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Pour conclure, il est à constater que la Constitution du 29 juillet 2011 marque une innovation singulière par rapport à ses devancières qui se limitaient à une simple reconnaissance des collectivités locales. En effet, elle a posé un véritable statut des collectivités territoriales faisant d’elles des personnes morales de droit public dotées de l’autonomie financière et administrative. Un statut qui ne se limite pas à énoncer les fondements et les principes généraux de la décentralisation territoriale, mais qui en définit aussi les règles et les dispositifs d’organisation, de fonctionnement et de répartition des compétences.

Les principes de libre administration et de subsidiarité consacrés par le texte fondamental du Royaume, constituent le noyau dur de ce statut, et sont susceptibles d’aménager le chemin pour une décentralisation territoriale plus poussée. Tous les textes qui compléteront ce statut doivent, sous peine d’inconstitutionnalité, en respecter la lettre et l’esprit. Ils sont conçus dans l’objectif de déterminer la nature des relations que les collectivités territoriales peuvent nouer avec l’Etat ou avec d’autres personnes morales de droit public.

Ainsi, le Constituant de 2011 donne un nouveau sens aux rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales pour passer des rapports verticaux d’autorité qu’implique la notion de tutelle à des rapports de coopération, de concertation et de convergence. Ces collectivités ne sont pas des simples entités administratives soumises à la tutelle de l’Etat, elles sont des partenaires potentiels de celui-ci. Elles sont appelées à jouer un rôle primordial en matière d’administration territoriale et de gestion des affaires locales. En parallèle, l’Etat est tenu de leur

accorder les moyens appropriés pour accomplir leurs missions. C’est dans cet

objectif que la Constitution inscrit, dans son article 141, le principe de l’équivalence des ressources et des compétences qui impose à l’Etat d’accompagner tout transfert de compétences vers les collectivités territoriales d’un transfert des ressources correspondantes.

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En revanche, certaines dispositions constitutionnelles qui ont fait objet de notre étude réduisent le rôle des collectivités territoriales à la simple participation à la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat. Par conséquent, elles ne sont pas compétentes pour élaborer leurs propres politiques territoriales. Nous dirons donc que la conception et l’élaboration des politiques publiques demeurent l’apanage du pouvoir central. Les collectivités territoriales ne peuvent intervenir dans ce sens qu’à travers leurs représentants dans la Chambre des conseillers. Rappelons que celle-ci assure la représentation des collectivités territoriales à raison de trois cinquièmes de ses membres, et celle des chambres professionnelles, des organisations professionnelles des employeurs et des salariés à raison de deux cinquièmes.

Dans le même ordre d’idées, le contrôle administratif exercé par le représentant de l’Etat constitue inévitablement une véritable entrave à l’émancipation de ces collectivités. Il reflète une tendance centralisatrice de l’administration et constitue un mécanisme de protection du caractère unitaire de l’Etat. Ce procédé rappelle l’idée du doyen Hauriou selon laquelle la centralisation reste la règle et la décentralisation est l’exception.

La décentralisation territoriale n’est donc pas synonyme de l'abandon des prérogatives de l'Etat. Il s’agit plutôt d’un usage de celles-ci, d’une manière raisonnée et adaptée à l'émergence d'une démocratie locale et aux exigences de la bonne gouvernance territoriale. Elle implique l’obligation pour l’Etat non seulement de transférer un ensemble de compétences aux collectivités territoriales, mais aussi d’assurer le suivi et le contrôle de leur exercice.

Dans ce contexte, force est de constater que l’organisation territoriale du Royaume est très loin de celle d’un Etat fédéral, dans le sens que chaque région n’a pas sa propre constitution, les collectivités territoriales sont des entités administratives et n’ont aucun pouvoir politique. Elle est très loin également de celle d’un Etat régional, dans le sens que ces collectivités ne disposent nullement de pouvoirs législatifs, elles ne disposent que d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs attributions.

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Cependant, la Constitution de 2011 a eu le mérite de mettre en exergue le pouvoir réglementaire local, ce qui va permettre d’en renforcer l’étendue au fur et à mesure que seront effectués les partages et transferts de compétences en application des dispositions de l’article 140. Cette inscription constitutionnelle lui confère une base solide et une protection assurée par le juge constitutionnel.

Le statut constitutionnel des collectivités territoriales ainsi défini laisse poser une pluralité de questions quant aux perspectives de l’organisation territoriale marocaine. On est donc dans le droit de se demander si ce statut permet de concrétiser le projet de la régionalisation avancée qui aspire à concrétiser la volonté royale de doter le Maroc d’une décentralisation régionale, d’essence démocratique et vouée au développement intégré et durable sur les plans économique, social, culturel et environnemental.

En effet, le modèle proposé par la Commission royale de la régionalisation vise à assurer une conception concertée et coordonnée du développement intégré dans l’espace régional, par l’émergence de la région en tant que collectivité territoriale bénéficiant de la prééminence pour coordonner et intégrer les visions, les plans et les programmes des autres collectivités territoriales impactant l’espace régional, et en tant que partenaire privilégié de l’Etat en la matière.

