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La littérature apocryphe

1.2.1 « Bouddhisme » et « animisme »

2.1.4 La littérature apocryphe

Les récits dérivés ou inspirés du Petavatthu ne sont pas les seuls dans la littérature

lao à évoquer l’offrande ou la dédicace de mérites aux parents défunts. Les compositions les plus anciennes des bouddhistes tai font déjà valoir l’importance de cette notion. C’est le cas

par exemple de l’Uṇhassavijaya, texte d’origine sanskrite (sk. Uṣṇīṣavijayagathā)253, très

populaire en péninsule Indochinoise occidentale (Laos, Thaïlande, Cambodge) et qui est

connu des Lao depuis au moins le XVIIe siècle254. Ce récit narre les inquiétudes d’un devaputta

qui prend conscience d’arriver au terme de son existence divine, fruit de ses bonnes actions antérieures, et qu’il devra bientôt payer ses actes moins vertueux par un séjour prolongé

dans l’enfer Avīci (Finot 1917:74-75)255. Le devaputta demande conseil au Buddha qui lui

recommande de réciter l’Uṇhassavijaya-gathā dont le pouvoir permet « de faire échec à la loi

du kamma et d’assurer à quiconque le récite le bénéfice de la longévité » (id.). Le Maître

poursuit en déclarant que les mérites accomplis par les actes et la pensée peuvent parvenir aux membres de la parentèle défunte, ce qui leur permet d’échapper à la souffrance et de jouir de la félicité (in: Wells 1960[1940]:208).

La dédicace de mérites apparaît aussi dans les écrits pseudo-historiques que les

Tai-Lao appellent Tāṃnān et qui abondent dans les bibliothèques régionales. La Cāmadevīvaṃsā,

chronique pāli composée au Lanna vers le début du XVe siècle (Cœdès 1915:44), y fait

253 Dans le bouddhisme chinois, népalais et tibétain, Uṣniṣavijayā est une divinité émanant du bodhisattva Vairocana. Elle apporte longévité et sa dévotion procure des mérites, permettant de s’assurer une meilleure réincarnation. Le texte éponyme fut traduit du sanskrit en chinois par Yi-tsing (Finot 1917:74). Le passage en pāli du titre sanskrit a, chez les Lao, abouti à une confusion de sens. Le sanskrit uṣniṣavijayā est un terme composé qui signifie en effet « victoire du sinciput », en référence à la protubérance cranienne des Buddha dans l’iconographie. Une traduction exacte en pāli aurait dû donner uṇhīsavijaya. Uṇhassavijaya, en revanche, veut dire « victoire de (ou sur) la chaleur (uṇha, ici au génitif) ». On note que ce sens correspond tout à fait à l’utilisation locale du gāthā, récité par les médicastres lao pour vaincre la fièvre (cf. Pottier 2007:380).

254 La bibliothèque de Văt Mahā Dhāt à Yasothon (Nord-Est de la Thaïlande), qui abrite un grand nombre de manuscrits rapportés de Vientiane après le sac des Siamois en 1828, contient un Uṇhassavijăy datée de la fin du XVIIe siècle A.D. On mentionnera une autre copie datée de 1070 C.S. (1708 A.D.) conservée à Pāk Lai (province de Sayaburi, Laos) au monastère Bōdarām (code PLMP : 08031509012_10).

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allusion à plusieurs reprises256. La mention de l’uddissa dans d’autres de ces chroniques laisse

par ailleurs entendre que cette pratique remonte aux époques les plus reculées des principautés lao. L’Histoire du Royaume de Sikhot relate ainsi la fondation d’une principauté (mịịaṅ) à l’emplacement de l’actuelle ville de Takkhèk (centre-Laos) et l’installation de cinquante-huit pagodes dans lesquelles « des fidèles hommes et femmes, petits et grands, qui présentaient des mets aux bonzes, transmettaient les mérites aux défunts » (in:

Archaimbault 1980:75-76)257.

La littérature édifiante, en exaltant les vertus bouddhiques par l’exemple des saints

(p. thera), offre d’autres exemples de la dédicace de mérite. Le Māleyyadevatheravatthu,

rédigé en pāli au Lanna à la fin du XVe siècle (Saddhātissa 1974:215) et qui a circulé au Laos

sous le titre de Pāli Mālai, encourage la pratique de l’uddissa pour venir en aide aux êtres de

l’enfer :

So pana thero punappuṇaṃ niriye paccamānānaṃ nārakānaṃ pavutti[m] āharitvā tesaṃ ñātakānaṃ kathet[v]ā dānādīni puññāni kārāpetvā tesaṃ uddissauddissauddissauddissa puññānumodanena laddhapuñña[pha]lena devalokaṃ nibbattanakaṃ karonto tatth’eva vihāsi258.

