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Bisaillon: le Président, le projet de loi no 17 qui est devant nous

Dans le document Le mercredi 13 juin 1983 Vol No 38 (Page 27-30)

actuellement ne va pas assez loin. Il s'inscrit d'ailleurs dans le cadre d'un nouveau discours gouvernemental. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce genre d'étapes que le gouvernement nous a fait traverser. La première période a été celle des projets globaux, des lois-cadres, des grands projets qu'on nous annonçait. La deuxième époque -et c'était évidemment assorti des slogans qui accompagnent ce genre de mesures gouvernementales - a été celle des trains de mesures. Vous vous souvenez des discours d'un certain nombre de ministres qui nous annonçaient toujours une batterie de mesures ou un train de mesures. Il n'y avait jamais une loi seule. Cela prenait une dizaine de lois en même temps pour faire le tour de la question. Cela a été la deuxième période du Parti québécois et là, on assiste à la troisième période, qui pourrait se caractériser comme ceci et qui, dans le fond, est véhiculée par le slogan suivant: Le mieux est l'ennemi du bien. On a entendu cela au moment de la loi 20, Loi sur la retraite anticipée, alors que le ministre nous a dit: On fait ce petit bout et bientôt, dans X mois ou X années, on vous annoncera une refonte complète de la Régie des rentes et du système de la retraite pour l'ensemble des Québécois et des Québécoises, mais, le mieux étant l'ennemi du bien, on va faire ce petit bout maintenant. Il en va de même pour le projet de loi no 17. Le mieux étant l'ennemi du bien, contentons-nous donc de ces petites mesures qui améliorent effectivement un certain nombre de fonctionnements en termes de relations du travail et, le mieux étant l'ennemi du bien, contentons-nous de cela. Dans un an ou dans

deux ans, on fera une refonte totale du Code du travail.

Comme j ' a i assisté, il y a, je pense, bientôt deux ans, à un comité de travail de députés qui avaient reçu toutes les personnes ressources du milieu des relations du travail, tant les représentants des centrales syndicales qu'un certain nombre de représentants du milieu patronal pour en arriver à proposer un projet de refonde du Code du travail c'était il y a deux ans -ma collègue de Maisonneuve soulignait tantôt que cela fait déjà au-delà de six mois que toute cette question est discutée au niveau du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. On se demande vraiment comment il se fait que le gouvernement a voulu se limiter de cette façon. Si ce n'était d'une position fort malhabile et maladroite de l'Opposition, ce projet de loi passerait quasi inaperçu. Si l'Opposition ne mettait pas tant d'acharnement à dénoncer les quelques petites mesures que comprend le projet de loi no 17, il passerait inaperçu, parce qu'il ne règle pas l'ensemble des questions qui sont traitées et débattues par le milieu de travail.

Le député de Mont-Royal que j'écoutais tantôt disait: C'est une loi qui va trop loin.

C'est une loi qui met des bâtons dans les roues du milieu patronal et c'est une commande à laquelle le gouvernement répond, une commande de l"'establishment"

syndical. Je pense que le député de Mont-Royal n'est pas très au fait du milieu des relations du travail et il ne connaît pas exactement ce dont il parle lorsqu'il dit que c'est une commande à l'"establishment"

syndical. D'une part, je pense que ce projet de loi a fait l'objet d'audiences publiques avant la deuxième lecture et on a pu constater que l'ensemble des représentants syndicaux qui sont venus devant la commission ont, bien sûr, endossé un certain nombre de mesures qui sont dans le projet de loi no 17, mais parce qu'il n'y avait pas mieux. Ils nous ont pourtant tous dit que ce n'étaient pas là les seuls moyens et la seule façon de régler les problèmes qu'affrontaient les travailleurs. Le député de Mont-Royal a dû oublier aussi, pendant qu'il était tout obnubilé à écouter les représentants du Conseil du patronat, qu'au moment même où ces audiences publiques se tenaient au salon rouge de ce parlement, à l'extérieur du parlement se tenait une manifestation par la coalition sur les normes minimales d'emploi et l'accès à la syndicalisation. Ce sont des représentants de groupes qui ne sont pas syndiqués, de gens qui sont venus nous dire:

Nous parlons au nom des 1 800 000 travailleuses et travailleurs québécois qui n'ont pas actuellement accès à la syndicalisation. Nous demandons des mesures véritables pour leur permettre cet accès à la syndicalisation. Ce n'était pas

l"'establishment" syndical qui manifestait dehors; ce n'était pas non plus, évidemment, le Conseil du patronat, c'étaient des représentants de mouvements ou d'organismes populaires qui, depuis cinq ans, travaillent à faire comprendre à ceux qui prennent les décisions que l'ensemble des travailleurs et des travailleuses qui ne sont pas syndiqués voient leurs conditions de travail de plus en plus détériorées et que ce n'est pas la Loi sur les normes du travail qui peut, à elle seule, régler ce problème.

