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II. Les Grecs ont-ils colonisé la Sicile ?

1. Ni Grecs, ni Sikeliôta

1. Quel habitus pour les hellénophones de Sicile ?

En tout premier lieu, il importe de se questionner sur l’horizon culturel de ces hellénophones et sur ce que Jonathan Hall nomme leur habitus, reprenant ainsi la terminologie bourdieusienne584. En effet, ces premiers contingents ne sont pas des feuilles blanches et, provenant déjà d’un monde social, ils prennent la mer avec leurs propres conceptions sociales, culturelles et religieuses, héritées des sociétés qu’ils quittent. Reste qu’il évidemment très difficile de restituer ces conceptions tant les sources sont lacunaires. Autant du point de vue

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Gras 1994, 131 qui cite notamment l’Euboia de Sicile fondée par des Chalcidiens de Léontinoi.

583

Snodgrass 2005b, 48.

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de l’organisation sociale que des schèmes de pensée, l’interprétation des corpus homérique et hésiodique est à ce titre particulièrement délicate, eu égard aux débats relatifs au contexte de composition et la chronologie de ceux-ci585. Il ne s’agit pas d’un groupe homogène et, sur le plan géographique, les premiers contingents semblent essentiellement venir d’Eubée, de Corinthe et de Mégare. Traditionnellement, ces établissements pionniers en Occident sont envisagés comme contexte d’une première confrontation identitaire avec une altérité autochtone586. L’idée est notamment détaillée par Irad Malkin qui y voit un jalon fondamental du développement identitaire hellénique. En effet, la communauté d’expérience, formée par des colons venus d’horizons divers, mais confrontés aux mêmes défis, est ainsi envisagée comme le principal moteur de leur hellénisation587. Or, pour qu’un tel raisonnement soit valide, il faut être en capacité de démontrer, selon les mots de Jonathan Hall588 :

- Que les communautés que rencontrent les différents colons hellénophones sont d’emblée perçues comme qualitativement très différentes, et ce, suffisamment pour agir comme un miroir vis-à-vis de leurs propres spécificités.

- Que ces perceptions, nées d’expériences locales à l’origine, se cristallisent de telle manière qu’elles s’étendent à l’ensemble de la Méditerranée, se diffusant de région en région pour donner naissance à une conscience identitaire commune dans des contextes pourtant très différents.

- Que cette diffusion s’effectue en un temps record et soit bien avancée à la fin du VIIIe siècle.

Or, aucun de ces points n’est démontré, et comme nous l’avons vu, supra589, une telle conception nous impose, bien souvent, de renouer avec des schèmes essentialistes dès lors que l’on rentre dans les détails. Si l’identification s’effectue à l’échelon local, il n’y a pas lieu de supposer que les stratégies de distinction soient plus intenses entre hellénophones et autochtones qu’entre les différentes communautés hellénophones elles-mêmes590

. Il est toutefois fort probable que ces différents groupes aient conscience d’une proximité mutuelle, en raison d’un continuum linguistique, de dieux communs et de pratiques similaires591

, même s’il ne semble guère possible de délimiter les contours de cet horizon culturel commun. Ainsi,

585

Voir supra, II.I.2.2 et Ulf 2009, 81-98.

586 Mitchell 2015, 50. 587 Malkin 2011, 38 ; 49 ; 53 ; 61. 588 Hall 2002, 91. 589 II.I.2.3. 590 Hall 2012b, 29. 591

Hall 2016, 52. Jonathan Hall voit d’ailleurs dans la Network Theory d’Irad Malkin une des pistes les plus intéressantes pour comprendre le processus menant de cet habitus commun à une conscience identitaire commune par la réification de celui-ci.

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dans le domaine, mieux documenté, des rites funéraires, il est, par exemple, possible d’établir que chacun de ces groupes se réfère à une tradition funéraire bien distincte592. Un élément de cet horizon nous intéresse cependant, c’est la manière dont pouvait être envisagé l’ouest du bassin méditerranéen au moment des premiers départs.

