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Une inscription dans un processus de conception et d’usage

3.7 Bilan et perspectives

4.1.1 Une inscription dans un processus de conception et d’usage

Si le développement d’un objet technique a pu reposer sur un processus de concep- tion piloté d’abord par des problématiques techniques (possibilités techniques, contraintes de production), la multiplication d’offres concurrentielles sur un même marché2 ou

1. Qualifié de renouvelé car en partie différent de celui qu’il serait possible de poser par exemple sur un outil professionnel tel que le tableur

2. En ce qui concerne les TBI, sept constructeurs se partagent inégalement le marché (Promé- théan, eInstruction, Smart Technologies, Hitaschi, Panasonic, Teamboard, 3M)

encore la réduction du cycle de vie3 des produits technologiques, s’accompagnant in-

évitablement par une réduction des délais de mise sur le marché, sont autant d’enjeux industriels et commerciaux nouveaux. Ils constituent une nouvelle donne à intégrer dans la conception, qui n’est pas sans conséquence sur la nécessité d’une meilleure prise en compte de l’utilisateur, de ses besoins dans le processus même de conception des produits. Si ces deux courants, l’un centré sur la technique, l’autre centré sur l’uti- lisateur, divergent parce qu’opposés dans leurs domaines de recherche respectifs, ils sont liés par le même constat de l’impossibilité, au cours du processus de conception, de se satisfaire d’une seule vision. Alors que dans l’un il faut confronter les points de vue liés aux problématiques techniques dans le but d’optimiser le processus de conception, dans l’autre il faut confronter les systèmes techniques et leurs liens avec l’utilisateur pour alimenter et orienter la conception, intégrer la parole de l’utilisateur dans la conception, dans le but de proposer une réponse cohérente à la complexité de systèmes où interagissent les hommes et la technologie.

Dès 1995, Rabardel notait la complémentarité des deux approches, mais il ajoutait qu’aujourd’hui, force est de constater que c’est le point de vue technocentrique qui est profondément dominant, voire parfois l’unique point de vue présent. Au schéma classique distinguant temporellement conception et usage dans lequel une phase de mise au point et d’installation précède une phase d’usage, censée n’être qu’une mise en œuvre, il invitait à reconsidérer ce schéma, en prolongeant le processus de concep- tion dans l’usage. Dans ce processus, les fonctions et propriétés constituées par les utilisateurs prolongent les fonctions et propriétés constituantes produites par les concepteurs. Les fonctions constituées, dans certains cas, anticipent des fonctions constituantes futures. L’activité de conception n’est donc ici pas limitée à celle du concepteur tout comme l’usage ne se résume pas, lui non plus, à l’activité d’un utili- sateur final.

Ces courants semblent aujourd’hui s’unir autour de la thématique de l’innovation. Si cette dernière ne peut émerger que par la rencontre d’une idée et d’un marché, elle doit, pour réussir, intégrer un ensemble de complexités (complexité des usages qui créent ces marchés, complexité des processus de réalisation et de conception phy- sique du produit..). L’usage apparait, dans cette perspective, être une thématique et un levier pour innover en intégrant les utilisateurs et les concepteurs dans l’acte de conception, l’étude de l’usage ne se limitant pas à l’observation de l’emploi réel de l’objet technique, mais concerne également une dimension plus générale que constitue

3. Nous entendons par cycle de vie la durée entre l’introduction sur le marché et le retrait du marché ou le remplacement par un autre produit. A titre indicatif, le cycle de vie actuellement évalué pour les logiciels est de 4 mois, pour les ordinateurs grand public, son évaluation varie entre 12 et 24 mois.

l’ensemble des pratiques sociales en lien avec l’objet technique.

En matière d’éducation, la nécessité d’apprécier l’impact des TUIC sur la construc- tion des connaissances et plus largement sur l’évolution de l’enseignement revêt une importance particulière, notamment pour apporter des éléments de réponses sur le bien-fondé des investissements et des efforts consentis. Dans ce cadre, les usages sont l’objet de toutes les attentions, comme indicateur principal de la réussite d’implan- tation des TUIC dans le système éducatif. Emmanuel Pasquier, directeur général de Prométhéan4 France, analyse l’arrivée de l’objet technique innovant qu’est le TBI

