121. - La pensée humaniste est, comme on l’a indiqué précédemment, une des inspirations fondamentales de la franc-maçonnerie. Le terme « humanisme » est défini, dans son sens philosophique comme la « Théorie, doctrine qui prend pour fin la personne humaine et son
épanouissement. »244. Issu de l’allemand humanismus, il désigne, dans son acception
historique un « Mouvement intellectuel européen de la Renaissance, caractérisé par un effort
pour relever la dignité de l’esprit humain et le mettre en valeur, et un retour aux sources
gréco-latines. »245 Plus précisément, l’humanisme est « un mouvement socio-culturel trouvant
son déploiement dans l’Europe du XVI ème siècle et constituant une nouvelle anthropologie
qui fait véritablement émerger la catégorie philosophique de l’individu ; […] plus généralement, il désigne une prise de parti philosophique concernant le sujet, c’est-à-dire à la fois sa promotion théorique et sa défense éthique contre les risques d’oppression,
d’aliénation »246. Mais depuis l’origine, la notion a largement évolué : « de l’humanisme
renaissant, l’humanisme contemporain conserve essentiellement la foi en l’Homme. L’Homme se voit défini comme mesure de toutes choses, liberté, source des valeurs et des
significations. »247 La distinction majeure réside dans le fait que l’humanisme contemporain,
contrairement à l’humanisme de la Renaissance, se fonde sur la mort de Dieu, proclamée au XIXème siècle par FEUERBACH et NIETZSCHE. Cette mort de Dieu constitue, pour
l’Homme, l’opportunité de « récupérer sa propre essence, aliénée par l’illusion
religieuse »248. HEIDEGGER, dans ses correspondances, définit l’humanisme « en général »
comme étant « l’effort visant à rendre l’homme libre pour son humanité et à lui faire
découvrir sa dignité »249. La franc-maçonnerie a toujours revendiqué sa filiation à la pensée
humaniste. A propos des rapports que noue la franc-maçonnerie avec la philosophie humaniste, Jean MOURGUES écrit « À vrai dire, l’Ordre maçonnique tout entier exprime la
foi dans le pouvoir des hommes. Pouvoir de perfection, pouvoir de compréhension, pouvoir
244Le Petit Robert, 2011. 245Ibid.
246 A. MINAZZOLI, définition d’ « humanisme » in Encyclopédie philosophique universelle , Les notions
philosophiques, dictionnaire, volume dirigé par Sylvain AUROUX, tome II, vol. II, Philosophie occidentale : A - L, août 1990, PUF.
247Ibid. 248Ibid.
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de création. »250 M. Alain BAUER aussi, lorsqu’il explique les fondements de la franc-
maçonnerie, écrit : « La Maçonnerie est un humanisme qui s’appuie, pour le Grand Orient de
France, sur la laïcité. »251 Encore, Pierre SIMON se réfère à cette pensée lorsqu’il évoque les
origines de la philosophie maçonnique : « Si la réflexion sur l’éthique plonge ses racines dans
la philosophie gréco-romaine et judéo-chrétienne véhiculée par la tradition, elle ne s’est concrétisée qu’à partir du XVIème siècle, avec l’humanisme qui fait de l’homme la valeur
ultime »252.
122. - Le terme « progrès » quant à lui, constitue la finalité de la démarche humaniste. Ce mot est issu du latin progressus qui désigne l’action d’avancer. En ce sens, l’idée de progrès est d’abord, symboliquement, celle d’une évolution, d’une croissance, qu’elle soit positive ou négative. On dit par exemple d’une maladie, d’une infection, qu’elle progresse. C’est donc l’idée d’un temps créateur. « Le Progrès, dans l’acception la plus pure du mot, c’est-à-dire la
moins empirique, est le mouvement de l’idée, processus ; mouvement inné, spontané, essentiel, incoercible et indestructible […], et qui se manifeste principalement dans la marche
des sociétés, dans l’histoire. »253 HAURIOU l’a défini, dans son Cours de science sociale, la
Science sociale traditionnelle, comme « l’accroissement du donné social »254. M. Pierre-
André TAGUIEFF utilise, pour sa part, le terme progressisme, qu’il définit comme « une
idéologie, c’est-à-dire un système organisé de représentations et de croyances, qui se fonde sur la conviction que l’humanité obéit, dans son processus historique, à une loi qui la porte, de gré ou de force, à un but supérieur » ou encore comme un « Mouvement nécessaire vers le
mieux ou marche générale vers la perfection finale »255. Mais si le progrès que les maçons
appellent de leur vœux se fond à la définition de M. Pierre-André TAGUIEFF, dans son sens
250 J. MOURGUES, La Pensée maçonnique « une sagesse pour l’Occident », PUF, coll. Politique d’aujourd’hui,
Paris, 5e édition, 1999, p. 138.
