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La syphilis au XVIII ème siècle et Abdelouahab Aderraq

CHAPITRE 3: LA MEDECINE AU MAROC

II- L’APOGÉE

3. Les maladies, les épidémie et les conduites thérapeutiques

3.1. La syphilis au XVIII ème siècle et Abdelouahab Aderraq

La syphilis est une maladie qui aurait été décrite, pour la première fois, en 1495 en Espagne où elle aurait été introduite par les hommes de Christophe Colomb en 1493 au retour du Nouveau Monde.

La syphilis aurait fait sa grande apparition en 1495, après la prise de Naples par les armées françaises, puis aurait été disséminée rapidement dans toute l’Europe au gré de la dispersion des mercenaires des armées françaises et espagnoles. Ainsi, la syphilis était dénommée « Mal de Naples » par les français et « Mal français » par les italiens219. Même si cette maladie n’a pas provoqué de mortalité effroyable comme la peste bubonique220

. Aux XVème et XVIIème siècles, la syphilis est dénommée « Grande virole ».

217

Al Kanouni M, …, Op cit, p. 168

218 Soussi M, Le repos de l’être humain dans la médecine du corps نادبلاابطيفناسنلااةحار , Manuscrit a la Bibliothèque Nationale de Rabat, N° 1644د

219 Benoit R, La syphilis à la fin du XVIe siècle, d'après les cours du professeur Jean Riolan, de la Faculté de Médecine de Paris ; Histoire des sciences médicales, Tome XXXII, N° : 1, 1998, p.40.

Mais la réalité historique est peut-être différente. En effet, Hippocrate décrivait déjà avec précision des lésions génitales qui sembleraient ressembler à un chancre syphilitique.221

Le mode vénérien de la transmission est admis dès 1498. En 1530, Fracastoro, médecin italien, publie à Vérone un poème intitulé “Syphilus sive morbus gallicus” 222

où l’on raconte l’Histoire d’un berger nommé Syphilie qui se retrouve affligé de la terrible maladie pour avoir négligé les autels d’Apollon.223

C’est là l’origine du nom qui fut donné à la maladie en 1563 par Thomas Gale.224

3.1.2. La syphilis au Maroc aux XVII-XVIIIème siecle:

Les sources historiques de la maladie sont véritablement rares. La première occurrence de la syphilis au Maroc, date du début du XVIème siècle, avec Léon l’Africain dans son ouvrage « Description de l’Afrique ». Il note que cette maladie était inconnue au Maroc jusqu'à sa propagation par les juifs expulsés d’Espagne en 1492. 225

« Cette espèce de maladie n’avait point couru auparavant par l’Afrique, mais elle avait pris son commencement du temps que Ferdinand roi des Espagnes expulsa les juifs hors les limites de son royaume lesquelles s’en vinrent de la habiter en barbarie ».

Il rapporte aussi que les premiers patients atteints de cette maladie étaient considérés comme les patients atteints du vitiligo 226. Ils étaient expulsés de leurs maisons, jusqu'à ce que le nombre d’atteints s’avère élevé et que la maladie se banalise, progréssivement.

Mohamed Al-Qadiri, dans son livre « Nachr Mathani », note que le « Hammam d’Al-Qalà » à Fès, qui était à cette époque l’un des habous en faveur de la grande mosquée Al Quaraouiyine, était surtout fréquenté par les personnes atteintes du «L’Habb Al-Afranji », une des maladies des plus graves. Il rapporte que les gens qui s’y lavaient avec la conviction qu’ils en seraient guéris, guérissaient réellement.227

3.1.3. Abdelouahab Aderraq et le traitement de la syphilis au XVIIIème siècle:

Parmi les éminents spécialistes de cette période d’apogée dans le domaine médical, on signale le médecin célèbre: Abdelouahab Aderraq.

221

Hippocrate, Œuvres complètes d'Hippocrate : traduction nouvelle par Littré, Tome III, Ballière 1841, Epidémies livre III, p.10.

222- Syphilis H.F, Sive Morbus Gallicus, Basileae, 1536.

223 Buret F, La Syphilis à travers les âges, Société d'éditions scientifiques, Paris, 1894, pp.249-250.

224

Oudma T, A Synopsis of the Disease Syphilis and Its Causative Agent, Treponema Pallidum, Subspecies

pallidum. Univ. Scholar Project, Univ. of Tennessee at Martin. 2003, p.2

225 Léon l’Africain J, (Al- Hassan Al- Wazzan), Description de l’Afrique, Trad. en arabe par Mohamed Hajji, .Mohamed Lakhdar, Dar Al-Ggharb Al-Islami, p.39.

