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92. - À propos du réseau maçonnique, M. Bernard GILLARD, auteur d’une thèse sur la franc- maçonnerie, écrit : « Lorsqu’on parle de réseau, on imagine une sorte de maillage, de filet

dont chaque cellule demeure unie à une ou plusieurs autres par un fil. La franc-maçonnerie, c’est aussi ça, chaque loge étant une cellule réunie à d’autres dans chaque Orient, se

multipliant au niveau régional et au niveau national. »189 Vers le milieu du XVIIIe siècle, la

franc-maçonnerie se développe progressivement en Province, par le biais des maçons eux- mêmes. En 1771, La Grande Loge de France compte quarante et une loges à Paris, cent- soixante-neuf en Province, onze aux colonies, cinq à l’étranger et trente et une loge militaires. Toutes les villes d’une quelconque importance compte une loge en son sein190. L’historien

Jean-Robert RAGACHE affirme que, sous la IIIème République, les travaux des convents

donnent souvent lieu à des propositions de lois. Il cite en exemple, celles relatives au statut des fonctionnaires, aux habitations à loyers régulés, aux accidents de travail. Le fonctionnement est toujours le même. C’est grâce au « maillage » sur tout le territoire que les idées sont relayées et défendues, y compris au niveau local, afin d’aboutir à une proposition de loi191. À l’époque contemporaine, Pierre SIMON explique que c’est « Parce que [les]

loges étaient bien implantées sur tout le territoire, [que les maçons ont] pu répandre [leur] point de vue dans toute une série de cercles et de communautés, sensibiliser la population et

faire instaurer dans les hôpitaux des centres de planification familiale. »192 Mais le réseau

maçonnique est aussi international. Ce dernier s’est constitué, progressivement, au rythme des relations existant entre les Etats eux-mêmes (§ 1) et des étapes de la colonisation (§ 2), pour enfin arriver à sa forme actuelle (§ 3).

189 B. GILLARD, Elle enseignait la République : la franc-maçonnerie, laboratoire pédagogique des valeurs

républicaines de 1871 à 1906, thèse préfacée par A. de KEGHEL, Dervy, Paris, 2005, p. 79.

190 V. D. LIGOU, « 1738-1848 : la maçonnerie française entre Lumières et Révolution », in Les Francs-Maçons –

Les dossiers d’Historia, Ed. Tallandier, Paris, 1998, (réunion des articles parus dans Historia spécial, n° 48, juillet- août 1997), p. 37.

191 J.-R. RAGACHE, « 1870-1940 : la IIIème République se construit avec les loges », in Les Francs-Maçons – Les

dossiers d’Historia, Ed. Tallandier, Paris, 1998, (réunion des articles parus dans Historia spécial, n° 48, juillet-août 1997), p. 79.

192 P. SIMON, dont les propos sont recueillis par F. de MONICAULT et J. BRUNOT, « 1967-1974 : les maçons

à l’origine des lois Neuwirth et Veil », in Les Francs-Maçons – Les dossiers d’Historia, Ed. Tallandier, Paris, 1998, (réunion des articles parus dans Historia spécial, n° 48, juillet-août 1997), p. 146.

PALACIO-RUSSO Diane-Marie| Thèse de doctorat | décembre 2016

§ 1. Le réseau maçonnique international rythmé par les relations diplomatiques des Etats

93. - La franc-maçonnerie s’est d’abord structurée en Grande Bretagne, entre 1700 et 1717. En France, c’est-à-partir de 1728 qu’elle s’organise. Par la suite, les obédiences des autres pays se sont organisées au fur et à mesure. C’est au cours d’un conflit concernant l’actuelle Belgique que les maçons britanniques et français ont décidé de fédérer les loges193.

94. - M. Alain BAUER définit la franc-maçonnerie comme la première société globalisée au monde194. En effet, la tradition maçonnique impose aux maçons et aux loges de se

reconnaître, quel que soit le lieu d’initiation et les relations entre les obédiences concernées. Avant 1929, il suffisait que celui qui se prétend maçon le prouve par un signe de main ou un diplôme pour être accueilli en tant que tel. Aujourd’hui, toutes les obédiences n’entretiennent pas entre elles des relations qu’Alain BAUER qualifie de diplomatiques. Parmi les obstacles à ces relations, l’initiation des femmes, admise par certaines obédiences et exclue formellement par d’autres195, aussi le principe de libre choix en matière de croyance (à la fois le choix du

dieu en lequel on croit mais aussi celui de croire ou non), reconnu en 1877 par le Grand Orient et qui a créé une rupture avec la GLUA. Autre thème de désaffection entre les obédiences, les relations diplomatiques entretenues par leurs pays d’accueil : M. Alain BAUER rapporte que les américains, jusque dans les années 1950, fréquentaient les loges françaises (GODF ou GLF), en raison de la présence du siège de l’OTAN à Paris. À partir de 1960, les relations entre les américains et le Général de Gaulle se crispent et les obédiences américaines interdisent à leurs membres de recevoir ou fréquenter les maçons français. La Charte de 1929 qui distingue les loges régulières des loges irrégulières196 est désormais appliquée avec rigueur. Selon les pays la l’engagement maçonnique peut prendre un sens différent : la maçonnerie américaine s’oriente de plus en plus vers les actions caritatives et le mécénat, la maçonnerie anglaise est plutôt qualifiée « conservatrice »197, la maçonnerie

193 V. A. BAUER, « Relations internationales et franc-maçonnerie », propos recueillis par P. BONIFACE, Revue

internationale et stratégique 2004/2, n°54, p. 21.

194Ibid.

195 V. supra nos 65 et s.

196 Les loges régulières sont toutes les loges anglo-saxonnes (et quelques autres affiliées) qui ne débattent que de

sujets symboliques alors que les loges irrégulières sont libérales et adogmatiques et débattent le plus souvent de sujets « sociaux ».

