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French: Merci beaucoup, le Président

Dans le document Le mercredi 13 juin 1983 Vol No 38 (Page 98-101)

Il va sans dire que les objectifs de ce projet de loi sont extrêmement louables et importants. Mais dans ce domaine de la science et de la technologie, si le Québec arrive en 1983, ce n'est pas une nouveauté par rapport à nos voisins ni par rapport à d'autres pays. Je voudrais, en premier lieu, conseiller au ministre d'essayer de regarder un peu l'expérience dans d'autres juridictions et, surtout, de s'adonner à la lecture de certaines des analyses un peu plus réalistes, bel et bien désillusionnées et désabusées, ainsi qu'au plaidoyer en faveur d'une politique activiste dans le domaine de la science et de la technologie.

Le grand mythe, c'est qu'en se spécialisant dans la politique de la science et

de la technologie, on va par une espèce de processus magique, se doter d'une sagesse supérieure dans un domaine qui a résisté sensiblement à la plupart des efforts d'analyse, dans un domaine qui a refusé systématiquement la plupart des instruments appliqués, dans un domaine qui a frustré plus d'un cerveau assez impressionnant. Je donnerai un exemple au ministre. Si un nouveau ministre dans le domaine de la science et de la technologie me demandait:

Que pouvez-vous me recommander de lire?

Je lui recommanderais la lecture d'un article de moins de cinq pages, donc très court, écrit par un professeur canadien au London School of Economics, M. Harry Johnson, dans le journal Minerva. C'est un journal très bien connu dans le domaine de la science et de la technologie. Donc, je suis convaincu que le ministre le connaît. Dans cet article, le professeur Johnson commentait les efforts du gouvernement du Canada de mettre sur pied une politique scientifique. Le ministre lira une espèce d'aveu d'impuissance, je le répète, d'un des meilleurs économistes que le Canada ait produits devant le problème extrêmement complexe non pas de faire la recherche scientifique, non pas de faire du développement, d'innover dans le domaine technologique, mais le problème de monter les politiques de main-d'oeuvre, les politiques fiscales, les politiques de transfert technologique, tous les outils qu'on prétend pouvoir utiliser dans le domaine de la science et de la technologie, un aveu d'impuissance quant à la possibilité d'utiliser ces outils de façon systématique pour faire la promotion du processus de recherche pour des fins utiles.

Le projet de loi soulève tout cet éventail de difficultés. Il y a un problème de but par rapport aux moyens. On ne veut pas la science et la technologie comme telles, on veut la science et la technologie pour des fins très concrètes et utiles. Voilà un des premiers problèmes.

Si on veut faire de la recherche pour des fins de santé, pour des fins d'agriculture, pour des fins de communication, pour n'en nommer que trois, quelle est cette sagesse supérieure qu'un projet de loi comme celui-ci donne à un ministre et à ses fonctionnaires en particulier de connaître mieux la façon d'utiliser la recherche dans le domaine agricole et pour des fins agricoles en même temps que de connaître mieux que les gens du secteur des communications la façon d'utiliser la recherche dans ce domaine pour des fins pratiques en communication?

C'est d'imaginer - parce qu'on a un mot, la "recherche", qui décrit une activité intellectuelle - qu'il y a quelque chose dans la recherche dans le domaine des communications, dans les domaines agricole et médical qui fait en sorte que toutes ces activités sont assimilables, qu'on peut les

conjuguer ensemble et, donc, on doit les coordonner, il faut la coordination de tout cela.

M. le Président, c'est très triste, mais toute l'expérience des gouvernements dans ce domaine indique qu'un chercheur en sciences médicales n'a que très peu en commun avec un chercheur en sciences agricoles. Les deux n'ont absolument rien en commun avec un bureaucrate dans un ministère de la Science et de la Technologie qui ne touche jamais de la terre, qui ne touche jamais un corps humain, mais qui, lui, dans sa supériorité, parce qu'un projet de loi a été adopté par une Assemblée nationale quelconque, pense qu'il peut coordonner les activités des deux autres.

C'est "too bad", M. le Président, mais il n'y a pas de science de la politique des sciences. Il n'y a pas de science de la technologie. Il n'y a pas de science de l'innovation technologique.

C'est vrai que dans un gouvernement qui en est à son deuxième, troisième ou quatrième souffle, qui est fatigué, on peut tirer beaucoup de profits d'un ministre qui joue un rôle promoteur dans le domaine de la science et de la technologie. Ce qu'il ne faut surtout pas faire, c'est de mettre le fardeau de la bureaucratie sur les épaules de ce ministre. Ce qu'il ne faut surtout pas faire, c'est de l'entourer de cinquante directeurs, de cinq ou six directeurs généraux et de quatre ou cinq sous-ministres. J'espère que le ministre n'a pas à l'esprit un tel empire bureaucratique. Je crois qu'il n'en a pas un à l'esprit. Mais on ne le saura pas uniquement par la lecture de ce projet de loi qui comporte quelque 164 articles, alors que l'essentiel d'un ministère de la Science et de la Technologie pourrait se résumer dans un petit projet de loi de 40 articles, pas plus.

