Le début de l’histoire récente du Liban commence grâce à la France qui divise le territoire de l’Empire ottoman, appelé la Grande Syrie, et crée sur une partie de ce territoire un État indépendant en 1920, qui s’appelle l’État libanais. Cette nouvelle entité politique n’est pas du goût de tout le monde car les familles et les clans jusqu’ici unis sont contraints de se séparer sur deux territoires différents. La question de la
reconnaissance des frontières entre les deux nouveaux États commence alors à se poser. Une opposition à ce nouveau découpage se crée par ces mêmes familles : « Jusqu’à la création du Liban, c’était un même peuple, une même culture, une même langue et une même famille1. » Le régime syrien de l’époque n’accepte pas ce découpage et n’admet pas que Beyrouth, jusqu’ici capitale culturelle et commerciale de la Syrie (grâce à son port de commerce), devienne capitale du nouvel État libanais. Le Liban a un triple intérêt pour la Syrie. Tout d’abord, le port de Beyrouth est le principal port de commerce de la région et constitue donc une importante rentrée d’argent. Ensuite, le Liban est considéré comme une porte d’entrée des puissances occidentales dans la région et donc un point d’influence de ces puissances sur les pays aux alentours, y compris la Syrie. Enfin, la Syrie accorde une importance majeure à la question confessionnelle au pays du cèdre. Ce qui explique en partie la raison pour laquelle elle veut conserver le contrôle du Liban.
Les sunnites représentent une grande partie de la population en Syrie et une partie importante au Liban. Le pouvoir syrien est détenu, depuis 1970 à l’arrivée de Hafez el‐ Assad au pouvoir, par la communauté alaouite qui est minoritaire en Syrie. Elle met la main sur l’ensemble de l’État syrien et domine ainsi la communauté sunnite, majoritaire en Syrie. Il y a donc une crainte permanente que le pouvoir syrien, qui est aux mains des alaouites, branche du chiisme, ne soit renversé par la communauté sunnite. Une union des sunnites des deux pays n’est donc pas souhaitable par le régime alaouite syrien représenté par Bachar el‐Assad. La faiblesse de l’État ainsi que les tentatives syriennes pour le contrôler rendent difficile l’apparition de l’espace publique au Liban.
L’indépendance du Liban en 1943
Lors de l’Indépendance en 1943, les dirigeants libanais concluent un accord oral, le « Pacte national », selon lequel le pays n’accepte ni l’alliance avec l’Occident souhaitée par les chrétiens ni le projet d’unité arabe voulu par les musulmans. Ils espèrent ainsi apaiser les tensions historiques entre la communauté auxquels la France donne satisfaction en 1920 en créant le Grand Liban et la communauté musulmane attachés à leur appartenance arabe. Le Liban connaît dans les années 1950‐1975 une prospérité exceptionnelle grâce à son économie en grande partie tertiaire où les banques, le commerce, le tourisme et les services fournissent près de 70 % du PIB1. Cette prospérité
économique ne met pas le pays à l’abri des conflits de la région y compris le plus important, le conflit israélo‐palestinien. Ce dernier se transforme un peu plus tard en conflit israélo‐arabe. Il accueille plus de 100 000 réfugiés palestiniens lors de la guerre de 1948‐1949 et devient, à partir du septembre noir en 1970, le principal terrain de bataille de la lutte entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Israël.
Le Liban accède à l’indépendance avant la Syrie
Le Liban accède à l’indépendance avant la Syrie. Mais cette dernière ne reconnaît formellement son indépendance que lors de l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays en 2009 et pour cause. « La Syrie, qui considère le Liban comme son “Alsace‐Lorraine”, ne se résigne pas à la scission de 1920. Pour cette raison, elle se refuse à ouvrir une ambassade à Beyrouth et considère son port comme le sien.2 » Cela est dû à des
« raisons historiques, liées notamment au fait que Haïfa ne peut plus jouer ce rôle après 1948 et que le port de Beyrouth est plus proche de Damas que les ports syriens. Aujourd’hui, aller de l’une à l’autre de ces villes, c’est changer de monde. Jadis, avant les événements, les familles bourgeoises des deux villes s’invitaient à dîner. Les jeunes gens se fréquentaient. Les mariages n’étaient pas rares. On oublie trop que Beyrouth est le port de Damas, que les deux villes ne sont qu’à deux heures l’une de l’autre. Mais, dans le prolongement de l’ancienne route qui les réunit, la rue de Damas porte encore les cicatrices de la ligne de démarcation entre l’Est et l’Ouest, avant de déboucher sur l’espace de la place des Martyrs, juste avant le port, là où la ville tremble encore. 3 » Une idée bien ancrée, tout autant dans la classe dirigeante que sur le plan populaire en Syrie, estime que le Liban est une « entité artificielle » fabriquée de toutes pièces par les Accords de Sykes‐Picot4.
