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Pour  mieux  aborder  la  situation  libanaise,  il  est  important  de  comprendre  le  fonctionnement  de  l’agir  dramaturgique  dans  l’espace  public  de  type  grec.  Cet  espace  public repose sur trois idées : ce qui est vrai du point de vue scientifique, ce qui est juste  du  point  de  vue  moral  et  ce  qui  est  beau  du  point  de  vue  esthétique.  Ce  sont  les  trois  caractéristiques  qui  définissent  l’espace  public  pour  Weber.  Un  espace  public  qui  se  porte sur le but (une finalité), un espace public qui se porte sur les valeurs et un espace  public que Weber appelle la dramaturgie et qu’on pourrait appeler l’esthétique. Dans le  concept  d’agir  dramaturgique,  le  concept  central  est  celui  de  la  représentation  ou  de  l’expression de soi, que complètent les concepts de rencontre et de performance de cette  mise  en  scène  du  sujet.  Habermas  précise  que  cet  agir  est  souvent  parasitaire  des  précédents et qu’il existe rarement à l’état pur. Les critères y sont ceux de la véracité et  de  l’authenticité  de  la  communication  par  rapport  au  monde  subjectif  interne,  avec  le  risque que la communication tourne à la manipulation et transforme le dramaturgique  en  instrumental.  « Puisque  la  force  illocutionnaire  du  discours  (des  énoncés  différents  peuvent  avoir  le  même  contenu  propositionnel,  tout  en  correspondant  à  des  actes  de 

      

27 ROUGIER Bernard, « Liban : les élections législatives de l’été 1996 », Monde arabe‐Maghreb‐Machrek, n° 

155, 1997. 

langage  différents)  relève  d’abord  de  l’agir,  on  en  trouvera  aisément  les  traits  dans  la  pratique.29 » Le trait expressif des pratiques est lié à l’agir dramaturgique d’Habermas. 

Les conséquences immédiates de l'assassinat d’Hariri 

Dans la période qui se situe entre septembre 2004 et février 2005, il y a un débat sur la  perspective  d’une  réforme  électorale  majeure.  L’assassinat  de  Rafic  Hariri  en  février  2005 et les événements qui suivent le remettent finalement en cause. Tout commence à  la fin du deuxième mandat du président de la République et sa prorogation pour trois  ans  imposée  par  la  Syrie  qui  le  considère  comme  étant  « l’homme  idoine ».  Cette  prorogation est votée par le Parlement en septembre 2004. Rafic Hariri est donc forcé  de voter ainsi que son groupe parlementaire en faveur de son opposant politique. Sous  la  pression  de  Damas,  il  est  contraint  en  2004  d’approuver  le  changement  de  la  Constitution  qui  limite  jusqu’alors  à  deux  les  mandats  présidentiels.  Aussitôt  après,  il  démissionne  de  son  poste  de  Premier  ministre  et  montre  sa  volonté  de  rejoindre  et  d’unifier  l’opposition  en  préparation  des  élections  législatives  à  venir.  En  2005,  la  première  élection  après  le  retrait  syrien  est  une  élection  tournée  vers  les  intérêts  des  forces du moment. Les élections se tiennent dans des circonstances politiques difficiles.  Les  manifestations  contre  le  gouvernement  de  février‐mars  2005  mettent  fin  à  vingt‐ neuf  années  de  présence  des  troupes  syriennes,  et  les  élections  législatives  accordent  une nette majorité à l’opposition, conduite par le fils de Rafic Hariri. 

