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Quel héritage du monde mycénien ?

II. Les Grecs ont-ils colonisé la Sicile ?

1. Quel héritage du monde mycénien ?

1. Une continuité défendue par la tradition

C’est par les travaux d’Heinrich Schliemann qu’il convient de débuter cette réflexion. Ce dernier, féru de poésie homérique, n’eut de cesse d’identifier les hauts lieux de l’épopée. À partir de 1870, il organisa des fouilles sur le site d’Hissarlik, en Asie Mineure et mit au jour les ruines d’une cité qu’il identifia à la Troie de Priam. Par la suite, il découvrit les ruines de Mycènes, Orchomène ou encore Tirynthe. Chacune de ces découvertes était autant d’occasions de mettre au jour de prestigieux artefacts qu’il associa très vite aux textes

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homériques, à l’instar du masque en or d’Agamemnon ou du bouclier en peau de bœufs d’Ajax. À sa suite, il fut donc admis que le récit homérique retraçait des faits réels et qu’Homère se faisait ainsi l’écho de l’époque mycénienne. Cependant, à mesure que la connaissance archéologique des principaux sites mycéniens se développait, le décalage s’accrut entre le mégaron dépeint par Homère, sorte de grande habitation centrale où siègent des rois comme Agamemnon et Ulysse, et les vestiges d’états apparaissant comme bien centralisés, dont les centres de pouvoir, à la fois politique et religieux, mais aussi économique, évoquaient volontiers les majestueux palais des royaumes orientaux. Le déchiffrement, au début des années 1950, du linéaire B par Michael Ventris et John Chadwick acheva de consacrer la rupture entre la civilisation mycénienne et le corpus homérique. En effet, la traduction de ce syllabaire qui servait, en réalité, à noter un dialecte grec, permit de comprendre l’organisation sociale du système palatial mycénien. Des milliers de tablettes, scrupuleusement remplies et conservées par une bureaucratie de scribe, attestent de la mainmise du palais sur l’ensemble de la production économique via une comptabilité fournie et détaillée.

De même, la découverte de différentes strates hiérarchiques, dont les fonctions ne sont que partiellement comprises, du wanaka au pasireu en passant par le rawaketa, et de divers échelons administratifs donne à voir une société bien plus complexe que celles décrites dans l’Iliade et l’Odyssée. Ainsi à Pylos, on a pu déterminer, grâce aux tablettes, que le territoire palatial était divisé en deux provinces, gouvernées par un da-mo-ko-ro ou un du-ma. Elles étaient elles-mêmes subdivisées en plusieurs districts sous la férule d’un ko-re-te, secondé d’un po-ro-ko-re-te324

.

En dehors des champs philologique et archéologique, mais de manière parallèle, Moses Finley porta également un coup fatal à « ce cadavre qu’il faut régulièrement tuer 325 » avec la publication en 1954 du Monde d’Ulysse. Pour ce faire, il reprit les travaux comparatifs de Milmann Parry sur la poésie orale des bardes yougoslaves et les épopées homériques. Pour ce dernier, la répétition de formules analogues permettait la mémorisation et la transmission de milliers de vers sur plusieurs siècles sans le concourt de l’écrit. De là, Moses Finley démontra la cohérence propre de la société homérique, malgré le caractère composite du texte et les anachronismes et en fit une réalité, non plus de l’époque mycénienne, mais des « siècles

obscurs » qui séparent justement cette dernière de la Grèce des cités. Dès lors, il peut très bien

324

Crielaard 2011, 86. Pour une synthèse récente des connaissances relatives aux structures administratives mycéniennes, voir Le Guen, D’Ercole et Zurbach 2019, 143-149.

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y avoir un fait historique derrière la guerre que relate Homère, déformé et amplifié par des siècles de transmission orale à l’image de la Chanson de Roland, il n’en demeure pas moins que les réalités sociales décrites dans l’œuvre relèvent, elles, des « siècles obscurs » dont Homère est contemporain. S’il propose une telle datation, c’est qu’il pense déceler, dans le texte homérique, l’embryon du fonctionnement en cité-État, associé à des réalités qui ne peuvent, selon lui, dépasser le VIIIe siècle comme le monopole commercial dont semble bénéficier les Phéniciens sur les mers, l’importance de la crémation comme pratique funéraire ou encore les nombreuses évocations de chaudrons et trépieds de bronze326. Malgré de nombreuses critiques, cette thèse reste aujourd’hui la plus généralement admise.