(0 h 10)

C'est une loi baroque, hypertrophiée et lourde. Il y a les directives, la coordination, l'évaluation, les analyses, les responsabilités de payer, d'élaborer, de participer, de collaborer, de payer, de favoriser, etc. Si le ministre a absolument besoin d'un endossement de l'Assemblée nationale pour tous ces mandats qu'il veut se donner, ne pourrait-il pas le faire durant la partie de la session où on aurait le temps d'étudier tranquillement et sérieusement avec lui pour mieux comprendre ce qu'il veut faire plutôt que d'arriver à la dernière minute, au dernier sprint de la session parlementaire, la dernière étape d'un processus qui a commencé il y a trois ou quatre ans. On a attendu quatre ans donc on peut attendre un autre cinq mois.

C'est drôle que lorsque les universitai-res ont pris connaissance du projet de loi ils se sont scandalisés parce que lorsqu'ils ont vu tout cet empire bureaucratique, tous ces 164 articles; ils avaient une nette impression

que le ministre voulait en quelque sorte dominer, s'ingérer dans la liberté de leurs activités académiques, et leurs activités de recherche.

J'avais plutôt l'impression que le ministre voulait s'équiper pour la lutte à la survivance au sein du Conseil des ministres, et il a invité l'Assemblée nationale à lui donner des armes contre ses collègues au Conseil des ministres. C'est un peu loufoque quand même. L'Assemblée nationale est dominée par l'Exécutif. Un membre de l'Exécutif vient nous demander l'estampe qui est de mise à l'Assemblée nationale pour ses propres plans pour retourner dire à ses collègues au sein de l'Exécutif: Vous voyez l'Assemblée nationale m'a demandé de faire ceci et il va falloir que vous coopériez avec moi. Je ne sais pas si cela va convaincre le ministre de l'Éducation et le ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme, mais cela ne tient pas debout. Il y a quelque chose de circulaire dans la logique.

L'expérience dans le domaine de la science et de la technologie démontre que les mandats grandioses n'ont aucune espèce de signification. Tout dépend des capacités politiques du ministre. Sur ce chef, je l'avoue, je trouve que le ministre a fait un début prometteur. Il a eu le courage de parler de quelques questions importantes. Il a forcé certains ministres bien installés avec leurs propres préoccupations dans les ministères verticaux de réagir à ses initiatives et même si le processus de prise de décision semble quelque peu décousu, il a au moins eu le courage d'amorcer le processus de discussion publique. Je trouve cela très important car cela démontre que le plus grand actif d'un ministre dans ce domaine c'est son épine dorsale, son "listing de timing", sa volonté de pousser ses collègues à agir. C'est sa volonté de mettre certaines questions à l'ordre du jour public.

Ce n'est sûrement pas de faire référence à l'article 103 de son projet de loi pour faire organiser la coopération d'une officine bureaucratique quelconque quelque part dans l'appareil étatique.

Le ministre doit jouer le rôle d'une mouche du coche et cela ne dépend à peu près pas d'une loi et d'un mandat formel. On a besoin de dégraisser le projet de loi, de l'alléger, d'établir au sein du projet de loi certains principes fondamentaux. Je ne les nommerai pas tous, parce que je pense que ma collègue la députée de Jacques-Cartier l'a déjà fait, mais certains principes fondamentaux telle l'autonomie de la recher-che universitaire, telle la reconnaissance de l'importance de la recherche libre, tel le monopole des organismes non gouvernemen-taux tels les universités et les hôpigouvernemen-taux dans le marché des dons charitables, etc., et on peut en ajouter d'autres. On peut passer à travers toutes les objections qui ont été

mises en valeur lors de la commission parle-mentaire. En parlant de cette commission parlementaire, je pense qu'il y a eu une suggestion du ministre et peut-être aussi de l'adjoint parlementaire au ministère de l'Éducation qu'en quelque sorte on a réglé les problèmes qui ont été soulevés en commission parlementaire.

Par exemple, le ministre a dit: Le projet de loi c'est vraiment excellent pour les fonds qui favorisent la recherche et qui subventionnent la recherche libre au Québec.

On va leur donner des assises permanentes, on va les stabiliser.

M. le Président, si c'est le cas, je voudrais bien que le ministre commence par convaincre ceux et celles qui sont responsables de ces fonds, qui continuent publiquement de demander des changements importants dans le projet de loi. Que le ministre ne vienne pas essayer de nous convaincre de cela, ce n'est pas important.

