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LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES

B. La libre administration comme liberté fondamentale

La libre administration des collectivités territoriales constitue-t-elle une liberté fondamentale ? La réponse à cette question est d’une importance particulière ; d’abord en France depuis l’adoption de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, mais surtout depuis l’introduction de l’exception d’inconstitutionnalité par l’article 61-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ; ensuite au Maroc depuis la

61 Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Edouard Balladur, remis le 5 mars 2009 au président de la République Française, p. 37.

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consécration de l’exception d’inconstitutionnalité par l’article 133 de la Constitution de 2011.

Cette réponse déterminerait si la collectivité territoriale pourrait ou non saisir le juge des référés en cas d’une atteinte grave et manifestement illégale à sa libre administration62. Elle déterminerait également si la collectivité pourrait ou non soutenir, au cours d’un procès, qu’une disposition législative – la loi dont dépend le litige, pour le cas du Maroc- porte atteinte à sa libre administration en tant que liberté garantie par la Constitution, et ce dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité63.

Si les débats autour de cette question ne sont pas encore entamés au Maroc, il n’en demeure pas moins que les éléments de réponse sont déjà disponibles en France, dans les textes, dans la jurisprudence et dans la doctrine.

Au niveau des textes, même si la libre administration n’est considérée comme liberté fondamentale par aucune disposition constitutionnelle ou autre, il n’en reste pas moins, que « les libertés » sont reconnues aux collectivités territoriales par certains textes juridiques. Déjà l’article 89 de la Constitution de 1946 a consacré l’expression « des libertés départementales et municipales »64. Dans le même sens, la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 a donné une existence juridique à la notion de « libertés locales »65.

Au niveau de la jurisprudence, il est vrai que le Conseil constitutionnel français n’a pas tranché expressément cette question à l’occasion de sa décision n°

62 « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » Art. L. 521-2. - du code de justice administrative introduit par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives.

63 Voir l’article 133 de la Constitution marocaine du 29juillet 2011 et l’article 61-1 de la Constitution française de 1958 introduit par la révision du 23 juillet 2008.

64« Des lois organiques étendront les libertés départementales et municipales ; elles pourront prévoir, pour certaines grandes villes, des règles de fonctionnement et des structures différentes de celles des petites communes et comporter des dispositions spéciales pour certains départements ; elles déterminent les conditions d'application des articles 85 à 88 ci-dessus… ». L’article 89 de la Constitution française de 1946.

65 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, Journal Officiel n°190 du 17 août 2004, p14545.

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104 DC du 23 mai 1979 dans laquelle il a reconnu valeur constitutionnelle au principe de libre administration66. Néanmoins, le Conseil d’Etat, dans sa décision n° 229247 du 18 janvier 2001, a répondu positivement à la question et a considéré la libre administration comme une liberté fondamentale67.

Sur le plan doctrinal, un article a été publié par Louis FAVOREU et André ROUX en 2002 intitulé « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale? »68. Les auteurs ont essayé de mettre en évidence l’idée selon laquelle la libre administration constitue une liberté fondamentale des collectivités territoriales. Ainsi, ils se sont posé deux questions, à savoir : Les personnes morales, plus précisément les personnes morales de droit public, sont-elles susceptibles d'être titulaires de droits et libertés fondamentaux ? La libre administration des collectivités territoriales est-elle, en elle-même, une liberté fondamentale ?

Pour réponde à ces deux questions, L. FAVOREU et A. ROUX soutiennent d’abord que les libertés ne peuvent être applicables aux personnes morales qu’ « en raison de leur nature ». Ainsi, si une personne morale ne peut demander « l'asile politique ni prétendre bénéficier de la liberté d'aller et venir », il n’en demeure pas moins qu’il est tout à fait concevable que celle-ci demande que lui soit reconnue « la liberté d'expression, ou le droit de propriété, ou la liberté d'association, ou encore la liberté d'entreprendre ainsi que la liberté contractuelle ». Ensuite, ces auteurs concluent que « la libre administration se présente comme une liberté constitutionnellement reconnue et garantie dont le respect s'impose au législateur ».

Ainsi, ce débat tend vers sa clôture en France. La question est pratiquement tranchée en faveur de la collectivité territoriale. Cette dernière se voit reconnue le droit de saisir le juge des référés et de soulever la question de l’exception

66 Louis FAVOREU, André ROUX, La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale? Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12 (Dossier : Le droit constitutionnel des collectivités territoriales) – mai 2002.

67 Conseil d’Etat, 18 janvier 2001, n° 229247, Commune de Venelles et Morbelli).

68 Louis FAVOREU, André ROUX, La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale? Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12 (Dossier : Le droit constitutionnel des collectivités territoriales) – mai 2002.

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d’inconstitutionnalité à chaque fois qu’elle estime que sa libre administration est mise en cause.

Par ailleurs, en droit marocain, les éléments de réponse ne sont pas encore réunis. La doctrine ne s’est pas encore engagée dans ce débat. L’occasion ne s’est pas encore présentée, ni au juge administratif, ni au juge constitutionnel, pour se prononcer sur la question. Enfin, un ensemble de textes d’application de la Constitution susceptibles de porter plus d’éclaircissements à la question, ne sont pas encore adoptés. C’est le cas particulièrement de la loi organique relative à l’exception d’inconstitutionnalité, prévue par l’article 133 de la Constitution.

II. Les implications du principe de libre administration

Le principe de libre administration des collectivités territoriales est une condition sine qua non d’une décentralisation effective. Il implique, entre autres, une véritable autonomie administrative de ces collectivités et de leurs organes qui ne doivent relever d’aucun pouvoir hiérarchique ou disciplinaire du pouvoir central. L’élection de ces organes constitue une garantie de leur indépendance et une source de légitimité de la personne morale et de l’autonomie financière dont disposent les collectivités territoriales. Au Maroc, les conseils délibérants des collectivités territoriales et l’exécutif communal sont depuis toujours élus (A), et depuis la Constitution de 2011, l’élection des organes exécutifs a été généralisée aux autres collectivités territoriales (B).