• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : La culture au croisement des stratégies publicitaires par la standardisation et

2. La sensibilité à la culture par l’adaptation

Les arguments en faveur de la stratégie d’adaptation prennent en compte les obstacles tels que la culture et la langue qui pourraient entraver l’efficacité d’une stratégie publicitaire internationale.

2.1. La culture

En effet, la culture au sens de culture nationale apparait comme le facteur ayant le plus d’impact sur la réception d’un objet médiatique et dans le cas présent de la publicité télévisée. Les partisans de l’adaptation partent de l’idée selon laquelle le consommateur doit être avant tout considéré comme « une cible culturelle et non une simple cible marchande »,104 car le consommateur est un individu socialement situé dont la perception, l’évaluation, la compréhension et l’interprétation des choses dépendent fortement de l’environnement

103 Caumont, D., (2008), La publicité, Paris, Dunod, p. 57.

104 Cathelat, B., (1976), Publicité et société, De l’instrument économique à l’institution sociale, Paris, Payot, p. 235.

86 socioculturel dans lequel il évolue. Ainsi, les études menées en communication interculturelle dès la fin de la seconde guerre mondiale ont mis en évidence « les difficultés de compréhension

que les échanges communicationnels entre cultures différentes comportaient »105. Il s’agit de la théorie du contexte riche et du contexte pauvre, élaborée par Edward T. Hall. Selon cette théorie, les pays issus de contexte pauvre comme Allemagne se caractérisent par une communication explicite, les choses sont par conséquent dites de manière directe. En revanche, les pays à contexte riche comme la France se différencient à travers l’utilisation d’une communication implicite, en s’appuyant sur des sous-entendus, des figures de style. Le style de communication des pays à contexte pauvre et celui des pays à contexte riche est donc déterminant dans le choix de la stratégie à adopter. En effet, la non prise en compte de ces limites communicationnelles pourrait entraver l’efficacité d’un message publicitaire de trois façons : d’abord le rejet du message par la cible, des difficultés de compréhension du message et enfin, le refus de la cible d’exécuter le comportement d’achat d’escompté, ce dernier point étant la résultante des deux premiers. Il est donc recommandé aux marques qui souhaitent mener une action publicitaire internationale de s’adapter à la culture du pays d’accueil parce qu’en

« Se déplaçant d’une culture à une autre, la communication devient plus difficile car des

facteurs culturels déterminent considérablement la façon dont les phénomènes sont perçus. Quand le cadre de référence de la perception est différent, la perception du message lui-même change »106. (Kaynak et Mitchell, 1981).

La publicité comme il a déjà été mentionné plus haut est non seulement porteuse des valeurs de l’entreprise dont elle véhicule message, mais aussi des valeurs sociétales du pays d’émission. En effet, si l’on considère que la publicité est le reflet de la société, cela suppose que les référents qu’elle utilise servent de balises, de codes qui permettent d’orienter et de guider le consommateur dans son processus de compréhension et d’interprétation des symboles et codes véhiculés par la publicité. Or si le consommateur à qui est adressé le message publicitaire est extérieur à la culture à partir de laquelle la publicité a été élaborée, ce dernier ne sera pas en mesure de la comprendre avec les référents qui sont les siens. Ainsi, selon V.H. Kirpilani et al., « Ce qui rend la communication possible c’est la restitution du référent »107. Lorsque les cultures sont différentes, les éléments de références des individus le sont aussi. Pour garantir l’efficacité d’une publicité à l’international, il faudrait donc que le cadre de références des

105 Ibid.

106 Kirpilani, V.H. et al., (1992), « Facteurs déterminants du contrôle de la publicité internationale par la maison mère des multinationales », Recherche et Applications, vol. 3, p. 4.

87 cultures d’émission de la publicité et celui du pays d’accueil soient similaires. C’est pour cela que de Mooij considère la culture comme étant la pierre angulaire d’une stratégie par l’adaptation, car les comportements et interprétations des messages publicitaires sont étroitement liés à la culture (de Mooij, 2005).

La culture joue aussi un rôle très important dans la création publicitaire parce que les valeurs sociales, familiales et relationnelles ne sont pas les mêmes d’un pays à un autre. Ce que Hofstede a d’ailleurs mis en relief dans son approche de la culture en identifiant quatre principales dimensions culturelles : la distance hiérarchique (a), le contrôle de l’incertitude (b), l’individualisme et le collectivisme (c), ainsi que la masculinité et la féminité (d).

