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Les langues comme support de la complexité des rapports aux figures parentales

Dans le document Plurilinguismes et subjectivités (Page 159-161)

6 Rapport aux langues et identifications chez des sujets franco-maghrébins

6.1 Les langues comme support de la complexité des rapports aux figures parentales

Dalila, 20 ans, de père tunisien et de mère française, poursuit des études universitaires en France. Elle a vécu en Tunisie jus- qu'alors. Dans son discours, les termes référés aux langues, pays, cultures et parents se substituent les uns aux autres, illustrant combien le rapport du sujet aux langues est tributaire des rela- tions aux gures parentales qui les supportent, de sa construc- tion personnelle, dans un contexte national et culturel donné, et de la dynamique familiale.

Vivant dans un milieu où l'arabe (surtout l'algérien) est pré- sent, elle comprend cette langue mais la parle peu, se décri- vant comme mauvaise élève dans cette discipline au lycée (sous la forme de l'arabe classique). Or elle était scolarisée dans un lycée français, dont la population se caractérise par la fréquence d'élèves ne parlant pas, ou peu, l'arabe (autres nationalités, couples mixtes, tunisiens de milieu favorisé). Elle fait pourtant le choix d'une formation en langues étrangères (anglais, italien, espagnol). Mais une réticence spéci que à l'égard de la langue du père se manifeste de façon récurrente dans les entretiens, à la di érence de son frère : « Mon frère il est du côté de mon père quand même, en n... il aime bien, il l'aime bien. Bon déjà lui il parle arabe tu vois, tandis que moi et ma frangine... en n on le comprend mais on le sent pas si tu veux, c'est pas... mon

frère on pourrait presque dire qu'il est bilingue quoi, tandis que nous c'est le français et pas autre chose ». D'ailleurs, Dalila déclare à plusieurs reprises qu'elle se « sent plus française que tunisienne ».

On note, au l de l'entretien, un glissement métonymique des langues aux parents qui les supportent, des parents aux langues qui les représentent. L'expression « on le sent pas » peut s'entendre comme ayant un rapport — nié — à une liation linguistique paternelle « on le sang pas », le pronom « le » désignant tout autant l'arabe que le père. Ce passage est associé à l'évocation des rela- tions houleuses et des a ects ambivalents à l'égard du père, ren- forcés par d'autres dénégations « c'est mon père quand même », « sinon j'aime bien quand même ». Si ce rapport aux deux langues traduit les identi cations sexuelles de Dalila, il manifeste aussi ses modes de défense face à la résurgence des con its œdipiens à l'adolescence, dans un refus d'intimité avec la langue du père. Plusieurs éléments concourent à sa posture actuelle :

— les di cultés d'intégration de la mère, perçue comme ayant fait des sacri ces pour vivre avec le père en Tunisie. — les désaccords éducatifs et les con its parentaux, en parti-

culier à son propos : lorsqu'il n'approuve pas le comporte- ment de sa lle, le père se tourne vers sa femme, qui trans- met à sa lle, alors que celle-ci préférerait que son père s'adresse à elle.

— les di ciles relations avec le père, à l'adolescence, lors- qu'elle construit une identité de femme en référence à sa mère mais en rupture avec les attentes de son père. Les parents se sont rencontrés à Paris, quand le père est venu faire ses études, il est resté deux ans. La mère l'a suivi en Tuni- sie mais n'a pas vraiment réussi à s'intégrer, selon sa lle. Elle a travaillé comme professeur dans un établissement où elle était la seule française et çà ne s'est pas très bien passé. Elle ne parle pas l'arabe, langue utilisée dans la famille paternelle et avec certains amis. Elle ne partage pas toujours les valeurs, le mode de vie et les usages. Elle souhaite même revenir en France et recherche un emploi pour son mari, qui ne semble pas lui-même convaincu

par cette démarche. Elle soutient le projet d'études de sa lle en France et c'est elle qui l'aide nancièrement. Mais le père de Dalila vit comme un rejet la distance ressentie à l'égard de sa langue « il a l'impression que je dédaigne sa culture ». Il a com- pris « que je me détachais [...] de la Tunisie, de sa patrie, que j'étais plus du côté donc de la France, de ma mère, il sentait que je me détachais. Ce qui fait qu'il m'en veut pour çà mais moi je lui en veux parce que en n je pense que qu'il devrait pouvoir comprendre. Silence. Alors le fait que je sois partie je crois que çà... Silence ».

Fortement engagée dans ce projet, Dalila sou re néanmoins de solitude et pense que sa mère idéalise un peu la France. Réa- lisant le désir de sa mère et argumentant son souhait de retour face à un conjoint réticent, elle imagine être, parallèlement, un instrument de con its et, au pire, elle craint d'être l'instrument d'une perspective de séparation. Mais actuellement c'est elle qui ressent une rupture avec sa famille et en particulier avec son père, comme l'atteste le douloureux silence qui suit ses déclara- tions, en venant toutefois, comme lui, faire ses études en France.

6.2 Le choix de la langue et de la culture espagnole comme espace

Dans le document Plurilinguismes et subjectivités (Page 159-161)