 

L’opposition  s’élargit  alors  avec  un  soutien  international.  Mais  si  le  mouvement  populaire est voué à prendre fin, au moins dans la rue, la dynamique des politiques doit  prendre le relais. C’est ainsi qu’une fois les manifestations terminées, le relais est confié  à la classe politique. Mais celle‐ci n’en fait pas un bon usage. Il lui aurait suffi de porter  cette dynamique populaire et de la traduire en action politique concrète. Un semblant de  maturité  paraît  en  effet  éclore  chez  les  différents  dirigeants  politiques  de  l’opposition  qui promettent une union de leurs forces pour affirmer le Liban auquel aspire une partie  du  peuple.  Les  hommes  politiques  de  l’opposition  savent,  après  avoir  été  conduits  et  bousculés  dans  la  rue,  donner  par‐dessus  leurs  divergences  une  canalisation  politique  au  mouvement  populaire.  Leurs  discours  se  cristallisent  autour  de  la  vérité,  de  la        

29 NADEAU  Jean‐Guy, La pratique comme lieu de la théologie pratique,  La  théologie  pratique,  Volume  60, 

libération, de la souveraineté du peuple et d’autres revendications dont celle de la tenue  d’élections  équitables.  Force  est  de  constater  qu’ils  tiennent  jusqu’à  la  réalisation  des  objectifs  pratiques  assignés,  à  savoir :  la  démission  du  gouvernement  et  des  responsables sécuritaires, la création d’un comité international pour établir la vérité sur  l’assassinat de Rafic Hariri, le départ des troupes syriennes, mais qu’ils divergent sur la  question des élections.    La décision de prorogation engendre également une importante réaction internationale.  Les États‐Unis et la France poussent les Nations Unies à voter la résolution 1559. Cette  résolution  exige  l’arrêt  immédiat  de  l’ingérence  syrienne  et  le  retrait  de  ses  forces  armées du Liban. Le mouvement d’opposition au régime prosyrien se trouve consolidé  grâce au soutien de la communauté internationale. L’opposition s’élargit et s’unifie, alors  qu’elle est la plupart du temps désunie et souvent limitée aux partis chrétiens. Un large  front se forme autour du leader druze Walid Joumblatt, quelques députés musulmans et  l’opposition  chrétienne.  Une  alliance  électorale  avec  le  parti  de  Rafic  Hariri  est  sur  le  point  d’être  conclue.  Son  aboutissement  et  la  victoire  électorale  de  cette  coalition  auraient pu donner lieu, entre autres, à une remise en cause de la présence de l’armée  syrienne par le nouveau gouvernement mis en place.  

 

L’opposition jusqu’alors chrétienne dénonce un système électoral inégalitaire. En effet,  l’élection des députés chrétiens, au nord, au sud et dans la Bekaa, dépend d’un électorat  musulman  majoritaire,  favorable  en  grande  partie  aux  représentants  du  pouvoir  prosyrien.  Cette  opposition  réclame  l’adoption  du  caza  (petite  circonscription),  considérée  comme  l’unique  moyen  de  garder  une  représentation  chrétienne  indépendante du vote musulman et dont la taille augmente le lien entre le député et ses  électeurs.  À  l’inverse,  les  moyennes  et  grandes  circonscriptions  augmentent  les  parachutages et l’utilisation de listes qui permettent la victoire de candidats grâce à la  puissance  électorale  de  leur  parti  et  de  leur  leader,  écrasant  ainsi  les  petits  représentants.  

 

Le  28 janvier  2005  un  projet  de  loi  adopte  la  « loi  électorale  de  1960 »,  mais  il  est  finalement abandonné après l’assassinat d’Hariri. Le point central des élections en 2000  est le duel entre le Premier ministre et Rafic Hariri. La totalité de la liste de ce dernier, 

