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La théorie de l’action conjointe en didactique

2.3 Cadrage théorique de l’étude

2.3.2 La théorie de l’action conjointe en didactique

Dès 2000, un article collégial (Mercier, Sensevy, and Schubaueur-Leoni 2000) pose les fondements de la théorie, d’abord descriptive, de l’action conjointe. La publica-

34. Si Rabardel propose de modéliser dans le système SACI les médiations du sujet avec d’autres sujets (il parle alors de médiation interpersonnelle pour désigner l’orientation vers les autres), ici la spécificité de cette médiation tient à ce qu’elle est nécessairement dissymétrique, orchestrée par l’enseignant à des fins d’enseignement et d’apprentissage.

tion, en 2007, de l’ouvrage collectif "Agir ensemble" (Sensevy and Mercier 2007) témoigne de l’évolution et de ce que d’aucuns dénomment un "tournant actionnel" de cette théorie qui s’est aujourd’hui recomposée en théorie de l’action conjointe en didactique (TACD). Dans ce syntagme, si l’action, spécifiée au didactique, est qua- lifiée de conjointe, c’est pour mieux rendre compte de son caractère relationnel et coopératif35. Accéder à la compréhension de cette action suppose dans ce cadre, de

considérer celle-ci comme nécessairement conjointe, fondée sur une communication dans la durée, entre le professeur et les élèves. Cette théorie considère ainsi que "dans chaque action du professeur, l’élève trouve une place, même minime, et la même chose peut se dire de l’action de l’élève"(ibid, p6). La TACD se fonde sur la notion de jeu36

en tant que "modèle pertinent pour mettre en évidence certains aspects du monde social et de l’activité humaine". Cette caractérisation de l’action conjointe en terme de jeu37 "a le mérite de souligner les aspects affectifs de l’action (l’investissement

dans le jeu) et ses aspects effectifs, pragmatiques (quand et comment gagne-t-on ?)" (ibid, p19). Il s’agit, dans cette perspective, de voir l’enseignant comme engageant les élèves dans une succession de jeux, dont les enjeux successifs produisent l’avancée du savoir dans la classe. Le jeu de l’enseignant va ainsi être un jeu sur le jeu des élèves. Comme le souligne Sensevy, la visée de la TACD est de mieux comprendre à quels jeux jouent le professeur et les élèves et quelles sont les déterminations de ces jeux. Le système conceptuel de référence de la théorie est constitué par des concepts issus de la didactique des mathématiques et, notamment des travaux de Brousseau (1998) et Chevallard (1999), avec en particulier le triplet "chronogenèse, topogenèse et méso- genèse" auquel viennent s’ajouter les notions de "milieu" et de "contrat didactique". Elle considère le jeu didactique qui est constitutif des transactions didactiques et les jeux d’apprentissage qui sont des spécifications du jeu didactique à des savoirs défi- nis38. Ces jeux d’apprentissage, qui voient le jour in situ, quand, dans le flot du jeu

didactique survient un nouveau savoir, instituent des contrats didactiques, spécifiés eux-mêmes à des milieux qu’il s’agit de décrire et représentent le contexte de l’action didactique.

Pour décrire les transactions didactiques pour lesquelles les savoirs, contenus de la re-

35. L’action est coopérative car les deux instances que sont le professeur et les élèves gagnent ou perdent ensemble.

36. Jeu qui repose en partie sur un paradoxe (Brousseau 1998) : la position de l’enseignant le met dans l’obligation de faire produire par les élèves les réponses qui attestent de l’apprentissage, mais s’il dévoile le savoir, il les prive de la possibilité d’agir et donc d’apprendre.

37. C’est un jeu dissymétrique car les joueurs (le professeur et les élèves) n’occupent pas la même place dans la transaction au début du jeu tout au moins.

38. Le jeu didactique se présente alors comme un système lié de jeux d’apprentissage. Notons récemment l’introduction dans la TACD de la notion de jeu épistémique cible qui traduit d’une certaine manière le rapport de l’enseignant au savoir.

lation et objets de communication, représentent "les objets transactionnels" (Sensevy and Mercier 2007, p16), la TACD dispose de différents outils dont nous faisons état succinctement. Parce que le professeur dirige les jeux d’apprentissage, un changement de jeu étant initié par lui dès lors que le jeu précédent ne permet pas d’atteindre les objectifs visés, il le fait en assurant quatre fonctions que Sensevy pose comme néces- saires :

— Définir le jeu, c’est-à-dire rendre les élèves capables de jouer le jeu selon les règles

— Dévoluer le jeu, c’est-à-dire faire en sorte que les élèves assument de jouer le jeu d’une manière "adéquate",

— Réguler le jeu, c’est-à-dire, faire en sorte que les élèves élaborent les règles stratégiques qui permettent de gagner au jeu

— Institutionnaliser les résultats du jeu, c’est-à-dire s’assurer du passage d’une connaissance39 de son rôle de moyen de résolution du jeu à celui de référence

pour des utilisations futures.

