendant la même période, la réforme du système d'éducation a atteint le palier universitaire:

mise sur pied du réseau de l'Université du

Québec en 1968, du Conseil des universités en 1968, de l'Institut national de la recherche scientifique et du Centre de recherche industrielle du Québec en 1969. La création de ces deux derniers établissements a posé deux jalons importants au plan du débat portant sur la mission de la recherche universitaire puisque, concrètement, elle reconnaissait à cette mission universitaire un rôle socio-économique dans le prolongement de sa mission éducative et culturelle. Les années soixante-dix furent marquées par la mise en oeuvre des derniers grands travaux dans le domaine de l'hydroélectricité puis par des bouleversements dont l'ampleur réelle n'est devenue mesurable qu'au tournant des années quatre-vingt: crise énergétique, hausse des taux d'inflation et de chômage, fluctuation des taux d'intérêt.

Du point de vue du développement scientifique, les années soixante-dix ont cependant été déterminantes pour le Québec.

L'année 1970, par exemple, voit la mutation des subventions de rattrapage aux universités francophones en un programme structuré de soutien à la recherche universitaire, le programme FCAC, Formation de chercheurs et d'action concertée. Favorisant le regroupement des chercheurs au sein d'équipes et de centres de recherche, ce nouveau programme visait à permettre une meilleure organisation des ressources scientifiques universitaires et mettait résolument l'accent sur la formation de chercheurs.

De plus, la fin de la décennie soixante-dix est marquée par un large débat démocratique jalonné par la publication d'un livre vert, puis d'un livre blanc portant sur la place de la recherche scientifique dans le développement national. Au terme de cette démarche se dégage une volonté très nette des intervenants, autant les établissements d'enseignement supérieur que les décideurs politiques, d'associer étroitement les développements scientifique, socio-économique et culturel. Ainsi, lorsque, au tournant des années quatre-vingt, le Québec, en même temps que l'ensemble du monde occidental, s'est retrouvé aux prises avec une crise économique, le gouvernement, fort de la problématique élaborée au cours de la décennie précédente, a identifié aisément l'un des piliers essentiels du développement économique, c'est-à-dire l'excellence scienti-fique et technologique.

Le programme d'action économique gouvernemental, alors élaboré, porte d'ailleurs un t i t r e non équivoque. C'est à un virage technologique que doit s'appliquer la société québécoise. C'est à ce prix que le Québec saura s'adapter aux nouvelles conditions de la concurrence internationale et réussira à créer des emplois en nombre suffisant pour réduire le chômage et accueillir les nouvelles cohortes sur le

marché du travail. Or, les établissements universitaires et collégiaux sont appelés à jouer un rôle déterminant dans un mouvement qui, à bien des égards, comme le rappelait récemment le premier ministre, revêt les apparences d'une véritable révolution. En effet, chacun en conviendra, l'émergence d'entreprises à fort contenu technologique est avant tout tributaire de la disponibilité de ressources humaines qualifiées, dont la formation ne saurait être assurée sans le maintien d'un enseignement de qualité, fécondé par le soutien d'une vigoureuse base de recherche libre, fondamentale ou appliquée.

Les pays reconnus mondialement comme les chefs de file dans le domaine de la recherche et du développement ont d'ailleurs bien compris l'importance de maintenir une large base de recherche universitaire. Une étude effectuée pour le compte du fonds FCAC et rendue publique la semaine dernière fournit, à ce sujet, quelques données intéressantes. On y apprend, par exemple, qu'entre 1970 et 1979, si on considère les variations en pourcentage du produit intérieur brut consacré à la recherche universitaire dans les douze principaux pays membres de l'OCDE, ce sont les leaders du développement scientifique et technologique, soit le Japon, l'Allemagne fédérale, la Suède et la Suisse, qui ont augmenté le plus leur effort en recherche universitaire, soit un accroissement moyen de 29% pour la période considérée.

On serait peut-être étonné aussi en examinant de plus près les performances du Japon, souvent cité en exemple pour ce qui est de la recherche-développement et de l'innovation technologique. Retenons que, en consacrant 0,57% de son produit intérieur brut à la recherche universitaire, il se classe bon premier parmi les douze principaux pays de l'OCDE. On est souvent porté à penser que ce pays ne valorise que la recherche industrielle et très appliquée, mais on réalise que le développement des connaissances scientifiques, qui est le propre de la recherche universitaire, occupe une place de choix dans l'effort recherche-développement du Japon. Ajoutons que cet effort ne se limite pas au seul domaine des sciences naturelles et du génie. Le Japon se classe, en effet, au premier rang pour l'importance de son implication relative en recherche universitaire, en sciences sociales et humaines, c'est-à-dire l'équivalent de 0,22%

de son produit intérieur brut.

(21 h 50)

Dans ce domaine, l'effort du Canada est trois fois moins élevé si l'on tient compte, en outre, du fait que le gouvernement fédéral n'alloue au Québec qu'un maigre 9% du financement public en recherche et développement comparativement à l'Ontario, qui en accapare à elle seule 58%.

On peut dire, à ce chapitre, que le gouvernement du Québec réalise des efforts, non seulement comparables à la moyenne canadienne, mais des efforts qui lui sont nettement supérieurs dans la mesure où il doit investir davantage simplement pour se maintenir à ce niveau.