251 A. BAUER, Grand O – Les vérités du Grand Maître du Grand Orient de France, Folio documents, 2002
(publié aux éditions Denoël en 2001), p. 177.
252 P. SIMON, La franc-maçonnerie, un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir, Flammarion, collection
Dominos, 1997, p. ?
253 P.- J. PROUDON, Philosophie du progrès [1853], « Première Lettre : De l’Idée du Progrès » [1851], éd. T.
Ruyssen, Paris, Marcel Rivière, 1946, p. 48, cité par P.-A. TAGUIEFF, Le sens du progrès, une approche historique et philosophique, Flammarion, coll. Champs, Paris, 2004, p. 118.
254 M. HAURIOU, Cours de science sociale, la Science sociale traditionnelle, compilée avec d’autres ouvrage in
Ecrits sociologiques, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2008, p. 49.
255 P.-A. TAGUIEFF, Le sens du progrès, une approche historique et philosophique, Flammarion, coll. Champs,
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positif (§ 1), il a aussi parfois suscité le désenchantement (§ 2), ce que ne nient pas non plus les maçons.
§ 1. L’euphorie du progrès
123. - C’est au XVIIIème siècle que la philosophie s’empare de ce terme, pour nommer un
phénomène de « rationalisation du monde, de marche de l’esprit humain vers un état de
savoir et de liberté. […] Dans cette conception, l’idée d’une science inépuisable en son essence (Bacon) se faisant par delà les générations (Pascal) rencontre les valeurs humanistes
de la Renaissance et le goût « moderne » pour la nouveauté. »256 Le progrès, à cette période,
se conçoit comme « un mouvement naturel de l’âme vers toujours plus de connaissance. Le
progrès sera mouvement de l’esprit vers la connaissance de soi. Connaissance vécue comme
libération. »257 Le siècle des Lumières est donc infiniment optimiste en ce qu’il est convaincu
que l’accumulation des connaissances a, en soi, la faculté de rendre l’homme meilleur.
124. - À la toute fin du XVIIIème siècle, la notion de progrès est régulièrement associée à celle
de civilisation. Cet argument est encore développé au siècle suivant, notamment par l’historien François GUIZOT : « L’idée du progrès, du développement me paraît être l’idée
fondamentale contenue sous le mot de civilisation. »258 Ainsi, le progrès est défini par un gain
de confort, de bien-être en plus de l’augmentation des connaissances. C’est ainsi que se construit l’utopie du progrès : celui-ci a vocation à éradiquer la pauvreté, la maladie, l’ignorance et l’oppression, et aussi, par voie de conséquence, la guerre. C’est sans doute BACON qui, le premier, avait confié au progrès cette fonction instrumentale. Selon lui, la science doit produire des « inventions capables, dans une certaine mesure, de vaincre et de
maîtriser les fatalités et les misères de l’humanité » ou encore « Doter la vie humaine
d’inventions et de ressources nouvelles. »259 Les contraintes abolies par l’effet du progrès, la
256 G. ALMERAS, définition de « progrès », in Encyclopédie philosophique universelle , II : Les notions
philosophiques, dictionnaire, volume dirigé par Sylvain Auroux, tome II, Philosophie occidentale, août 1990, PUF.
257Ibid.
258 F. GUIZOT, Histoire de la civilisation en Europe depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Révolution
française, 14e édition, Paris, Didier, 1875, p. 15,cité par P.-A. TAGUIEFF, Le sens du progrès, une approche
historique et philosophique, Flammarion, coll. Champs, Paris, 2004, p. 15.