Cependant, en dépit de l’effondrement social des États palatiaux mycéniens, du dépeuplement et le repli autarcique de régions entières de la Grèce ou encore de la perte de savoir-faire technique au premier rang duquel figure l’écriture, force est de constater, néanmoins, qu’il existe certains éléments de continuité entre les Mycéniens et les populations qui occupent l’espace égéen au début de l’époque archaïque327. Il y a d’abord une continuité

linguistique puisque le mycénien déchiffré est un dialecte grec qui semble se rattacher à la famille de l’arcado-chypriote. Cette filiation linguistique se retrouve également dans les termes qui désignent l’organisation de société. Ainsi, le téménos désigne le domaine propre du souverain, le pasireu, petit gouverneur provincial des Mycéniens devient à l’époque archaïque le basileus, le roi quand la communauté agricole du damo devient le dèmos, le peuple. De la même manière, les divinités du panthéon olympien apparaissent déjà sur les tablettes mycéniennes à l’image de Zeus et d’Héra, de Déméter ou encore de Dionysos328

. Cependant, ces divinités diffèrent sensiblement de leurs équivalents d’époque classique et, ainsi que l’écrit Julien Zurbach, « ces noms familiers appartiennent à un monde divin qui l’est

beaucoup moins329 ». Pourtant, certains chercheurs voient dans les grands mythes comme l’expédition des Argonautes ou la geste d’Héraclès un lointain souvenir de l’époque mycénienne voire minoenne. De là à insérer les Mycéniens et les hellénophones de l’époque archaïque dans un même continuum identitaire ouvertement.

326 Hall 2014b, 25.

327 Pour une réflexion plus large sur le débat rupture/continuité entre les sociétés de l’âge du bronze et les cités

archaïques, voir Zurbach 2017, 14-15.

328 Il n’y a d’ailleurs là rien de troublant étant donné que certaines sources, à l’image d’Hérodote, accordent

une origine exogène au panthéon hellénique. Hdt 2, 50-53 évoque ainsi des origines égyptiennes et pélasgiques pour nombre de divinités et de rites pratiqués par les Grecs.

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2. L’apport de la linguistique

De manière générale, les travaux des linguistes ont grandement contribué, par le type de modèles qu’ils conçoivent, à l’idée de continuités millénaires entre ensembles linguistique et ethnique, dont on pourrait retracer l’origine depuis les débuts du néolithique. Le paradigme le plus emblématique de cette tendance est celui du Stammbaum ou modèle arborescent, dans lequel on se figure l’évolution et les liens entre les langues sous la forme d’un arbre généalogique. Dans cette perspective, on représente les ensembles dialectaux comme autant de ramifications se rattachant à des branches de plus en plus grandes à mesure qu’on remonte dans le temps. Un aspect non négligeable de ce modèle est qu’il ne conçoit la diversification linguistique et sa diffusion qu’au travers de migrations et de déplacement de populations, chacune hermétiquement liée à une langue330. Le modèle canonique est ici celui des langues dites indo-européennes, tel que forgé par le linguiste allemand August Schleicher (1821-1868) dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

330

« The important thing to observe about Stammbaumtheorie is that linguistic diversification is normally attributed to the physical displacement of part of the speech group – due to either expansion, migration or colonization – leading to loss of contact », Hall 1997, 162.

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S’inspirant des travaux contemporains de Charles Darwin et de sa théorie de l’évolution, Schleicher se concentre sur les concordances syntaxiques et phonétiques régulières qu’il observe entre plusieurs langues comme le grec, le sanskrit ou les langues germaniques afin d’établir une parenté linguistique entre celles-ci331

. Procédant de la sorte, il écarte les langues qui ne présentent pas de telles similitudes, à l’instar du turc, et cherche à remonter, d’ancêtre en ancêtre, jusqu’à une langue mère, Urprache en allemand, dont les locuteurs seraient un peuple originel indo-européen, Urvolk. Plus de deux siècles de recherche en linguistique comparée ont bien évidemment étoffé ce modèle, ne serait-ce qu’avec la découverte et l’ajout de nouvelles langues, tel le tokharien et le hittite au cours du XXe siècle. Néanmoins, malgré l’absence de consensus chez les linguistes, c’est cette même architecture globale qui prévaut

331

C’est le linguiste britannique William Jones (1746-1794) qui, le premier, formula l’idée d’une parenté linguistique entre grec, latin et sanskrit en 1786.

