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La progressive prise en compte des Grecs d’Occident

Située au carrefour des mondes punique, grec et italique, la Sicile se situe également aux confins de l'histoire grecque et latine. Un positionnement qui explique un relatif désintérêt comme le remarquait Michel Gras dans son étude, déplorant que « les rigides découpages

disciplinaires aient souvent délaissé ces marges78 ». Même si la situation a évolué depuis quelques décennies, l’histoire de la Sicile a longtemps pâti d’une conception centre- périphérie, figurant un centre autour de la mer Égée et des marges constituées des pourtours de la mer Méditerranée. En outre, après la mort d’Alexandre le Grand, du fait même du découpage périodique, l'intérêt se porte généralement sur l'Orient hellénistique reléguant une nouvelle fois le bassin occidental de la Méditerranée au rang de marges d'un monde grec dont le centre de gravité s'est résolument déplacé à l'est.

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1. L’intérêt pour la Sicile antique et la Grande-Grèce avant l’unification de l’Italie

Dans sa récente et très riche synthèse sur la Sicile grecque, Franco De Angelis distingue quatre éléments importants à l’origine des conceptions qui prévalent dans l’étude de la Sicile grecque avant l’unification de l’Italie en 186179

. La Sicile d’époque moderne se caractérise d’abord par son absence d’autonomie politique. Sans faire ici l’histoire de l’île depuis les Vêpres siciliennes (1282), précisons tout de même que les deux royaumes de Naples et de Sicile, aux mains de dynasties étrangères, sont tour à tour dissociés puis agrégés jusqu’à former en 1734, sous la férule des Bourbons, le Royaume de Naples et de Sicile.

Malgré tout, dès le XVIe siècle, une connaissance livresque touchant le patrimoine archéologique de la région se développe. Alors que le dominicain Leandro Alberti (1479- 1552) dans sa Descrittione di tutta l’Italia de 1550 établit le véritable périmètre géographique de l’expression « Grande-Grèce », dont la signification s’était perdue depuis la fin de l’Antiquité, c’est un autre dominicain, Tommaso Fazello (1498-1570) qui fait figure de père l’histoire sicilienne, en redécouvrant les sites antiques de Sélinonte, Héraclea Minoa et Acrai dans son De rebus siculis decades duae de 1558. C’est cependant au XVIIIe siècle, avec la découverte des sites de Métaponte, Paestum et surtout les premières fouilles à Pompéi qu’un véritable intérêt européen va naître autour des vestiges antiques d’Italie méridionale. Cet intérêt se manifeste avant tout dans la pratique du Grand Tour et les antiquaires européens qui s’y livrent sont essentiellement mus par une vision romantique des vestiges anciens. Jean- Claude Richard de Saint-Non (1727-1791) publie par exemple, entre 1781 et 1786, un Voyage

Pittoresque ou Description des royaumes de Naples et de Sicile en cinq volumes dans lequel

les anecdotes de voyage se mêlent aux descriptions de sites anciens, le tout complété par plusieurs centaines de planches d’illustration. Dans le même esprit, il convient de citer le poète Johan Wolfgang von Goethe (1749-1832) dont le périple italien (1786-1788) le conduira, avec enthousiasme, jusqu’aux ruines de Sicile qui lui feront si forte impression80

. Cette mise en lumière dans la sphère intellectuelle européenne des sites siciliens est d’ailleurs d’autant plus vive que la Grèce égéenne reste difficile d’accès étant sous domination ottomane.

79 De Angelis 2016a, 4-5. 80

Une forte impression qu’on peut aisément mesurer dans la relation écrite de son voyage, avec notamment une célèbre citation tirée de sa lettre du 15 avril 1787, « On ne peut se faire aucune idée de l’Italie sans la Sicile. C’est ici que se trouve la clé de tout ».

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L’insurrection des treize colonies américaines fait ici figure d’événement pivot81

. En effet, en quête de modèles et de précédents historiques, l’attention portée aux anciennes

apoikiai grecques se développe dans la sphère savante au point de devenir un objet d’étude à

part entière. Ainsi, dès 1815, Désiré Raoul-Rochette (1789-1854) publie l’un des premiers grands travaux sur la question, une Histoire critique de l’établissement des colonies grecques, en quatre volumes, dans laquelle il dépeint des métropoles imposant un tribut à leurs colonies et provoquant l’hostilité de ces dernières sur le modèle de l’insurrection américaine.