avant tout dans une perspective internationale et une dynamique mondiale qui pro- fite au marché français en affirmant que sans la généralisation du TBI en Angleterre, il ne serait jamais arrivé en France. Pour lui, si les modèles économiques permettant aux industriels d’investir en recherche et développement et de produire des outils adéquats s’inscrivent au préalable dans une définition et une expression claire des besoins et de la demande, il ajoute que ce n’est pas le cas aujourd’hui [en France]. C’est donc dans ce contexte que se pose la question de la pertinence d’une analyse des usages fondée sur la prescription et inscrite dans la technique, par les construc- teurs imprimant à chaque outil sa fonction, à chaque service sa finalité, auxquelles l’utilisateur se conforme ou pas. La mise à disposition sur le marché d’un dispositif technique déjà constitué expose les concepteurs à des attitudes d’utilisateurs allant du resserrement du spectre des usages prévus à leur extension en passant par leur détournement. La prise en compte de la poursuite de la conception d’un produit dans l’usage passe par la reconsidération du rôle des utilisateurs dans le processus d’inno- vation. C’est le cas par exemple dans les situations où les concepteurs s’inspirent des fonctions constituées créées par les utilisateurs pour les implémenter et en faire des fonctions constituantes d’une nouvelle génération de produits.

En ce qui concerne les produits logiciels, il nous semble que la prise en compte par les concepteurs d’une certaine capacité innovatrice des utilisateurs dans leurs rap- ports au produit est visible en partie dans la politique de mise à jour des logiciels, la dématérialisation croissante des produits logiciels ainsi que par la démocratisation de l’accès à Internet participant à faciliter ce mouvement. La mise à disposition par les constructeurs de forum utilisateurs constitue une prise d’indices sur les besoins des utilisateurs et participe à l’anticipation de la demande. Nous proposons ici un premier exemple dans une certaine mesure emblématique du processus de conception pour et dans l’usage : l’intégration de la technologie Flash.

4. La société Prométhéan, spécialiste des tableaux blancs, détient 40% des parts de marché, tout secteur d’activité confondu (source : PanelFuturesource 2009)

Un premier exemple illustratif du processus d’implémentation de fonc- tions : l’intégration des fichiers Flash.

Depuis son lancement en 1996, la technologie Flash est devenue l’une des mé- thodes les plus courantes pour intégrer des animations et des objets interactifs sur une page web. Les fichiers Flash, aussi appelés "animations Flash" peuvent être in- clus dans une page web et lus par le plugin Flash du navigateur web. Aujourd’hui, Adobe Flash Player est devenu un plugin incontournable afin de profiter des effets graphiques intégrés dans les pages web (le taux de pénétration du Player Flash atteint plus de 99% des machines connectées à Internet5.

En ce qui concerne le monde de l’éducation, sous l’impulsion du ministère de la Jeu- nesse, de l’Education nationale et de la Recherche, 25 éditeurs privés et publics de ressources multimédia éducatives ont créé en janvier 2004 un groupement d’intérêt économique : le Canal numérique des Savoirs (CNS). Le CNS a pour vocation la construction et la diffusion d’un catalogue national de ressources multimédia éduca- tives utilisables dans le cadre scolaire mais également, pour certaines, au domicile des élèves et enseignants. Nombreux parmi ces éditeurs (Edumédia, Paraschool...) sont ceux qui proposent aujourd’hui des produits éducatifs basés sur la technologie Flash. Dans ce contexte, la question de l’implémentation des fichiers Flash au sein du logiciel du TBI s’est posée pour répondre à la demande des utilisateurs. Les premières ver- sions du logiciel ActivStudio, équipant les TBI de la marque Prométhéan, proposaient l’insertion de fichiers Flash sous la forme d’un lien, lequel pointant vers l’emplace- ment du fichier, permettait l’ouverture de l’animation Flash non pas dans l’espace d’écriture proposée par le logiciel (le paperboard) mais dans le navigateur web de ce logiciel. Cette solution technique, d’usage peu commode, ne permettait pas de façon simple6 de pouvoir annoter l’animation.

5. Source : société Adobe, mars 2009

6. A noter qu’à l’époque, une solution intermédiaire, consistant à disposer d’un calque en sur- épaisseur sur le navigateur rendait possible l’annotation sur le navigateur, laquelle était cependant perdue dès que l’utilisateur reprenant la main sur le navigateur

Une mise à jour de la version 2 du logiciel ActivStudio a permis de "naturaliser" l’insertion de tels fichiers. Il est désormais possible de les intégrer dans un paperboard, en annotant et en contrôlant simultanément l’animation.

Bilan

Ce premier exemple illustre l’inscription de l’usage d’une technologie dans un double déterminisme : celui de l’offre technique d’une part, celui des pratiques pro- fessionnelles en cours d’autre part. Appréhender l’usage en tant que processus de construction partagé entre utilisateurs et concepteurs permet alors de considérer les fonctionnalités du dispositif TBI, notamment à travers la politique de mise à jour du produit, aussi comme l’expression d’un besoin des usagers et de fonctions potentielle- ment constituées par les utilisateurs. C’est ce regard que nous posons sur l’outil dans la section suivante.