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D'après Pierre Bastid et Véronique de Geoffroy (2009), les types de partenariats entre ONG internationales et recherche peuvent être regroupés en trois grands ensembles en fonction du but recherché :

• une coopération entre recherche et ONG dans un but d'échanges d'informations et de connaissances (le plus répandu), afin de mieux cerner les problématiques traitées et le terrain abordé, que ce soit ponctuellement ou plus structurellement

• une coopération dans le but d'une construction commune de connaissances et d'innovation, en général une recherche-action

• une coopération dans un but d'influence sur les politiques.

Yves Le Bars et Robert Tibayrenc (2007) proposent une typologie différente des demandes des ONG vis-à-vis des établissements publics nationaux de recherche :

demande de bénévoles issus de la recherche pour prendre part aux activités (ce qui rejoint la fonction de "tour de guet sociétal" de l'ONG au service de la recherche)

demande d'expertises produites par des laboratoires spécialisés, en appui aux actions et campagnes réalisées

• demande d'associer des laboratoires de recherche à des projets d'ONG.

C'est la construction commune de connaissances et d'innovation qui nous a particulièrement intéressé et qui est traitée le plus souvent dans la littérature, sous les termes de "recherche participative", "recherche citoyenne", "recherche en concertation", "co-production de la recherche" ou "recherche coopérative".

Ainsi, conformément au rapport d'un séminaire de la Commission européenne (Stirling, 2006), les participants au projet européen FAAN (Facilitating Alternative Agro-Food Networks: Stakeholder Perspectives on Research Needs) définissent la recherche coopérative comme "une nouvelle forme du processus de recherche, qui implique à la fois des chercheurs et non-chercheurs au sein d'une coopération étroite" (Karner et al., 2009). Reprenant à leur compte la typologie d'Andy Stirling (2008), ils situent leur recherche coopérative à l'opposé de certaines approches participatives : quand ces dernières cherchent d'abord à transmettre aux décideurs l'opinion du public et donc à informer la prise de décisions ("decision taking"), la recherche coopérative met l'accent sur le façonnage et le cadrage des décisions à prendre ("decision making").

Dans ce cadre, il se pose aussi la question du statut des connaissances apportées par les ONG, voire de celles qui sont co-produites avec les chercheurs. La sociologue américaine Sheila Jasanoff (1997) voit dans la "normalisation" des connaissances construites par les ONG une des voies permettant de concilier le mieux possible ONG, gouvernements et organisations intergouvernementales.

Dans ce schéma, les ONG rompent avec le modèle descendant standard de la diffusion du savoir et construisent un savoir alternatif, local, lequel doit passer à son tour par les étapes de validation et de standardisation qui lui donneront une assise d'autorité plus large et permettront de le transposer ailleurs. Les organisations intergouvernementales pourraient jouer un rôle important pour légitimer les activités scientifiques des ONG, avec les précautions qui s'imposent (face à la réticence des scientifiques en place par exemple). Elles pourraient aussi compenser en partie le manque de ressources des ONG les plus petites et les moins expérimentées.

a) État des lieux

En France, les collaborations entre le milieu de la recherche et ONG internationales se résument à "quelques expériences, non institutionnalisées, qui restent ponctuelles et de petite envergure" et

"plus fréquents au niveau international et dans des domaines à technicité scientifique comme la santé, l'agronomie ou l'écologie". Cette rareté tient à différents blocages, contraintes et obstacles "qu'il est important de prendre en compte et de comprendre afin de les anticiper et d'adapter ses stratégies d'alliances" (Bastid et de Geoffroy, 2009) :

• une divergence d'objectifs pas toujours compatibles entre le monde de la recherche (qui a pour but la production de résultats liés à la connaissance et à l'innovation) et le monde des ONG internationales,

acteurs de terrain dont "l'objectif est la mise en œuvre de programmes répondant aux besoins d'une population sur un territoire donné", avec une finalité "très opérationnelle et concrète"

• une divergence d'intérêts : "travailler avec des ONG" (et plus largement la société civile) "n'apporte pas réellement d'atout pour une carrière de chercheur dont la promotion est liée à l'appréciation de ses pairs" ; "ces partenariats poussent à la confrontation des savoirs détenus par les deux parties : Qui détient la vérité et quelle en est la validité ?", d'où "des divergences de points de vue ne facilitant par les échanges" ; la temporalité est différente pour des acteurs du terrain qui veulent réaliser un projet selon un calendrier d'action très précis et les "allers-retours nécessaires aux chercheurs pour expérimenter puis valider leurs hypothèses" ; "le militantisme des ONG ne se retrouve pas forcément chez les chercheurs pour qui l'objectivité peut être de mise pour la validité de leur travail" ; "tous les partenaires associatifs n'ont pas de formation scientifique leur permettant de comprendre le travail des chercheurs" ; enfin, en terme de représentation, chaque partenaire n'est pas forcément en capacité de représenter les intérêts de l'autre ("les uns voudront en priorité mettre en valeur l'aspect scientifique alors que les autres souhaiteront appuyer sur les aspects de solidarité et de réalisations"), ce qui pose la question des "enjeux lié à l'identité de chacun et comment faire valoir son identité par rapport au partenaire tout en gardant un équilibre pour que chacun s'y retrouve"

