• Aucun résultat trouvé

La formation moderne des médecins : expérience de l’école de

CHAPITRE 3: LA MEDECINE AU MAROC

IV- LES RÉFORMES

2. La formation des médecins marocains

2.1. La formation des médecins au Maroc

2.1.2. La formation moderne des médecins : expérience de l’école de

Les ouvrages de médecine458 les plus répandus étaient imprimés en Egypte.

C’était des compilations de toutes sortes de recettes. À côté de ces ouvrages, il y avait des manuscrits marocains459

Pour les diplômes, les étudiants, dits « Tolbas », étaient reçus par les habitants, ou

dans les zaouïas, sinon ils louaient, ensemble, une chambre dans les Medersas de la ville. Les étudiants recevaient une subvention de l’État, un morceau de pain par jour460 et quand les étudiants se jugeaient suffisamment formés, ils recevaient de leurs maîtres un diplôme, appelé « Ijaza » qui était une sorte de certificat d’études461.

2.1.2. La formation moderne des médecins : expérience de l’école de médecine de Tanger :

Nous présentons ici l’exemple d’une expérience peu connue. Il s’agit de l’école de médecine de Tanger qui était un mélange d’enseignement, de pénétration étrangère, pacifique et militaire, et d’infiltration religieuse franciscaine espagnole.

Cette expérience a vu le jour avec la nomination du médecin militaire espagnol Felipe Ovilo Canales462 en Juin 1886 à Tanger pour démarrer ce qui a été désigné comme une «école de médecine"463. Elle a été financée par le gouvernement espagnol afin de procurer aux étudiants un enseignement élémentaire et pratique en médecine occidentale464, dans le cadre général des réformes incitées par le Sultan Moulay Hassan Ier au Maroc465. Cependant, à partir de 1890, l'école est devenue une institution principalement consacrée à la formation des

456 Raynaud L,…, Op cit, p. 105. 457 Ibid. 458 Ibid. 459 Raynaud L,…, Op cit, p. 106. 460 Raynaud L,…, Op cit, p. 107. 461 Ibid. 462

Boada J.R, Allende El Estrecho Viajes por Marruecos…, Op cit, p.58.

463 Martínez-Antonio F.J, The Tangiers School of Medicine and its Physicians: A Forgotten Initiative of Medical

Education Reform in Morocco (1886-1904), Journal of the international society for the history of islamic

medicine ( ISHIM), 2011-2012, pp.80-87.

464

Ibid.

médecins militaires à l’instar des écoles militaires de Médecine du Caire, d’Istanbul et de Téhéran466. (Voir photo 4)

Photo 4 : Felipe Ovilo Canales467

466

Ibid.

C’était en Septembre 1886 que le docteur Ovilo a reçu les meubles et le matériel pédagogique nécessaire à l’école. Depuis la fin d’octobre 1886, il s’est installé durant deux ans dans les locaux d’une ancienne école de filles, sous la direction des missionnaires franciscains espagnols.

L'école a été inaugurée officiellement le 23 Novembre et Dr Ovilo a démarré les cours avec deux Franciscains et une civile espagnole comme étudiants468. Aussitôt, quelques marocains ont montré leur intérêt pour les études médicales de l’école et six d'entre eux ont été recrutés entre décembre 1886 et Juin 1887469. Ces étudiants étaient originaires de familles tangéroises prestigieuses470. La formation à l’école de médecine de Tanger donnait une grande importance au volet pratique de la médecine. (voir photo 5)

Un cahier d'étudiant qui a été préservé montre comment Dr Ovilo a dispensé des leçons théoriques condensés en utilisant une méthode de questions/ réponses. Par exemple, la leçon sur le rachis commençait par:

Qu’est-ce qu’une colonne vertébrale? C’est une tige osseuse composée de 24 os.

Comment appelle-t-on ces os? Les vertèbres.

La colonne vertébrale est-elle composée de combien de pièces ? Trois parties. Le rachis cervical avec sept vertèbres, la colonne vertébrale dorsale avec douze vertèbres et la colonne vertébrale lombaire avec cinq vertèbres"471.

468 Martínez-Antonio F.J, The Tangiers…, Op cit.

469 Ibid.

470

Boada J.R, Allende El Estrecho Viajes por Marruecos…, Op cit, p. 58.

Phot 5 : Une salle de l’école de médecine de Tanger472

472

Martinez-Antonio F.J , Vísperas de menos: la producción científica de los médicos españoles en Marruecos

Les matières enseignées étaient des sciences de base comme l’anatomie, la physiologie et de la thérapeutique avec l'utilisation de matériels pédagogique moderne, des squelettes, des plantes, des minéraux, des animaux, un microscope, des instruments d'autopsie et des équipements de laboratoire. Néanmoins, les étudiants ont été rapidement intégrés en pratique clinique " ses disciples (Dr Ovilo) apprennent des patients, tandis que les cours théoriques

sont inévitables soutenu par des affiches, les modèles, les instruments, etc... Cette méthode, qui a été suivie dans les écoles arabes du Xème siècle, mais avec en plus la connaissance moderne de la science »473.