Ainsi le thera [Māleyya] rapportait régulièrement des nouvelles des êtres résidants aux enfers, en faisait part à leurs parentèles et les enjoignait d’effectuer des actes méritoires au moyen de dons. La dédicace (uddissa) ferait renaître [les

256 Le texte énumère par exemple les actes méritoires accomplis par le fils de la reine Cāmadevī lors des funérailles de cette dernière : la présentation d’offrandes, l’observance des préceptes, la construction de reliquaires et la dédicace de mérites aux membres de la parentèle (Veidlinger 2006:22).

257 Si l’uddissa est en général accompli au bénéfice des défunts, il arrive qu’il soit dirigé vers d’autres entités supramondaines, telles que le Buddha ou Indra, ou même les nāga, comme c’est le cas dans l’Uraṅga-dhātu, autre chronique lao (ibid.:17).

258 Ce Pāli-Mālai de Luang Prabang présente peu de différences avec le Braḥ Māleyyadevattheravatthuṃ du Lanna étudié par Steven Collins (1993:65-96), également rédigé en « pāli indochinois », c.a.d. un pāli qui fait un usage peu scrupuleux des règles grammaticales et syntaxiques de la langue classique. Parmi les variantes entre les deux versions, on note par exemple devalokaṃ nibbattanakaṃ dans le texte lao au lieu de devalokaparāyane dans la recension yuon – ce qui n’en change guère le sens.

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êtres infernaux] dans le monde divin au moyen des mérites acquis et de la réjouissance dans les mérites (puññānumodanena)259.

Pāli Mālai, manuscrit du Văt Hmae1 Suvănnabhūmārām, Luang Prabang, 1 fascicule (dans une liasse), 14 ôles, langue pāli, écriture tham sur 4 lignes, daté 1221 C.S. (1859 A.D.), code PLMP : 06011404017_02

Ce personnage du thera Māleyya (ou Braḥ Mālai) pourrait avoir pris naissance dans la littérature singhalaise tardive mais c’est en Asie du Sud-Est qu’il a obtenu le plus de ferveur de la part des fidèles bouddhistes. Outre la Thaïlande et le Laos, ses exploits sont connus au

au Cambodge ainsi qu’en Birmanie où il apparaît dès le XIIIe siècle sous le nom de Malañ puis

de Shin Mālai. Le thera a inspiré aux Tai-Lao une vaste littérature vernaculaire260 – dont il est

difficile de dire si elle précède la recension pāli – qui rejoint, par son idéologie, la tradition littéraire développée à partir du Petavatthu. Il y est très souvent question des âmes tombées

en enfer, généralement représentées comme des preta, qui chargent le saint de

recommander à leurs descendants la pratique des bonnes œuvres qu’ils devront leur « dédier » (udis). Revenu sur terre, Braḥ Mālai exhorte les fidèles laïcs à accomplir des actes méritoires pour eux-mêmes et pour leur parentèle défunte. Plusieurs titres se sont développés sur ce thème, qui peuvent présenter des variantes narratives mais qui conservent une thématique semblable. On citera parmi eux le Mālai sauve les êtres [des enfers] (Mālai phōt săt), Le Mālai commenté (Ṭīka-Mālai) ou encore Le prêche du Saint Mālai (Debba-Mālai desnā). Dans la pratique, Braḥ Mālai est très souvent invoqué dans les cérémonies visant à libérer les ancêtres de leur mauvais kamma. Détail significatif, les drapeaux et les bannières que les Lao installent au cours des rites funéraires et post-funéraires, auxquels les défunts doivent se « hisser » et s’extirper des mondes infernaux (infra 2.2.4.1), sont justement désignés par l’expression duṅ Mālai, c’est-à-dire « les bannières de [Braḥ] Mālai ».

259 Notre traduction diffère sensiblement de celle de Steven Collins dans la mesure où l’uddissa a ici, selon nous, pour fonction non de profiter aux donateurs – une renaissance dans le monde divin (devaloke) – mais aux trépassés (tesaṃ, en effet, renvoyant probablement à ñātakānaṃ).

