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LA CONSTRUCTION DE LA CONCEPTION MAÇONNIQUE DU PROGRES AU XIX ÈME SIECLE

136. - La conception maçonnique du progrès s’est construite au fil des siècles de réflexion en loge. Néanmoins, la première étape du véritable travail de conceptualisation de cette notion s’est effectuée lors de la réforme de la constitution interne de la franc-maçonnerie, en 1854 (§ 1). Cette première définition de l’orientation du militantisme de la franc-maçonnerie a constitué un préalable à ses premiers combats en faveur de la paix, de la fraternité et de l’égalité (§ 2).

§ 1. La réforme de la constitution interne de 1854

137. - La composition des loges s’est largement renouvelée au milieu du XIXème siècle.

Beaucoup de ces nouveaux membres étaient positivistes, à l’image d’Emile LITTRE, disciple d’Auguste COMTE, qui a adhéré à la franc-maçonnerie en 1875286, ou de Jules FERRY.

Nombre d’entre eux sont ou ont été des militants actifs (utopistes, radicaux, saint-simoniens, proudhoniens…). Cette période est significative dans l’histoire de la franc-maçonnerie, parce qu’elle développe à l’intérieur des loges une politique du progrès, qu’elle mènera plus tard, à l’extérieur de son enceinte. Les thèmes de l’universalisme, de l’égalitarisme, du féminisme et du pacifisme, chers à la franc-maçonnerie ont donné lieu à différentes actions qui ont contribué à définir son action future.

138. - L’adoption d’une nouvelle constitution interne a fait l’objet de vifs débats qui ont permis de saisir pour la première fois la notion de progrès propre à la franc-maçonnerie. Celle-ci est détachée de tout référence à un dieu. La réforme de la constitution de 1854 a ouvert la voie à la revendication tendant à exclure de sa rédaction tout terme se rapportant à un champ lexical « théologico-féodal ». Celle-ci n’a pas été immédiatement couronnée de succès. Le convent de 1865 refusa d’exclure la référence à Dieu de l’article 1er de la constitution. Il a fallu attendre la motion du pasteur DESMONS, lors du convent de 1877,

286 P. NORD, « Utopistes, radicaux et universalistes. Les francs-maçons aux origines de la IIIème République », trad.

A. LEFEBVRE, in Les francs-maçons dans la cité – Les cultures de la franc-maçonnerie en Europe XIVème – XXème

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visant à supprimer toute référence à Dieu. Celle-ci avait pour but de mettre un terme à la discrimination à l’égard des athées, en raison des prescriptions déistes de la constitution. La motion a alors été votée par une importante majorité287. Cette première manifestation du rejet de la morale catholique marque le début du combat en faveur de la laïcité et de l’égalité. 139. - Autre manifestation de la conception maçonnique du progrès, la revendication tenant à l’abolition du privilège des grades supérieurs. Ces hauts dignitaires appartenaient à la fois aux loges dites « bleues », qui étaient celles auxquelles tous les francs-maçons appartenaient, et avaient intégré, en plus, les ateliers supérieurs d’élite qui leur étaient réservés. Ainsi, jouissaient-ils d’une double représentation lors des convents annuels, créant une situation d’inégalité avec les autres maçons. Le convent de 1872, sans les supprimer, opte finalement pour l’absence de représentativité des ateliers d’élite.

140. - Le convent de 1870 vote l’abolition de la fonction de Grand Maître. Le Grand Maître d’alors, Emile MELINET, nomme pour l’intérim, pour une durée d’un an, Léonide BARBAUD-LARIBIERE, un journaliste républicain. Evoquant ses prédécesseurs, il a alors déclaré : « Un prince du sang, Murat ! Un maréchal de France, Magnan ! Un général

sénateur, Mellinet ! Enfin un simple journaliste de province. »288 Pour la première fois, les

plus hautes fonctions de la franc-maçonnerie s’ouvrent à une autre classe sociale. Le convent de 1871 entérine la décision, mettant un terme à ce que certains maçons eux-mêmes dénommaient « l’ère monarchique ». Elle adopte ainsi un véritable fonctionnement démocratique et égalitaire.

