• Aucun résultat trouvé

La septième pandémie débuta dans l’archipel de Sulawesi en Indonésie.

Elle est due au biotype El Tor, isolé en 1905 au lazaret d’El Tor dans le Sinaï, chez des pèlerins décédés du choléra. Pendant longtemps, le choléra restera cantonné au Sulawesi et ce n’est qu’en 1961 que l’épidémie franchira les frontières de cette île. Le choléra s’étendra alors de proche en proche jusqu’à la Méditerranée et atteindra même le sud de l’Europe (Espagne, Portugal et Italie) au début des années 70. C’est à cette

époque que le choléra envahit l’Afrique Noire, restée indemne de la maladie depuis près d’un siècle.

Le premier pays touché fut la Guinée Conakry, où le choléra aurait été introduit par un avion. Pour certains, l’avion venait de Russie, pour d’autres, d’Egypte

ou de La Mecque (56, 57). Le fait est que, si la Guinée est bien reconnue comme point de départ de l’invasion de l’Afrique de l’Ouest par le choléra, bien peu d’éléments ont été publiés sur l’épidémie de choléra de Conakry survenue en juillet et août 1970. Il semble que le diagnostic ait été posé rapidement, mais les autorités politiques, reproduisant en

cela les attitudes des dirigeants européens du 19ème siècle, ont préféré nier l’épidémie le

plus longtemps possible. Entre août et décembre, le choléra a diffusé le long d’une bande côtière allant de la Guinée jusqu’au Nigeria.

L’arrivée du choléra en Afrique sub-saharienne ne pouvait plus être niée, mais il était trop tard pour enrayer l’invasion. D’autant plus que les zones sahéliennes

allaient bientôt être elles aussi touchées. Ce fut en effet à partir du mois de novembre, que Mopti, une ville située sur le delta intérieur du fleuve Niger, fut atteinte. La conjonction à Mopti, d’un réseau d’eaux de surface facilement souillées, d’une importante foire régionale et du passage de nombreux nomades en transhumance avec leurs troupeaux permit au choléra de prospérer dans la ville et de là, de diffuser dans tout le Sahel (57).

En quelques mois, le choléra atteignit le Sénégal et la Mauritanie à l’ouest et le Tchad, à l’est. D’après plusieurs documents sur l’historique du choléra en Afrique, il

semblerait que le choléra ne se soit pas diffusé en Afrique à partir d’une seule porte d’entrée, celle de la Guinée. En réalité, d’après Swerdlow et Isaäcson (4), il y a eu trois portes d’entrée du choléra en Afrique. En plus de la Guinée (août 1970), d’où le choléra s’est propagé sur toute la façade occidentale de l’Afrique grâce aux mouvements de populations, parmi lesquelles certains pêcheurs, des commerçants et des pèlerins, il y a eu deux autres portes d’entrée du choléra en Afrique. La deuxième correspondait à l’Afrique du Nord où le choléra s’est introduit, en septembre 1970, par la Libye. Enfin, la troisième porte d’entrée est celle rapportée sur la côte orientale de l’Afrique. Les premiers cas sur cette façade orientale de l’Afrique ont été rapportés en novembre 1970 à Djibouti avant de toucher au même moment l’Ethiopie et la Somalie.

Depuis cette période, la région des Grands Lacs, fait partie de l’une des plus touchées par le choléra dans le monde et en Afrique. La forte incidence du choléra

dans la région des Grands Lacs est également attestée par les articles de synthèse publiés par Gaffga (7).et Emch (10).

Les épidémies africaines de ces dernières décennies ont parfois été facilitées par les nombreux conflits, souvent chroniques, qui désorganisent les systèmes de santé, entravent le développement sanitaire et, à l’occasion d’une exacerbation, jettent

sur les routes des milliers de personnes qui iront s’entasser dans des camps de fortune où, la promiscuité aidant, le risque épidémique devient majeur.

L’épidémie de choléra dans les camps de réfugiés de Goma en 1994 en est l’exemple type. L’installation de ces camps faisait suite à une des plus grandes catastrophes humanitaires du vingtième siècle. Dans les suites du génocide rwandais. Des camps immenses avaient été établis en hâte mais l’ampleur de la population réfugiée était telle que la mise en œuvre des mesures de prévention des épidémies (assainissement des camps, mise en place de latrines, approvisionnement en eau potable) n’a pu être réalisée à temps. Ainsi, la quantité d’eau potable distribuée pendant les premières semaines d’installation des camps, ne représentait que 0,2 litres par jour et par personne (58). Il en aurait fallut 5 litres au strict minimum. Bien évidemment, les réfugiés ne sont pas restés sans boire, mais ils ne disposaient que de ressources en eau qui furent très vite massivement contaminées.

Figure 9 : choléra dans les camps de réfugiés Rwandais à Goma en 1994 Un père portant son enfant malade au cours de l'épidémie de choléra en 1994 qui a coûté des milliers de vies à Goma, au Zaïre, à plus d'un million de personnes ayant fui les combats au Rwanda.

L’épidémie qui suivit fit plusieurs dizaines de milliers de victimes en quelques semaines. L’ampleur de l’épidémie fut telle que ses conséquences en termes de mortalité et de morbidité n’ont pu être mesurées précisément. Les cadavres étaient

laissés sur le bord des routes traversées par les camps, enveloppés de leur natte ou d’un pagne. Chaque matin, sur des kilomètres, les routes empruntées par les réfugiés comme par les intervenants humanitaires étaient bordées de dizaines de ces macabres colis que les militaires de l’opération Turquoise venaient ramasser pour les incinérer. On retrouva

même, à cette occasion, ces formes cliniques fulgurantes décrites au 19ème siècle en

Europe, entraînant le décès brutal de certains patients, alors que durant le 20ème siècle, ces

formes particulièrement effrayantes avaient laissé la place à des manifestations moins spectaculaires de la maladie.