Figure 5. Arbre généalogique des langues indo-européennes selon August Schleicher. © Mallory 1997, 21.

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encore de nos jours, le débat s’étant essentiellement déplacé autour de la question des origines de l’Urvolk, entre hypothèse kourgane et anatolienne332

.

Suivant ce paradigme, le grec, lié par une parenté linguistique aux langues voisines tels le latin ou le hittite, est lui-même subdivisé en une multitude de dialectes, regroupés au sein de quatre branches principales dont les ramifications sont également conçues sur le modèle arborescent. La classification actuelle des dialectes grecs reprend, mis à part quelques modifications, les divisions déjà mises en exergue par la tradition antique. Ainsi, le grec commun ou proto-grec originel se serait subdivisé en quatre groupes dialectaux333 :

- L’ionien-attique qui se divise lui-même entre le dialecte attique, sur le territoire athénien et l’ionien qui se retrouve en Eubée, dans les Cyclades et en Ionie.

- L’éolien présent en Thessalie, en Béotie, en Éolide et sur l’île de Lesbos.

- Le groupe occidental, composé du dorien, attesté en Argolide, en Laconie, en Messénie et dans le sud de l’Égée, de la Crète à Rhodes en passant par Théra ; de l’achéen, présent en Achaïe et du grec nord-occidental qui se retrouve en Élide, en Phocide, en Étolie et en Épire.

- L’arcado-chypriote attesté en Arcadie et sur l’île de Chypre334.l

Le mycénien, noté en linéaire B, se rattacherait, quant à lui, à une forme archaïque du dialecte arcado-chypriote. Comme dans le cas des Indo-Européens, et conformément à la tradition antique, l’origine des premiers locuteurs du proto-grec est envisagée en dehors de la péninsule hellénique. En effet, les suffixes en –nthos et en –ssos, que l’on trouve respectivement dans les noms Corinthe et Cnossos, sont considérés comme faisant partie d’un substrat préhellénique, associé par Margalit Finkelberg aux langues anatoliennes335. Se pose alors la prestigieuse question de « l’Arrivée des Grecs ».

332

La plupart des théories situent chronologiquement les Indo-Européens au Néolithique, mais alors que l’hypothèse kourgane, développée par Marija Gimbutas, fait des steppes du nord du Caucase, entre mer Noire et mer Caspienne le foyer originel des Indo-Européens, les tenants de l’hypothèse anatolienne proposent, à la suite de Colin Renfrew, l’Anatolie comme berceau originel. D’autres hypothèses situent ce foyer en Europe du Nord, suivant l’ancienne thèse d’Herman Hirt, dans la péninsule balkanique, à l’instar du linguiste soviétique Igor Diakonoff ou postulent même une continuité de peuplement depuis le paléolithique, comme le linguiste italien Mario Alinei.

333 Hall 1997, 163 ; Finkelberg 2005, 110. Certains linguistes ajoutent un cinquième groupe, le pamphylien, car

celui-ci ne se rapproche d’aucun des autres ensembles dialectaux.

334

Pour un point détaillé sur les différences entre dialectes helléniques à l’époque archaïque, voir Colvin 2010, 200-212.

335

Ces deux suffixes se retrouvent dans nombre de toponymes de Grèce ancienne, cf. Finkelberg 2005, 43-46. Leonard Palmer invoquait déjà une origine lycienne pour ces deux suffixes et ce substrat qu’il associe au Linéaire A des Minoens, cf. Palmer 1965, 321-357.

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Au début du XXe siècle, le modèle dominant est celui élaboré par Paul Kretschemer336 selon lequel les hellénophones, déjà divisés en trois groupes au dialecte différent, auraient peuplé la péninsule à l’issue de trois vagues migratoires distinctes. Ainsi, les « proto-Ioniens » seraient les premiers à entrer en Grèce à l’aube du deuxième millénaire, suivis aux alentours de 1600 a.C. des « proto-Achéens ». Ces « proto-Achéens » se seraient eux-mêmes subdivisés entre une branche « proto-éolienne » au nord et une branche « proto-arcado-chypriote » au sud, correspondant à la civilisation mycénienne et à la langue notée par le linéaire B. Enfin, la troisième vague migratoire correspondrait à l’invasion des Doriens qui aurait mis un terme à la civilisation mycénienne à partir de 1200 a.C.337. Seuls rescapés de ces invasions grâce à un environnement montagneux et retiré, les Arcadiens auraient conservé une langue proche de celle de leurs ancêtres mycéniens.

