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LA FILIATION HERMETIQUE DE LA FRANC-MAÇONNERIE 112 Paul NAUDON affirme que « la franc-maçonnerie s’est toujours intégrée au courant

traditionnel de toutes les initiations qu’on désigne le plus souvent sous le nom d’hermétisme,

bien que celui-ci n’en soit qu’une forme syncrétique. »227

113. - L’hermétisme est une doctrine de salut qui serait issue du dieu égyptien Thot. Les grecs ont attribué ses pouvoirs à Hermès, du nom duquel la doctrine tire sa dénomination. Qu’il s’agisse de Thot ou d’Hermès, cette figure mythique apparaît comme celle du savoir, c’est le dieu inventeur de l’écriture et du langage. Hermès, dans la mythologie grecque est l’interprète, le messager et devient progressivement, aussi, le maître des arts, de la parole ou encore des signes mathématiques, c’est-à-dire toute chose d’interprétation difficile228. C’est

d’ailleurs la difficulté de l’interprétation de ces savoirs qui aurait donné le sens actuel du mot

hermétique.

114. - Un recueil appelé Poimandrès, est rédigé en langue grecque, en Egypte, aux IIème et

IIIème siècle après Jésus Christ. Composé de dix-sept traités, il rassemble les savoirs de

l’époque : astrologie, alchimie, magie, philosophie, théologie. Il a par la suite été traduit en latin, sous le nom de Corpus hermeticum. Le rayonnement de cette compilation de connaissances a été très étendu, inspirant aussi bien les Pères de l’Eglise que les Humanistes de la Renaissance229. Ce Corpus Hermeticum constitue la « révélation » que délivre Hermès

Trismégiste230. Il s’agit là de la « transmission de secrets s’appliquant aux propriétés

227 P. NAUDON,

La franc-maçonnerie, PUF, Collection Que sais-je ?, Dix-huitième édition, Paris, 2002, réimpr. 2004, p. 73.

228 R. TEXIER, définition du terme « hermétisme », in Encyclopédie philosophique universelle, II : Les notions

philosophiques, dictionnaire, volume dirigé par Sylvain Auroux, tome I, Philosophie occidentale, août 1990, PUF, p. 1134.

229 R. TEXIER, ibid.

230 Selon diverses doctrines, il aurait existé plusieurs Hermès. Selon la généalogie hellénistique la plus courante, qui

date du IIIème siècle ou du IIème siècle avant notre ère, le premier Hermès est Thot, et son fils est Agathodé, dont le

fils est le deuxième Hermès. C’est ce deuxième Hermès qui est appelé Trismégiste – « trois fois très grand », le superlatif « très grand » étant traditionnellement accolé au nom du dieu Thot - à partir du IIème de notre ère.

Cicéron, dans son De natura deorum (- 45), affirme qu’ont existé cinq Mercure, correspondant à la figure d’Hermès, dans la mythologie latine. C’est le cinquième, réfugié en Egypte à la suite d’un meurtre qui est appelé Thot. L’astrologue Albumasar, reprend dans son Introductorium majus, une légende ancienne qui affirmait qu’il y avait eu trois Hermès. Le premier Hermès serait petit-fils d’Adam, il aurait vécu en Égypte avant le déluge. Le deuxième Hermès aurait vécu après le déluge de Babylone et connaissait la philosophie, la médecine et l'arithmétique. Il aurait été le maître de Pythagore. Le troisième Hermès aurait vécu en Egypte, aurait pratiqué la philosophie de la nature, la médecine et aurait inventé l’alchimie.

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particulières et merveilleuses […] des êtres de la nature, qui font que certains s’attirent (l’aimant et le fer […]), ou se repoussent (vertus nocives). Cette communication révélée fait de celui qui l’obtient un élu privilégié, accédant au mystère d’un objet, mystère divin,

caché. »231 Cette révélation, s’opposant à l’intelligibilité universelle, est réservée à quelques

uns.

115. - M. Jean FOUBERT explique qu’en recevant l’instruction de l’Intellect, les hommes échappent aux passions du corps et au destin. Mais le salut étant essentiellement d’essence cognitive, et l’âme en symbiose avec l’Intellect, peu importent les actes commis par la « fatalité corporelle ». Il conclut en qualifiant l’approche hermétique de « mysticisme

immoral et permissif à l’opposé d’un christianisme qui implique non seulement une connaissance mais une volonté effective de conversion du vouloir et de changement de

vie. »232

116. - L’histoire et le développement du courant initiatique accompagnent ceux de la philosophie. À cette époque, religion, science et philosophie s’amalgamaient. On retrouve ainsi la notion de progrès dans d’autres sociétés initiatiques qui ont précédé la franc- maçonnerie. Le culte des mystères, tels que les Mystères d’Eleusis233 ou encore les Mystères

orphico-pythagoriciens, s’y développe. Les initiés préservaient les secrets du culte et

croyaient qu’ils connaîtraient eux aussi une vie après la mort en raison de leur initiation à ces mystères. Comme la divulgation des rites était strictement défendue et qu’aucun auteur n’a trahi ce secret, aucun écrit ne documente avec précision les cérémonies. D’ailleurs, le terme « mystes », dans l’Antiquité, désigne les nouveaux initiés qui doivent garder yeux et lèvres clos, en ce qui concerne leur consécration. Les mystères étaient ouverts à tous, riches et pauvres, hommes libres ou esclaves, hommes comme femmes, ce qui n’est pas sans rappeler l’idéologie égalitaire de la maçonnerie. La plupart des empereurs romains se feront d’ailleurs initier à ces mystères.

