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81. - La franc-maçonnerie se voit appliquer le régime des associations, issu de la loi de 1901 (§ 1), l’affectio societatis de ces obédiences résidant dans le partage de valeurs humanistes et la pratique d’un rituel (§ 2).

§ 1. Le statut d’association

82. - Les obédiences ont le statut juridique d’association. Les loges qui composent les obédiences constituent les antennes de ces associations. L’article 1er de la loi du 1er juillet

1901 dispose : « L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes

mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité, dans un but autre que de partager des bénéfices. » Contrairement à la dénomination de société, qui

doit nécessairement être appliquée à tous les groupements qui entreraient dans son champ légal, la dénomination d’association n’est pas obligatoire. On lui substitue régulièrement les appellations d’amicale, club ou cercle. Une obédience peut donc être une association. L’association étant un acte de volonté de ses membres, c’est le droit applicable aux contrats et obligations qui s’applique166. Mais contrairement à la plupart des contrats synallagmatiques,

dans le cadre desquels les contractants poursuivent des intérêts différents et sont donc soumis à des obligations différentes, le contrat créateur d’association met à la charge des cocontractants des obligations identiques, fondées sur un intérêt commun. S’inspirant de l’affectio societatis propre au droit des sociétés (article 1833 du Code civil), certains auteurs ont distingué un affectio consociationis167, qui prend certainement toute sa réalité au sein des obédiences. Les sociétaires sont donc eux aussi soumis à une obligation de collaboration pour réaliser l’objectif qu’ils ont désigné dans leurs statuts, en dépit, bien entendu, d’une participation aux bénéfices et aux pertes. Le but non lucratif, propre aux associations soumises au régime de la loi de 1901, est ainsi défini par la Cour de cassation : « le bénéfice

s’entend d’un gain pécuniaire ou matériel accroissant la fortune des associés »168, c’est donc

le partage des bénéfices qui est exclu. À l’exclusion du but lucratif, les sociétaires, jouissent

166 Article 1er de la loi du 1er juillet 1901.

167 E. ALFANDARI (dir.) et P.-H. DUTHEIL (coord.), Associations, Dalloz, coll. Dalloz action, p. 8, 2000. 168 Ch. réunies, 11 mars 1914, D. 1914.1.257, note SARRUT.

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d’une totale liberté pour définir l’objectif qu’ils souhaitent poursuivre, ce qui explique l’application de ce régime à la franc-maçonnerie, malgré la singularité de son but169.

83. - La personnalité morale, prévue à l’article 6 de la loi de 1901, n’est pas la conséquence nécessaire du contrat de groupement. Ce n’est qu’une faculté offerte aux sociétaires, qui peuvent donc, a contrario, se contenter des seules relations contractuelles qu’ils nouent. Ces associations sont dites « non déclarées », parce que ce sont les formalités de déclaration, accomplies en préfecture, qui donnent naissance à la personnalité morale170.

84. - Les obédiences sont donc soumises au régime de la loi de 1901, notamment à l’obligation de déclaration en préfecture comprenant le dépôt de leurs statuts et leurs modifications, mais aussi la désignation des membres du conseil d’administration.

85. - Les statuts des obédiences révèlent qu’elles sont toutes fondées sur la fraternité, le maintien de traditions – toutefois observées plus ou moins scrupuleusement selon les obédiences – et qu’elles fonctionnent toutes selon un mode initiatique. Les obédiences que composent les loges, ont pour but de créer une véritable communauté de réflexion orientée vers la poursuite du progrès. Les statuts de la GLDF, par exemple, indiquent que « la Franc-

Maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur le Fraternité. […] Dans la pratique de l’Art, les Francs-Maçons veillent au respect de règles traditionnelles, us et coutumes de l’Ordre. Dans la poursuite commune d’un même idéal, ils se reconnaissent eux par des mots, signes, attouchements qu’ils communiquent traditionnellement en Loge au

cours des cérémonies initiatiques »171. Quant à la GLNF, elle affirme que « la Franc-

Maçonnerie est une fraternité initiatique qui a pour fondement traditionnel la Foi en Dieu,