On retrouve ici, dans les grandes lignes, un modèle correspondant au discours que la tradition antique tenait déjà quant aux origines de l’Hellade. Ainsi, selon Thucydide338, alors que soixante ans après la Guerre de Troie, les Béotiens de Thessalie, eux-mêmes chassés, colonisèrent la Béotie, les Doriens, menés par les Héraclides firent la conquête, vingt ans après, de l’intégralité du Péloponnèse à l’exception de l’Arcadie. Les Achéens, expulsés d’Argolide et de Laconie par les Doriens, vinrent s’installer sur les rivages méridionaux du golfe de Corinthe, repoussant les Ioniens en Attique339. Enfin, les Étoliens, alliés des Doriens, vinrent peupler l’Élide340

.

Cependant, alors que les archéologues peinaient à trouver trace de l’invasion des Doriens, John Chadwick remit en cause l’historicité même de ces migrations en montrant que les locuteurs des dialectes doriens étaient déjà présents dans la péninsule à l’époque mycénienne341. Le modèle de Kretschemer, largement influencé par la tradition des Anciens, est aujourd’hui récusé par la grande majorité des archéologues et des philologues qui n’envisagent qu’une seule vague migratoire. La datation de cette migration est, cependant, l’objet d’âpres débats et aucune des hypothèses avancées ne semble faire consensus. L’enjeu est de déceler des ruptures dans la culture matérielle, en termes d’architecture, de pratiques funéraires ou d’artefacts, susceptibles de révéler un changement significatif de population. En théorie, cette rupture peut intervenir à chaque début de période archéologique de l’âge du

336 Kretschemer 1909. 337 Hall 1997, 159. 338 Thc. 1,12,3 ; Paus. 2,13,3. 339 Hdt. 8,73,1 ; Str. 8,1,2 ; 8,5,5 ; 8,7,1 ; Paus. 5,1,1 ; 7,1. 340 Str. 8,3,30 ; Paus. 5,4,2. 341 Chadwick 1976 et 1985.

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bronze342, de l’Helladique Ancien I à l’Helladique récent IIIC3343. Ainsi, c’est bien tout le spectre chronologique de l’âge du bronze qui est mobilisé par les chercheurs, de John Coleman qui situe l’arrivée des Grecs au début de l’Helladique ancien I ou Robert Drews qui opte pour le début de l’Helladique récent I à Sinclair Hood344

pour qui cela ne remonte guère au-delà de 1200 a.C., remettant en cause, par-là, le caractère grec de la langue notée par le linéaire B345. Toutefois, une majorité semble s’être dégagée en faveur du début de l’Helladique ancien III346, et l’époque mycénienne fait en tout cas figure de terminus ante

quem347.

Dans cette perspective, c’est donc au sein de l’espace égéen que la division d’une langue commune en plusieurs dialectes se serait effectuée. Après une arrivée commune en Grèce, chaque groupe aurait progressivement développé un dialecte particulier dans son aire géographique : l’ionien-attique en Attique et dans le Péloponnèse, le groupe occidental dans le nord-ouest de la Grèce, l’arcado-chypriote dans le Péloponnèse et l’éolien en Thessalie. À la fin du deuxième millénaire cependant, d’importantes migrations auraient modifié le paysage dialectal grec pour le faire coïncider avec celui de l’époque archaïque. Les locuteurs du groupe occidental auraient ainsi envahi le Péloponnèse et les îles du sud de la mer Égée, repoussant l’ionien-attique dans les Cyclades et en Asie Mineure. De même, ils auraient refoulé les locuteurs de l’arcado-chypriote en Arcadie et à Chypre. Les éoliens, quant à eux, se seraient, avancés jusqu’en Béotie et dans la région de Lesbos, de l’autre côté de la mer Égée348.