141. - Il semble que la franc-maçonnerie ait souhaité se réformer elle-même avant d’envisager des actions semblables au-delà de son sein. Philip NORD écrit : « Les francs-maçons

aimaient à se considérer comme une avant-garde morale. Ils s’étaient embarqués dans une entreprise de républicanisation dans les années 1860, se posant en modèle pour le reste de la nation. En fait, si la France elle-même devenait républicaine, c’était en partie grâce aux efforts de militants tels que Rousselle et Delattre, tous deux députés, qui avaient fait leurs

armes dans la franc-maçonnerie avant d’entrer dans l’arène politique. »289 Un autre

287 P. CHEVALLIER, Histoire de la franc-maçonnerie française, tome 2, Fayard, 1989, p. 543. 288 Cité par P. NORD, op. cit., p. 64.

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phénomène explique ce constat. Les membres les plus actifs de la franc-maçonnerie occupaient des fonctions profanes qui ont nourri leur démarche à l’intérieur de la loge. Par exemple, Philip NORD évoque un groupe de maçons collaborant à une parution de libres penseurs radicaux, d’autres encore enseignaient la philosophie. Il faut noter que c’est aussi à cette époque que se développe la théorie du polygénisme en contradiction frontale avec le dogme de la genèse, qui rencontre un vif succès auprès des francs-maçons290. Les francs- maçons généralisent, à cette époque, le recours aux sciences comme rempart aux doctrines chrétiennes.

§ 2. Les premiers combats : la paix, l’égalité et la fraternité

142. - Le goût accru des francs-maçons pour les sciences fait naître en eux la volonté d’appliquer au monde les connaissances nouvelles délivrées par les avancées scientifiques. Ils apparaissent alors comme des modernistes convaincus. Parmi les grandes découvertes du XIXème siècle, se trouvent celles qui fondent la notion de fraternité. S’il n’existe qu’une seule

race d’humain, tous les hommes sont égaux. La maçonnerie s’engage donc en faveur de l’abolition de l’esclavage (A), de la colonisation puis de la décolonisation (C) de l’émancipation de la femme (D) et de paix entre les peuples (B).

A. L’abolition de l’esclavage

143. - La franc-maçonnerie s’engage en faveur de l’émancipation des personnes noires. Abraham LINCOLN, lui-même franc-maçon, a aboli l’esclavage. En France, c’est un autre maçon, Victor SCHOELCHER qui impose, par décret, le 27 avril 1848, l’abolition de l’esclavage. À sa sortie du collège, il est initié et affilié à différentes loges – La Clémente Amitié et les Amis de la Vérité – connues pour l’instruction civique et républicaine qu’elles dispensent à leurs membres. En 1828, il part au Mexique et à Cuba, où il est confronté pour la première fois à la réalité de l’esclavage colonial. Son article « Impressions du Mexique », publié en 1830, dans la Revue de Paris, témoigne de son indignation. Un héritage important

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lui permet de voyager, à l’étranger mais aussi aux colonies, où se forge son abolitionnisme. À partir du milieu des années 1820, le débat public s’empare de la question de l’esclavage et est marqué par l’implication de personnalités de l’époque tels que LAMARTINE, BROGLIE, LAFAYETTE, MONTALEMBERT ou encore La ROCHEFOUCAULD. En 1834, est créée la Société française pour l’abolition de l’esclavage colonial, qui implante des sections dans tous les départements et grandes villes de France et bénéficie même de correspondants à l’étranger puis dans les colonies. Elle publie des périodiques et un manifeste, en 1835, où elle dénonce l’esclavage comme inhumain et criminel. Les deux tiers de ses membres siègent à la Chambre des députés. De 1830 à 1848, la Société française pour l’abolition de l’esclavage colonial publie des dizaines de titres sur les méfaits du système colonial et l’esclavage. Un de ses ouvrages les plus connus est sans doute De l’esclavage des Noirs dans la législation

sociale, paru en 1833. En 1840, il entreprend un voyage de dix-huit mois à travers les

Antilles. Le fruit de ce voyage est publié en 1842 et s’intitule Colonies françaises – Abolition

immédiate de l’esclavage. À ce propos, Paul GOURDOT écrit : « Premier ouvrage antiraciste par excellence, il est animé de la foi la plus absolue dans le progrès humain et

dans un idéal de fraternité et d’égalité républicaines. »291 1842 est aussi l’année où Victor