169 Le but poursuivi par la franc-maçonnerie pourrait être défini par la notion de progrès. V. supra, nos 110 et s. 170 La jurisprudence semble toutefois appliquer la théorie de la réalité de la personnalité morale, v. Civ. 28 janvier

1954, D. 1954. 217, note LEVASSEUR ; Com. 27 mars 1990, JCP 1990.II.21529, note NEVOT ; Soc. 17 avril 1991, JCP 1992.21856, note BLAISE. En revanche, les associations ne peuvent jouir de la personnalité morale qu’en accomplissant les formalités de déclaration et de publicité prévues à l’article 5 de la loi de 1901 (« toute association qui voudra obtenir la personnalité juridique prévue à l’article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs. La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association aura son siège social. Elle fera connaître le titre et l’objet de l’association, le siège de ses établissements et les nom, profession, domicile et nationalité de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ou sa direction. Deux exemplaires des statuts seront joints à la déclaration. Il sera donné récépissé de celle-ci dans un délai de cinq jours. […] L’association n’est rendue publique que par une insertion au Journal officiel, sur reproduction de ce récépissé… »)

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Grand Architecte de l’Univers. […] La Franc-Maçonnerie impose à tous ses Membres la pratique exacte et scrupuleuse des rituels et du symbolisme, moyens d’accès à la

Connaissance qui lui sont propres »172 . L’obédience le Droit Humain se distingue

nécessairement, puisque il a été créé, à défaut d’obédience mixte : il « affirme l’égalité de

l’Homme et de la Femme. […] L’ordre s’impose, pour atteindre ce but, une méthode rituelle et symbolique, grâce à laquelle ses membres édifient leur Temple à la Perfection et à la Gloire de l’Humanité. […] Les Fédérations pourront initier les candidats à partir de 18

ans »173.

§ 2. L’ affectio societatis maçonnique

86. - Si nous avons pu observer que la franc-maçonnerie était hétérogène par la diversité de ses obédiences, elles adhèrent toutefois à un socle de valeurs communes174. À la lecture de

différents entretiens – notamment ceux réalisés par Guy MICHELAT – et témoignages publiés, M. Sébastien GALCERAN relève ces caractéristiques communes aux francs- maçons175 : en premier lieu, les valeurs humanistes (A) et ensuite, la pratique commune d’un

rituel au sein d’une même obédience (B).

A. La promotion de la perfectibilité, du progrès et de l’ « humano-centrisme » 87. - Parmi ces caractéristiques, se trouve la foi en la perfectibilité, dont témoigne le cheminement du maçon divisé en grades (apprenti, compagnon, maître…). Cette perfectibilité s’applique donc à sa personne, mais en outre, elle concerne le monde profane qu’il a pour tâche d’améliorer. C’est donc un but totalement abstrait qu’il s’agit d’atteindre, par opposition aux autres associations qui agissent concrètement sur un domaine précis, et qui visent un

172Ibid. 173Ibid.

174 Dans sa thèse de doctorat, M. David MARTEL consacre quelques lignes à l’affectio societatis au sein de la

« communauté maçonnique » : Le rapport d’obligation dans une communauté de personnes, thèse Paris I, IRJS éditions, Bibliothèque de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne - André Tunc, Tome 34, 2012, préf. P. STOFFEL-MUNCK, n° 178 et s.

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résultat défini. La perfectibilité est par nature orientée vers l’idée de progrès à laquelle il conviendra de consacrer ultérieurement quelques lignes176.