2.1.1. La distance hiérarchique

Cette première dimension culturelle énoncée par Hofstede correspond entre autres au degré d’acceptation d’une répartition inégale du pouvoir au sein d’une société. Si l’on compare la France et l’Allemagne sur cette première dimension, on constate de réelles divergences. La France contrairement à l’Allemagne se caractérise par une forte distance hiérarchique. Dans ce type de société, les inégalités entre les individus sont tolérées. L’Allemagne en revanche compte parmi les pays ayant une faible distance hiérarchique. Les inégalités entre individus ne constituent pas un frein à la prise en compte de l’opinion de tout un chacun. Cette dimension culturelle s’observe mieux dans la comparaison des pratiques managériales en France et en Allemagne au sein des entreprises. Ainsi, dans une entreprise française, c’est uniquement le dirigeant de celle-ci qui est au cœur des décisions la concernant. En Allemagne, la prise de décisions se fait de manière collégiale, l’avis de chaque employé compte aussi bien que celle du dirigeant. Ce qui pourrait également expliquer pourquoi la culture de la grève est moins développée en Allemagne qu’en France.

2.1.2. Le contrôle de l’incertitude

Le contrôle de l’incertitude tel que le conçoit Hofstede mesure le degré d’acception de l’insécurité et de l’inquiétude dans une société. En d’autres termes cette dimension permet de mettre en évidence la capacité avec laquelle une société est à même de réagir face à des événements inattendus. Dans les sociétés dites à fort degré d’incertitude, les individus redoutent

88 et appréhendent tout changement qui viendrait remettre en cause leurs habitudes. Quant aux sociétés ayant un faible contrôle d’incertitude, elles sont plus favorables et gèrent mieux tout changement et situation inattendus.

2.1.3. Le degré d’individualisme ou de collectivisme

Comme son nom l’indique, cette dimension culturelle oppose les sociétés collectivistes bâties sur les valeurs d’entraide, de partage, de relations interpersonnelles entre ses membres. Dans ce type de sociétés, la communauté a une plus grande importance que l’individu, contrairement aux sociétés individualistes où l’individu est au centre de la société, responsable de sa réussite, de son bien-être et de celui de sa famille. Cette dimension permet de mesurer comment les individus de différentes sociétés interagissent avec les membres de leurs communautés.

2.1.4. Le degré de masculinité et féminité

Cette dimension oppose les sociétés dans lesquelles les valeurs dominantes sont de connotation masculine (performance, compétitivité, ambition, succès matériel) ou féminines (sécurité, qualité de vie, compromis, bien-être). Elle englobe aussi la notion de genre en ce sens que le degré de masculinité ou de féminité d’une société détermine la façon dont les rôles hommes/femmes sont régis. Plus l’indice de masculinité est élevé, plus les rôles entre les sexes sont différenciés. Le genre est donc dépendant du contexte socioculturel de chaque individu, car « tout ordre social produit et reproduit un ordre corporel spécifique qui lui-même médiatise un système culturel et symbolique d’une société donnée dans une période historique et une conjoncture politiques définies »108. L’apprentissage social du genre consiste donc en un formatage de comment les sociétés individualistes ou collectivistes conçoivent les rôles d’un homme et d’une femme.

2.2. Critique de l’approche de Hofstede

Ces différences culturelles mises en évidence dans l’approche culturelle de Hofstede et d’Edward T. Hall permettent de dégager l’impact de la culture dans les situations d’interaction culturelle. La publicité internationale rentrant dans ce cadre, il apparait donc vital pour les représentants de cette approche que les publicitaires prennent en compte ces différences dans

108 Préjean, M., (1994), Sexes et pouvoir : la construction sociale des corps et des émotions, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 26.

89 le processus de création publicitaire. Bien que l’approche culture de Hofstede soit la plus répandue et la plus utilisée à ce jour dans le domaine des études interculturelles, il n’en demeure pas moins que celle-ci a fait l’objet de nombreuses critiques concernant principalement les limites méthodologiques de l’étude. Selon des chercheurs tels que Sondergaard (1994), les résultats qui ont permis de faire émerger ces dimensions culturelles sont issus d’un échantillon restreint d’employés d’IBM entre 1967 et 1973, ce qui pourrait par conséquent remettre en cause son application à tous les consommateurs. Malgré les limites inhérentes à l’utilisation de l’approche culturelle de Hofstede, une étude réalisée par le chercheur Steenlamp (2001) a pu démontrer que le degré de collectivisme et d’individualisme que propose le modèle de Hofstede est plus qualifié pour mettre en évidence les différences culturelles d’un pays à l’autre en situation d’interaction.

Dans le tableau ci-dessous, Schwartz (1994) quant à lui propose un modèle revisité de la dimension culturelle d’individualisme et de collectivisme identifiée par Hofstede. Ce modèle qui en l’espèce ne diffère pas de celui de Hofstede a tout simplement la particularité de regrouper trois des dimensions culturelles de Hofstede, à savoir le degré d’individualisme et de collectivisme et le contrôle de l’incertitude et le degré de masculinité et de féminité en une seule dimension culturelle.