Pour prendre en compte le fait que le professeur construit les jeux, conjointement avec les élèves, la TACD complète les outils de descriptions des transactions de trois concepts permettant de saisir l’aspect évolutif des situations. Au sein du système didactique, le professeur doit agir pour :

— Produire les lieux du professeur et de l’élève (effet de topogenèse) ;

— Produire les temps de l’enseignement et de l’apprentissage (effet de chronoge- nèse)

— Produire les objets des milieux des situations et l’organisation des rapports à ces objets (effet de mésogenèse).

La mésogenèse permet de décrire les comportements du professeur et des élèves dont la fonction est de construire un système commun de significations. Une description mésogénétique attira par exemple l’attention sur la manière dont le professeur in- troduit "dans le milieu" une signification quelconque, notamment grâce à un énoncé (ibid, p30). La chronogenèse relève, quant à elle, de la gestion du temps didactique. Notons avec Sensevy que mésogenèse et chronogenèse sont en étroite relation. En effet, si l’exemple précédent, "introduire un élément dans le milieu", possède une va- lence mésogénétique, sa valence chronogénétique sera activé si l’attention portée sur cet élément se concentre sur l’introduction du nouveau au sein de l’ancien, sur le jeu institué entre l’ancien et le nouveau. La troisième dimension topogénétique permet

39. Nous reprenons ici la définition donnée par Brousseau de l’institutionnalisation sans entrer dans le détail de la distinction entre connaissance et savoir.

de décrire le partage des responsabilités dans les transactions didactiques. Elle per- met ainsi de se centrer sur la manière dont les différentes actions mésogénétiques et chronogénétiques sont partagés entre les différents protagonistes.

La TACD dispose ainsi, avec le couple de descripteurs précédent, d’une première spécification de la nature des transactions didactiques. Un troisième système de des- cription est envisagé en considérant ces transactions comme produites au sein d’un contrat didactique qui leur donnera leurs formes. La notion de contrat didactique, en tant que règle de décodage de l’activité didactique est dès lors pour Sensevy essentielle au processus de description des transactions :

— Elle fait comprendre le poids des habitudes d’action dans leur formation, et incite donc à considérer des habitudes de transaction.

— Elle fait comprendre comment les transactions didactiques reposent sur les at- tentes, de l’élève vers le professeur, mais aussi du professeur vers l’élève. — Elle fournit un cadre à l’étude génétique de la constitution des normes dans la

classe, et à la manière dont ces normes ont été dépassées ou redéfinies dans la dialectique de l’ancien et du nouveau. (ibid, p19)

Cet ensemble descriptif40 ainsi constitué permet de poser différents points de vue

sur l’action conjointe pour mieux la comprendre. En particulier, cet ensemble peut se concevoir à différents niveaux, du niveau microscopique (quelques échanges) au niveau macroscopique (la séance entière) et autorise ainsi un grain d’analyse relati- vement fin.

Notons pour terminer cette présentation que si la TACD dispose des outils précédents pour conduire l’enquête in situ des déterminations effectives de l’action, elle propose également de poser un regard plus large sur l’action professorale dans le but d’aider à la compréhension du système général de prises de décisions de l’enseignant41. Dans

cette perspective, trois grandes strates de descripteurs de l’action sont proposés et correspondent à trois niveaux d’articulation du jeu didactique du professeur. A un premier niveau, celui de l’action in situ on dira que le professeur fait jouer jeu. A un second niveau, en général, hors de la classe, il construit le jeu. Ce second niveau atteste de l’importance accordée, pour la compréhension des transactions in situ, au travail de préparation et aux tâches42que l’enseignant choisit pour penser et organi-

ser son enseignement. Le troisième niveau correspond à une catégorie de déterminants qui échappe en grande partie à l’action orientée du professeur (ibid, p34), niveau spé-

40. C’est à dire le quadruplet"définir, dévoluer, réguler, institutionnaliser", le triplet "mésogenèse, topogenèse, chronogenèse" et le contrat didactique

41. L’ambition allant même au delà, jusqu’aux professeurs en général. 42. Le mot tâche est ici à prendre au sens très large de "ce qu’il y a à faire"

cifiée en deux dimensions : l’une sensible aux contraintes de nature institutionnelle43,

l’autre renvoyant aux soubassements épistémologiques de l’action professorale44(ibid,

p.37), de la conception de ce qu’est l’apprentissage, des difficultés d’apprentissage... Cette pluralité de niveaux d’observation organisée en système suppose des tempora- lités différentes qui dépassent le temps de la séance en classe et qui dans un même temps exigent pour l’observation du "jeu" didactique un grain d’analyse très fin.

2.3.3

Délimitation et utilisation du cadre de la théorie de l’ac-