composée  de  dix‐huit  candidats  gagne.  Hariri  laisse  un  siège  vacant  pour  que  son  adversaire  soit  certain  d’être  élu.  Face  à  lui,  Hariri  réussit  à  gagner  la  confiance  des  sunnites  et  avoir  ainsi  leur  vote,  mais  aussi  celui  des  chiites  et  des  chrétiens  de  la  capitale. En revanche, le découpage de Beyrouth engendre une polémique car il est fait  dans le but de nuire à Rafic Hariri pendant les élections de 2005 et de l’affaiblir. D’autant  plus que sa victoire écrasante en 2005 est prévisible du fait de la popularité encore plus  forte du personnage au Liban et particulièrement à Beyrouth. En 2005, la division face à  la loi électorale aurait pu être évitée par la composition de listes représentatives, dans  un  esprit  loin  de  tout  désir  d’hégémonie.  L’opposition  du  Bristol,  groupe  composé  de  personnalités politiques qui font partie de l’opposition de l’époque et qui prend comme  habitude  de  se  réunir  à  l’hôtel  Bristol  de  Beyrouth,  aurait  pu  suivre  la  volonté  de  renouveau  du  mouvement  14  mars.  D’autant  plus  qu’elle  s’est  fait  consciemment  manipuler  lors  des  élections  législatives  par  les  prosyriens  qui  améliorent  ainsi  leur  position  électorale  et  politique  d’une  manière  inespérée.  En  même  temps  qu’il  porte  atteinte au capital symbolique du 14 mars, ceci incite à beaucoup de scepticisme quant à  l’émergence d’une nouvelle culture politique. Et ceci est d’autant plus inquiétant que ces  choix  sont  majoritairement  confirmés  par  les  électeurs.  À  travers  les  élections,  les  représentants  du  mouvement  du  14  mars  optent  pour  un  éclatement  collectif,  soulignant  que  l’union  née  de  cet  événement  n’est,  peut‐être,  qu’éphémère  dans  l’histoire nationale. 

 

Mais, en avril 2005, le découpage par caza est abandonné. Certains hommes politiques  pro‐syriens craignent de perdre leur siège. Les députés de l’opposition du bloc Hariri et  ceux du bloc Joumblatt ne se sont que très peu opposés à cette loi, tant décriée par les  opposants  chrétiens,  qui  ne  leur  nuit  pas.  Cela  ne  remet  pas  nécessairement  en  cause  une  alliance  en  faveur  d’un  profond  changement  politique,  mais  montre  le  poids  du  découpage  électoral  et  du  mode  de  représentation  communautaire  dans  l’échiquier  politique  libanais.  Le  nouveau  découpage  électoral  de  la  capitale  vient  consolider  les  partis qui sont proches du régime en place. Il vient donc affaiblir les opposants et à leur  tête,  Rafic  Hariri  qui  depuis  longtemps  fait  de  Beyrouth  son  fief  électoral.  Afin  de  l’affaiblir et d’empêcher ainsi son élection ou son influence, la grande circonscription de  Beyrouth acquise à la confession sunnite n’élit plus que quatre députés. 50 000 électeurs  votent  pour  élire  un  seul  député  alors  que  dans  les  deux  autres  circonscriptions,  le 

rapport est nettement inférieur. Dans la deuxième circonscription de la capitale peuplée  majoritairement par des chiites et des Arméniens considérés comme étant proches du  régime  en  place,  les  électeurs  votent  pour  élire  neuf  députés.  Cinq  de  plus  que  la  première circonscription. La troisième circonscription, celle d’Achrafieh, est peuplée en  majorité par des chrétiens et compte six députés. Cette séparation administrative entre  les électeurs chrétiens qui symbolisent l’opposition et les électeurs sunnites qui veulent  s’associer avec cette opposition est voulue par le régime en place pour réduire les sièges  de l’opposition dans la nouvelle assemblée et l’affaiblir. Face à ce découpage, Rafic Hariri  choisit de se présenter dans la deuxième circonscription de Beyrouth, la moins acquise à  sa  cause.  Le  bloc  parlementaire  de  Rafic  Hariri  composé  d’une  trentaine  de  députés  viendrait  consolider  les  rangs  de  l’opposition  et  constitue  un  tournant  politique  important. Mais son assassinat en février 2005 en décide autrement.  