SCHOELCHER unit ses forces à celles de la Société française pour l’abolition de l’esclavage colonial. Dans son ouvrage Colonies étrangères – Haïti, il mène un travail d’ordre sociologique en collectant des informations, notamment chiffrées, relatives à la suppression de l’esclavage à la Dominique, la Jamaïque et à Antigua. Son objectif est double : démontrer la supériorité indiscutable du travail libre sur l’esclavage et dénoncer le caractère injuste de ce dernier. Il y écrit : « L’esclavage des Noirs est le résumé de toutes les iniquités, et la

civilisation moderne ne se lavera jamais aux yeux des âges futurs de n’avoir pu fonder ses

colonies qu’en violant toutes les lois de la justice et de l’humanité. »292 De retour à Paris en

1848, il s’entretient avec ARAGO, alors Ministre de la Marine et des Colonies. À l’issue de cette rencontre, le ministre lui délègue, par décret, la mission de régler la question de l’émancipation des Noirs. Le 4 mars 1848, il devient Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies. Un décret du 5 mars porte création d’une Commission spéciale, présidée par Victor SCHOELCHER, chargée de rédiger l’acte d’émancipation. Ses premières lignes sont « Le

Gouvernement provisoire de la République, considérant que nulle terre française ne peut plus

291 P. GOURDOT, Le combat Social des francs-maçons, Editions du rocher, Humanisme et Tradition, 1999, p.

175.

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porter d’esclaves… ». Au terme de trente séances de travail, le décret du 27 avril 1848 est

adopté.

144. - De 1848 à 1851, il soutient les radicaux dans leur action politique. Auprès d’eux, il s’engage pour l’abolition de la peine de mort. Sa proposition de loi en ce sens est rejetée par l’Assemblée nationale le 21 janvier 1851. Plus tard, il revient à la publication d’articles polémiques relatifs à la liberté de la presse, de l’enseignement – qui doit aussi être gratuit et obligatoire – au cléricalisme et à l’instruction publique. En 1878, il affirme d’ailleurs que « la

tolérance, la liberté de conscience et l’esprit rationaliste ne peuvent triompher que par la

Laïcité »293.

145. - Le Grand Orient de France, à la fin des années 1860, décide de rompre toutes relations avec les loges américaines en raison de leur refus d’admettre des personnes noires en leur sein294.

B. L’engagement pour la paix

146. - La franc-maçonnerie poursuit cet engagement en faveur de la fraternité et organise, à cet effet, à partir de 1867, des conférences de la paix en Suisse. La régularité de la tenue de ces conférences conduit à la création d’un organisme permanent : la Ligue de la Paix et de la Liberté. La parution de la publication Les Etats Unis d’Europe, éditée par Charles LEMONNIER l’accompagne. En 1870, Le Grand Orient exprime officiellement ses regrets lors de l’ouverture des hostilités entre le France et la Prusse. En outre, la franc-maçonnerie et en particulier le Grand Orient, tente d’opérer une médiation entre les communards et les versaillais. LEMONNIER prend position contre l’existence d’une armée de métier, qu’il juge responsable des guerres civiles ou nationales, et exprime son souhait de la voir remplacer par des milices de citoyens. Cette substitution devait bien entendu accompagner celle des institutions républicaines aux régimes impériaux295.

C. Le paradoxe de la colonisation

293 Cité par P. GOURDOT, op. cit., p. 178. ; v., également, infra p. 70 n° 294 V. P. NORD, op. cit., pp. 181 et suivantes.

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147. - De façon nettement plus contestable, mais dans une logique propre à l’époque, la franc- maçonnerie exprime son soutien à la colonisation (1), avant d’être favorable à la quête d’indépendance (2).