Cependant, une autre guerre d’indépendance, celle de la Grèce en 1821-1829, suscite une immense vague de sympathie en Europe et renverse complètement la perspective. L’activation d’une mémoire nationale saturée de références antiques, filant volontiers la métaphore entre Perses achéménides et Turcs ottomans, et le choix d’Athènes comme capitale en 1834 place cette nouvelle nation au cœur des études sur l’antiquité grecque. Un nouveau paradigme se développe alors, résolument athéno-centriste et ainsi que l’écrit Franco De Angelis, « the long shadow of marginalization inevitably began to be cast on such regions as

Sicily82 ». On retrouve toutes les thématiques de ce nouveau paradigme dans l’œuvre de l’historien britannique Georges Grote (1794-1871)83. Auteur d’une History of Greece en 12

volumes, publiée de 1846 à 1856, celui-ci dépeint un monde grec centré sur Athènes et l’espace égéen84

. Les cités de Sicile et de Grande-Grèce apparaissent comme secondaires, car directement en contact avec des indigènes considérés comme ethniquement inférieurs. Si la mission civilisatrice de l’Empire britannique est ici transposée aux colons grecs qui hellénisent les barbares de leur voisinage, il en résulte un abâtardissement de ceux-ci qui ne peuvent plus, dès lors, soutenir la comparaison avec la pureté de la métropole. Cette infériorité justifie donc de classer les colonies grecques de Sicile et de Grande Grèce au rang d’objet d’étude relativement secondaire.

81 Ibid. 6. 82

Ibid. 6.

83 Dans le même esprit, on pourrait également citer le nom de Charles Brunet de Presle (1809-1875) qui fut l’un

des premiers, dans Recherches sur les établissements grecs en Sicile (1845) à tenter de passer la tradition littéraire au crible d’une analyse rationnelle.

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2. De l’unification italienne au fascisme mussolinien

L’unification italienne de 1861 constitue, comme on peut s’y attendre, un tournant, car l’édification nationale permet le développement d’une histoire centrée sur l’Italie. Cependant, les fortes disparités entre un nord, riche et industriel, et un Mezzogiorno, pauvre et paysan, font rapidement émerger une « question méridionale » dont l’influence se fait sentir jusque dans la recherche historique. En effet, c’est un intérêt presque exotique85 qui anime les chercheurs qui se penchent sur l’Italie du Sud, intérêt renforcé par le contraste entre la misère de l’époque et la splendeur des vestiges hérités d’un glorieux passé. Ce développement historiographique est le fruit d’une double tendance à la fois interne et externe.

D’une part, la recherche italienne est alors considérablement influencée par le rayonnement intellectuel et scientifique de l’autre grande nation européenne nouvellement unifié, l’Allemagne. Le prestige et l’écho que rencontre la tradition académique allemande, a fortiori après la guerre de 1870, expliquent la volonté d’en transposer le modèle en Italie à travers l’envoi d’étudiants dans les plus grandes universités germaniques et le recrutement de professeurs venus d’Allemagne. Il en va ainsi d’Adolf Holm (1830-1900), nommé à l’Université de Palerme en 1877. Plaçant la Sicile au centre de ses travaux, il est l’auteur d’une Geschichte Siciliens im Alterthum en trois volumes, publiée entre 1870 et 1898, qu’il avait fait précéder de deux monographies, Antike Geographie Siciliens en 1866 et Das alte

Catania en 1873. Bien que tenant d’une supériorité des Grecs, avec l’arrivée desquels il fait

démarrer l’histoire de la Sicile, Holm a cependant le souci d’inclure l’ensemble des peuples de la Sicile antique dans sa trame générale, portant une attention particulière à des ensembles ethniques jusque-là largement ignorés tels les Sikèles. Toutefois, dans sa vision, les indigènes demeurent des acteurs « involontaires86 » de l’histoire, et ne s’épanouissent que grâce à l’action civilisatrice des Grecs et des Romains87. En outre, ses travaux demeurent une référence pour l’étude des monnaies siciliennes durant les décennies suivantes.

D’autre part, la dernière moitié du XIXe

siècle voit s’épanouir quelques-uns des plus grands noms de l’archéologie italienne. Antonino Salinas (1841-1914) est assurément l’un d’entre eux. Formé à Berlin par les plus grands maîtres de l’époque comme Theodor

85 D’Ercole 2012b, 15 parle d’un « regard ethnographique, presque folklorique » alors que De Angelis 2016aa, 7

évoque « a form of Orientalism ».

