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2.2 L’approche instrumentale en didactique des mathématiques

2.2.4 Développements récents

Les contributions les plus récentes sur le développement d’une approche instru- mentale poursuivent cette inflexion vers la prise en compte de l’enseignant et doivent aujourd’hui composer avec l’émergence de nouveaux outils technologiques. Différentes directions semblent prises pour analyser les genèses d’usages des technologies chez les enseignants.

Abboud-Blanchard, Cazes, and Vandebrouck (2007) étudient l’usage que font les en- seignants des BEL en classe de seconde. Le cadre théorique général de leurs travaux se situe au niveau de la théorie de l’activité et permet un regard sur l’activité de l’enseignant prenant en compte le contexte institutionnel et social20. L’activité de

l’enseignant, étudiée à travers les scénarios, leurs préparations et les déroulements en classe, et analysée en terme d’activité-élèves, permet de renseigner les composantes cognitive et médiative de la pratique enseignante (Robert 2001). La prise en compte de différents déterminants de l’activité, à la fois externes (institutionnels, sociaux...) et internes (liés au profil de l’enseignant) viennent enrichir l’analyse21. L’usage de

19. En particulier, une genèse instrumentale personnelle n’intègre pas nécessairement une réflexion didactique préparant une genèse professionnelle

20. La théorie de l’activité permet de penser l’activité humaine à travers un modèle systémique qui inclut en plus de la triade classique sujet-outil utilisé-objet de l’activité, trois pôles supplémen- taires que sont la communauté, les règles appliquées et la division du travail (Modèle de Engestrom 1991). Comprendre l’activité nécessite l’analyse des relations entre les sous-systèmes du modèle mais également l’intérieur de chacun de ses sous-systèmes.

21. Cette approche offre ainsi une lecture de l’activité de l’enseignant selon cinq composantes. Deux d’entre elles directement observables : une composante cognitive associée aux choix de scénarios pour les élèves et une composante médiative associée aux choix des gestion de classe. Trois autres non directement observables : une composante institutionnelle qui traduit l’adaptation aux contraintes de programmes, aux demandes de l’institution... une composante sociale liée à l’adaptation aux

l’outil technologique dans ce construit théorique est pensée en terme de déterminant externe de l’activité. L’apport essentiel de l’approche instrumentale se traduit par la prise en compte des effets sur les sujets enseignants de leur propre activité instru- mentée. Dans son activité, le sujet enseignant se construit lui-même et modifie ses représentations personnelles. Dans cette perspective, ce sont donc les conditions de sa pratique d’enseignant qui sont modifiées. Il s’agit des effets de l’activité constructive du sujet, l’activité productive étant quant à elle, associée aux résultats de l’activité en terme d’effets sur les élèves. Cette distinction introduite entre deux plans de l’activité de l’enseignant, productif-constructif, permet alors d’appréhender les genèses instru- mentales du professeur en terme de résultats de l’activité constructive de l’enseignant.

Dans les développements ultérieurs de ces travaux de thèse, Haspekian propose une articulation de l’approche instrumentale avec la double approche ergonomique et di- dactique des pratiques enseignantes (Robert and Rogalski 2002). Le choix qu’elle opère sont quelque peu différents. L’activité instrumentée de l’enseignant est d’abord appréhendée à travers la mise en oeuvre et la gestion, par un sujet institutionnelle- ment et socialement situé, d’orchestrations didactiques pensées plus globalement22.

Ce point de vue adopté permet de disposer d’une grille de lecture globale de l’activité instrumentée de l’enseignant dépassant la seule prise en compte de la gestion par l’enseignant des genèses instrumentales des élèves23. Les genèses instrumentales du

professeur ne sont plus regardées ici comme la résultante de l’activité constructive du sujet enseignant. Situées au coeur des orchestrations, ces genèses participent à l’activité constructive du sujet. Cette dernière est ainsi appréhendée à un niveau plus "micro", à travers l’usage qui est fait par l’enseignant de l’outil. La grille principale de lecture de l’activité enseignante est donc celle de l’étude de la genèse d’usage de l’outil en situation de travail et de la gestion des orchestrations didactiques qu’elle implique. Cette vision instrumentale de l’activité de l’enseignant ouvre la voie à un rapprochement avec la grille de lecture de l’activité enseignante à travers les cinq composantes de la double approche didactique et ergonomique de Robert et Rogalski à travers les cinq composantes qu’elle propose. L’articulation est pensée en terme d’examen du poids24 relatif des aspects instrumentaux, relevant à la fois des genèses

d’usage de l’outil comme instrument d’enseignement pour l’enseignant et de la gestion

conditions sociales, aux élèves ainsi qu’une composante personnelle associée aux représentations, connaissances et expériences de l’enseignant.

