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LES PRATIQUES ENSEIGNANTES DANS LE CADRE DE LA DOUBLE

3.1 La théorie de l’activité et les pratiques enseignantes

Le cadre de la théorie de l’activité, initié par Leontiev (1975/1984), puis exploité et développé dans une perspective de psychologie ergonomique par Leplat (1997) et Rogalski (2003) permet d’enrichir une approche développementale des pratiques enseignantes par la prise en compte des effets de l’activité sur le sujet, et d’enrichir une approche par la conceptualisation16 des apprentissages mathématiques des élèves (Leplat 1997 ; Vergnaud 1999 ; Rogalski 2008).

Selon Rogalski (2003, 2008), la théorie de l’activité articule trois niveaux de finalités : le mobile de l’activité du sujet, le but de l’action et les opérations qu’il faut

16 La conceptualisation signifie ici la construction de concepts pour comprendre et agir sur le monde (Rogalski, 2005, p.9). Chesnais (2009) entend la conceptualisation dans un sens large proche du sens de Vergnaud, c’est-à-dire en considérant que ce qui est visé comme apprentissage concerne à la fois les aspects outil et objet de la notion (Douady, 1986), le fait que la notion soit disponible pour la résolution (à bon escient) d’un certain nombre de problèmes, la maîtrise de signifiants liés à la notion et son insertion « opérationnelle » dans le paysage mathématique « actuel » de l’élève. (Chesnais, 2009, p. 24).

Faculté des sciences de l’éducation-U.S.J. 65 effectuer pour réaliser l’action. Son objet est une activité finalisée et motivée : « le sujet vise l’atteinte de buts d’action, et ce sont les mobiles de son activité qui sont le moteur de ses actions » (Rogalski, dans Vandebrouck, 2008, p. 25).

Dans notre recherche, nous avons eu recours à quelques concepts organisateurs de la théorie de l’activité, que nous définissons dans cette section. Il s’agit de la distinction entre le sujet et la situation d’une part, et entre la tâche et l’activité d’autre part, ainsi que du modèle de la double régulation de l’activité.

a) Sujet et situation

Dans la théorie de l’activité, le sujet est un sujet psychologique, individualisé, ayant des intentions et des compétences. Les intentions se manifestent à travers l’activité finalisée, et les compétences constituent d’éventuelles ressources pour engendrer des actions pour réaliser ses buts. Le sujet peut être un élève, quand on étudie les apprentissages, ou un enseignant, quand on étudie le travail.

Le sujet agit dans une situation de travail ou de formation, qui comporte un système de contraintes et de ressources (Rogalski, 2008). La situation de l’enseignant comporte un ensemble de tâches, un contexte d’interventions multiples sur les élèves (les parents, les enseignants d’autres disciplines, etc.) et se situe dans le processus de travail qui se déroule sur le temps long de la scolarité de ses élèves (Rogalski, 2005, p.4). Quant à la situation de l’élève, elle intègre son environnement social et familial et ne se limite pas aux tâches que l’enseignant lui propose.

b) Tâche et activité

La distinction entre tâche et activité est centrale dans la théorie de l’activité. La tâche est du côté des objets de l’action tandis que l’activité est du côté du sujet.

Leontiev (1975/1984) définit la tâche comme étant « le but qu’il s’agit d’atteindre sous certaines conditions ». Elle a toujours un objet à transformer ou à étudier. Le but à atteindre est alors l’état de l’objet quand la tâche aura été (correctement) réalisée (Rogalski,

Faculté des sciences de l’éducation-U.S.J. 66 2008). Par exemple, en situation scolaire, le travail d’enseignement correspond à une tâche. Pour l’élève, les énoncés proposés par l’enseignant et les consignes de travail mathématique demandé expriment la tâche à réaliser.

En situation de travail, la réalisation de la tâche oriente l’activité (Rogalski, 2008). Celle-ci est définie du point de vue du sujet, elle comprend ce que développe un sujet (ce qu’il fait, ce qu’il se retient de faire, les hypothèses faites, les décisions prises), sa manière de gérer son temps, son état personnel (fatigue, stress, plaisir pris au travail) et ses interactions avec autrui. Selon Leplat (1997), l’activité est déterminée, simultanément, par le sujet et la situation qui ne doivent pas être considérés de manière indépendante.

Les activités de l’enseignant et de l’élève s’influencent réciproquement. L’activité de l’enseignant produit un résultat, qui est une situation pour l’élève et elle a un effet sur l’élève (lorsque l’enseignant l’encourage par exemple). L’activité de l’élève est co-déterminée par l’élève lui-même et par la situation produite par l’enseignant. Lors de l’enseignement, ces deux activités ont lieu lors de la séance en classe.

L’analyse de l’activité s’appuie sur les observables, les opérations sur les objets de l’action. Du côté des élèves en classe, les analyses de leurs activités, telles que les enseignants les organisent, fournissent les données pour approcher les apprentissages et aborder les pratiques. Du côté des enseignants, les analyses de leurs activités fournissent des données sur l’enseignement dispensé en classe, sur son amont – la programmation – et sur son aval – l’évaluation. C’est dans le cadre de la double approche que nous situons nos analyses des pratiques des enseignants en classe de mathématiques.

c) Le modèle de double régulation de l’activité

La régulation de l’activité renvoie à la dynamique de l’activité : elle modifie l’état de la situation et du sujet, de l’acteur.

La double régulation de l’activité (Leplat, 1997 ; Rogalski, 2003) renvoie au fait que l’activité est liée à un double système de déterminants, et que sa réalisation a deux

Faculté des sciences de l’éducation-U.S.J. 67 conséquences distinctes envisageables, l’une porte sur la situation (la tâche et son contexte) et l’autre sur le sujet (ses compétences et son état physique et psychique) (Rogalski, 2005).

Pour Rogalski (2005, p. 5), la première conséquence est que la situation est à la fois un déterminant de l’activité et elle est modifiée par cette activité. Il s’agit de la dimension productive de l’activité. Celle-ci influe sur la situation qui évolue au fur et à mesure du déroulement de l’activité. Cette évolution permet au sujet d’ajuster son activité. La deuxième conséquence est que le sujet lui-même est un déterminant de l’activité et est modifié par son activité, aussi bien dans son potentiel de connaissances et d’actions, que dans son état physique ou psychique. Il s’agit de la dimension constructive du sujet. L’activité peut aussi avoir des conséquences sur le sujet ; ces conséquences peuvent ou non transformer le sujet.

Le schéma ci-dessous résume les différentes régulations des activités de l’enseignant et des élèves (Roditi, 2012) :

Figure 3.1 – Les activités de l’enseignant et des élèves et leur régulation (Roditi, 2012)

Notre question de recherche porte sur l’étude des processus d’enseignement et d’apprentissage ainsi que sur l’analyse du processus enseignement/apprentissage. La théorie de l’activité offre un cadre permettant d’analyser les processus en jeu chez le sujet agissant, et les processus par lesquels son activité évolue et par lesquels il se développe (Rogalski, dans Vandebrouck, 2008, p. 25). Elle fournit des éléments d’analyses des activités de l’enseignant et des élèves.

Faculté des sciences de l’éducation-U.S.J. 68 L’articulation entre la théorie de l’activité, le constructivisme de Piaget17 et le socioconstructivisme de Vygotski18 offre un outil théorique pour une double approche du point de vue de la didactique des mathématiques et du point de vue de l’activité des sujets concernés : enseignants et élèves (Vandebrouck et al, 2013, p. 21).