86 Cusumano 2009, 44. 87

Dans la même tradition, citons également les travaux de Karl Julius Beloch (1854-1929) à qui l’on doit, une

Griechische Geschichte (1913) et d’Edward G. Freeman (1823-1892), auteur d’une History of Sicily from the Earliest Times to the Death of Agathokles, publiée de 1891 à 1894. Voir Shepherd 1999, 271-272.

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Mommsen, il est nommé professeur à l’Université de Palerme en 1865 et y diffuse la méthode scientifique allemande. Devenu directeur du Musée archéologique de Palerme en 1873, il œuvre à la mise en valeur du patrimoine historique de l’île en tant que surintendant de la province de Palerme, Trapani, Agrigente et Messine, et participe aux fouilles des principaux sites de l’Ouest sicilien tel Sélinonte et Motyé. Resté quarante ans à la tête du Musée de Palerme, il contribue à en enrichir considérablement le fond et laisse une œuvre numismatique remarquable.

Paolo Orsi (1859-1935) est l’autre grand nom de ce que Maria Cecilia d’Ercole nomme « l’heureuse saison de l’archéologie italienne88 ». Il apparaît bien délicat de résumer l’action de Paolo Orsi en quelques lignes tant celle-ci fut énergique. Pionnier de l’étude de la Sicile préhistorique, ce fut avant tout un homme de terrain qui fouilla inlassablement une myriade de sites en Sicile et en Grande Grèce à l’instar de Géla. On lui doit notamment la découverte des nécropoles de Syracuse, de la cité de Kaulonia ou encore des sanctuaires d’Apollon Aléos à Ciro Marina et d’Héra Lacinia à Crotone. De plus, il apporta une contribution décisive et extrêmement novatrice à la connaissance archéologique des Sikèles grâce aux fouilles qu’il mena à Pantalica et à Thapsos89. Nommé surintendant des fouilles pour la Sicile orientale, la Basilicate, la Calabre et la Lucanie en 1909 puis pour toute la Sicile en 1927, il participe également à la naissance du Musée national de Grande-Grèce à Reggio de Calabre et dirige de 1895 à 1934 le Musée archéologique de Syracuse. Ce fut en outre un véritable érudit qui dirigea plusieurs revues archéologiques et livra près de 300 publications. En 1935, chargé de faire l’éloge funèbre du savant italien à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Alfred Coville put alors décrire son œuvre comme ayant « transformé notre connaissance de la Sicile

et de l’Italie méridionale dans l’Antiquité90

».

Aux côtés de Salinas à l’ouest et Orsi à l’est, deux géants devenus les éponymes des deux plus grands musées de Sicile, mentionnons également le nom d’Ettore Pais (1856-1939) qui fut le premier à inclure la Sicile dans l’historiographie nationale italienne. Son œuvre, Storia

d’Italia dai tempi più antichi sino alle guerre puniche, dont le premier tome est consacré à la

Sicile et à la Grande-Grèce, est certes un parfait exemple d’histoire nationale voire nationaliste. Elle n’en recèle pas moins de grandes qualités méthodologiques, notamment dans la critique des sources littéraires et dans le soin qu’il met à écarter toute tradition mythique, afin de fournir aux colonies grecques une origine authentiquement historique. Cette

88 D’Ercole 2012b, 15. 89

À titre d’exemple, la Revue des Deux Mondes consacra un article en 1897 à Paolo Orsi avec pour titre, « Un peuple oublié – les Sikèles », voir Perrot 1897.

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méthode historique résolument critique connaît un rayonnement très important dans les travaux des chercheurs italiens de la génération suivante91, à l’instar d’Emanuele Ciaceri (1869-1944), Luigi Pareti (1885- 1962) ou encore Giulio Giannelli (1889-1980), respectivement auteurs de Storia della Magna Grecia (1924-1932), Studi Siciliani ed Italioti (1914) et La Magna Grecia da Pitagora a Pirro (1928).

3. Historiographie fasciste contre modèle impérial britannique

Avec la prise de pouvoir de Mussolini en 1922 et l’affirmation du régime fasciste, l’historiographie italienne est employée à exalter le prestige national en soulignant les épisodes les plus glorieux du passé italien. Dans cette optique, et alors que les historiens des pays rivaux92 mettent l’accent sur l’action « civilisatrice » des Grecs en Sicile, renvoyant les indigènes siciliens au rang de sauvages, l’historiographie italienne développe, quant à elle, l’idée d’un substrat sicilien façonnant tous les nouveaux venus93

.