260 Louis Finot fut le premier à évoquer le personnage dans son étude sur la littérature lao (Finot 1917:64-66). Par la suite, Eugène Denis a consacré une thèse sur une version thaïe et une version pāli de Braḥ Mālai, cette dernière ayant fait l’objet d’une réédition critique par Steven Collins (voir note 258). Enfin, Bonnie Brereton a consacré un ouvrage aux récits vernaculaires siamois du Braḥ Mālai (Brereton 1995).

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Braḥ Mālai, sauveur des enfers

(Fresque du Văt Bān Yāng, Mahā Sarakham, Nord-Est de la Thaïlande)

Les Lao font aussi de Mahā-Moggallāna (l. Moggalā), l’un des plus fameux disciples du Buddha, un « sauveur des êtres de l’enfer », en invoquant les pouvoirs du thera (tels qu’ils sont décrits dans les textes canoniques) de voyager dans les différentes sphères d’existence. Un certain nombre d’écrits apocryphes, analogues aux récits de Braḥ Mālai, mettent en

scène le saint en visite aux enfers. Là encore, les preta plongés dans la souffrance lui

demandent de retourner sur terre et d’exhorter leurs descendants à accomplir des

offrandes pour leur salut. Revenu au Jambudīpa, le thera se rend auprès du Buddha pour lui

relater son périple, ce qui donne l’occasion au Maître d’exposer une nouvelle fois la Loi de rétribution des actes et de justifier ainsi la mauvaise renaissance des créatures infernales. Le Buddha (ou Moggalā selon les textes) enjoint en conséquence les fidèles à produire des mérites pour le compte de leur parentèle défunte, ce qui augmentera leur chance de renaître dans les étages célestes (jăn22) :

[3A] {2} (…)           {3}   [?]         (…) [3B] {1}              {2}        

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 {3}        

   

Bhante, vénérable ! Nous prions l’éminent Mahā-Moggallāna qui vient du monde des humains. Nous sommes le père, la mère, le parent de ceux qui vivent encore [dans le monde des Hommes]. (…) Tvaṃ Ô, toi, retourne leur dire à tous, à toute notre descendance, que leurs parents et ancêtres sont aux enfers ! Qu’ils accomplissent toute sorte de mérites, toute sorte d’offrandes et qu’ils nous les dédient (uddissa) !

Mahā-Moggallāna voyage aux enfers (Mahā Moggalāna pai dū nārŏk), manuscrit de la Bibliothèque royale, Luang Prabang, 1 fascicule, 10 ôles, pāli & lao, écriture tham sur 4 lignes, non daté, code PLMP : 06 01 85 11 088 00

Parmi les récits lao de cette veine, on peut citer Le sūtra de Mahā-Moggallāna

(Mahā-Moggallāna-sūḍ), Moggallāna voyage aux enfers (Moggalā pai narŏk), Le Vénérable Moggallāna va

secourir les êtres de l’enfer (Mahā-Moggalā thera cao2 pai phōt săt narŏk), Moggallāna interroge les

preta (Moggalā thām phēt), Moggalāna s’égare dans le monde (Moggallā hlŏṅ dīp), etc. Ces titres trouvent souvent leur jumeau dans la littérature consacrée Braḥ Mālai, avec un contenu presque identique (Mālai voyage aux enfers, Mālai questionne les preta, Mālai sauve les êtres,

etc261). L’inspiration de ces textes n’est pas à rechercher dans le corpus canonique pāli où

Mahā-Moggallāna, bien qu’on lui reconnaisse le pouvoir de voyager dans les différentes sphères d’existence, n’est jamais représenté dans les enfers. C’est par contre le cas dans la littérature apocryphe chinoise, avec les aventures de Mùlián, avatar du

Mahā-Maudgalyāyana des textes sanskrits262.

261 Ce n’est le cas que pour les récits où Mahā-Moggallāna se rend aux enfers. D’autre textes mettant en scène le thera, tels Le nibbāna de Moggallāna (Moggallānibbāna) et le Moggallāna convertit le nāgā (Moggalā sạ̄n nāg), sont adaptés de textes canoniques et n’ont pas leur contrepartie dans la littérature relative à Braḥ Mālai. Inversement, les Mālai sḕn et Mālai mịịn, inspirés des Ānāgatavaṃsa pāli (voir ci-dessous), n’ont pas d’équivalent dans le corpus des textes vernaculaires portant sur Mahā-Moggallāna.

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Certains textes présentent Braḥ Mālai comme étant le successeur de Mahā- Moggalāna, celui-ci ne pouvant plus être d’aucun secours aux vivants depuis qu’il a atteint le nibbāna263 :

Braḥ Mālai est célèbre par toute la terre, comme Moggallāna est célèbre dans les Trois Mondes. Moggallāna est déjà entré au Nirvāna et il a disparu. Reste Braḥ Mālai qui a pris sa place.