En effet, il convient de s’interroger sur les connaissances géographiques dont pouvaient disposer les premiers contingents et la difficulté éventuelle à relier le point de départ et le point d’arrivée. On sait qu’il existait déjà des contacts entre la Sicile et le bassin égéen avant l’établissement des premiers hellénophones, ainsi que l’indiquent les vestiges retrouvés à Thapsos, à Scoglio del Tonno ou encore dans la nécropole de Marcellino di Villasmundo593. Pour Franco De Angelis, il est même fort probable que l’île ait servi d’escales techniques aux navires grecs et phéniciens faisant route vers leurs partenaires commerciaux d’Étrurie et de Sardaigne594. De même, Irad Malkin explique le positionnement géographique des fondations corinthiennes de Corcyre et de Syracuse par les contraintes de la navigation de l’époque, imposant aux navires venus de Grèce de remonter vers le nord pour capter des vents favorables et traverser plus aisément le canal d’Otrante avant de redescendre vers la Sicile595

. En outre, en examinant la position géographique des établissements eubéens, il semble possible de déceler la trace d’une route maritime à sécuriser, de Pithécusses et Cumes au nord à Naxos, Catane et Léontinoi au sud, en passant par le détroit de Sicile, solidement encadré par Zancle et Rhégion. Pier Giovanni Guzzo, insiste à cet effet sur l’importance qu’a pu revêtir la maîtrise, par les pirates de Cumes, du détroit de Messine dans l’établissement des

apoikiai de Sicile596. À en croire Strabon, le contrôle de ces routes maritimes fit très tôt l’objet d’âpres rivalités, ainsi que l’illustre l’expulsion des Érétriens initialement établis sur l’île de Corcyre par des Corinthiens en route vers Syracuse597. Enfin, toujours selon Strabon,

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Voir infra II.III.1.2. En outre, une fois sur place, chaque communauté va développer sa propre tradition funéraire, sans lien manifeste avec celle de sa métropole ainsi que l’a montré Shepherd 1995, 51-82.

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Lévêque 1995, 11. Voir également les travaux de V. Tusa, L. Vagnetti et M. Marazzi notamment Marazzi 1979, 314-315 et Vagnetti 1970, 359-380. Guzzo 2016b, 11-35 montre combien il est délicat de se prononcer sur la nature de certains vestiges pouvant être à la fois le signe d’échanges commerciaux entre populations du bassin égéen et de l’Italie ou la trace d’anciens et éphémères établissements eubéens dans la région. Voir également Le Guen, D’Ercole et Zurbach 2019, 216.

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De Angelis 2016a, 40-41. C’est également dans le cadre de ces navigations eubéennes et phéniciennes vers l’Espagne, la Sardaigne et l’Étrurie que Guzzo 2016b, 11-20 situe les premiers établissements eubéens à Ischia et Cumes. Pour Esposito 2018, 140, l’implantation des apoikiai n’est pas le fruit du hasard, mais repose sur des connaissances géographiques bien précises.

595

Malkin 2018b, 45.

596

Guzzo 2016b, 40.

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Théoclès effectua plusieurs voyages d’exploration en Sicile avant de mettre sur pied une expédition pour fonder Naxos, ce qui atteste d’une certaine familiarité avec la région598.

Pour autant, nous n’avons accès qu’au résultat final et comme pour les itinéraires, nous sommes entièrement dépendants de sources postérieures. Ainsi, les types de navire utilisés pour ces premiers voyages restent largement méconnus, faute d’épave retrouvée en nombre suffisant et de sources littéraires suffisamment claires599. Les traités de navigation les plus anciens, les périples, plaident pour appréhension de l’espace marin sous la forme de routes maritimes, dont la description dépend étroitement des littoraux. Cependant, nous n’avons conservé aucun fragment antérieur au VIe siècle, le plus ancien étant celui de Damaste de Kition600, et il n’est pas possible de se prononcer sur la forme éventuelle des traités les plus anciens.

Concernant le trajet, et ses difficultés, nous sommes, là encore, dépendants de sources bien tardives. Il apparaît cependant que, du fait des vents défavorables et des courants, l’itinéraire d’est en ouest est sensiblement plus long que le retour depuis la Sicile. Ainsi, Strabon évalue-t-il, suivant Timée, la durée d’un trajet du Cap Pachyne, au sud de la Sicile aux Bouches de l’Alphée à 4 jours et 4 nuits en passant par Zacynthos601

. Cette estimation constitue une moyenne, entre celle d’Aelius Aristide qui décrit un rapide voyage entre la Sicile et Patras en trois jours et deux nuits et Philostrate, qui prête à Apollonios de Tyane un voyage de 5 jours et 5 nuits pour atteindre les bouches de l’Alphée depuis Syracuse602. Depuis la Grèce, à l’inverse, les estimations se font plus longues, à l’image de Dion qui passe 13 jours en mer pour relier Zacynthos à Minoa selon Plutarque603. Même si ces données n’ont aucune valeur statistique, on comprend aisément que des facteurs comme les courants maritimes, le sens du vent ou encore la possibilité d’une navigation hauturière sont autant de facteurs qui peuvent influer sur la durée du trajet. Ainsi, Philostrate évoque une traversée directe entre Corinthe et la Sicile en un temps record de 5 jours par vent favorable et Strabon évalue le trajet du Cap Crio, en Crète au cap Pachyne en seulement 5 jours et 4 nuits604.