• des contraintes externes : les professions et communautés sont cloisonnées, ainsi que les sources de financements qui "sont la plupart du temps différentes : les fonds destinés aux instituts de recherche, universités, etc., et ceux destinés aux acteurs de la solidarité internationale sont dissociés et ne dépendent pas des mêmes bailleurs"

• des contraintes internes au monde de la recherche : le système d'évaluation des chercheurs (basé sur le nombre de publications) "ne favorise pas toujours la coopération avec les acteurs terrain" — même si

"le travail de conseil et d'expertise qu'ils peuvent accomplir, quel que soit le demandeur, est maintenant valorisé comme tel dans les évaluations qui sont faites de leur production" ; "la spécialisation des chercheurs sur des domaines très spécifiques peut être difficilement compatible avec le caractère « généraliste » et pluridisciplinaire des ONG" ; enfin, "le manque de moyens des chercheurs ne favorise pas le développement de recherches nouvelles intéressant les ONG. Les thématiques et sujets de recherche dépendant souvent des bailleurs de la recherche. Il y a un risque que les chercheurs se focalisent donc sur les études demandées par les bailleurs sans s'ouvrir à des demandes des acteurs (sauf si ces derniers financent ces recherches)"

• des contraintes internes au monde des ONG internationales : "le manque de ressources (financières et humaines) est très largement évoqué par les ONG. Celles de petites et moyennes tailles ne peuvent se permettre en interne d'allouer des ressources pour construire des partenariats institutionnels avec des universités, des instituts, etc. La réalité des contextes (pressions de travail, contexte local, etc.) ne permet pas toujours de prendre du recul et d'analyser les actions menées. Il n'est donc pas aisé pour les ONG d'identifier les spécialités à solliciter dans le domaine de la recherche."

Yves Le Bars et Robert Tibayrenc (2007) émettent des hypothèses proches pour expliquer le manque d'occasions de collaboration :

• la publimétrie particulièrement "tyrannique" en France (surtout pour les jeunes chercheurs), dans la mesure où elle est le seul critère de la reconnaissance du travail fait, et ignore les différentes autres formes de valorisation et de contribution à l’étude des relations entre science et société

• les tendances au repli dans la défense institutionnelle sur les sujets controversés, et une encore faible culture de dialogue. Cf. la formule entendue d'un chercheur : "sur mon sujet, ceux qui ne sont pas d'accord avec moi sont soit des incompétents, soit des malhonnêtes"

• l'absence de mécanismes financiers et d'évaluation adaptés

les ONG sont peu disponibles et leur intérêt peut être intermittent.

Et d'insister sur le fait que les organismes de recherche doivent comprendre mieux "les modèles économiques et la fragilité des ONG françaises" s'ils veulent établir "des partenariats fructueux et durables".

Les exemples réussis d'activisme scientifique ou de recherche citoyenne en partenariat (recensés plus loin) suggèrent qu'il faut "soutenir la création de centres de recherche de type associatif, dépendant de groupements divers de la société civile, et mus par la défense d'intérêts autres que ceux du commerce ou ceux des institutions d'État" (Pestre, 2003a, p. 157). Une autre proposition des États généraux de la recherche de 2004 visait à favoriser les partenariats associatifs, "par exemple par le biais de bourses analogues à celles que l'on donne à des jeunes cherchant dans l'industrie, pour ouvrir la recherche dans des domaines à « forte demande sociale » comme la santé ou l'environnement"

(Gaudillière, 2005).

Finalement, ce sont des programmes de financement de projets de recherche qui ont permis de faire émerger en France la recherche participative4. Dans son étude du programme PICRI mis en place par la région Île-de-France, Christine Audoux-Lemoine (2010) explique que les projets qui réussissent sont ceux qui ont réussi à passer du registre du chercheur à celui de l'action associative, grâce à une médiation ou traduction qui est souvent le fait d'individus hybrides ou tiers. Les projets PICRI démarrent souvent par des contacts individuels mais engagent ensuite les institutions entières : les porteurs doivent donc rendre compte de leur travail dans deux ordres de validité différents (publications scientifiques d'un côté et utilité opérationnelle de l'autre). Il ressort également que les projets PICRI, et la recherche citoyenne en général, ne sont pas dans la

"logique scientifique majoritaire" (à l'instar de la recherche participative en génétique qui n'a rien à voir avec la big science de la génomique) et la question de leur transposition à grande échelle se pose. Rémi Barré va jusqu'à définir les PICRI comme des dispositifs d'amorçage de nouveaux sujets de recherche, a partir de besoins du terrain plutôt que de la théorie — quitte à ce qu'ils deviennent mainstream ensuite. Cela rejoint l'idée formulée par la Fondation sciences citoyennes (2004) selon laquelle "le tiers secteur scientifique construit des savoirs alternatifs, au sens où ils sortent des cadres thématiques, paradigmatiques et méthodologiques qui dominent les institutions de recherches publiques et privées".