   

Fin  février  2005,  la  mobilisation  populaire  pousse  à  la  démission  du  gouvernement  dirigé par Omar Karamé. Simultanément, la Syrie, subit des pressions internationale et 

commence à retirer ses troupe. Ce retrait s’achève en avril 2005. La tentative de la mise  en  place  d’un  gouvernement,  confiée  une  seconde  fois  à  Omar  Karamé,  dure  six  semaines mais ne donne pas de résultat. Ce délai est considéré par l’opposition comme  une stratégie de la part du régime en place pour éviter de changer le découpage actuel  de  la  capitale  et  de  décaler  les  élections  de  plusieurs  mois.  Le  temps  nécessaire,  selon  l’opposition,  pour  que  le  soutien  populaire  sur  lequel  elle  s’appuie,  s’affaiblisse  et  se  désunisse.  Les  partis  chiites  Amal  et  le  parti  de  Dieu,  proches  des  Syriens,  proposent  l’adoption  d’un  mode  de  scrutin  partiellement  proportionnel  à  l’échelle  des  mouhafazats,  qui  est  selon  eux  le  meilleur  compromis.  Une  solution  est  trouvée  en  désignant le sunnite Najib Mikati comme Premier ministre. Ce dernier s’engage à faire  les  élections  à  la  date  prévue  et  à  ce  qu’aucun  membre  de  son  gouvernement  ne  soit  candidat aux mêmes élections législatives. 

 

La crise qui mène au retrait syrien remonte à septembre 2004, date de l'adoption, par le  Conseil  de  sécurité  des  Nations  Unies,  de  la  résolution  1559  qui  prévoit  le  retrait  des  troupes syriennes du pays du cèdre. La Syrie est appelée par les chrétiens qui sont en  conflit avec les palestiniens. La résolution 1559 exige aussi le respect de l’indépendance  du Liban et le désarmement de toutes les milices dont le parti de Dieu et les fractions  palestiniennes. En septembre 2004, le second et dernier mandat d’Émile Lahoud arrive à  son  terme.  Selon  la  Constitution,  il  ne  peut  pas  être  renouvelé  une  troisième  fois.  La  Syrie demande aux députés de changer la Constitution de manière à rendre possible le  prolongement  du  mandat  présidentiel.  Rafic  Hariri  menace,  montre  son  souhait  de  démissionner  si  un  changement  constitutionnel  est  fait.  Les  pressions  du  président  syrien  et  de  ses  alliés  finissent  par  changer  la  position  de  Rafic  Hariri  et  ce  dernier  commence  les  négociations  en  vue  de  la  formation  d’un  gouvernement  d'union  nationale. Il démissionne quelque temps après et rejoint les rangs de l’opposition. Mais,  le  14  février  2005,  il  est  assassiné  au  cours  d'un  attentat  qu’une  partie  des  Libanais  attribue  à  la  Syrie.  Des  milliers  de  Libanais  descendent  dans  la  rue  contre  l’ingérence  syrienne. Damas finit par céder sous la pression internationale. Le 24 mai, une équipe  des Nations Unies confirme le retrait des forces syriennes. Trois décennies d’occupation  syrienne  prennent  fin  officiellement,  mardi  26  avril  2005,  avec  l'organisation  d'une  cérémonie d'adieu au plus haut niveau de la hiérarchie militaire des deux pays.  

Le résultat intermédiaire obtenu  

Le conflit se focalise sur le déroulement des tractations électorales. Alors que le Courant  Patriotique Libre ne contracte, du moins en apparence, aucune alliance, hors celle avec  le  mouvement  du  Bristol.  La  famille  Hariri  et  Walid  Joumblatt  déclarent  leurs  listes  fermées, du moins à Beyrouth et dans la montagne, aux nouveaux entrants chrétiens, à  savoir  les  Forces  libanaises  et  le  Courant  Patriotique  Libre.  Seul  Gebran  Tuéni  en  réchappe.  Il  en  apparaît  une  volonté  hégémonique  débordante  de  dominer  la  scène  politique.  Les  négociations  commencent  alors  après  une  bataille  médiatique  sans  précédent menée par la chaîne de télévision LBC et d’autres médias de la presse écrite.  Pour  tenter  d’absorber  le  mécontentement  chrétien,  un  accord  électoral  global  est  conclu avec les Forces libanaises dont le chef demeure en prison. À Beyrouth, le CPL est  exclu de tout arrangement après que Gebran Tuéni dans un premier temps et Solange  Gemayel dans un second soient intégrés par le Courant du Futur. 