231 J. FOUBERT, définition du terme « hermétisme », in Encyclopédie philosophique universelle, II : Les notions

philosophiques, dictionnaire, volume dirigé par Sylvain AUROUX, tome I, Philosophie occidentale, août 1990, PUF, p. 1134.

232 V. J. FOUBERT, ibid.

233 Le culte des Mystères d’Eleusis se fonde sur la culture du blé et son cycle (entrepôt, semis et renaissance des

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Le but de l’enseignement de ces mystères était de « préparer l’avènement de la Perfection. Se

faire initier, c’était apprendre à mourir symboliquement, à monter vers l’état de pureté, de

connaissance et de plénitude absolue. »234 On retrouve là l’idée de mourir pour renaître, dans

le but d’être « sauvé », qui fonde la pensée initiatique et dans laquelle la franc-maçonnerie trouve sa source.

117. - L’alchimie, alors intégrée aux sciences, se développe au IIIème siècle après JC, dans les

milieux syncrétiques d’Alexandrie, et sa pratique s’étend jusqu’à Byzance puis au monde arabe235. Elle s’inspire notamment des pratiques juives, égyptiennes et hellénistiques. Aux

XIVème et XVème siècles, elle connaît un grand essor en Europe et des philosophes tels que

Saint THOMAS ou Roger BACON y consacrent une partie de leur travaux236. Puis, la pensée

orientale rencontre celle de l’Italie, par le biais des Grecs, après la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453. Nourris de la pensée antique, les Italiens affirment la valeur de l’individu, lors de la Renaissance. Cette pensée, qualifiée a posteriori d’humaniste, ne s’oppose pas à la religion mais au dogme.

118. - Le lien entre franc-maçonnerie et hermétisme se tisse au Moyen Age et à la Renaissance. Paul NAUDON explique qu’au cours de ces deux périodes, les associations maçonniques ont souvent offert l’asile aux philosophes hermétistes et aux alchimistes, alors itinérants. A cette occasion, ils les ont fortement influencés. Le maçon A. F. A. WOODFORD, dans son ouvrage Free Masonry and Hermeticism, paru en 1888, écrit : « Il

est très probable que la maçonnerie a recueilli des sociétés hermétiques une partie des formules symboliques… Par des points de contact variés, la franc-maçonnerie et

l’hermétisme se sont mutuellement aidés, protégés, défendus »237 Aux XVème et XVIème

siècles, se sont développées des associations à vocation philosophique, où ils se retrouvaient. 119. - Paul NAUDON affirme que le mouvement issu du courant traditionnel hermétique, qui a imprégné de façon certaine et continue la franc-maçonnerie, est celui des Rose-Croix238. Il

234 P. NAUDON, op. cit., p. 74.

235 Notamment dans les sectes fatimites et ismaéliennes qui, du fait de l’inspiration des Croisés et des Templiers, se

fondaient, elles-aussi, sur l’idée d’initiation,V. P. NAUDON, op. cit., p. 76.

236Ibid.

237 Cité par P. NAUDON, op.cit., p. 78. 238 V. P. NAUDON, op. cit., pp. 79 et suivantes.

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s’agit d’un ordre hermétiste chrétien, dont la dénomination serait due à son fondateur allemand, Christian ROZENKREUTZ. Son but est d’atteindre un état de perfection spirituelle et morale. Inspirés par les alchimistes mais insatisfaits de leur langage symbolique désuet, ils ont donné naissance à une doctrine écrite, qui se veut rationnelle. Ces recueils ayant rencontré un grand succès, de nombreuses sociétés Rose-Croix se sont formées dans toute l’Europe. Beaucoup de personnalités du XVIIème siècle appartenaient aussi bien aux deux formations. Parmi elles Christopher WREN (surintendant des bâtiments royaux), Robert MORAY (chimiste et mathématicien et premier président de la Royal Society), ainsi que Elias ASHMOLE, surnommé le « Mercuriophile anglais »239. À propos de ces relations entre Rose-

Croix et science, Paul NAUDON écrit qu’elles démontrent « combien la synthèse progressive

dans le chemin vers la Connaissance s’effectuait entre la métaphysique traditionnelle et le rationalisme cartésien. Cet état d’esprit imprégnait fortement les maçons qui créèrent la

franc-maçonnerie spéculative moderne. »240

Un manuscrit des anciennes constitutions maçonniques, imprimé à Londres en 1724, sous le nom The secret history of the Free-Masons, affirme d’ailleurs que Rose-Croix et maçons sont « des frères de la même fraternité ou ordre »241. Aussi le Daily Journal du 5 septembre 1730

présente les maçons modernes comme une « greffe de la société des Rose-Croix »242.

120. - La filiation hermétiste de la franc-maçonnerie et sa tradition initiatique l’ont inscrite, de fait, dans une démarche progressiste. Ce progrès apparaît, aux yeux des maçons, comme un formidable instrument de liberté : « L’univers, processus dynamique et créateur en constante

évolution, n’exprime ni plus ni moins que la “libération de la conscience” (Lecomte de

Nouÿ), “une marche à l’Esprit” (Teilhard de Chardin) ».243 Pour jouir de cette liberté, la

franc-maçonnerie commande à l’initié de mourir au profane pour renaître au sacré.

239 Le dieu Mercure étant l’équivalent, chez les latins, d’Hermès chez les grecs. 240 P. NAUDON, op. cit., p. 81.

241 Cité par P. NAUDON, op. cit., p. 80. 242 V. P. NAUDON, op. cit., p. 80. 243 P. NAUDON, op. cit., p. 122.

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