Face à la difficulté de financement des organisations de la société civile, "qui ne sont pas habituellement reconnues comme partenaires scientifiques" alors même que "la mobilisation de leurs ressources, notamment en personnel, doit pouvoir

4 Ces projets constituent la matière de notre Observatoire de la participation de la recherche à la recherche et l'expertise, à retrouver en intégralité en ligne http://www.programme-repere.fr/observatoire et dans un document à venir.

être compensée sur le plan financier", les participants à l'atelier de réflexion prospective Sciences et société de l'ANR ont proposé d'une part que, "dans le cadre d'un programme et des appels d'offres à venir, ces organisations puissent être reconnues en tant qu'acteurs à part entière" et d'autre part que les équipes de recherche puissent "financer des experts issus de la société civile", même si cette second proposition aurait selon eux un moindre impact (Esterle et Filliatreau, 2008).

À l'échelle européenne, "les directions générales (DG) de la Commission européenne réputées "les meilleures élèves", sont probablement la DG Environnement, et la DG Commerce (impulsée par l'ancien commissaire, Pascal Lamy). La DG recherche a engagé tout un programme sur les relations entre sciences et société, et elle encourage les liens entre recherche et ONG. Ainsi l'Unité "gouvernance science et société" (Nicole Dewandre) a obtenu d'étendre le montage de partenariat d'appui à la recherche des PME (SME) aux ONG (Civil Society Organisation, ou CSO en bruxellois)" (Le Bars et Tibayrenc, 2007).

Ainsi, le 7e PCRDT promeut des formes de collaboration entre les organismes de recherche (OR) et les organisations de la société civile (OSC, définies comme des organisations non gouvernementales, à but non lucratif, qui ne représentent pas des intérêts commerciaux et poursuivent un but qui sert l'intérêt du public), lesquelles "offrent une combinaison unique de production de connaissance et proximité avec les préoccupations des citoyens. Néanmoins, c'est un grand défi que de transformer des différences d'objectifs, capacités et méthodes en opportunités pour l'innovation et le changement de politique." Un séminaire organisé à Bruxelles les 9 et 10 octobre 2008 s'est attaqué à cette question en proposant les pistes suivants pour inciter à plus de partenariats entre organismes de recherche et OSC (DG Recherche, 2009) :

mettre en place des outils de mise en relation impliquant les réseaux d'OSC, les organismes de recherche et les autorités publiques : forums, plateformes ou points de contacts où les partenaires potentiels peuvent se rencontrer, échanger des connaissances et renforcer sa capacité à gérer des projets de recherche impliquant plusieurs types de partenaires ;

établir de meilleures incitations et récompenser les chercheurs pour leur investissement avec les communautés et OSC ; ceci implique également de repenser l'interface entre l'excellence académique et la pertinence sociétale ;

façonner les dispositifs de financement pour qu'ils conviennent aux partenariats OSC et OR ; donner plus de place à l'apprentissage mutuel et les processus participatifs ; concevoir des approches multidisciplinaires ou fondées sur l'expérience ; traiter les partenaires de manière équivalente en termes de responsabilités et de soutien financier ;

ouvrir les portes des programmes de recherche ; installer des canaux ou structures pour discuter des besoins de problèmes de recherche avec les acteurs de la société civile ; assigner une part du budget aux partenariats entre OSC et OR ;

exploiter au maximum les résultats des projets en partenariat OSC-OR ; chérir leur capacité à intéresser les scientifiques en même temps que les acteurs de la société civile et les décideurs, élargissant les systèmes d'évaluation pour inclure la participation du public et l'innovation sociale aux côtés de la science et technologie conventionnelle.

Enfin, la Commission européenne (2000), dans sa vision d'un Espace européen de la recherche, proposait d'encourager "le développement de formes nouvelles et soutenues de dialogue entre les chercheurs et les autres acteurs sociaux".

Ces différents points soulèvent des difficultés. La sociologue Céline Granjou (2008) se demande par exemple si "la volonté d'affirmer que les conditions d'une participation de la société civile sont réalisables ne tend pas parfois à en étouffer certaines difficultés, comme la question de la nature et de la répartition des ressources permettant aux diverses catégories d'acteurs de participer à des expériences partenariales particulières."

4.5. La participation au pilotage et à la