598

Str., 6,2,2.

599 Arnaud 2012, 92-93. Celui-ci montre combien il est délicat d’établir un portrait satisfaisant des navires

utilisés à l’époque archaïque et classique tant les auteurs font un usage générique de la plupart des noms. Sur la distinction homérique entre vaisseaux longs et vaisseaux ronds, voir cependant Arnaud 2012, 96-108.

600 Arnaud 2011, 134.

601 Arnaud 2005, 175. Str. 6,2,1 ; C 266 ; Timée F 41b. 602

Ibid., 175 ; Aristid. 24B 540 Dindorff ; Philostr. VA. 8,15.

603 Plut., Dio., 25, 2. Procop., Vand., 1,13,22 évoque quant à lui un trajet de 16 jours du fait de vents

défavorables.

604

Philostr. VA. 7, 10 ; Str., 2,4,3 ; C 105 ; 2,5,20 ; C 124. Arnaud 2005, 178 trouve cependant ces estimations suspectes et émet des doutes quant à la possibilité d’un tel trajet d’est en ouest en raison des vents contraires.

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Encore faut-il que les navires utilisés dans la deuxième moitié du VIIIe siècle soient conçus pour la navigation hauturière et puissent parcourir 700 stades par jour, ce qui semble être la moyenne à l’époque classique605

. Sans tomber dans un primitivisme suranné, il importe toutefois d’envisager convenablement les défis qu’ont dû représenter ces premières traversées, à l’heure des connectivités triomphantes. Comme l’écrit Pascal Arnaud, « La mer est donc

bien un milieu où les distances sont non seulement asymétriques mais aussi relatives. Selon les conditions, le sens de navigation et la saison, elle éloigne ou rapproche les lieux y compris sur une même relation606 ». Ce constat est d’autant plus important que la connaissance des itinéraires, ce que Pascal Arnaud nomme « la mémoire de la mer », est essentiellement empirique, a fortiori au VIIIe siècle ce qui engendre son lot de tâtonnements et de découvertes607.

Ainsi, alors que Strabon peut évaluer le périmètre de la Sicile à « un peu moins de huit jours sur un navire de commerce608 », il est fort probable que les premiers hellénophones installées en Sicile ignorent tout de son caractère insulaire, développant une vision de la région principalement articulée autour des routes maritimes reliant Pithécusses à la Grèce continentale. Nous avons vu que les mentions géographiques relatives à la Sicile se faisaient relativement vagues dans l’Odyssée. Carla Antonaccio a certes pu relever combien l’expérience coloniale semble présente dans divers passages de l’œuvre609

.

Ainsi, parvenu sur le territoire des Cyclopes, Ulysse décrit une petite île située face aux côtes, à une distance idéale pour s’y établir610. L’île n’est peuplée que de chèvres sauvages, le sol y est fertile, la nature abondante et l’on s’y amarre grâce à un port naturel déjà parfaitement situé. Sur la base de sa situation géographique comme de son caractère sauvage, un rapprochement peut aisément être fait entre celle-ci et les différentes îles nommées d’après les animaux qui les peuplent ; Ophioussa, l’île aux serpents, Arctouronésos, l’île aux ours,

Proconnésos, l’île aux chevreuils et surtout Pithécoussa, l’île aux singes611. En outre, il est fait mention d’une source d’eau douce nichée, sous roche, à la lisière du port. Celle-ci n’est pas sans évoquer Aréthuse, la source qui se jette dans la mer depuis Ortygie, une autre petite île située, elle, immédiatement face à Syracuse. Ulysse souligne d’ailleurs le profit que

605

Arnaud 2011, 139.

606 Arnaud 2012, 115.

607 Arnaud 2012, 118 montre comment les routes maritimes sont découvertes et transmises par expérience

répétée, sur le modèle de Kôlaïos de Samos découvrant la route de Tartessos selon Hérodote, Hdt., 4, 152. Voir également d’Ercole 2010, 76-77 sur les difficultés que représentait un tel voyage.