Lokapaññati (in: Denis 1963, II:110)

Ce préambule suggère une antériorité de la littérature relative à Moggalā sur celle de Braḥ Mālai (Finot 1917:65 ; Gifford 2003:75). Ceci n’est cependant pas certain puisque les

copies manuscrites lao relatant les descentes aux enfers de Mālai sont plus anciennes (XVIIes)

que celles qui concernent Moggalā (XIXes.)264. Par ailleurs, comme cela a été mentionné, des

recensions pāli des aventures de Braḥ Mālai (le Māleyyadevatheravatthu) circulent depuis le

XVe siècle, qui n’ont pas leur équivalent dans la littérature consacrée à Mahā-Moggallāna.

C’est aussi le cas des récits qui relatent l’ascension de Braḥ Mālai au ciel des « trente-trois

[divinités] » (p. Tāvatiṃsa) pour rendre hommage au reliquaire Cūḷāmaṇi265, dont le Mālai sḕn

(« Mālai [et la suite] des 100.000 [divinités]») et le Mālai mịịn (« Mālai [et la suite] des

10.000 [divinités] ») sont les titres les plus représentatifs au Laos. Le Mālai sḕn et le Mālai mịịn

n’abordent pas la question des ancêtres ni celle de la dédicace de mérites266. Les exploits de

Mālai y sont plutôt prétextes à encourager la pratique de l’aumône et l’accomplissement d’actes méritoires pour renaître dans le monde céleste ou sur Terre au temps de la venue

d’Ariya Metteyya, le Buddha des temps futurs. Le thera y converse avec des devaputta

accompagnés de suites de deva (auxquelles les deux titres renvoient), ainsi qu’avec Ariya

Metteyya qui dépeint le décor apocalyptique dans lequel l’humanité assistera à la

263 Quoique cette idée soit contradictoire avec la fin du Braḥ Mālai, où il est dit que ce dernier, également, a atteint le nibbāna (cf. Denis 1963,II:247).

264 Il existe notamment une copie du Mālai sauve les êtres (Nīssai Mālai phōḍ săt) datée de 2232 E.B. (1689 A.D.) (Manuscrit du Văt Khokva Khun Visēt, Luang Prabang, 1 fascicule, 21 ôles, écriture tham sur 4 lignes, code PLMP : 0601511100108).

265 Celui-ci contient, selon la légende, les reliques du Buddha Gotama. 266 Au mieux est-elle évoquée de façon sommaire au début du récit.

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disparition progressive de la religion bouddhique jusqu’à ce que lui-même ne vienne la diffuser de nouveau. Ces textes reprennent en partie les thématiques abordées dans les Chroniques des temps futurs (p. Anāgatavaṃsā), elles-mêmes inspirées du Cakkavatti-sīhanāda du Dīgha-nikāya267.

Dans un autre registre, Le Sutta de Gavampati prescrit un certain nombre d’actions

pieuses que le fidèle doit entreprendre à la mort de son père ou de sa mère : participer à la construction d’un temple, planter un arbre de l’éveil (bodhirukkha) ou encore faire ériger un reliquaire, autant d’actes méritoires qui pourront être « dédiés » aux parents défunts :

[28A]{1} (…)   

   {2}   

    

  {3}  

  

Sabbakusalakammaṃ gahetvā nous considérons tous nos actes méritoires, phalaṃ denti tesaṃ mātāpitūnaṃ et en dédions les fruits à nos père et à nos mère. Puttā les enfants sace katvā qui accomplissent sabbakusalakammaṃ leurs actes méritoires udissa pour les dédier à leurs parents, evaṃ mātāpitunaṃ dhammarakkhaṃ nāma on dit de ceux-là qu’ils ont pris soin convenablement de leur père et de leur mère.

Le Sutta de Gavampati (Gavămpati-sutta), manuscrit de la bibliothèque nationale, 1 fascicule, 50 ôles, écriture tham sur 4 lignes, daté 1059 c.s. (1697 A.D.), code PLMP : 01012902011_05268

267 le Mālai sḕn et le Mālai mịịn présentent des similitudes avec d’autres textes tardifs comme le Maleyyasutta, qui aurait été composé en pāli à Ceylan en 1153 puis introduit en Asie du Sud-Est par un bonze de Birmanie (Brereton 1995:38).