Si la Constitution, dans son article 143, reconnait à la région un rôle prééminent par rapport aux autres collectivités dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement régionaux et des schémas régionaux d’aménagement des territoires, nous ne pouvons pas, pour autant, en conclure que la mise en application des dispositions constitutionnelles étudiées au cours de notre travail est susceptible de mettre en place la régionalisation avancée préconisée dans les discours royaux. La confirmation ou l’infirmation de cette hypothèse pourra constituer l’objectif d’un prochain travail de recherche.

Sur un autre niveau, la mise en place de la nouvelle organisation territoriale présente un défi majeur, celui de la nécessité de corriger les disparités territoriales que vit le pays. A-t-on prévu des mécanismes susceptibles de mettre un terme, ou au moins d’atténuer les disparités inter-régionales et

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régionales ? Certes, le constituant prévoit la solidarité et la coopération comme deux principes, entre autres, sur lesquels repose cette organisation, et institue deux fonds pouvant guider ce projet dans le sens de réaliser l’équité territoriale, à savoir : un fonds de mise à niveau social et un autre de solidarité régionale. Mais, cet objectif dépond beaucoup plus de l’action politique et des programmes des gouvernants que des mécanismes juridiques.

En dernier lieu, il est important de signaler que la mise en place d’une décentralisation territoriale approfondie nécessite préalablement l’instauration d'une déconcentration effective. C’est une condition sine qua non pour instituer un dialogue efficace entre l'Etat et les collectivités territoriales et pour faciliter la coordination et la coopération entre les différents acteurs locaux. En effet, la décentralisation nécessite un rapport d’interpénétration et de complémentarité, dans ce sens les élus locaux doivent trouver en face d’eux, à l’échelon territorial, des représentants du pouvoir central qui sont investis de responsabilité et de pouvoir réel en matière de prise de décision.

Si la décentralisation territoriale constitue un choix constitutionnel, n’y-a-t-il pas besoin de prévoir des mécanismes constitutionnels obligeant les responsables au niveau de l’administration centrale à déléguer des pouvoirs effectifs à leurs représentants au niveau territorial? La nécessité de la déconcentration a été solennellement rappelée, à plusieurs occasions, par le Chef de l’Etat, cependant, le processus de sa mise en place demeure encore lent par rapport au rythme de la décentralisation.

En définitive, la mise en application des dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation territoriale et l’adoption des lois organiques et ordinaires et des textes réglementaires régissant la matière, compléteront et modifieront substantiellement le statut des collectivités territoriales. Il appartient donc au législateur, au juge, à l’administration et à la doctrine de l’interpréter et de le compléter tout en veillant au respect du texte fondamental du Royaume.

Ainsi, la loi organique prévue par l’article 146 de la Constitution constituera un véritable code général des collectivités territoriales. Le législateur y définira l’ensemble des conditions et des mécanismes nécessaires à la mise en

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application des principes et des dispositifs constitutionnels relatifs à l’organisation territoriales. Il y précisera également, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle, toutes les dispositions devant régir l’organisation, le fonctionnement et les compétences des différentes collectivités territoriales.

En outre, la jurisprudence, aussi bien constitutionnelle qu’administrative,

contribuera nécessairement à l’établissement de l’édifice de la décentralisation

marocaine. Le contrôle de constitutionnalité de la loi organique citée sera une grande occasion pour le juge constitutionnel pour poser la pierre angulaire de la jurisprudence constitutionnelle en matière des collectivités territoriales.

L’enjeu pour les différents intervenants en la matière, notamment le législateur organique et le juge constitutionnel, est de savoir comment concilier les principes de libre administration et de subsidiarité avec le caractère unitaire de l’Etat et les contrôles exercés sur les collectivités territoriales.

Sur le plan doctrinal, il est judicieux de se demander si la constitutionnalisation d’un ensemble de principes et de règles relatifs à l’organisation et au fonctionnement des collectivités territoriales, va inciter les juristes à mener des recherches et des réflexions sur une discipline jusque-là fort ignorée de la doctrine marocaine, à savoir « le droit constitutionnel des collectivités territoriales ». En France, celui-ci constitue déjà une discipline juridique confirmée. En effet, la revue « Cahier du Conseil constitutionnel » lui a consacré son numéro 12 publié en mai 2002. Avant même cette date, un ouvrage d’André Roux, intitulé « Droit constitutionnel local » a été publié par l’éditeur ECONOMICA en 1995. L’auteur y traite les différents principes constitutionnels régissant l’organisation territoriale de la République française.

Les spécialistes marocains de droit constitutionnel auront intérêt à explorer cette nouvelle discipline. Leurs recherches constitueront inévitablement une référence importante pour les différentes autorités, afin qu’elles puissent assurer une meilleure mise en application des dispositions constitutionnelles relatives à la question, et inspireront le juge, tant constitutionnel qu'administratif, dans l’élaboration d’une jurisprudence riche et cohérente en la matière.

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ANNEXES

Annexe 1 : TITRE IX DE LA CONSTITUTION MAROCAINE : DES REGIONS ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ;

Annexe 2 : TITRE XII DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE : DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES.

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Annexe 1