608 Str., 6,1,2. 609 Antonaccio 2009, 318-319. 610 Hom. Od., 9, 116-142. 611 Malkin 1999a, 121.

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pourraient tirer les Cyclopes si seulement ils pratiquaient la navigation, autant pour le commerce avec les autres cités que pour peupler cette petite île612. Enfin, au chant VI, Nausithoos, le roi des Phéaciens, qui conduit son peuple sur l’île de Schérie pour fuir les pillages des Cyclopes se comporte en parfait œciste. En effet, il élève une enceinte autour de la cité, fait bâtir maisons et sanctuaires et effectue le partage des terres613.

L’expérience coloniale semble donc bien trouver un écho particulier dans l’Odyssée, mais les références deviennent confuses dès lors que l’on s’attache à une localisation géographique concrète. Si l’absence des puissantes cités que comporte l’île est généralement attribuée à un souci de cohérence historique de l’auteur, lui-même situant son intrigue dans les temps héroïques614, le caractère lacunaire de sa connaissance de l’Occident semble cependant plus profond. Ainsi, il est fait mention des Sikèles en rapport avec le commerce des esclaves615, mais à aucun moment d’un toponyme qui pourrait éventuellement désigner l’île. La seule mention explicite, celle de Σικανία616 que l’on trouve dans le chant XXIV, désigne la région d’Alybas. Or, s’il est vrai que la Sicile fut nommée Sicanie à une certaine époque617

, Alybas est associée, pour sa part, à la cité de Métaponte618 comme si l’auteur ne faisait aucune distinction entre la Sicile et l’Italie du sud, renvoyées à un même Occident lointain. En outre, lorsqu’Eumée décrit sa patrie, l’île de Syriè, au chant XV de l’Odyssée, il la situe « au-dessus d’Ortygie, du côté du couchant619

». Pour Martin Litchfield West, l’auteur reprend ici deux toponymes en relation avec la Sicile « without having any clear idea of the connection620 ». Celui-ci poursuit en concluant que l’auteur ne se représente pas la région de manière analogue à nous, mais l’envisage probablement comme un ensemble d’îles, sur le modèle des « îles sacrées » depuis lesquelles Agrios et Latinos, fils d’Ulysse, règnent sur les Étrusques selon Hésiode621.

Il y a donc tout lieu de supposer que pour l’auteur, les contours de la région demeuraient bien flous et que la distinction entre Sicile et Italie n’était peut-être pas encore forgée. De

612 Hom. Od., 9, 125-135. 613 Ibid., 6, 4-10. 614 West 2014, 38. 615 Hom. Od. 21,211,389 ; 20,383. 616 Hom. Od. 24, 304. 617

Hellan. Fr.79a ; Hdt. 1,22,2 ; 7,170,1 ; Diod. 5,1 ; Dion. H. 1,22,2.

618 Heubeck et al. 1992, 395. 619 Hom. Od. 15, 403-405.

620 West 2014, 83-84 et notamment n. 40, 84. Hes. fr. 150, 26. Pour West 2014, 84 l’île de Schérie appartient à

la même catégorie qu’Ortygie, c’est-à-dire un lieu bien réel, connu par la rumeur, mais qui acquiert dans le corpus homérique un statut de lieux fabuleux sans rapport avec sa localisation et son existence réelle. Il associe d’ailleurs cette dernière à Corcyre, ce qui placerait ces deux lieux fabuleux dans l’orbite des réseaux coloniaux corinthiens.

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même, selon Michel Humm, la région était initialement dénommée « Hespérie » – le « pays du soleil couchant » – ce qui renverrait, au-delà de la formule poétique, à une véritable appellation géographique, désignant l’extrémité sud de la péninsule italienne aux premiers temps de la colonisation622 . Or, dans la mythologie, les Hespérides sont les « Nymphes du couchant » et sont souvent associées au cycle d’Héraclès. Leur filiation et leur nombre évoluent en fonction des versions623. L’une d’elles se nomme Hesperaréthousa, que l’on trouve parfois divisée en deux nymphes différentes, selon Pierre Grimal, nommées Hespéria

et Aréthuse624. On peut y avoir, à la suite de Michel Humm, les personnifications respectives de l’Italie et de la Sicile puisque la fontaine de la nymphe Aréthuse se trouve, selon la légende, à Syracuse625. Dans ce cas, la division d’Hesperaréthousa pourrait être interprétée comme la division symbolique de cet ensemble régional aux contours flous, initialement appréhendé comme un seul et même bloc, mais découpé en deux régions distinctes, une fois celles-ci mieux connues et maitrisées. Enfin, on apprend, chez Antiochos de Syracuse que le toponyme Italie ne désignait, à l’origine, que l’extémité sud de la Calabre, faisant face à la Sicile626.