1. Un soutien contestable à la colonisation

148. - Les francs-maçons perçoivent en effet la prise d’Alger 296 comme une manifestation de

l’affranchissement des peuples. Un Orateur297 d’une loge rouennaise, La Persévérance

Couronnée, affirme d’ailleurs que « cette nouvelle conquête des Français […] doit amener

des résultats immenses pour le progrès de la civilisation et le bonheur de l’humanité ; elle abat un tyran, elle brise les fers d’un peuple, elle assure la tranquillité de la Méditerranée et

anéantit à tout jamais le honteux vasselage de l’Europe »298 ! Les maçons conçoivent alors la

colonisation, et l’immigration d’origine métropolitaine qui en est la conséquence, comme une opportunité pour la franc-maçonnerie de s’implanter dans de nouveaux territoires, afin d’améliorer le sort des populations indigènes. La franc-maçonnerie se donne donc pour but d’extraire les algériens de leur ignorance. L’autre objectif de l’œuvre civilisatrice des francs- maçons en Algérie est l’assimilation. Contrairement aux colons pour qui l’assimilation ne concerne que les institutions, les francs-maçons considèrent qu’elle doit s’étendre jusqu’à la citoyenneté. En effet, en 1834, la loge La Française de l’Union Africaine déclarait vouloir « propager la civilisation française en Afrique, éclairer et instruire, même les Arabes, et

former avec eux une sorte d’union de famille pour en faire un nouveau peuple français »299.

En 1884, on retrouve cette même idée développée par Arthur de FONVIELLE, fondateur avec son frère du journal L’Algérie Nouvelle, qui expliquait que l’objectif principal de la franc-maçonnerie était de « préparer la fusion de toutes les races et de toutes les nationalités

qui habitent ce pays en un seul peuple, en une seule famille, unie par les liens de fraternité et

ayant abandonné les préjugés religieux et les rivalités nationales qui les séparent »300.

296 Sur le soutien de la franc-maçonnerie à la colonisation de l’Algérie, v. P. GOURDOT, Le Combat Social des

Francs-Maçons, éditions du Rocher, Humanisme et Tradition, 1999, pp. 154-167.

297 Chez les maçons, cette fonction désigne celle de représentant de la loge auprès du grand public et des média. 298Les Cahiers de la Grande Loge de France, n°31, octobre 1954, p. 41,cité par P. GOURDOT, op. cit., p. 156. 299Le Globe, IV, 1842, p. 22, cité P. GOURDOT, op. cit., p. 158.

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2. Un revirement en faveur de la décolonisation

149. - Paradoxalement, mais au soutien de cette même idée de progrès, la pensée maçonnique a nourri le mouvement de décolonisation en Amérique du Sud301. « Nombreux, parmi ceux

qui ont concouru à l’indépendance des pays qui composent l’Amérique du Sud, étaient les

Francs-Maçons français. »302 Selon Paul GOURDOT, l’idéologie créole aurait été influencée

par les philosophes français. Lors de ces luttes, comme lors de la Révolution, ce sont « les

intellectuels épris d’idées nouvelles »303, tels MIRANDA et BOLIVAR qui jouent un rôle

« déclencheur ». Ces créoles, instruits à l’Université, vont entreprendre de traduire la Déclaration des Droits de l’Homme et le Contrat Social ou vont fonder des journaux pour diffuser leurs idées. Ces promoteurs des idées révolutionnaires et des philosophes français étaient des intellectuels – clercs, magistrats ou médecins – presque tous francs-maçons selon Paul GOURDOT. Il ajoute : « Ce sont deux Maçons, Washington et Franklin, respectivement

Vénérables de la Loge « L’Union Américaine », et de celle des « Neuf Sœurs », qui ont permis le succès de la révolution nord-américaine contre l’Angleterre, la conclusion du traité avec la

France, les Etats-Unis et l’Espagne. »304. Il explique que la loge des « Neuf Sœurs »305 de

Paris, fondée en 1776 par Jérôme de LALANDE, avait une vocation « encyclopédiste ». Pour cette raison, elle a constitué un lieu privilégié d’échanges d’idées philosophiques, politiques et scientifiques. La maçonnerie espagnole, qui s’était aussi donné pour but de promouvoir les libertés et de combattre les excès du pouvoir est tout naturellement intervenue dans la lutte d’indépendance américaine. Paul GOURDOT écrit « La Franc-Maçonnerie y fut rapidement

à l’avant-garde de la campagne pour l’indépendance grâce à l’action de sociétés initiant

dans la clandestinité leurs compatriotes à la pensée révolutionnaire française. »306

150. - Les héros des luttes d’indépendance latino-américaines étaient maçons, affiliés à une loge européenne ou locale : BOLIVAR, MIRANDA – qui avait lui-même fondé, à Londres, la

301 Sur ce point, v. P. GOURDOT, op. cit., pp. 136-154. 302 P. GOURDOT, op. cit., p. 136.

303 P. GOURDOT, op. cit., p. 137. 304 P. GOURDOT, op. cit., p. 139.

305 Disparue en 1848, cette loge a pourtant compté parmi ses membres des personnalités éminentes tels

GUILLOTIN ou LACEPEDE.