C'est donc dans ce contexte qu'il faut examiner la loi 17. Bien sûr, j'aurai l'occasion tantôt, M. le Président, de vous indiquer un certain nombre d'améliorations qu'on pourrait même apporter en commission parlementaire à ces mesures qui nous sont proposées actuellement. Je voudrais quand même resituer l'objectif et la portée véritable du projet de loi no 17 dans le contexte actuel.

Lorsqu'on a procédé aux audiences publiques, un certain nombre de représentants de l'Opposition se sont attardés à poser des questions aux intervenants sur l'impact économique de la loi 17. Autrement dit, ils essayaient de - ils auraient donc aimé qu'on leur dise plus clairement que cela leur a été dit, parce que c'était gênant de répondre à cette question - faire dire aux intervenants que la loi 17, à elle seule, et que les quelques modifications qu'on apportait au Code du travail, c'était pour chambarder toute l'économie du Québec, c'était pour faire en sorte que la moitié des entreprises fermeraient leur porte et s'en iraient tout de suite en Ontario. J'ai eu l'occasion pendant cette commission parlementaire de souligner aux représentants du Conseil du patronat qu'au moment où le Parlement avait étudié la Loi sur la santé et la sécurité du travail, les mêmes représentants des employeurs étaient venus nous dire en commission parlementaire que la règle qu'on plaçait dans cette loi où le travailleur était libre de cesser sa prestation de travail s'il se sentait mis en danger par l'exécution de son travail... Tous les représentants des employeurs étaient venus nous dire: Vous annoncez la catastrophe imminente. Ils étaient tous venus nous dire que c'était non

"manageable" pour des entreprises, que toutes les entreprises fermeraient et que, d'ailleurs, il n'y en aurait plus d'autres qui viendraient s'installer i c i , alors qu'au même moment, en Ontario et ailleurs dans d'autres provinces du Canada, des mesures similaires existaient dans les lois ou dans la réglementation.

J'ai rappelé cet événement aux représentants des employeurs qui n'ont pas pu faire autrement que de reconnaître que cette règle qu'on a placée dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail qui devait être, selon eux, un drame épouvantable, il y a à peine une cinquantaine de travailleurs

qui l'utilisent annuellement. Sur l'ensemble des travailleurs qui utilisent cette clause, il y en a un peu plus de 50% qui se voient confirmer le droit qu'ils avaient et les raisons justifiées qu'ils avaient de procéder à cet arrêt de travail. On a donc là une clause qui est dans une de nos lois, qui est utilisée de façon sage par les travailleurs, alors que du côté des employeurs, on nous annonçait les pires calamités. Ce ne sont pas les faits et ce n'est pas la situation réelle.

Replaçons aussi le projet de loi no 17 en nous rappelant cette prise de position. On ne peut pas évidemment demander à des employeurs de venir nous voter eux-mêmes le meilleur Code du travail. C'est sûr que n'importe quelle règle qu'on placera dans un Code du travail limite les droits de la gérance. C'est évident. Il n'y a aucun gérant que je connaisse qui accepte dès le départ et qui propose lui-même de faire limiter ses droits de gérance, mais il en va autrement lorsqu'il est placé devant un état de f a i t . De toute façon, les meilleurs gérants sont ceux qui s'adaptent le plus facilement aux lois et aux règles. Ce sont ceux qui peuvent le mieux s'en sortir, ce sont ceux aussi qui sont les plus concurrentiels. Je prétends que ce n'est pas un argument qui devrait nous arrêter, ce n'est pas un argument sur lequel on devrait s'attarder. C'est dans la course et dans le jeu normal d'une intervention avant une loi que de tenir les positions qu'on tenues les représentants des employeurs.