Figure 8 : récapitulatif des valeurs corrélées à la dimension individualisme/collectivisme (d’après les travaux de Schwartz, 1992, 1994)

Dimension Individualisme Collectivisme Domaines Amélioration personnelle Ouverture au changement Transcendance Conservatisme Valeurs Accomplissement Hédonisme Pouvoir Auto-orientation Stimulation Universalité Bienveillance Conformité Sécurité Tradition En d’autres termes la dimension d’individualisme et de collectivisme telle que la conçoit Schwartz est à même de faire émerger à elle seule les autres valeurs liées au contrôle

90 d’incertitude, à la masculinité et à la féminité. Ainsi, par voie de conséquence, les valeurs liées à la réalisation de soi, au pouvoir, à l’ouverture au changement sont plus représentatives des sociétés dites individualistes, tandis que celles de conservatisme, de sécurité et de bienveillance sont caractéristiques des sociétés collectivistes.

Ce modèle détaillé de Schwartz nous permettra d’appuyer notre analyse sur les valeurs et normes sociétales que projettent les marques allemandes et françaises dans leurs messages publicitaires et si celles-ci engendrent des interprétations différentes en fonction de la culture du participant. En effet, les différences culturelles soulevées par ce modèle et la culture de manière générale peuvent « affecter la perception de choses telles que les couleurs et les sons,

les processus cognitifs et affectifs, l’esprit critique, les facteurs de motivation tels qu’on les assimilés »109. Contrairement à Brown qui préconisait de ne pas changer les images et les illustrations dans une publicité internationale, il s’avère pourtant que la perception de ces éléments, leur compréhension et interprétation dépend fortement du système de références culturelles des individus.

La culture constitue en fait un bloc d’éléments parmi lesquels compte la langue, qui ont chacun à des degrés différents un impact considérable sur l’acceptation, la compréhension, l’attitude envers le message et la marque et enfin sur le comportement d’achat.

2.3. La langue

La langue est le deuxième facteur pour lequel chercheurs et professionnels préconisent une stratégie d’adaptation. Selon les arguments de ces derniers, la barrière de la langue présente un frein à une campagne publicitaire standardisée dans la mesure où la seule traduction du texte ne permet pas toujours de retranscrire le sens exact du message. Toutefois, certains chercheurs ont démontré que l’utilisation d’une langue étrangère dans une publicité permet dans certains cas d’augmenter l’efficacité de celle-ci ou de créer une image spécifique et cohérente de la marque (Petrov, 1990). Nous y reviendrons dans la dernière partie de ce chapitre.

109 Kirpilani, V.H. et al., (1992), « Facteurs déterminants du contrôle de la publicité internationale par la maison mère des multinationales », Recherche et Applications en Marketing, vol. 3, p. 6.

91 Les partisans de l’adaptation ont démontré que la culture est la pièce maitresse de toute action publicitaire à dimension internationale. En effet, pour Edward T. Hall et Hofstede qui militent en faveur de la reconnaissance des différences culturelles, la publicité doit tenir compte des variables culturelles telles que le style de communication (contexte riche vs contexte pauvre) et des dimensions d’individualisme et collectivisme, contrôle de l’incertitude, la distance hiérarchique, le degré de masculinité et de féminité. Bien que la France et l’Allemagne soit des pays géographiques proches, il n’en demeure pas moins qu’ils sont culturellement différents, à la fois part leur style de communication (contexte riche pour la France et contexte pauvre pour l’Allemagne), mais aussi par leur approche de la culture concernant les dimensions d’individualisme et collectivisme, de masculinité et de féminité de Hofstede. En optant pour une stratégie d’adaptation, les marques automobiles françaises et allemandes reconnaissant les différences culturelles qui sont les leurs et donc la nécessité d’élaborer des messages publicitaires qui cadrent avec les valeurs locales de chacun de ces deux pays. Les publics français et allemands n’ayant pas les mêmes attentes et de ce fait la même sensibilité aux discours publicitaires, le transfert d’une publicité standardisée allemande recourant à l’humour par exemple n’aura pas les mêmes effets en Allemagne qu’en France, le public français ne comprenant pas l’humour allemand. De même une publicité française vantant les bénéfices abstraits d’un produit sera rejetée par le public allemand trop axé sur des démonstrations concrètes.

Au regard des deux précédentes parties, la standardisation et l’adaptation apparaissent comme deux stratégies opposées, cependant comme nous le verrons par la suite, il s’agit en fait de deux stratégies représentant les deux extrémités d’un continuum