Mais là non plus, il n’existe pas de consensus et, dès les années 1960, Ernst Risch349

développe une théorie alternative selon laquelle il n’y aurait que deux grands groupes dialectaux à l’époque mycénienne. Remarquant que l’ionien-attique et l’arcado-chypriote sont sujets à assibilation350, quand le groupe occidental et l’éolien351 ne le sont pas, il établit une ligne de démarcation nord/sud entre un dialecte grec du nord, recouvrant le groupe occidental

342 Certaines hypothèses excèdent même ce cadre à l’instar de la thèse de Colin Renfrew qui situe l’arrivée de

Grecs dans les Balkans au cours du sixième millénaires cf. Renfrew 1987.

343

Demoule 2014, 432.

344 Drews 1988 ; Coleman 1963 ; Hood 1967. 345

Ibid., 433 ; Hall 1997, 160.

346 Demoule 2014, 436 ; Hall 1997, 160. Pour une critique de chacune de ces hypothèses, voir Demoule 2014,

432-439.

347 Pour un point plus complet sur la question, voir Hall 2002, 38-43. 348

Hall 1997, 163-164.

349 Risch 1966. 350

On parle d’assibilation lorsqu’un /t/ devant un /i/ se transforme en /s/. Ainsi le terme κρί-τι-ς devient κρί-σι- ς en ionien-attique.

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et l’éolien, et un dialecte grec du sud, regroupant ionien-attique et achéen - un terme qui englobe mycénien et arcado-chypriote352. Dans cette perspective, la formation des quatre grands groupes dialectaux serait un phénomène postérieur à l’effondrement de la civilisation mycénienne. Pour José Luis Garcia Ramon353, en revanche, la ligne de démarcation suivrait un axe est/ouest. Le développement de l’éolien serait alors une conséquence immédiate de l’effondrement mycénien, lorsque le groupe occidental se serait imposé parmi les locuteurs d’un grec oriental, regroupant ionien-attique et achéen. Enfin, Leonard Robert Palmer réfute, quant à lui, le critère même de division linguistique354 retenu par Ernst Risch et affirme une unité dialectale achéenne, à l’âge du bronze, englobant arcado-chypriote et éolien dans un même ensemble, distinct à la fois du groupe occidental et de l’ionien-attique355.

Les difficultés des linguistes à s’accorder sur l’articulation voire sur la composition même de chacune de ces familles dialectales ont poussé certains chercheurs à explorer d’autres types de modèles. Il en va ainsi de la Wellentheorie ou « Théorie des vagues » développée à la fin du XIXe siècle par le linguiste allemand, Johannes Schmidt (1843-1901) et employée tout au long du XXe siècle par des chercheurs comme Hugo Schuchardt (1842-1927), Nikolaï Troubetskoï (1890-1938) ou encore Vittore Pisani (1899-1990). Selon ce modèle, les innovations linguistiques et les apparentements se diffuseraient d’aire linguistique (Sprachbünde) en aire linguistique, comme des vagues, du plus proche au plus éloigné, perdant en intensité à mesure que la distance s’accroit. Ce faisant, nul besoin de migrations ou de conquêtes militaires, la diffusion est conçue en termes « d’accommodation linguistique356 ».

Ainsi, lorsque des locuteurs de groupes linguistiques différents entrent en contact durable, il est possible que chacun modifie son propre langage afin de favoriser la communication avec l’autre. Si le contact devient permanent, l’accommodation en question est susceptible d’intégrer durablement la langue. Au stade le plus superficiel, ce processus est assez fréquemment illustré par le cas des mots d’emprunt. À titre d’exemple, on retrouve de nombreux mots latins dans plusieurs langues de l’espace européen qui n’en descendent pas directement, à l’instar du gallois mur (« mur ») qui dérive de murus ou de l’allemand wein (« vin »), qui provient de son équivalent latin vinum357. De la même manière, en termes de

352 Hall 1997, 160. 353 Garcia Ramon 1975. 354

Le fait qu’éolien et dialecte du groupe occidental ne soient pas sujet à assibilation n’implique pas nécessairement un lien de parenté objecte ainsi Palmer 1980, 71.

355

Colvin 2010, 205 ; Palmer 1980, 67-74.

356

Hall 1997, 164.

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syntaxe, on peut retrouver l’influence du grec moderne dans la tournure calabraise voggiu mi

dormu (« Je veux dormir ») - avec l’ajout de la particule mi – par rapport à la formulation

classique de l’italien, voglio dormire358

. Enfin, de manière plus éloquente, les apparentements que l’on peut observer dans le cas des balkanismes se situent également au niveau morphologique. En effet, on nomme « balkanisme » un certain nombre de traits linguistiques