268 Le Gavampati-sutta a fait l’objet d’une édition et d’une traduction en français par François Lagirarde (2001), qui nous a permis d’identifier ce passage. C’est cependant un autre manuscrit, plus ancien (daté 1059 C.S. = 1697 A.D.) que celui utilisé par M. Lagirarde (2459 E.B. = 1905 A.D.), qui est cité ici afin de remonter davantage dans le temps la pratique qui nous intéresse.

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Il est encore possible d’évoquer Le don d’un fils à sa mère défunte (Mḕ1 tāy lūk dān hā)

récit édifiant relatant les mésaventures d’une mère de famille qui, après une vie ponctuée

de mauvaises actions (kămm), se réincarne en peta (peta-nibbatti)269. Voyant sa mère souffrir

de faim et de soif, son fils fait des offrandes au Buddha dans l’espoir que les mérites lui parviennent et l’aident à sortir de sa condition misérable :

[4B] {3}     {4} 

        {4}      [5A] {1} 

Bhante ! Moi, serviteur du Buddha ! Idaṃ phalaṃ dānaṃ, puisse cette offrande produire des fruits et des avantages (phalānisaṃsa) en grand nombre ! Puissent-t-ils atteindre ma mère [défunte]. En effet, ma mère a repris naissance en enfer, sous la forme de peta270. Puisse-t-elle être sortir de cette condition par le pouvoir des mérites que j’ai accomplis, que sont l’offrande ici présentée, l’observation des préceptes et la méditation sur la compassion.

Le don d’un fils à sa mère défunte (Mḕ1 tāy lūk dān hā), manuscrit de la Bibliothèque nationale, Vientiane, 1 fascicule, 4 ôles, pāli & lao, écriture tham sur 4 lignes, daté 1221 C.S. (1859 A.D.), ancien code BNL : 01-01-29-1358

À la fin du récit, la mère quitte immédiatement les enfers pour renaître dans un

« palais céleste » (p. vimāna) sous la forme d’une devaputta271.

269 L’offrande filiale pour le père défunt (Lūk jāy dān hā bạ̄1) constitue l’équivalent de ce texte, où le bénéficiaire est cette fois le père du donateur.

270 Rappelons que les Lao assimilent le monde des peta et celui des enfers, et ce contrairement aux sources canoniques, (supra 1.2.5).

271 La renaissance au vimāna est un leitmotiv du Petavatthu et du Vimānavatthu, même si le texte n’a plus grand-chose à voir avec ces collections.

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Ces exemples confirment ce qui a été suggéré précédemment (supra 1.2.6), à savoir que les Lao envisagent les mérites moins comme étant la conséquence naturelle et individuelle d’un acte positif que comme l’objet possible d’une offrande pouvant être adressée aux ascendants défunts, de la même façon que des oblations sont présentées aux « génies » (phī) lors des cultes qui leurs sont rendus. Cette conception est encore plus manifeste dans certains manuels d’application rituelle ou d’instruction religieuse qui, en faisant coïncider des notions « animistes » avec des concepts bouddhiques, évoquent la dédicace de mérites (uddissa) adressée indifféremment aux preta ou aux phī :

[10B]{1}(…)   {2}      {3}     {4}     [11A]{1}     {2}      {3}     {4}       [11B]{1}   

Vous, les commanditaires (mullasaddhā), vous les fidèles, lorsque vous accomplissez des mérites, vous devez procéder à l’offrande de cette manière : tous vos dons, ne les gardez point cachés ! Il vaut mieux les amasser et les rassembler ici-même [dans le monastère]. Il faut accumuler les offrandes en masse, cela est excellent ! Une fois cela accompli, ô, bienfaiteurs, ô fidèles, il reste à procéder à la dédicace (uddissa) d’une part[des mérites] au bénéfice de toute votre parentèle (ñātikā) défunte et de votre lignée (bŏṅ vŏṅsā), de tous ceux qui s’en sont allés dans l’autre monde (paralōka). Faire des offrandes par-delà la mort, c’est possible, avec un esprit résolu ! Pour ceux qui sont tombés dans les quatre conditions néfastes (apāya), pour ceux qui ont pris naissance dans le corps d’un preta ou d’un génie (phī), qu’ils souffrent ou qu’ils soient malfaisants, qu’ils vivent dans un lieu proche ou lointain, peu importe ! Nous demandons que ces actes méritoires (kusalā puñ) les emmènent, les transportent jusqu’en des lieux agréables. S’ils sont déjà dans un lieu propice, que leur condition s’améliore

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jusqu’à atteindre la béatitude céleste (dibba-sampatti), qu’elle soit encore cent fois, mille fois meilleure !