B. Une société rituelle, initiatique

88. - À cette première spécificité tenant à la perfectibilité s’ajoute celle relative au caractère initiatique de l’institution. De cette dimension initiatique est issu le fameux secret maçonnique. C’est d’ailleurs une des caractéristiques principales de la société secrète selon Georg SIMMEL177. Une société initiatique, par définition, initie ses membres à une pratique exclusive à son enceinte, elle révèle un secret, des Mystères178. La notion d’initiation a été analysée par l’ethnologue Arnold VAN GENNEP179. Il définit cette notion comme une transition d’un individu, d’un état à un autre. Il distingue plusieurs étapes, qui marquent également le cheminement du maçon. Dans un premier temps intervient la séparation : elle permet la purification de l’impétrant et le déleste de tout artifice. Enfin, il se retire du monde. Dans un deuxième temps, il est marginalisé, dans un lieu perçu comme sacré. Son apprentissage (par des épreuves physiques ou la transmission de connaissances), à la charge des initiés, peut alors être entamé. La troisième et dernière étape consiste à agréer le candidat devenu un homme nouveau. D’autres ethnologues ont reproché à cette étude de ne pas envisager les singularités de l’initiation comme rite de passage. M. Andras ZEMPLENI, notamment, précise que cette initiation « consiste à engendrer une identité sociale au moyen

d’un rituel et à ériger ce rituel en fondement axiomatique de l’identité sociale qu’il

produit »180. Cette distinction entre les initiés et les autres est commune à l’initiation

maçonnique qui distingue l’intérieur du temple auquel seuls les maçons ont accès181 et le

monde profane. On retrouve là la fonction principale du rite qu’expliquait déjà BOURDIEU en 1982 : « séparer ceux qui l’ont subi, non de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de

ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituer ainsi une différence durable entre ceux

176 V. supra, nos 110 et s.

177 V. G. SIMMEL, Sociologie – Etudes sur les formes de la socialisation, PUF, Sociologies, 1999, p. 390 et s. 178 V. chapitre II du titre I de la première partie, supra.

179 A. VAN GENNEP, Les rites de passage, 1909 (augm. en 1969 et réimpr. notamment en 1991 et en 2011,

Picard), cité par S. GALCERAN, Les franc-maçonneries, La Découverte, collection Repères, Paris, 2004, p. 63.

180 Cité par S. GALCERAN, op. cit. p. 63.

181 A l’exception des tenues blanches qui permettent d’inviter une personnalité qui n’est pas maçonne pour tenir

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que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas »182. Enfin, le caractère initiatique

singularise la démarche maçonnique : elle se distingue ainsi des partis politiques, des groupes philosophiques ou religieux et des autres associations.

89. - Toutes les sociétés secrètes, et la franc-maçonnerie ne fait pas exception, disposent d’une liberté totale dans le choix de leur rituel. Elle se dote elle-même de sa tradition qui renforce l’unité du groupe. Georg SIMMEL affirme : « La société secrète doit chercher à

créer une sorte de totalité existentielle dans les catégories qui lui sont propres ; tout autour de sa finalité fortement soulignée, elle édifie donc un système de formules, comme un corps autour d’une âme, et elle place l’une et l’autre sous la protection du secret, parce que c’est là le seul moyen de constituer un tout harmonieux où toutes les parties se soutiennent

mutuellement. »183 Il observe d’ailleurs que c’est un même mécanisme qui assure la solidarité

du groupe au sein de l’armée ou d’une communauté religieuse.

90. - Le rituel, on l’a vu, n’est pas pratiqué par toutes les loges de la même façon. D’ailleurs, cette pratique rituelle est à l’origine d’un grand schisme. Les obédiences, qui exigeaient toutes que les maçons soient baptisés et prêtent serment sur la Bible lors de leur initiation, évoluent au XIXème siècle, à l’instar d’une déclaration du maçon Nicolas-Charles DES

ETANGS : « Dans la maçonnerie, La Mecque et Genève, Rome et Jérusalem sont confondus.

Il n’y a ni juifs, ni mahométans, ni papistes, ni protestants, il n’y a que des hommes ; il n’y a que des frères qui ont juré devant Dieu, le père commun de tous, de rester toujours

frères »184. Ces propos de 1815 illustrent bien le changement qui commençait à traverser la

franc-maçonnerie, mué par la pensée universaliste, au XIXème siècle. Lorsqu’en 1849, le

Grand Orient adopte sa première Constitution, sa rédaction mentionne encore une référence à Dieu : « La franc-maçonnerie […] a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de

l’âme. »185 En 1865, sont formulées les premières propositions de suppression de cette

référence. On lui préfère alors un compromis : les références à Dieu sont conservées alors que, parallèlement, la liberté de conscience est consacrée. Devancé par le Grand Orient de Belgique – de sept ans – le Grand Orient de France supprime, lors du convent de 1877,

182 P. BOURDIEU, « Les rites comme acte d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales, n°43, 1982,

p. 59, cité par S. GALCERAN, Les franc-maçonneries, La Découverte, collection Repères, Paris, 2004, p. 66.