2 TAOUTEL Christian, Le Liban entre les 2 retraits, Israélien et Syrien 2000‐2005 : restructurations et recompositions sociétales de deux "indépendances nationales". Histoire. Université Michel de Montaigne ‐
Bordeaux III, 2012. Français. <NNT : 2012BOR30052>.<tel‐00824231>.
3 BEAUCHARD Jacques, « Paroles de ville: Damas/Beyrouth », publié le 15 novembre 2010, paru dans le
hors‐série de L’Orient‐Le Jour.
4 Négociés en 1915 par Mark Sykes et Georges Picot, les accords qui portent leurs noms font l’objet d’un
échange de lettres entre l’ambassadeur de France à Londres, Paul Cambon, et le ministre britannique des Affaires étrangères, sir Edward Grey. Après plusieurs propositions, un accord franco‐britannique est trouvé. L’accord du 16 mai 1916 divise la Syrie et la Mésopotamie en cinq zones : une zone bleue (Syrie littorale et Cilicie) sur laquelle la France peut mettre en place un régime d’administration directe ou un protectorat ; une zone rouge (Basse Mésopotamie) où la Grande‐Bretagne a les mêmes possibilités ; une
L’unique voisin syrien du Liban
Avec Israël au sud et la mer à l’ouest, la frontière syrienne est la seule que le Liban possède avec un pays arabe. Les divergences sur le plan économique, politique et social ne font qu’accentuer celles entre les deux pays. En effet, les chrétiens au Liban adoptent un mode de vie et une culture tournés vers l’Occident. Alors que le régime syrien adopte des positions nationalistes arabisantes. Ce dernier accuse le Liban, alors majoritairement dominé par les chrétiens, d’entente secrète avec l’Occident visant à tromper son voisin syrien. Cet état de fait crée une grande méfiance entre les chrétiens libanais et la Syrie et rien n’est fait pour réduire cette méfiance. C’est l’inverse qui se passe. En 1958, des tensions confessionnelles et politiques internes sont à l’origine de la crise au Liban. L’armée américaine intervient dans le pays pour résoudre le conflit. La France et le Royaume‐Uni attaquent l’Égypte et prennent part à la crise de Suez en 1956. Le président de la République, Camille Chamoun, veut garder des relations diplomatiques avec ces deux pays. Il est alors considéré comme pro‐occidental. Les maronites refusent la fusion entre le gouvernement libanais et la République arabe unie souhaitée par les musulmans. S’ensuivent alors des tensions entre les deux communautés, accompagnées de grandes manifestations dans les rues. Ces manifestations sont précédées par des assassinats et des attentats. Il faut noter que les armes utilisées par les musulmans proviennent de Syrie. Pour rétablir la situation au Liban, Camille Chamoun fait appel à l’armée américaine. L’opération Blue Bat est lancée. 14 000 soldats américains débarquent à Beyrouth pour sécuriser les endroits stratégiques comme le port et l’aéroport. Cette force américaine donne la victoire aux forces Kataëb, proches du président Camille Chamoun, contre les insurgés. Les soldats américains quittent le Liban le 28 octobre 1958. Les États‐Unis font pression, par l’intermédiaire de leur représentant Robert D. Murphy, sur le président Chamoun pour qu’il ne se représente pas pour un nouveau mandat. C’est chose faite car c’est le général Fouad Chehab qui est élu président de la République, mais l’insurrection impose Rachid Karamé, chef de l’insurrection, comme Premier ministre. Les armes utilisées par les Palestiniens à la fin des années 1960 proviennent aussi de Syrie. En 1973, la Syrie fait
zone brune (Palestine) réservée à la France et à la Grande‐Bretagne ; une zone A (Syrie intérieure) où la France aura une zone d’influence sur le royaume arabe de Hussein ; une zone B (Mésopotamie moyenne) où la Grande‐Bretagne aura une zone d’influence sur le royaume arabe. (Source : http://www.lesclesdumoyenorient.com/Accords‐Sykes‐Picot.html)
traverser la frontière à ses troupes et ferme ses frontières avec le Liban après les affrontements entre l’armée libanaise et les combattants palestiniens.