Cette dernière tendance trouve probablement sa meilleure expression dans les travaux de l’historien sicilien Biagio Pace (1889-1955). Alors que certains, tel Umberto Zanotti Bianco (1889-1963) se déclarent ouvertement hostiles au régime mussolinien, Biagio Pace embrasse au contraire les idées du parti national fasciste qu’il rejoint dès 1922 pour être élu à la Chambre des députés deux ans plus tard. Professeur d’archéologie à l’Université de Palerme depuis 1917, il rédige Arte e Civiltà della Sicilia antica - une des deux synthèses majeures du premier XXe siècle sur la Sicile grecque selon Franco De Angelis94 - qui paraît en quatre volumes de 1935 à 1949. Dans son œuvre, celui-ci propose d’envisager la civilisation sicéliote, non comme un simple ersatz des prestigieuses réalisations de Grèce continentale, mais comme le produit des spécificités indigènes. À l’inverse de la conception gréco- centrique traditionnelle, celui-ci insiste sur la place et l’influence des indigènes siciliens et va jusqu’à établir une continuité entre Sikèles et Romains95

. La colonisation n’est alors pas envisagée comme un marqueur de supériorité hellénique ou une forme de domination, mais

91 Jean Bérard s’opposa par la suite fermement à cette école historique déplorant une démarche intellectuelle

qualifiée « d’hypercriticisme » au nom d’une certaine revalorisation des récits mythiques.

92 De Angelis 2016a, 14 écrit à ce propos, « Study of the ancient Greeks in Sicily had to swim against these two

nationalistic currents ».

93 Pour plus de précisions concernant ces deux tendances contradictoires, voir Cusumano 2009, 43-44, et plus

particulièrement, Ibid., n.7, 44. Voir aussi De Angelis 2016a, 14-18.

94

De Angelis 2016a, 14.

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comme un harmonieux mélange entre deux entités distinctes, indigène et grecque, trouvant sur le sol sicilien les matériaux pour développer leur génie commun. C’est donc au profit de ce que Nicola Cusumano nomme un « indigénisme radical96» que Biagio Pace réfute le paradigme gréco-centrique en vogue dans la plupart des pays européens.

Cependant, la Seconde Guerre mondiale et la chute du régime de Mussolini vont à la fois faire refluer ces thèses tout en ouvrant davantage le territoire italien aux influences extérieures. L’intérêt pour la Sicile et la Grande Grèce s’accroît considérablement dans la recherche anglo-saxonne avec la publication en 1948 de l’autre grande synthèse de la période,

The Western Greeks, The History of Sicily and South Italy from the Foundation of Greek Colonies to 480 B.C. de Thomas Dunbabin (1911-1955). Citoyen australien, brillant exemple

d’intégration coloniale au sein de l’Empire britannique, il devient Reader in Classical Archaeology à Oxford en 194597. Profondément influencé par son parcours personnel, du dominion australien à la métropole britannique, il est parfaitement conscient d’y trouver là un modèle pour appréhender les réalités antiques98. Dans cette perspective, et malgré une certaine autonomie, les colonies grecques demeurent indissociablement liées à leurs métropoles sur le plan politique comme sur le plan économique. Les colons ne peuvent, au mieux, qu’imparfaitement imiter ce qui se créer en Grèce égéenne en matière d’art et d’architecture. Bien plus, cette « almost complete cultural dependence » devient, selon l’expression rendue célèbre par Gillian Shepherd, « the pride of most colonials99

». Ardents thuriféraires de la pureté hellénique100, ces colons grecs peuplent une région quasiment vide où des peuplades indigènes, conçues sur le modèle des aborigènes d’Australie, ne peuvent que passivement recevoir les bienfaits de l’hellénisation101

tandis que toute forme d’interaction avec le monde punique est rigoureusement exclue102. De même, il expurge le phénomène colonial de tout rapport de domination et de violence et développe l’idée d’indigènes naturellement pacifiques, attribuant systématiquement les ouvrages défensifs sikèles aux Grecs à l’instar des fortifications de Mendolito ou de Monte Bubbonia103

. Son œuvre reste cependant très importante, car il est le premier, dans la sphère anglo-saxonne, à appréhender

96

Ibid., n.14, 45.