Mais l’historien de cette école, Martínez-Antonio Francisco Javier, dans « The Tangiers

School of Médicine and its Physicians: A Forgotten Initiative of Medical Education Reform in Morocco (1886-1904) », n’a pas pu délimiter fixer la durée de cette formation, d’autant plus

qu’autour de 1890 ses premiers étudiants étaient déjà désignés comme médecins par la presse474. Parallèlement, le 25 Novembre 1888, un nouvel hôpital espagnol à Tanger a été ouvert, conçu, administré par les missionnaires franciscains et doté de plusieurs médecins militaires475. Les marocains de tout le pays le fréquentaient476.L'École a déménagé et a bénéficié de plus de ressources477.

En 1889, Dr Ovilo a eu une audience avec le Sultan Moulay Hassan Ier à

Tanger, lors de sa visite à la ville, et lui a exprimé son souhait pour que l'institution devienne un lieu de formation des médecins militaires marocains. Quelques mois plus tard, en mai 1890, Dr Ovilo s’est rendu à Fès pour rappeler au Sultan sa promesse. Le Sultan Moulay Hassan Ier a décidé d’envoyer six nouveaux étudiants à l'école pour être formés comme médecins militaires478.

Pendant les années suivantes et jusqu'à la fermeture de l’école, la plupart des étudiants était marocains musulmans prévus pour servir dans l’armée moderne marocaine479

recevaient un costume du makhzen pendant leurs études et ont été hébergés à ses frais..

Les dernières années d'existence de l'école, c’est-à-dire entre 1896 et 1904, étaient incertaines. Son fondateur et directeur, le médecin Ovilo, a été envoyé à Cuba le 14 Décembre 1896 pour participer à la guerre d'Indépendance cubaine après la défaite de l'Espagne contre

473 Martínez-Antonio F. J, The Tangiers…, Op cit.

474

Ibid.

475 Ibid.

476 Boada J.R, Allende El Estrecho Viajes por Marruecos…, Op cit, p.58.

477 Martínez-Antonio F.J, The Tangiers…, Op cit.

478

Ibid.

les États-Unis en 1898480. Immédiatement après son retour en Espagne, en raison d'une maladie, il a démissionné de l'armée et n'a plus repris son poste à Tanger481. Après son départ, l'école a été dirigée successivement par ses anciens collègues Ramón Jiménez Fiol, Severo Cenarro Cubero et restée ouverte jusqu'au 1904482.

Les jeunes marocains qui ont étudié la médecine à l'école de Tanger ne sont pas encore tous identifiés483, mais apparemment il existait deux groupes :

 La promotion de 1886-1887,

 La promotion de 1890-1891.

Chaque promotion était composée de six étudiants484, Ovilo lui-même écrit les noms des six premiers dans un rapport485:

 Mustapha Al-Zaudi,  Mohammed Doukkali,  Hamed Romani,  Hamed Ibn Al-Hasmi,  Mohammed Al- Awami,  Et Hamed Ahardan.

Cependant, ils n’ont pas tous terminé leurs études. En effet, Al-Awami est décédé en Octobre 1887, au grand désespoir du Dr Ovilo parce qu'il pensait qu’en raison de son esprit et de sa persévérance, il aurait honoré l'institution. Ahardan « n'a pas montré suffisamment de compétences » et a quitté l’école très tôt, tandis qu’Al-Hasmi ne pouvait pas assister régulièrement aux cours à certaines périodes, en raison d'affaires commerciales de la famille, bien qu’il ait probablement repris ses études ultérieurement486

. Zaudi et Doukkali Romani étaient les élèves les plus assidus et ont été qualifiés de "disciples" d’Ovilo487.

Ces six étudiants appartenaient à une classe aisée originaire du nord du Maroc et en particulier de Tanger. Par exemple, les Ahardan faisaient partie de l’«Aristocratie musulmane de Tanger » et représentaient une des plus riches familles de la ville, où il y avait même un quartier portant leur nom488. Mohammed était le fils d’Abdesselam Ahardan, l’«Amine » du Sultan Moulay Hassan Ier sur les douanes portuaires de la ville de Tanger et étroitement allié

480 Ibid. 481 Ibid. 482 Ibid. 483 Ibid. 484 Ibid. 485 Ibid. 486 Ibid. 487 Ibid. 488 Ibid.

à la famille Abdessadaq qui occupait le poste de Pacha de Tanger489. Les Doukkalis étaient également une famille Tangéroise. Le grand-père, Mustapha Ben Jilali Doukkali, avait obtenu par le Sultan Moulay Abderrahman Ben Hicham (1822-1859) le monopole des peaux d'animaux et leur commerce dans le pays ainsi que le droit de l'exploitation d'une mine d'antimoine importante située dans la tribu d’Anejera490. Son fils, Mohammed Dukkali est devenu un haut fonctionnaire du makhzen et, par la suite, protégé italien, étroitement associé aux activités espagnoles à Tanger, en tant que membre du conseil d'administration de la chambre espagnole de commerce (1887)491.