La recherche universitaire est aussi nécessaire, aussi indispensable que la recherche industrielle. Celle-là prépare celle-c i , la celle-consolide et lui ouvre sans celle-cesse de nouvelles avenues. La recherche universitaire permet de fournir à l'entreprise l'infrastructure scientifique sans laquelle la recherche industrielle ne serait plus possible.

C'est pourquoi, en même temps que l'on reconnaît la nécessité d'accentuer la formation dans les secteurs les plus porteurs d'avenir, convient-il de rappeler l'importance de soutenir tout le secteur des études de deuxième et de troisième cycles, puisque c'est à ce niveau que s'acquièrent les apprentissages transversaux, permettant de franchir le cap des nouvelles mutations socio-économiques et culturelles et que se forment les compétences dont le Québec a besoin, pour assumer la pleine mesure du virage technologique.

Cette nouvelle adaptation ne pourra s'accomplir pleinement qu'en faisant, une fois de plus, confiance aux multiples ressources que compte le Québec. Ce serait en effet faire preuve d'une bien courte vue des choses que de croire que seuls quelques génies, subitement sortis de l'ombre, peuvent infléchir la trajectoire de notre développement collectif. La maîtrise de la connaissance est une oeuvre de patience et, faut-il le rappeler, il n'y a pas de génération spontanée de chercheurs.

La situation dans le domaine scientifique peut, sur ce point, se comparer à celle qui prévaut dans le domaine sportif où il faut former des centaines de jeunes, non seulement pour obtenir quelques champions mais aussi pour maintenir vivace l'intérêt de toute une collectivité pour l'activité sportive.

Pour sa part, la communauté scientifique tout entière est consciente des enjeux de la prochaine décennie. Depuis quelque temps, de nombreux établissements universitaires ont affirmé sur la scène publique leur volonté d'insuffler une nouvelle dynamique à leurs interventions en recherche.

Aussi, faut-il se réjouir du présent projet de loi qui vient répondre à leurs attentes en leur fournissant les éléments essentiels au développement scientifique d'une société arrivée à maturité. La création de véritables organismes subventionnaires publics vient, en effet, couronner les efforts déployés depuis près de 20 ans pour placer le Québec au rang des États les plus progressistes qui ont compris que d'ici la fin du siècle, le développement économique sera

très largement tributaire de l'avancement des sciences, de la capacité d'innover au plan technologique et d'assurer de nouvelles interfaces entre l'université et l'industrie.

Mais il est d'ores et déjà certain que les nouvelles concertations s'établiront en misant sur le potentiel déjà développé.

L'heure est en effet venue pour le Québec de cueillir les fruits qu'il a cultivés avec tant de soin depuis plus de 20 ans. Le projet de loi no 19 vient couronner, en érigeant le développement scientifique au rang des grandes priorités nationales - je souligne que le Québec est la première province canadienne à se doter d'une telle loi - les efforts de toute une génération qui a consenti les plus grands sacrifices pour accéder à cette nouvelle étape de son développement.

La maîtrise de son développement scientifique comme voie d'affirmation de son développement social, économique et culturel, voilà le but que vise le projet de loi. Nous sommes i c i , en effet, au point idéal de rencontre de l'université, de l'entreprise et de l'État. S'il est un lieu où la concertation s'impose entre ces trois composantes comme s'impose la conjonction permanente de leurs moyens, c'est bien celui de la recherche scientifique. Puisqu'elle est la source de l'innovation et du progrès dans tous les ordres, elle justifie qu'on y affecte l'effort maximal. Investir dans la recherche, investir les ressources humaines et les crédits requis, c'est faire un pari lucide pour l'avenir. Pour un peuple, dès lors qu'il entend rester dans la compétition internationale, c'est un impératif. Chacun sait, par ailleurs, qu'il n'est pas de chemin plus sûr ni plus prometteur, vers la maîtrise de son destin que celui qui passe par la maîtrise de son développement scientifique et technologique, condition de toutes les autres formes de progrès. Le système éducatif, et singulièrement l'université, a, dans cette entreprise fondamentale, une part capitale à assumer. Il n'est que normal, dès lors, que le ministre de l'Éducation apporte au présent projet de loi le soutien le plus convaincu et le plus fervent.

Par-delà l'événement comme t e l , c'est donc vers un avenir ouvert, marqué par des tâches comme doivent en assurer les sociétés qui veulent assumer leur progrès économique, social, culturel et politique, que nous sommes conviés. L'action du gouvernement dans le domaine du développement scientifique et technologique s'inscrit dans le cadre de son projet fondamental d'autodétermination démocratique.

En effet, je considère que le développement de la recherche scientifique est inséparable de tout ce qui constitue l'identité propre de notre peuple. À cette f i n , il est tributaire du développement de nos ressources humaines, partie prenante à la

réalisation des priorités économiques nationales, déterminant pour le type de rapports sociaux que nous entendons privilégier - notre volonté de prendre un virage technologique à visage humain en témoigne - et surtout fondamental pour l'exercice de la souveraineté nationale que nous souhaitons pour le Québec. Merci, M. le Président.

Le Président: Mme la députée de Jacques-Cartier.

Mme Dougherty: Est-ce que je pourrais poser une question au ministre?

Le Président: Si M. le ministre y consent. Dois-je comprendre que qui ne dit mot consent?

Dans le document Le mercredi 13 juin 1983 Vol No 38 (Page 75-78)