Cet élément peut montrer l’influence déterminante des Eubéens, établis des deux côtés du détroit de Sicile, dans l’élargissement géographique du toponyme « Italie » à l’ensemble de la région située au sud des golfes d’Hipponion et de Scyllétion627

. À mesure que la domination des Eubéens se renforçait sur les deux littoraux se faisant face, ceux-ci ont peut-être élargi la dénomination, autrefois réservée au territoire de Rhégion, à l’ensemble de son l’arrière-pays. Un tel phénomène pourrait s’être produit au moment de la fondation de Métauros par Zancle ou bien de manière plus générale, dans le cadre de la confrontation territoriale avec les Locriens628.

Tous ces éléments plaident donc pour une conception dynamique de la géographie locale, tant les appellations paraissent mouvantes à haute époque. Les principaux contours de cette géographie, bien établie au début de l’époque classique, auraient ainsi nécessité quelques décennies, voire davantage, pour se mettre en place, en lien étroit avec un renforcement territorial des cités de la région.

622

Humm 2010, 37-38. Voir I.I.2 et notamment n.45 et 46 pour les références précises.

623 Hes. Th., 215, et suiv. ; Eur. Hippol., 742 et suiv. ; et la schol. Au v. 742. Herc. Fur., 394 et suiv. ; Phéréc.,

fr.33, ap. schol. à Apoll. Rh., Arg., 1396 ; 1399 ; Hyg., Astr. Poét.,, II, 3 ; Erat., Cat., 3 ; Aesch., Prom. Délivré, fr. 193., Paus., 5,18,4 ; Apd., Bibl., II, 5, 11 ; Serv., à Virg., En., IV, 484 ; Diod., 4, 26 et suiv.

624 Grimal 1969, 209. 625 Humm 2010, 38. 626 Humm 2010, 36. 627

Antioch. Syrac., FGH 555F3 (ap. Str. 6,1,4 C 255).

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2. Les premières fondations selon la tradition

La tradition littéraire laisse assez peu de place à cette construction progressive et, à l’image de Thucydide, le tableau dressé est souvent définitif. L’œuvre d’Hippys de Rhégion et la Ktisis Sikelias d’Hellanicos de Lesbos ayant été perdues, c’est la tradition élaborée par Antiochos de Syracuse qui est ici dominante. Elle nous est essentiellement parvenue par la médiation de Thucydide et de Strabon. Ce dernier se fait également l’écho d’une tradition alternative mise en forme par Éphore de Cumes. Enfin, un témoignage plus tardif, celui de Polyen, s’avère également assez riche en informations sans qu’il soit possible d’établir avec précision sa source629. Comme l’a noté Michel Gras, c’est à Antiochos que nous devons cette conception traditionnelle où chaque fondation est l’œuvre d’un œciste et d’un groupe de colons bien homogène du point de vue ethnique et culturel630.

Dans le livre VI de la Guerre du Péloponnèse, Thucydide retrace donc l’histoire des premières apoikiai de Sicile selon un schéma traditionnel associant une métropole et un œciste, c’est-à-dire un chef d’expédition, ayant pour mission de fonder la nouvelle cité. « Parmi les Grecs, ce furent des Chalcidiens d’Eubée qui y vinrent les premiers631 » écrit-il. Naxos est la première cité fondée par un groupe de Chalcidiens d’Eubée, sous la férule de Thouclès. L’année suivante, c’est Syracuse qui est fondée par un groupe de Corinthiens mené par l’œciste Archias. Quatre ans après, des colons venus de Mégare s’établissent, sous la conduite de Lamis, une première fois à Trôtilon. Puis, rejoignant des Chalcidiens à Léontinoi, ils en sont ensuite chassés et finissent par coloniser Thapsos. À la mort de Lamis, les colons sont alors forcés de quitter le nouveau site et s’en vont finalement fonder, sur l’invitation du roi sikèle Hyblon, la cité de Mégara Hyblaea632. Cependant, Strabon, suivant Éphore, relaie une autre tradition et fait de celle-ci l’exacte contemporaine de Naxos633. Enfin, quarante-cinq ans après la fondation de Syracuse, Antiphémos et Entimos, à la tête de colons venus de Rhodes et de Crète, érigent Géla634. Ces données nous permettent de dater, en chronologie

629

Sur la pertinence du témoignage de Polyen, voir Gras et Tréziny 2004, n.4, 548. Sur les sources relatives à la