Qu'il convainque ceux et celles qui en sont responsables d'abord. Le ministre doit enlever l'odeur de dirigisme de son projet de loi. Par exemple, il doit dans ce domaine clarifier le rôle de la fondation vis-à-vis des fonds subventionnant la recherche. Et, au mieux, probablement qu'il devrait laisser tomber cette fondation pour laquelle on n'a jamais eu vraiment de justification.

J'ai écouté soigneusement l'intervention du ministre en deuxième lecture. J'ai cherché en vain une vraie justification de la fondation. J'ai entendu trois options possibles, sauf que les justifications d'une fondation, en premier lieu, n'existaient pas vraiment. Si c'est une coquille législative qu'on le dise, qu'on ne lui donne pas un rôle de coordination, qu'on ne lui donne pas un rôle vraiment décisionnel. Qu'on incorpore un comptable avec une coopération plus au moins sur papier, qu'on lui permette de virer des fonds, je n'y ai pas d'objection. Qu'il y ait un mécanisme juridique qui permet à l'État de recevoir les dons charitables et de les virer ultimement aux fonds de subventions dans la recherche, je n'y ai pas d'objection. Là où cela devient dangereux c'est d'essayer d'installer entre le ministre et les fonds une espèce de "buffer" qui va en quelque sorte jouer un rôle dirigiste. Si ce n'est pas le cas, on sera très contents d'en être assurés; si c'est le cas, c'est carrément inacceptable. Si le ministre n'est pas capable d'influencer le comportement et les politiques des fonds par le biais du Conseil des ministres, par le biais de la consultation avec les ministres responsables de ces fonds, je doute fort que le mécanisme prévu dans le projet de loi lui permettra de faire mieux. Il entraînera certainement des dépenses de l'argent des contribuables, il enchaînera une série de réunions, de voyages, de conférences et de discussions, mais cela ne changera pas grand-chose à la

fin.

M. le Président, je voudrais dire quelques mots sur l'Agence québécoise de valorisation industrielle de la recherche, et je suis content que le ministre soit de retour. Encore une fois, j'ai été un peu déçu du discours du ministre puisqu'il n'y avait pas vraiment de justification de cette institution. On a dit que la SDI ou la Société de développement industriel ne fait pas actuellement la même chose que le ministre voudrait voir faire par l'Agence québécoise de la valorisation industrielle de la recherche. On a dit que le CRIQ ne fait pas cela, on n'a pas mentionné certains organismes non gouvernementaux tel le Centre d'innovation industrielle de Montréal.

Je vois que le ministre me fait encore signe que non que cela ne fait pas ce qu'il prévoit que l'agence québécoise va faire. C'est peut-être le cas, sauf que la lecture du projet de loi et le discours du ministre ne nous permettent pas d'évaluer ce que cette agence est censée faire.

(0 h 20)

Dans le contexte de cette agence, je voudrais parler un peu de notre expérience dans le domaine de la commercialisation des innovations et des idées. Le problème n'est pas tellement l'offre de bonnes idées, le problème n'est pas tellement la recherche -le ministre est d'accord jusqu'ici - -le problème est la structure d'accueil et la capacité de commercialiser - il est toujours d'accord - les innovations. C'est donc un problème qui relève plus d'une structure industrielle canadienne que de l'endroit où la recherche est faite ou de la nature de la recherche qui est faite au Québec ou au Canada.

Il me semble qu'il incombe au ministre de démontrer clairement, que l'Agence québécoise de valorisation industrielle de la recherche serait capable de jouer un rôle déterminant dans ce domaine. J'avoue, M. le Président, et je sais que je n'ai pas beaucoup de temps, que cela semble une autre bebelle, une autre structure, une situation où on va engager des fonctionnaires et ceux-ci vont se justifier jour après jour, année après année, auprès du Conseil du trésor mais, ultimement, il y a très peu d'espoir que des retombées économiques réelles sortent de là.

Si la SDI ne peut s'ajuster à faire ce rôle, si le CRIQ ne peut remplir ce rôle, on se demande pourquoi une autre agence qui, je le sais, a aux yeux du ministre le grand mérite de relever de lui, mais comment une autre agence pourrait-elle réellement remplir ce vide?

Je vois votre impatience, M. le Président. Je termine donc mon intervention en deuxième lecture en concluant qu'il y aura une discussion extrêmement sérieuse en commission parlementaire. On va demander des explications approfondies au ministre.

Ultimement, l'organisation du gouvernement du Québec doit relever de l'Exécutif;

ultimement, l'Opposition n'a pas affaire à bloquer les plans structurels d'un gouver-nement, mais nous avons sûrement le droit de suggérer des choix, des hypothèses, de demander des explications et de servir des avertissements au ministre.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre, votre droit de réplique.

M. Gilbert Paquette (réplique)

Dans le document Le mercredi 13 juin 1983 Vol No 38 (Page 98-101)