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vie atteint l’idéal, la perfection. L’idéologie du progrès est un discours de promotion de la modernité, se fondant, dès la Renaissance, sur les progrès de la science : « Par ses
impressionnants succès, la science galiléenne puis newtonienne, a inspiré et nourri les
premiers théoriciens du progrès au XVIIème et XVIIIème siècles. La preuve semblait avoir été
administrée, par l’existence même de l’« avancement » des sciences, que le « progrès » existait ; d’où l’idée qu’on pouvait par interférence, opérer une généralisation du modèle
d’accumulation progressive qu’elles offraient. »260
125. - Des différentes définitions de la notion de progrès du siècle des Lumières, c’est principalement celle de ROUSSEAU que l’on retient. Alors même qu’il affirme ne pas être convaincu par l’existence d’un véritable progrès, c’est son acception qui séduit le plus à l’époque contemporaine. En effet, « le Contrat Social pose un sujet moral autonome (capable
de se donner sa propre loi) envers et contre tous les faits. […] Cet homme peut et doit
s’affranchir. »261 Cette autonomie nouvelle de l’homme, sa capacité à se réguler, impose de
redéfinir le rôle de l’Etat. « L’instauration du politique devient éthique : l’Etat et le citoyen
(non pas l’homme naturel) se trouveront ensemble. Cette transformation est nécessaire. […] Au contact de la pensée rousseauiste, l’idée de progrès s’enrichit de trois termes aperçus comme indissolubles : démocratie, individualisme (individu autonome), Etat. Le progrès devient « perfectibilité » : essentiellement, une façon de répondre à la question « qu’est l’homme ? » Par la considération de ce qu’il devrait être. L’homme est seul maître de son
destin d’homme. »262 Le cheminement de l’homme vers sa perfection construit la dimension
utopique du progrès263. C’est Pascal qui présente le premier ce cheminement comme
ininterrompu. Il écrit : « Toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit
être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend
continuellement. »264 Il dégage de cette réflexion la notion d’homme universel. La notion
rousseauiste de perfectibilité se nourrit de la notion d’homme universel propre à PASCAL, mais dépasse la neutralité qu’elle impliquait à l’origine. Pour ROUSSEAU, c’est la perfectibilité qui fait sortir l’homme de sa condition d’origine. Toutefois, l’homme reste maître de cette perfectibilité, c’est lui qui décide du progrès. TURGOT, comme plus tard
260 P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 111. 261 G. ALMERAS, op. cit.
262Ibid.
263 V. P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 112 et suivantes. 264 Cité par P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 160.
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LEVI-STRAUSS, tous deux à propos du langage, ont repris la notion de perfectibilité pour mettre en exergue l’importance de l’accumulation, la collecte et la fixation des connaissances pour permettre aux générations futures de les dépasser265.
126. - Par réaction à l’affirmation de cette autonomie nouvelle de l’homme, qui peut être source de craintes chez les dirigeants, le XIXème siècle est marqué par une réaction instinctive de ceux-ci. En particulier, à partir de la Restauration, la notion de progrès est soumise aux contingences de la Nature, à la volonté divine. L’autonomie de l’homme apparaît donc limitée. Le progrès, pour Auguste COMTE, est « le déploiement de l’ordre inscrit dans le
cours des choses que déchiffre la science positiviste. »266 Plus tard, chez BERGSON, le
progrès apparaît comme le fruit d’une lutte que mène l’homme contre « sa nature
donnée ».267 Aussi, chez FREUD268, on retrouve cette position centrale et dominante de la
nature : si le processus de civilisation s’efforce de maîtriser les instincts, il n’y parvient jamais totalement.
§ 2. Le désenchantement du progrès
127. - Le XXème siècle marque un nouveau tournant de la pensée, et la notion de progrès n’y
échappe pas. Max WEBER l’envisage sous le prisme de la rationalisation. Le progrès est rationalisation à deux niveaux. À la fois, telle que la conçoit la société moderne – autrement dit, il est à l’origine d’une organisation économique et bureaucratique – mais il l’est aussi d’un point de vue éthique, dans la mesure où il permet de répondre à l’objectif d’un « monde
légitime », fondé sur les droits et l’autonomie de l’individu269. M. G. ALMERAS illustre ce
dernier propos, en soulignant qu’aujourd’hui, tous les Etats se revendiquent comme des démocraties, que ce soit véritablement le cas ou non. La démocratie est devenue une référence politique légitime commune. Enfin, WEBER envisage le progrès sous l’angle de la symbolique. Il symbolise des valeurs. C’est en liant ces trois perceptions du progrès, qu’il développe le thème du « monde désenchanté », notion commune à plusieurs auteurs du XXème
265 V. P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 168 et suivantes. 266 G. ALMERAS, op. cit.
267Ibid.