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Gran Logia Americana – San-Martin, O’Higgins, Sucre. « L’intervention de la Franc-

Maçonnerie française en général dans la libération des colonies latino-américaines est essentiellement intellectuelle et peut-être par là même davantage percutante qu’un engagement physique de ses membres – engagement qui fut cependant le fait de quelques

généraux français »307 Lorsqu’avec le franc-maçon Louis BLANC et d’autres ministres,

LAMARTINE décide d’instituer le suffrage universel, la reconnaissance de la liberté de la presse et du droit d’association ou encore, l’abaissement de la journée de travail pour l’ouvrier et la garantie de l’emploi, les capitales d’Amérique latine y trouveront un grand intérêt. On y promeut alors les idées de LAMARTINE au sein de sociétés comme la Société de l’Egalité au Chili qui fait le serment d’ « arracher le peuple à la honteuse tutelle à laquelle

on l’a soumis et qui proclame la souveraineté de la raison et du peuple, l’amour et la

fraternité universels »308. D’autres sociétés de ce type se créent au Venezuela et en Colombie.

S’il n’est pas avéré que LAMARTINE ait été franc-maçon, les historiens s’accordent sur le fait qu’il a beaucoup fréquenté les membres de l’Ordre et que ses idées sur l’évolution de l’homme et de la société ont été largement influencées par celles développées dans les loges.

D. L’émancipation « raisonnable » de la femme

151. - La franc-maçonnerie s’engage aussi en faveur du féminisme. Avec le soutien de Léon RICHER, Maria DERAISMES, égérie de ce mouvement nouveau, prononce, en 1866, son premier discours au Grand Orient. 1866 est aussi l’année où l’on discute de la réforme de la législation du mariage. Un comité de soutien de la réforme est fondé. Parmi ses membres les plus connus, se trouvent de nombreux francs-maçons. Ils défendent une conception du mariage se fondant sur l’association morale de partenaires égaux et non sur une relation de subordination. Des rôles différents leur sont néanmoins dévolus : au mari de « gagner le pain », tandis que la femme « tient la maison ». Mais cette répartition n’exclut pas la coopération et la solidarité pour leurs objectifs familiaux. C’est ainsi que la franc-maçonnerie envisage sa contribution à la construction d’un foyer républicain.

307 P. GOURDOT, op. cit., p. 141-142. 308 Cité par P. GOURDOT, op. cit., p. 153.

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152. - En 1869, Léon RICHER fonde l’hebdomadaire féministe Le Droit des femmes. Un an plus tard, il fonde une organisation de défense du droit des femmes et de collecte de fonds à cet effet, la Ligue française pour le droit des femmes. Toutefois, les francs-maçons promeuvent un féminisme limité puisqu’ils refusent l’initiation de Maria DERAISMES. En outre, il ne faut pas confondre le féminisme d’alors avec le féminisme contemporain. Les francs-maçons étaient certes partisans de l’instruction des femmes, mais surtout dans la mesure où elle leur permettrait d’être des ménagères vertueuses et des compagnes compréhensives. Aussi, bien sûr, grâce à l’école, elles deviendraient de meilleures mères de famille, aptes à éduquer une génération de républicains309. A cet égard, Paul GOURDOT cite

le Vénérable d’une loge de Rouen, qui, lors d’un discours en 1877, réaffirmait l’importance de l’égalité d’instruction pour les filles et les garçons, mais sans en dissimuler aucunement la finalité310 : « Il semblerait que la culture intellectuelle de la femme soit regardée comme

chose secondaire, alors qu’en réalité, les premières et plus durables leçons, celles qui doivent former l’esprit et le cœur des citoyens, doivent être œuvre de la femme. Il faut donc que