97 Pour une synthèse plus complète sur T. Dunbabin, voir De Angelis 1998, 539-541. 98

Dunbabin 1948, VII, « I have drawn much on the parallel to the relations between, colonies and mother country provided in Australia and New Zealand ».

99 Shepherd 1995 ; Dunbabin 1948, VII.

100 Ibid., VI, « I am inclined to stress the purity of Greek culture in the colonial cities, and find little to suggest

that the Greeks mixed much with Sikel or Italian people, or learnt much from them ».

101 Ce qui en fait un sujet d’étude encore très secondaire. À titre d’exemple, De Angelis 2016a, 17, remarque

qu’il ne consacre que 7% de son premier chapitre aux indigènes.

102

De Angelis 2016a, 17.

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une certaine unité chez le Grecs de Sicile et de Grande-Grèce, tout en incluant très largement les sources matérielles dans son analyse.

4. L’ouverture de la Sicile et de l’Italie du Sud aux missions archéologiques étrangères

Au rang de ces prestigieux pionniers, la recherche française n’est pas en reste et l’on ne peut continuer plus avant sans évoquer la figure de Jean Bérard (1908-1957). « Fils d’un

helléniste brillant qui était lui aussi plus un voyageur qu’un historien, Jean Bérard reste, avec Dunbabin, celui qui a fait entrer l’étude de la colonisation grecque dans le domaine de l’histoire104

» écrit à son propos Michel Gras. Membre de l’École française de Rome, il est l’auteur d’une thèse publiée en 1941 sous le titre « La colonisation grecque de l’Italie

méridionale et de la Sicile dans l’Antiquité. L’histoire et la légende », devenue un classique

pour toute une génération de chercheurs dans sa seconde édition de 1957105. Cette portée s’explique par l’ampleur de sa synthèse, mais aussi par la place accordée à l’archéologie, combinant avec rigueur sources textuelles et données archéologiques pour retracer les débuts de la colonisation grecque. Cet intérêt pour l’archéologie se traduit également dans le soin qu’il mit à rendre compte au public français des travaux de ses amis italiens, Umberto Zanotti Bianco (1889-1963) et Paola Zancani Montuoro (1901-1987), responsables des fouilles de l’Héraion du Sélé. Enfin, sa thèse complémentaire, intitulée Bibliographie topographique des

principales cités grecques de l’Italie méridionale et de la Sicile dans l’Antiquité servira de

base à l’œuvre colossale, en vingt volumes de Georges Vallet (1922-1994) et Giuseppe Nenci (1924-1999), la Bibliographie topographique de la colonisation grecque en Italie et dans les

îles Tyrrhéniennes. Il s’agit alors, pour chaque site de la région classé par ordre alphabétique,

de fournir aux lecteurs une notice sur les sources littéraires, archéologiques et épigraphiques qui s’y rapportent avec un complément bibliographique sur les recherches récentes.

Rien d’étonnant alors à ce qu’en 1967, souhaitant créer un centre de recherche sur l’Italie méridionale à Naples, ce même Georges Vallet opte pour le nom de Jean Bérard. Grand spécialiste français de la région, auteur d’une thèse sur Messine et Rhégion, c’est pourtant le site de Mégara Hyblaea que Georges Vallet va fouiller durant près d’un demi-siècle - de 1949 à 1994 - en compagnie de François Villard (1924-2013) et en lien étroit avec le surintendant

104

Brun et Gras 2010, 12.

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aux Antiquités orientales, Luigi Bernabo Brea (1910-1999). Ces fouilles et les publications auxquelles elles donnent lieu vont faire de Mégara Hyblaea l’un des sites les mieux documentés, fournissant aux historiens une masse de données particulièrement importante à l’image des éléments relatifs à son plan urbain. Ajoutons que ce cas n’est pas isolé, et que le contexte d’après-guerre est propice à la multiplication des programmes de recherche archéologique sur la Sicile, à l’image du cas analogue des fouilles menées par l’université de Princeton sur le site de Morgantina. L’ampleur des établissements antiques comme la multiplication des données auxquelles conduisent ces recherches expliquent la place occupée par ce domaine géographique dans les réflexions plus globales sur la colonisation grecque.

Aussi, dès 1961, est organisé à Tarente le premier Convegno di studi sulla Magna

Graecia qui réunit de nombreux spécialistes de la colonisation grecque. La rencontre est si