 

Plus  tard,  à  Baabda‐Aley‐Chouf  et  selon  les  propos  mêmes  de  Walid  Joumblatt,  les  progressistes  arrêtent  les  négociations  en  refusant  d’octroyer  au  CPL  les  trois  sièges  demandés,  notamment  celui  qui  aurait  dû  revenir  à  Issam  Abou  Jamra.  La  demande  d’alliance du CPL au nord est aussitôt rejetée par le Courant du Futur au motif que des  alliances partielles ne sont pas envisageables. Plus à l’est, le rassemblement de Kornet  Chehwan  croise  le  fer  en  annonçant  une  liste  fermée  au  Metn‐Sud  alors  que  le  CPL  se  propose de garder ouverte sa liste à au moins deux candidats : un grec‐orthodoxe et un  maronite. C’est dans ce cadre que le général Aoun s’allie à des prosyriens comme Talal  Arslan ou Sleiman Frangié qui sont farouchement opposés à l’Intifida de l’Indépendance.   

Qui gagne et grâce à qui ? D’abord le tandem Hariri‐Joumblatt met de côté l’identité du  mouvement  du  Bristol  avec  la  formation  d’une  alliance  électorale  et  politique  avec  le  Hezbollah  et  le  mouvement  Amal,  au  nom  de  la  prise  en  compte  de  l’exception  communautaire  chiite.  En  s’accommodant  d’un  tel  principe,  dont  on  peut  comprendre  les avantages, qu’ils soient d’ordre électoral ou de consensus national, les artisans de cet  arrangement  fissurent  l’opposition.  Le  refus  de  la  confrontation  avec  la  communauté  chiite masque aussi des intérêts électoraux. Le sort de certains députés de l’opposition  dépend directement du vote chiite comme celui de Bahia Hariri et d’autres. Plus crucial  encore, le vote chiite est déterminant pour garder la suprématie de Walid Joumblatt et 

de  ses  alliés  dans  la  montagne  et  plus  précisément  dans  la  circonscription  de  Baabda‐ Aley  face  à  la  liste  parrainée  par  Michel  Aoun.  L’alliance  avec  les  forces  prosyriennes  renforce  donc  la  position  de  la  famille  Hariri,  de  celle  de  Walid  Joumblatt  et  de  leurs  alliés dans la négociation avec le CPL pour la répartition des sièges parlementaires. Ils  peuvent ainsi minorer l’influence du CPL. 

 

Exclu  des  arrangements  électoraux,  Michel  Aoun  est  poussé  à  contracter  des  alliances  contre nature afin d’assurer sa survie parlementaire. Mais les proches de Michel Aoun  commencent,  indépendamment  des  tractations  électorales,  à  se  rapprocher  d’hommes  politiques prosyriens avant et après le 14 mars 2005. Ces derniers facilitent le retour de  Michel Aoun de son exil français et règlent les contentieux judiciaires qui l’opposent à  l’État  libanais.  Par  conséquent,  ces  alliances  constituent  d’emblée  dans  la  stratégie  aouniste  une  alternative  sérieuse  dans  les  négociations,  ce  qui  ne  doit  pas  manquer  d’influencer celles‐ci. 