La position des musulmans libanais à l’égard de la Syrie
En 1936, les musulmans participent au Congrès du Sahel et demandent l’unification de la Syrie et du Liban. Plus tard, c’est grâce au nationalisme de Riad el‐Solh5 qu’une partie
des musulmans libanais accepte l’idée d’un Liban indépendant. « Je travaille pour un Liban arabe qui unit tous les Libanais chrétiens et musulmans. Je ne trahis pas ainsi l'arabité mais, au contraire, je prends le chemin qui mène dans la réalité, le moment venu, à une unité arabe à laquelle tous consentiraient spontanément. C'est en consolidant l'indépendance d'un Liban uni et arabe que nous nous plaçons sur le chemin de l'unité avec les autres États arabes indépendants. Que les autres Arabes s'unissent d'abord, ce n'est pas le Liban qui leur fera obstacle.6 » Durant les années qui suivent l’indépendance, les musulmans s’accommodent à l’idée d’Indépendance, mais ne cessent de réclamer une politique de coordination et de rapprochement avec les autres pays arabes. Or, l’unique route vers le monde arabe est la Syrie, qui se présente comme « le cœur battant de la nation arabe » dans les années 1950. À partir de ce moment là et grâce à sa relation avec la communauté musulmane, la Syrie à une porte d’entrée dans les affaires internes de son voisin. En 1958, le mouvement de nationalisme arabe prend de l’ampleur, C’est le président égyptien Gamal Abdel Nasser qui en est l’instigateur7. Ce mouvement et la
constitution de la République arabe unie qui regroupe la Syrie et l’Égypte affectent la
5 Riad el‐Solh est né en 1894 à Saïda. Il est mort assassiné le 17 juillet 1951 à Amman en Jordanie dans des
circonstances obscures. Il a été le premier président du Conseil des ministres libanais de 1943 à 1945 après l'indépendance de ce pays, puis de nouveau de 1946 à 1951. Officiellement, l'assassinat serait le fait du Parti social nationaliste syrien (PSNS) à la suite de l'exécution du fondateur du PSNS Antoun Saadé par les autorités libanaises le 7 juillet 1949. Cependant, selon le journaliste Patrick Seale, l’implication israélienne ne peut être écartée, d’autant plus qu'Israël avait prémédité de le tuer, complot révélé dans le livre de Yosef Argaman publié en 2007 par le ministère de la Défense d’Israël. (Source : www.fr.wikipedia.org)
6 LACOUTURE Jean, TUENI Ghassan, KHOURY Gérard, Un siècle pour rien ‐ Le Moyen‐Orient arabe de l'Empire ottoman à l'Empire américain, Albin Michel, 2003.
7 Gamal Abdel Nasser Hussein, né le 15 janvier 1918 à Alexandrie et mort le 28 septembre 1970 au Caire,
est un homme d'État égyptien. Il fut le second président de l'Égypte de 1956 jusqu’à sa mort. Après une carrière militaire, il organisa en 1952 le renversement de la monarchie et accéda au pouvoir. À la tête de l'Égypte, il mena une politique socialiste et panarabe appelée nassérisme. (Source : www.fr.wikipedia.org)
stabilité du Liban. Les musulmans réclament l’adhésion du Liban à cette République naissante. La crise de 1958 en est la conséquence.
Un État faible aux compétences limitées
La vulnérabilité de l’État libanais n’est pas récente. Les hommes politiques libanais veulent garder le Liban à l’écart des conflits de la région, ce qu’ils ne réussissent pas à faire pendant la première guerre israélo‐palestinienne de 1948. Ils favorisent une armée peu nombreuse et limitée à des missions d’ordre public. Mais ce choix dont ils prétendent faire un atout met le pays dans une situation difficile. En effet, les débordements liés à la République arabe unie regroupant l’Égypte et la Syrie entraînent un débarquement américain en 1958. À la fin des années 1960, les combattants palestiniens transportent la guerre contre Israël au Liban et les représailles d’Israël précipitent l’éclatement des guerres civiles dans le pays. L’État perd alors une partie de sa souveraineté. L’armée syrienne fait son entrée au Liban en 1978, Israël occupe le Sud‐ Liban en 1982.
Le problème de la résistance palestinienne
En 1967, les musulmans n’admettent pas que le Liban ne prenne pas part à la guerre contre Israël. À partir de 1968, la résistance palestinienne qui entame une résistance militaire contre Israël à partir du Liban implique le pays dans un conflit régional. Sur ce point, les chrétiens et les musulmans sont en désaccord. Les chrétiens mettent en avant la souveraineté du pays alors que les musulmans ne sont pas contre la volonté des Palestiniens de résister depuis le pays du cèdre contre Israël. Ce désaccord est l’un des principaux détonateurs des guerres civiles qui sévissent au Liban entre 1975 et 1990. Il est important de souligner que le président syrien Hafez el‐Assad8 annonce, dans un
discours public en 19769, avoir accordé une aide militaire massive de la Syrie aux
Palestiniens en 1975. Pour les Palestiniens, la Syrie devient un allié majeur dans leur 8 Hafez el‐Assad (6 octobre 1930‐10 juin 2000) est un homme politique syrien. Après son accession au pouvoir à la suite d'un coup d'État en 1970, il sera président de la République jusqu'à sa mort en 2000. Son fils, Bachar, lui a succédé. Son régime fortement autoritaire, structuré autour du parti unique du Baas, a mis en place un contrôle de l'ensemble de la vie politique syrienne. Il a conféré une stabilité à un pouvoir politique syrien marqué jusque‐là par des coups d'État et a fait de la Syrie un acteur incontournable du Moyen‐Orient. (Source : www.fr.wikipedia.org) 9 An‐Nahar, 21 juillet 1976.
lutte contre Israël. Les Libanais, même musulmans, qui sont opposés à cette alliance sont écartés. C’est le cas du leader sunnite Saëb Salam10.