226

Léon l’Africain, …, Op cit, p 39.

Il faisait partie d’une grande famille ayant une tradition éminemment médicale. Il est né en 1666 et décédé en 1746.

D’après Abderrahmane Ben Zaydane – comme nous l’avons précédemment signalé- il était le fils spirituel d’Hippocrate et d’Avicenne228. Il était poète, composait des poèmes médicaux sur les plantes et les traitements, 229 230 dont son fameux poème sur « Le mal franc » appelé « Al-Urjuza Fi L’habb Al-Afranji », «

ينجرفلاابلحافيةزوجرلأا

».

À travers cette Urjuza, 231 on peut mettre l’accent sur une description minutieuse de la syphilis qu’Abdelwahab Aderraq considèrait comme la plus pénible des maladies.

روملأا بعصأ نم هرمأو روثبلا نم دودعم بلحا

Il rapporte que c’était une maladie des Francs, mais qui était également présente en Egypte et en Orient. Il souligne que sa transmission est particulièrement sexuelle,

عازن نم رملأا اذ في سيلو عاملجا ىدل ىودعلا عرسأو

et qu’elle apparait sous forme d’érythème, de prurit, d’hémorragie ou d’infection de couleur blanche. Il décrit bien les lésions génitales.

ةبيعص ةكحو بله عم ةبوطرلاو مدلاب فزانو

Il rapporte que son traitement est difficile et qu’il revendique un médecin expérimenté. Il décrit plusieurs étapes de la maladie avec la primo-infection faite de lésions locales, jusqu’à ce quelle atteigne les lésions articulaires

Comme remède, il propose des traitements variés adaptés à chaque étape d’évolution de la maladie. Il conseille en particulier la pratique de la saignée

قيرطلا ىلع ةرارح يذل هب قيليسابلا دصقا دبي ام لوأ

كله لاوا هطورش تيعور نا كترشلما دصف كاذ ديعب مث

et recommande les plantes suivantes : le séné, la farance, le roseau persan, le jujube, la caroube, la violette, la guimauve et l’oxymel.

Il propose également un régime hygiéno-diététique, avec des bains spéciaux avec des adjuvants.

Il s’attarde sur la salsepareille ou « Al-Ochba », utilisé jusqu’au début du siècle.

228

- Ben Zaydane A, Ithaf …, Op cit,, Tome V, p 470.

229

- Al Kanouni M,…, Op cit, p.192.

230 - Harakate I, Le Maroc à travers l’Histoire, Tome III, …, Op cit, p.482.

ضارعلاا ةديدش ةبيعص ضارمأ في اهيرغ اوبرج دق

ر الم لاثامم اهعفنل اوري ملف

لاجاع اربو اله اوأ

Il recourait aussi par des frictions mercurielles datant des époques anciennes.

عشمو تيزب لح جنيتار عم ردنكلا و قبيزلا اودخأي نأ

عينصلا اذب تارم ثلاث عوبسلأا في فارطلأا نهدتو

Il décrit ensuite l’évolution de la maladie vers la guérison ou les complications articulaires et cardiaques ou même vers le décès. Plusieurs années plus tard, on décrit les mêmes conduites thérapeutiques en Europe. On identifie l’origine de la principale porte d’entrée de la syphilis « la syphilis a été contractée par le coït ou les baisers »232

. Le diagnostic est surtout clinique avec les manifestations dermatologiques de la syphilis, qui se diffusent dans les organes génitaux, la peau et la bouche. Després rapporte que les médecins de son époque au XIXème siècle utilisaient encore les mêmes conduites thérapeutiques, à savoir:

 La saignée locale ou générale,  Les bains émollients,

 Les purgatifs de la peau,

 Et contre la douleur, ils utilisaient les huiles de camomille et de laurier. Plusieurs médecins de l’époque rapportent l’utilisation de frictions

mercurielles pour le traitement local, certains l’attribuent aux médecins de la renaissance européenne, les autres à la médecine arabe médiévale.

Cette pratique est restée courante jusqu’au XIXème

siècle dans le monde entier jusqu'à la découverte de la pénicilline.

Certes, la médecine marocaine de l'époque était au même niveau que la

médecine occidentale de l'époque, mais cela n’a pas duré longtemps. La médecine au Maroc a aussitôt sombré dans le déclin total. Elle a perdu toute sa dimenssion scientifique et a cédé la place à la thérapeutique religieuse, magique, voire à la sorcellerie.

Le texte intégral du poème d’Abdelouaheb Aderraq: Voir Annexe I.

232

Després A, Traité théorique et pratique de la syphilis ou infection purulente syphilitique, Paris, Librairie Germer Baillière, 1873 p.199.