 

Au‐delà  de  la  manœuvre  politique,  les  discours  des  différentes  parties  viennent  confirmer  outrageusement  leur  manque  de  cohésion  et  de  rigueur,  souvent  à  titre  gratuit.  À  cet  effet,  Walid  Joumblatt  a  une  responsabilité  dans  la  tenue  d’un  discours  volatile.  En  saluant  les  « martyrs  de  1989 »,  il  se  plaît  à  rappeler  aux  Libanais  à  quel  point  il  est  le  support,  dans  un  passé  récent,  de  la  politique  syrienne.  D’un  autre  côté,  dans la foulée de l’amertume née des élections, des opposants du mouvement de Kornet  Chehwan, membres actifs du mouvement du 14 mars, réprimandent avec véhémence le  vote  des  chrétiens  favorables  au  CPL  dans  le  Mont‐Liban.  Un  député  sortant  va  même  jusqu’à  se  demander  pourquoi  les  chrétiens  libanais  soutiennent  les  Forces  libanaises  lorsqu’ils font le samedi noir en 1976 et les sanctionnent dans les urnes quand ils font le  choix de l’entente nationale. Ces propos choquants et inexacts font imploser la confiance  et stigmatisent la haine.    La plupart des partis politiques du mouvement du 14 mars ne se tiennent pas à l’esprit  du 14 mars. L’argent politique, l’achat des voix, l’utilisation des médias, la mobilisation  des  instances  religieuses  dans  le  jeu  électoral  est  une  perpétuation  des  pratiques  anciennes.  Le  CPL  garde  un  discours  national  dépourvu  de  toute  allégation  confessionnelle,  mais  les  priorités  de  ce  mouvement  de  libération  s’inversent  vite. 

L’audit  financier  et  les  réformes  deviennent  plus  importants  que  de  demander  des  comptes  aux  symboles  de  la  politique  syrienne.  Et  notamment  à  leur  figure  emblématique, le président de la République. À l’instar des crimes des guerres, ceux de  l’après‐guerre et de l’occupation syrienne sont très vite amnistiés. 

 

Dans un réflexe de défense, les membres du CPL ont aussi, entre autres, donné un gage  de  respectabilité  aux  agents  syriens.  Les  dirigeants  du  CPL  déclarent  même  qu’il  est  préférable  de  collaborer  avec  des  hommes,  fidèles  dans  la  durée  à  leurs  principes,  à  l’image  de  leurs  alliés,  prosyriens  de  toujours.  Lors  des  élections,  la  hiérarchie  des  principes est inversée par les opposants, en favorisant la maximisation parlementaire au  profit  de  la  cohérence,  de  l’entente  nationale  et  de  la  confiance  pratiquée.  Finalement,  les résultats des élections engendrent une polarisation communautaire et parlementaire  sans  précédent.  Les  chrétiens,  jadis  absents  de  cette  dynamique  parlementaire,  ayant  donné cette fois un mandat quasi‐exclusif de représentation à un parti, en l’occurrence  le CPL. 

 

En janvier 2013, Elie Ferzli qui est à la tête du Rassemblement orthodoxe, une nouvelle  formation politique créée par cet ancien député prosyrien, propose une réforme de la loi  électorale.  Cette  réforme,  plus  connue  sous  le  nom  de  « loi  orthodoxe »,  propose,  inspirée du modèle israélien, l’adoption d'une circonscription unique pour tout le pays,  accompagnée d’un système régi par la proportionnelle. « Les chrétiens et les musulmans  obtiendraient donc un nombre de députés en fonction de leur poids démographique30. » Le  rapport  de  force  démographique  s'inverse  progressivement  au  cours  des  années  en  faveur  des  musulmans  et  en  particulier  des  chiites.  Une  réforme  du  mode  de  scrutin,  mais  aussi  de  la  taille  des  circonscriptions  (grandes  dans  le  sud  du  pays,  petites  à  Beyrouth) a pour conséquence de consacrer l'infériorité numérique des chrétiens, mais  aussi  de  rééquilibrer  le  partage  du  pouvoir  vis‐à‐vis  des  chiites,  parents  pauvres  du