268Totem et tabou et Malaise dans la civilisation, cités par G. ALMERAS, op. cit. 269 V. G. ALMERAS, op. cit.
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siècle. Pour WEBER, dans son aspect technique, le progrès peut provoquer une emprise de la science sur la société. Ainsi, l’homme se trouve asservi, sous la justification d’une quête du progrès. On retrouve là le pouvoir légitimant de l’idée de progrès. Son aspect symbolique se manifeste lorsque la menace de cette oppression est assimilée par les hommes. HEIDEGGER développe lui aussi l’idée d’une technique qui dévorerait tout, visant « l’arraisonnement du
monde »270. Au XXème siècle donc, le progrès n’apparaît plus comme un vecteur de libération
comme au XVIIIème siècle, mais potentiellement comme facteur d’aliénation ou d’oppression.
128. - La notion de progrès est aussi au cœur de réflexions de philosophie politique. DUGUIT et HAURIOU271 qui nourrissent l’idée que la souveraineté est insuffisante à le fonder
légitimement, arrivent à la même conclusion que Léon BOURGEOIS272. Selon lui, le progrès
de la société est devenue la mission de l’Etat moderne. Décrit par l’historien Paul GOURDOT comme un maçon « actif »273, fidèle à l’idée de solidarité, centrale dans toute son œuvre. Pour
Léon BOURGEOIS, il appartient à l’Etat de la mettre en œuvre. Il s’y attèle en prenant part à l’élaboration des lois relatives à la retraite des ouvriers, des paysans ou des mineurs ou à la limitation du temps de travail dans les mines. Il défend aussi la création d’un système de prévoyance contre les maladies, les accidents ou l’invalidité ou « l’abandon des enfants par la
mort du chef de famille »274. Mais l’Etat doit aussi assurer le progrès des citoyens d’un point
de vue économique et c’est J. M. KEYNES qui achève d’en faire un opérateur économique par ses développements sur la théorie de l’Etat-Providence. Ces théories rencontrent un grand succès après la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de progrès se manifestant de façon urgente. C’est, en quelque sorte, « l’ère de l’Etat providence ».
270Ibid.
271 HAURIOU a défini le progrès dans sa « Théorie du progrès » qui constitue le premier chapitre de son Cours
de science sociale, la Science sociale traditionnelle, paru initialement en 1896, aux éditions L. LAROSE : « Le progrès se marque dans l’individu comme dans le groupe. Il accroît l’un en même temps que l’autre. Du groupe social il augmente la vie, de l’individu humain, il augmente la liberté. Le mouvement de la liberté est sensible à trois points de vue. Il y a gain de liberté physique, c’est-à-dire affranchissement des nécessités matérielles, gain de liberté sociale, c’est-à-dire affranchissement de la contrainte sociale, enfin gain de liberté morale, affranchissement de l’homme vis-à-vis de lui-même et des fatalités inconscientes de son tempérament. » V. M. HAURIOU, Cours de science sociale, la Science sociale traditionnelle, compilée avec d’autres ouvrage in Ecrits sociologiques, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2008, p. 49.
272Essai sur une philosophie de la solidarité, 1902, cité par G. ALMERAS, ibid.
273 V. le chapitre que P. GOURDOT consacre à Léon BOURGEOIS, dans Le Combat social des Francs-Maçons,
Editions du rocher, Humanisme et Tradition, 1999, pp. 258 et suivantes.