(12 h 30)

Cela ne répond pas pour autant à la question que l'Opposition posait aux intervenants: Est-ce que ça va mettre en danger l'économie? Les seules réponses que nous avons eues ont été des réponses positives, des réponses qui allaient dans le sens de démontrer que, contrairement à tout ce qu'on pouvait penser, à tout ce qu'on pouvait véhiculer, un bon système de relations du travail, c'est un acquis au plan économique aussi. Ce n'est pas seulement au plan social et au plan de la protection des travailleurs, c'est aussi une protection au plan de l'économie parce que ça régularise des relations dans un milieu de travail. Cela f a i t en sorte que, pendant une période donnée, une fois qu'une convention collective est réglée, l'employeur sait avec quoi il doit

"manager" pendant deux ans, trois ans, pendant le temps d'une convention collective.

Ce qui a aussi été démontré, c'est que le Code du travail actuel et l'attitude d'un certain nombre d'organisations patronales, qui, plutôt que d'accepter le code, tentent d'amener un certain nombre d'employeurs à le contrer par une action juridique, par des mécanismes douteux, ont fait en sorte de prolonger les périodes pendant lesquelles une organisation peut obtenir l'accréditation.

Or, il a été démontré que c'est plus coûteux pour l'entreprise, cette période à

partir du moment où un travailleur ou une travailleuse décide de se syndiquer et le moment où il obtient son accréditation...

L'espace qui se situe entre ces deux moments, qui, selon les témoignagnes qu'on a reçus, peut varier de six mois à deux ou trois ans, cette période de conflits latents, de congédiements, de suspensions, de mesures administratives, de réactions de la part des travailleurs, de démobilisation, de démo-tivation au travail, est peut-être la plus coûteuse pour les entreprises. Attaquons-nous donc à ce problème et faisons en sorte, une fois qu'un travailleur ou une travailleuse a manifesté son intention d'adhérer à une organisation syndicale, que cette période soit la plus courte possible et qu'on lui permette véritablement, le plus rapidement possible, d'en arriver à une décision claire. Quand ce sera f a i t , il y aura une négociation et on en arrivera à la conclusion d'une convention collective.

Un intervenant - je pense que c'est le président de la CSD - quand il est venu témoigner devant la commission, a dit: Vous savez, ce n'est pas dans les airs, une demande d'accréditation. Ce que veut le travailleur, ce n'est pas avoir le petit papier qui lui dit: Tu fais partie d'un syndicat et ce syndicat est affilié à la CSD, à la CSN, à la CEQ ou à la FTQ. Ce n'est pas ce qui intéresse le travailleur. Quand il décide de se former un syndicat, c'est parce qu'il veut conclure une convention collective. Donc, réduisons la période de tension qui existe à partir du moment où un travailleur a pris sa décision et celle où on lui reconnaît le droit d'adhérer à une organisation collective. Si on réduit cela, on réduit d'autant les retombées négatives au plan économique. On a donc un acquis au plan de l'économie.

Un autre argument positif au plan de l'économie, c'est la concurrence. Plusieurs entreprises dont les employés sont syndiqués souhaiteraient peut-être que les conditions de travail qui s'appliquent dans leur entreprise s'appliquent aussi à leurs concurrents. Cela m'amène à vous dire qu'il y a une mesure essentielle dans les relations du travail au Québec, comme on les conçoit maintenant, qui n'apparaît pas dans le projet de loi no 17 et qui devrait y être. C'est toute la question de l'accréditation multipatronale.

Bien sûr, on va entendre encore une fois, par rapport à l'accréditation multipatronale, tous les grands stratèges patronaux qui vont venir nous dire que c'est dangereux, ce n'est pas possible. Mais pour les entreprises qui sont déjà syndiquées, je suis pas mal convaincu que l'accréditation multipatronale représente peut-être, au plan de l'économie et au plan du marché, un pas en avant qui ne serait pas négligeable.

Lorsqu'on veut parler d'un projet de loi, il faut qu'on le situe aussi dans son contexte qui n'est pas uniquement un contexte social

ou d'amélioration des conditions de travail, mais aussi un contexte économique. Je prétends qu'au plan de l'économie un meilleur Code du travail et de meilleures relations du travail, c'est une meilleure économie aussi pour le Québec. Je prétends que, lorsqu'on améliore le climat social, celui dont tous les employeurs viennent nous parler, on améliore aussi l'économie du Québec. L'un ne va pas sans l'autre. On n'améliorera pas le climat social si on ne modifie pas en profondeur notre Code du travail, si on ne raccourcit pas les délais que sont obligés de subir les travailleurs qui veulent se syndiquer, à moins qu'on ne nous parle clairement et qu'on ne nous dise de l'autre côté qu'on ne veut plus de syndicats.