Le Zaudi n’était pas d’une famille aussi riche et puissante que les deux premières. Mustapha Al Zaudi était le fils du F’kih Abdesselam Zaudi et son frère aîné était devenu l’ « Amine » de Sidi Mohammed Torres, « Naib », soit représentant du Sultan à Tanger.492 Nous n’avons pas pu obtenir d’autres d’informations quant aux familles Al-Hasmi et Al-Awami493

. Les trois étudiants du Dr Ovilo, à savoir Zaudi, Dukkali et Romani et suite à sa demande au début de 1888, ont reçu l'autorisation du ministère des Affaires étrangères à continuer leur formation en Espagne494.

Entre mars et avril, ils ont voyagé via Cadix et de Séville à Madrid, où ils ont visité certaines des plus importantes institutions médicales, avec lesquelles Ovilo lui-même avait été étroitement associé avant d'être nommé au Maroc495.

Ils ont visité l'hôpital provincial, l’hôpital militaire et la société espagnole d’hygiène de Madrid496.

Les étudiants ont réussi des examens à la faculté de médecine de Madrid avec brio et montré leurs compétences cliniques à l'hôpital militaire497. Ils ont même été reçus par la Reine d’Espagne, María Cristina de Habsbourg, au palais royal498.

À partir de 1890, ces trois étudiants ont probablement commencé à exercer comme médecins au Maroc. Romani aurait été autorisé à travailler sur un bateau de pèlerins marocains se rendant à La Mecque. En 1892, les trois médecins ont été impliqués dans leur première mission militaire médicale en travaillant en dehors de Tanger499. En effet, un conflit

489 Ibid. 490 Ibid. 491 Ibid. 492 Ibid. 493 Ibid. 494 Ibid. 495 Ibid. 496 Ibid. 497 Ibid. 498 Ibid. 499 Ibid.

a surgi à cette époque, entre la tribu d’Anejra et l’armée marocaine. Le dispensaire espagnol a fourni les soins médicaux à tous les patients et blessés des belligérants. Le Dr Ovilo et ses disciples se sont également rendus au camp de l'armée marocaine pour évaluer sa situation sanitaire et aider les nécessiteux500. L'année suivante, deux des trois médecins marocains auraient probablement rejoint le médecin Severo Cenarro au lazaret de l’île de Mogador, pour superviser l'organisation de la quarantaine pour les pèlerins revenant de La Mecque soupçonnés d'être affectés par le choléra501.

Les trois médecins marocains auraient probablement aidé à l'assistance des patients colériques et dans les mesures sanitaires de lutte contre l'épidémie du choléra qui a frappé Tanger en 1895. Dr Cenarro, en tant que chef de la commission l'Hygiène de Tanger et consultant médical du conseil sanitaire, ainsi que le Dr Ovilo, commissaire désigné par le gouvernement espagnol, ont conduit la lutte contre le choléra, probablement les médecins marocains auraient participé également dans cette action502.

À ce jour, les données sont limitées sur les médecins marocains, à savoir Zaudi, Dukkali et le Romani503. En 1899, le médecin français Lucien Raynaud, avait une mission du conseil sanitaire de Tanger pour évaluer l'état du lazaret de l’île de Mogador, et rencontré dans cette ville un des médecins marocains. Il rapporte qu'il n’a pas pu évaluer ses connaissances médicales504. Cependant, Raynaud a entendu parler de trois de ses collègues "très fiables" qui travaillaient comme médecins militaires à Tanger ou à Marrakech505.

En 1902, un guide de Tanger signalait l’existence de trois médecins arabes, anciens élèves du Dr Ovilo506.

La faiblesse croissante du gouvernement marocain, la désorientation des initiatives espagnoles au Maroc après la perte de Cuba et les Philippines en 1898, le pouvoir Français ascendant sur le Maroc après la conférence d'Algésiras de 1906 et l'incertitude entourant la situation de Tanger, ont provoqué une incertitude quant à l’avenir de la première promotion de médecins modernes formés à l'École de médecine de Tanger507.

500 Ibid. 501 Ibid. 502 Ibid. 503 Ibid. 504 Raynaud L,…, Op cit, p.60. 505 Ibid. 506

Martínez-Antonio F.J, The Tangiers…, Op cit.

2.2. La formation des médecins à l’étranger : les missions