Libation d’eau et habillement [du moine] (Ẏāt nāṃ2 lḕ gạ̄ṅ phā2), manuscrit du Văt Hmae1 Suvănnabhūmārām, Luang Prabang, 2 fascicules, 72 ôles, pāli & lao, écriture tham sur 4 lignes, non daté, code PLMP : 06011409011_06

Il faut enfin mentionner un genre littéraire très populaire dans toute la péninsule

Indochinoise occidentale : celui des Ānisŏṅ (p. ānisaṃsa, litt. « avantage »), que les Lao

appellent plus souvent Slạ̄ṅ (< kh. chlaṅ, litt. « célébration » ou « consécration »). Le terme

pāli ānisaṃsa désigne les résultats, en termes de mérites, des actes pieux. Il est employé par les Tai bouddhisés et par les Khmers dans leurs imprécations orales ou lapidaires, notamment lorsqu’il est question de faire bénéficier du « fruit et des avantages » (phalānisaṃsa) aux parents défunts. Ces textes de prédication, souvent relativement courts, exposent la récompense que peut espérer retirer le fidèle, en terme de rétribution de

mérites, d’une pratique religieuse telle que l’écoute du dhamma (Ānisŏṅ dhămm),

l’installation d’un reliquaire (Ānisŏṅ cēḍīy), la copie d’un manuscrit (Ānisŏṅ hnăṅ sịị),

l’organisation d’une cérémonie particulière (Ānisŏṅ paṃsukūl, Ānisŏṅ kaṭhin, etc.) ou encore la construction d’un édifice religieux (Slạ̄ṅ sālā, Ānisŏṅ braḥ buddha simā, Ānisŏṅ hạ̄ṅ nāṃ2,

etc.)272. Parmi les nombreux titres répandus dans les bibliothèques monastiques lao, un

certain nombre évoquent l’envoi de mérites à la parentèle défunte, ce qui permet d’avoir une idée des circonstances dans lesquelles les bouddhistes lao ont recours à l’uddissa. Voici quelques titres donnés en exemple :

272 Les copies les plus anciennes et les inscriptions indiquent que le genre des Ānisaṅs était populaire dès le XVIIe siècle en milieu bouddhiste tai-lao. Un Avantage de l’ordination mineure (Ānisaṅs pwaj) daté 1028 C.S. (= 1666 A.D.) figure au catalogue de la bibliothèque du Văt Hāṅ2 Chāt à Lampang (n° 03 06 004 05). Le corpus épigraphique khmer atteste par ailleurs de l’existence de ce texte au Cambodge (kh. Ānisaṅs phnuos) depuis le XVIIIe s (cf. IMA 39, 1669 śaka = 1747 A.D.). Voir aussi IMA 37 (1700 A.D.).

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- Célébration des funérailles (Slạ̄ṅ sŏb)

- Célébration de la crémation (Slạ̄ṅ jhāpana-kicca sŏb)

- Célébration des sept jours [après les funérailles] (Slạ̄ṅ cĕṫ văn)

- Célébration des cinquante jours [après les funérailles] (Slạ̄ṅ hā2 sip văn)

- Célébration des cent jours [après les funérailles] (Slạ̄ṅ lạ̄y2 văn)

- Célébration du reliquaire (Slạ̄ṅ braḥ cēḍīy)

- Célébration des bannières de sable (Slạ̄ṅ duṅ jāy)

- L’avantage du don de mérites en faveur des défunts (Ānisŏṅ pun dī1 dai2 dān pai hā phū2 tāy)

- Célébration du [Rite du] linceul (Slạ̄ṅ păṅsukūl)

- Célébration des funérailles d’un novice (Sŏp braḥ sŏṅ sāmanēr)

- Célébration des funérailles d’une épouse par son mari (Slạ̄ṅ phwā phao sŏp mīa)

- Célébration des funérailles d’un mari pour son épouse (Slạ̄ṅ mīa phao sŏp phwā)

- Célébration des funérailles d’un enfant par ses parents (Slạ̄ṅ bạ̄1 mḕ1 phao sŏp lūk)

- Avantage des funérailles pour les indigents (Ānisŏṅ phao sŏp gŏn duk yāk)

- Célébration de l’acte méritoire accompli avant le rite funéraire (Slạ̄ṅ ḫĕḍ pun tạ̄1 hnā2 sŏp)