Cela, est la réalité. On en veut, mais on veut tellement les encercler, les limiter, les empêcher de fonctionner que cela ne pourrait pas marcher.

M. le Président, qu'on nous le dise clairement. Ou bien on en veut, ou bien on n'en veut pas, mais, si on en veut, on doit prendre les moyens pour que cela soit encadré correctement et que cela réponde à des règles qui soient non seulement justes et équitables, mais humaines. Là-dessus, je me permets de souligner deux ou trois éléments qui sont dans le projet de loi no 17. Après avoir dit ce que j ' a i dit du projet de loi, le mieux étant l'ennemi du bien, quant à moi, le projet de loi no 17 n'est pas une grosse amélioration. Il est sûr que, si on compare au passé, c'est une amélioration. Si on regarde ce qu'on avait promis, la marchandise qu'on devait livrer, ce à quoi on s'était engagé et ce que cela nous prendrait véritablement, évidemment, il nous reste un grand bout à faire. Étant donné les ans qu'on a mis à accoucher de ces quelques légères mesures, je crains beaucoup de ne pas avoir l'occasion, avant la fin de ce mandat, de voir le Code du travail refondu dans sa totalité.

Je vous indique cependant que, quant à moi, il y a un certain nombre de mesures qu'on appelle les mesures antibriseurs de grève qui manquent et une des plus évidentes, pour moi, c'est la latitude qu'on n'accorde pas à l'enquêteur. Autrement dit, la loi prévoit actuellement qu'on dépêche un enquêteur sur les lieux lorsqu'il y a une plainte sur l'utilisation de briseurs de grève.

Je pense que cet enquêteur devrait avoir la possibilité, après avoir procédé à l'analyse de la situation, de trancher le débat et de déterminer sur les lieux mêmes si, effectivement, il y a utilisation de briseurs de grève ou pas et d'apporter sur-le-champ des mesures correctives. Cela n'enlèverait pas aux parties la possibilité d'aller en appel de cette décision de l'enquêteur, mais il y aurait au moins un point de départ alors qu'actuellement, on semble procéder à l'inverse. Autrement dit, tout en disant qu'on

veut enlever le juridisme dans le Code du travail, à mesure qu'on ajoute des mesures, on ajoute tout simplement du pain aux professionnels que sont les avocats puisqu'on ajoute toute une série de procédures additionnelles qui vont à l'encontre de ce que l'on veut effectivement obtenir.

Par exemple, sur la base d'un rapport d'enquêteur, on est obligé actuellement de déposer une plainte en Cour supérieure; si on faisait le contraire, si l'enquêteur était le décideur et si, après cela, on pouvait aller en appel de sa décision, il me semble que déjà une partie de la situation serait réglée.

De la même façon, je souligne que, dans le cas de l'accès à la syndicalisation, on a sûrement amélioré les choses quant aux délais ou aux procédures, mais on n'aura pas amélioré fondamentalement l'accès à la syndicalisation tant et aussi longtemps qu'on ne permettra pas l'arrêt et la suppression des mesures dilatoires et tant qu'au niveau du congédiement pour activités syndicales, au moment de la syndicalisation, on ne reviendra pas ou on ne confirmera pas la règle du statu quo ante. Lorsque quelqu'un, pendant un processus de syndicalisation, est congédié ou est l'objet d'une mesure disciplinaire, on devrait appliquer la mesure du statu quo ante, c'est-à-dire qu'il garde sa situation comme travailleur jusqu'à ce qu'un tribunal statue sur son cas.

(12 h 40)

Ce sont des commentaires que j'essaierai d'apporter après la deuxième lecture, au moment de l'étude article par article. En signalant que j'apporterai mon concours, que je voterai en deuxième lecture pour le projet de loi no 17, je maintiens cependant qu'il ne va pas assez loin, qu'il ne correspond pas à ce que le gouvernement nous avait annoncé et aussi à ce que le programme du parti dont ce gouvernement est issu nous annonçait.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Maskinongé et whip adjoint de l'Opposition.

Dans le document Le mercredi 13 juin 1983 Vol No 38 (Page 27-30)