22. Ces orchestrations sont définies au sens large comme l’organisation environnementale dans"le temps et l’espace de travail des élèves et/ou de l’enseignant" (Haspekian 2008)

23. ce que Trouche dénomme le pilotage externe des genèses

24. A la fois en terme de contraintes mais également en terme d’ouverture des possibles de l’action enseignante.

par l’enseignant des genèses d’usage du côté élèves comme instrument de travail ma- thématique, sur les composantes cognitives et médiatives de l’activité de l’enseignant.

Gueudet et Trouche (2008) dans leurs travaux sur l’usage des bases d’exercices en ligne (BEL) par les professeurs, proposent de faire appel à des éléments théoriques de l’approche instrumentale, en effectuant cependant des choix différents de ceux évo- qués précédemment. L’approche instrumentale leur permet de penser les phénomènes d’appropriation des BEL par les enseignants en terme de genèses côté professeur : l’instrumentalisation des BEL relève de l’appropriation de l’outil et l’exploitation de ces fonctionnalités techniques, l’influence des BEL sur l’activité de l’enseignant et sur son développement professionnel est caractérisée en terme d’instrumentation. Le concept de classe de situations de Rabardel est repris et étendu à l’activité de l’en- seignant. Les classes de situations professionnelles sont ainsi définies du plus général (par exemple "gérer l’hétérogénéité de la classe") au plus spécifique, impliquant un contenu mathématique (par exemple "introduire le cosinus d’un angle en classe de troisième")25. Cette distinction des plans de l’activité de l’enseignant faite dans ce

construit théorique répond à un besoin d’organisation de l’étude des genèses instru- mentales côté enseignant et de distinction de la nature des déterminants qui pèsent sur ces genèses. Il s’agit d’identifier pour les classes de situations générales, le système de conditions et de contraintes institutionnelles pesant sur les genèses instrumentales. Les classes de situations particulières, quant à elles, dépendantes du contenu mathé- matique, permettent de mettre à jour des régularités dans l’activité du professeur. Ce sont ces régularités et les invariants opératoires qui les sous-tendent qui sont alors interprétés en terme de schèmes professionnelles liés à l’usage des BEL. Notons que dans le cadre spécifique de l’étude de l’usage des BEL, les auteurs considèrent que cet artefact incorpore son propre contrat didactique (Brousseau), distinct du contrat habituel de la classe. Cette distinction les conduit à penser une articulation entre contrat didactique et les processus d’instrumentation et d’instrumentalisation : l’ins- trumentalisation et les détournements d’usages qui l’accompagnent sont interprétés en terme de modification du contrat porté par les BEL. L’instrumentation est, quant à elle, considérée comme des conséquences du contrat didactique embarqué par les BEL.

Notons également que Gueudet and Trouche (2010) ont proposé le développement d’un cadre théorique spécifique s’appuyant sur l’approche instrumentale, dans la

25. Ces classes de situations professionnelles ne sont nécessairement distinctes, une classe liée à un contenu peut être une sous classe d’une classe plus générale."gérer l’hétérogénéité de la classe lors de l’introduction du cosinus d’un angle en classe de troisième" est une sous classe de la classe générale"gérer l’hétérogénéité de la classe"

continuité de leur travaux et d’une prise en compte globale de l’activité de l’ensei- gnant. Ceci les a conduit à s’intéresser au travail de l’enseignant hors de la classe en le considérant comme élément d’analyse du développement professionnel de l’ensei- gnant. L’intérêt porté sur les types de ressources auxquels l’enseignant a affaire s’est traduit dans ce cadre par un élargissement du concept d’artefact à l’ensemble des ressources mobilisées par l’enseignant pour construire son enseignement. Ce point de vue adopté permet alors la distinction entre les ressources (niveau artefactuel) qu’un professeur exploite, des documents (niveau instrumental) qu’il constitue pour son enseignement au cours de genèses documentaires. Deux processus d’instrumentation (les ressources outillent l’enseignant) et d’instrumentalisation (l’enseignant adapte, modifie, enrichit ces ressources) sont ainsi considérés au coeur de ces genèses docu- mentaires.