Les conflits ne sont cependant pas obligatoires et le choléra continué à trouver son chemin, repassant souvent là où il a déjà frappé quelques années auparavant. En

2003 Mopti était à nouveau atteint et comme en 1970, l’épidémie suivit le trajet du fleuve Niger pour atteindre le Niger, puis l’année suivante, le Tchad. Comme en 1970, la contamination des ressources en eau et les déplacements de population, certains liées à la pêche, d’autres à l’élevage, ont contribué à la diffusion de l’épidémie.

Le choléra est maintenant considéré comme endémique en Afrique, mais le terme endémique est, ici, relativement ambigu. A l’échelle du continent, le choléra est

certes présent en permanence, mais dès lors que l’on s’adresse à un territoire plus restreint, l’on assiste à une succession d’épidémies entrecoupées de périodes de calme pendant lesquelles le choléra disparaît complètement. Vu à la télévision, monde virtuel où l’Afrique est considérée comme une entité unique, le choléra est endémique. Vu d’un village ou d’un quartier africain, il est généralement épidémique : le choléra arrive brutalement, souvent en provenance d’un village ou d’une ville voisine, et repart après quelques semaines. Les écologues parlent de méta-endémie : la présence de l’agent pathogène est maintenue de manière dynamique, par des vagues épidémiques successives qui ne quittent plus le territoire africain.

Dans quelques régions côtières, cependant, il est possible que V. Cholerae O1 El Tor ait trouvé temporairement ou définitivement, un refuge environnemental dans des lagunes ou des estuaires de fleuves. Ce n’est cependant pas inéluctable. Ainsi, l’épidémie de choléra qui toucha la Grande Comore en 1975 fut suivie d’une période sans aucun cas qui dura plus de 20 ans, alors que cette île est en partie bordée par une mangrove, biotope théoriquement favorable à l’installation de V. cholerae. Qu’il ait ou non trouvé un réservoir environnemental pérenne, V. cholerae O1 El Tor, asiatique de naissance, baptisé dans le Sinaï et élevé en Indonésie est maintenant un africain d’adoption.

Certes, il a envahi une bonne part de l’Amérique latine au début des années 90 générant plus d’un million de cas, mais, après une dizaine d’année, il a pratiquement disparu de cette région du globe. Certes, il est encore rencontré en Asie (parfois en provenance d’Afrique comme l’attestent certaines études d’épidémiologie moléculaire) (59). Mais l’Afrique est maintenant le continent le plus touché. Et de loin !

En 2003, seulement 26 cas avaient été notifiés en provenance d’Amérique latine, contre 108 067 en Afrique et 3 463 en Asie (60). Même s’il est clair que tout les cas ne sont pas rapportés, il est difficile d’imaginer que des épidémies de grande ampleur aient

noter que V. cholerae O1 El Tor n’est plus seul à causer des épidémies. Un autre V.

cholerae est maintenant apparu, provenant d’Asie, et plus particulièrement du golfe du

Bengale. Il s’agit de V. cholerae O139 aussi appelé souche Bengale. Il sévit en Asie du Sud depuis 1992 mais n’a été, jusqu’ici, qu’exceptionnellement isolé sur d’autres continents. Il est cependant tout aussi contagieux que V. cholerae O1 et pourrait un jour

donner lieu à la 8ème pandémie, d’autant plus qu’il est en mesure de se propager parmi des

populations immunisées contre V. cholerae O1.

Finalement, ce qui est étonnant, ce n’est pas la persistance du choléra en Asie d’où peuvent émerger de nouvelles souches pathogènes à partir d’un réservoir environnemental. Ce n’est pas non plus la disparition du choléra en Amérique du Sud : l’Europe, cent ans avant, avait bien réussi à se protéger contre ce fléau asiatique. Ce qui est étonnant, maintenant que l’homme dispose de connaissances précises et de moyens efficaces pour lutter contre le choléra, c’est son développement en Afrique subsaharienne, dans des régions parfois situées à des milliers de kilomètres des côtes océaniques considérées comme propices à un ancrage environnemental de la maladie. C’est le cas du choléra en République Démocratique du Congo.

II. Le choléra en RDC

Certains écrits d’explorateurs européens comme Livingstone décrivent des cas de diarrhée avec déshydratation qui pourraient faire évoquer la présence de cas de choléra en

RDC dès le 19ème siècle (61) sur les rives du Tanganyika. Cependant, c’est avec la

septième pandémie de choléra que la RDC sera durablement touchée par cette maladie. Le choléra a été introduit en RDC (à l’époque Zaïre) sur deux fronts. D’abord à l’ouest en 1974, par la province du Bas Congo, puis à l’est en 1977, par la ville de Kalemie au Katanga. Depuis cette période, des cas de choléra sont régulièrement rapportés en RDC où, depuis la fin des années 1970, de nombreuses flambées épidémiques ont été rapportées (62-68).

Pour mieux comprendre la problématique du choléra en RDC, une bonne connaissance de ce pays, de l’organisation générale de son système de santé, de son système de surveillance épidémiologique et de riposte aux épidémies s’avère nécessaire.