183 G. SIMMEL, Sociologie – Etudes sur les formes de la socialisation, PUF, Sociologies, 1999, p. 391. 184 P. CHEVALLIER, Histoire de la franc-maçonnerie française, T2, 1974, Fayard, Paris, p. 149. 185 Article 1er de la constitution du Grand Orient de 1849.

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l’obligation de l’invocation du Grand Architecte de l’Univers, désignation objectivée d’un Dieu commun à tous. Puisque c’est l’obligation de l’invocation qui est supprimée, celle-ci demeure possible. Dix ans plus tard, c’est de l’ensemble des rituels qu’est exclue toute référence à Dieu : le thème de la purification en disparaît, le mythe d’Hiram est simplifié… Ce choix du Grand Orient de France d’exclure de son rite toute référence à Dieu a eu pour conséquence la rupture des relations avec la Grande Loge Unie d’Angleterre. En 1911, Edouard de RIBEAUCOURT constitue au GODF, la loge Le Centre des Amis, pour pratiquer le rite écossais rectifié, affilié à la tradition chrétienne. En 1913, le Grand Collège des rites du Grand Orient le contraint à supprimer toute référence au Grand Architecte de l’Univers. Cette décision l’oblige à quitter son obédience pour fonder la Grande Loge indépendante et régulière pour la France d’Outre-mer. En octobre de la même année, elle est reconnue comme étant régulière par la Grande Loge Unie d’Angleterre. C’est alors la seule en France, l’existence de loges d’adoption à la Grande Loge de France s’opposant à sa régularité, tout comme la laïcisation du rituel pour le Grand Orient. En 1948, la Grande Loge indépendante et régulière pour la France d’Outre-mer prend le nom de Grande Loge Nationale Française186. Néanmoins, depuis un communiqué de la Grande Loge Unie d’Angleterre du 12

septembre 2012, la GLNF n’est plus reconnue comme régulière en raison d’une profonde crise interne, née d’un conflit entre le Grand Maître et l’opposition majoritaire187.

91. - C’est donc la Grande Loge Unie d’Angleterre qui déclare les obédiences régulières ou irrégulières, c’est-à-dire clandestines. Pour opérer cette distinction, la GLUA a déterminé, en 1929, des critères appelés landmarks. Ceux-ci ont été révisés à plusieurs reprises et posent des exigences de natures diverses. Par exemple, une grande loge, pour être reconnue régulière, doit avoir été fondée par une grande loge elle-même reconnue. Aussi, l’initiation doit impliquer un serment sur le « Volume de la loi sacrée ou le livre considéré comme sacré par

l’homme concerné ». En outre, la grande loge doit être exclusivement composée d’hommes et

a l’interdiction d’entretenir des rapports avec des loges qui admettent les femmes comme membres ou comme visiteuses. Enfin, un dernier exemple pourrait être donné, celui de la stricte interdiction de toute discussion religieuse ou politique dans les loges. Les grandes

186 V. S. GALCERAN, Les franc-maçonneries, La Découverte, collection Repères, Paris, 2004, p. 50.

187 V. F. KOCH, « GLNF : rupture avec la GLUA et chute des effectifs », article paru sur le blog L’Express de

l’auteur : La lumière, le 12 septembre 2012 : http://blogs.lexpress.fr/lumiere-franc-macon/2012/09/12/glnf- rupture-avec-la-glua-et-chute-des-effectifs/ (consulté le 3 juin 2013)

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loges reconnues comme régulières par la GLUA, se revendiquent de la franc-maçonnerie des Lumières, politiquement neutre et théiste. Elles ne s’extériorisent que dans le cadre de leurs actions caritatives. Les autres grandes loges, dites irrégulières, ne reconnaissent pas à la GLUA la légitimité de déterminer universellement l’orthodoxie maçonnique, elles se définissent comme libérales188.

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