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129. - Cette ère s’essouffle à partir de 1968, lorsqu’est dénoncée la société de consommation et que les systèmes de protection sociale ont commencé à montrer leurs premières limites. Pierre-André TAGUIEFF constate lui aussi qu’à partir des années 1970, les manifestations écologistes contre les méfaits du progrès – technologique, scientifique ou industriel – se sont multipliées 275 . Le progrès devient une menace pour l’espèce humaine et pour l’environnement. En outre, il existe à l’époque contemporaine, le constat de la fausseté du postulat sur lequel repose l’utopie du progrès. Le progrès se conçoit comme une amélioration continue. Ce qui suit est nécessairement meilleur que ce qui précède. Or, les crises économiques multiples ont mis un terme au phénomène d’accroissement du niveau de vie des générations futures, qui s’est perpétué dans les pays occidentaux jusque dans les années 1980. En 1979, Jimmy CARTER, lors du Discours sur l’Etat de l’Union, déclarait « Nous avons
toujours cru que nos enfants vivraient mieux que nous. Il est sans doute temps de nous faire à
l’idée que ce n’est plus vrai. »276 Au-delà, et finalement prenant acte de la méfiance et du
désenchantement inspirés par le progrès à l’époque contemporaine, certains penseurs comme William PFAFF277, considèrent que le progrès est devenu un « cadavre notionnel » pour
reprendre l’expression de Pierre-André TAGUIEFF, une idéologie devenue stérile. Pour autant, il observe une nostalgie du progrès, dans laquelle celui-ci est conçu comme un remède au désespoir, à la mélancolie278.
130. - Les contingences économiques et le développement de philosophies écologistes ne sont pas seuls responsables de la mise en échec des fondements de l’idéologie du progrès. Se trouve aussi à l’origine du déclin de la notion, le fait que cette idéologie ait servi de fondement à des thèses aujourd’hui largement critiquées.
131. - Le darwinisme se fondant sur l’idée d’un processus mélioratif par un phénomène de sélection naturelle – la survie du meilleur et la transmission des qualités héréditaires à la descendance – a constitué la base théorique de doctrines fascistes telles que le nazisme. Lors de son discours du 6 juillet 1933, devant les Gauleiter279, HITLER déclarait : « Le national-
275 P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 11. 276 Cité par P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 27. 277 Cité par P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 13. 278 P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 17 et suivantes.
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socialisme a pour tâche d’assurer le progrès de notre peuple »280. La justification théorique
de la colonisation se trouvait, déjà, dans l’idée de la perfectibilité de l’homme. Elle se conçoit alors comme l’accomplissement d’une mission universelle des civilisations les plus abouties, les plus « éclairées ».
132. - Aussi, la même idée d’amélioration continue se trouve au cœur de doctrines eugénistes, promouvant une sélection, non plus naturelle cette fois, mais humaine et rendue possible par les progrès de la science. Le généticien Albert JACQUARD, dans un article intitulé « Progrès
de la biologie, problèmes d’éthique », paru en 1990, écrivait : « Chaque avancée de la connaissance aboutit plus ou moins vite à un progrès de l’efficacité. Cela est particulièrement vrai dans la lutte contre les ennemis de toujours, la douleur, la maladie, la mort. […] tout n’est pas encore possible, mais les rêves les plus inaccessibles autrefois basculent dans le domaine du réalisable à court terme. Ainsi la « fabrication » des clones donnant à un être humain des jumeaux plus jeunes, sources éventuelles de pièces de rechange. Cette simple évocation nous projette loin de la satisfaction sans mélanges des premières victoires. Nous sommes acculés à admettre que tout ce qui peut être fait n’est pas nécessairement bon pour
l’homme. »281
133. - Eugénisme et doctrines racistes ont toutes été condamnée par la maçonnerie. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les auditions des maçons consultés lors des travaux préparatoires des réformes des lois de bioéthique282 ou encore de constater que les principales obédiences
excluent ceux d’entre eux qui sont aussi membres de partis d’extrême droite. Mais l’idée de progrès comporte en son sein un paradoxe : « Parler de progrès c’est mesurer la possibilité
de l’idéal par rapport à une réalité qui ne l’implique pas a priori. »283 HEGEL284 s’est saisi
de cette question de la dégradation de l’idéal lors de sa réalisation. Pour lui, elle est intrinsèque à la notion même d’idéal. Pour autant, cette dégradation, source de critiques, est aussi la source de prolongement du progrès. En effet, la déception engendrée par une réalisation plus modeste que l’ambition, motive une nouvelle quête de progrès.
280 Cité par P.-A. TAGUIEFF, op. cit., pp. 117-118. 281 Cité par P.-A. TAGUIEFF, op. cit., p. 55-56. 282 V. infra nos 310 et s.
283 G. ALMERAS, op. cit. 284 Cité par G. ALMERAS, op. cit.
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