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française se consacre pleinement, pour sa part, au débat social. Mais les maçons français ont largement contesté cette absence de reconnaissance de la part de la maçonnerie américaine, née postérieurement. Néanmoins, depuis, les rapports entre maçonnerie française et maçonnerie américaine se sont nettement améliorés, à telle enseigne que, désormais, la maçonnerie américaine invite régulièrement la maçonnerie française à ses manifestations198. Mais si M. Alain BAUER se réjouit de ces invitations, il note que les loges américaines et françaises ne se reconnaissent pas en tant que telles et « n’établissent pas de relations

diplomatiques »199.

95. - M. Alain BAUER estime le pourcentage de maçons dans la classe politique, avant l’occupation, à environ 60 %. Ils appartenaient alors à différentes formations politiques. Mais il explique que ces maçons étaient capables de dépasser leurs divergences pour se mobiliser en faveur de grands projets, comme la création de la Société des Nations. Celle-ci fut aussi le fruit d’une collaboration avec les maçons américains. M. Alain BAUER qualifie, par ailleurs, la SDN de « production maçonnique pure et dure »200. Néanmoins, la fraternité maçonnique

ne pouvait pas franchir tous les obstacles : il n’existait aucune relation entre maçons français et allemands qui ont rompu toute relation en 1914. Le réseau maçonnique trouve donc sa limite dans les relations diplomatiques existant entre les Etats. Au mieux, la fraternité maçonnique n’a pu qu’assouplir les relations interétatiques ou favoriser l’ouverture d’un dialogue, comme on a pu l’affirmer au sujet de la décolonisation.

§ 2. L’implantation des loges dans les colonies

96. - Le réseau maçon s’est aussi manifesté dans l’empire colonial, britannique comme français. Des loges ont rapidement été implantées dans les colonies. Ce qui n’est pas sans soulever un paradoxe : ces loges étaient composées de colons, ayant donc foi en une idéologie

198 En 2001, la Grande Loge de Californie a invité le grand maître du Grand Orient de France à Sacramento, lui

rendant les honneurs dus à son rang. Aussi, en 2002, la même Grande Loge de Californie a accueilli la représentante de la Grande Loge Féminine de France ainsi qu’un représentant du Droit Humain, alors même que les loges américaines n’accueillent toujours pas les femmes. Enfin, lors de la conférence des Grandes loges américaines la Grande loge du Minnesota a, à nouveau, invité le grand maître du GODF et une délégation de la Grande Loge de France.

199 A. BAUER, op. cit., p. 24. 200 A. BAUER, op. cit., p. 27.

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qui hiérarchisaient les hommes entre eux, mais accueillaient parallèlement des hommes noirs et musulmans qui n’étaient pas considérés comme des citoyens. En Algérie, par exemple, le décret Crémieux a accordé d’office la nationalité française aux 35 000 juifs du territoire, discriminant ainsi les algériens de confession musulmane. Une telle situation a pu également être observée au Sénégal, en Côte d’Ivoire et dans les Antilles. Ce sont toutefois les seules élites autochtones qui sont recrutées. Qu’il s’agisse du Vietnam, du Maghreb ou du Liban, les débats alors menés en loge concernent, non pas la décolonisation, mais les possibilités d’accroître les droits des populations indigènes. Après la décolonisation, les obédiences françaises ont décidé de fermer ces loges pour favoriser la création de loges nationales. Ce projet s’est soldé par un échec, soit parce qu’elles ont été dévoyées, davantage préoccupées par « les affaires » que par une réflexion humaniste sur le progrès, soit parce qu’elles ont refusé de quitter le Grand Orient de France et de rejoindre les instances nationales. Ainsi, le Grand Orient de France dispose toujours de loges dans tous les pays d’Afrique (Sénégal, Togo, Côte d’Ivoire et même au Liban), à l’exception du Gabon, à en croire M. Alain BAUER201.

§ 3. Le réseau maçonnique international actuel

97. - M. Alain BAUER dresse le panorama actuel du réseau maçonnique international202.

Aujourd’hui, le Grand Orient serait présent en Jordanie. Il existerait aussi au Maroc, où, semble-t-il, une décision du tribunal islamique de Casablanca aurait affirmé qu’il n’est pas contraire à l’Islam. Le Grand Orient demeure clandestin en Algérie. La maçonnerie serait toutefois absente de Chine. La maçonnerie anglaise était néanmoins présente à Hong Kong, mais elle est devenue très discrète depuis la rétrocession de l’île à la République populaire de Chine.

98. - Le chiffre légendaire de sept millions de maçons dans le monde serait relayé par quelques loges. Cependant, M. Alain BAUER dément formellement cet effectif. Il affirme que ce chiffre a bien été réel, mais seulement au moment de l’apogée de la maçonnerie, dans

201 V. A. BAUER, op. cit., p. 25. 202 A. BAUER, op.cit., p. 29.

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les années 1950203. Deux phénomènes sont, depuis, venus infléchir le nombre de maçons. En premier lieu, la franc-maçonnerie anglo-saxonne subit un vieillissement important : l’âge moyen des francs-maçons anglais ou américains est de 75 ans204. La limitation aux sujets purement symboliques expliquerait le désintérêt des populations plus jeunes. En conséquence, des centaines de loges américaines ont fermé leurs portes et leurs membres sont passés de quatre millions en 1950 à moins de deux millions aujourd’hui. Néanmoins, le système de « cotisation à vie » fausse ce chiffre, puisqu’il correspond au nombre de personnes encore vivantes qui ont, un jour, payé une cotisation. Le nombre de maçons « actifs » serait en réalité de deux cent mille. Les britanniques, dont le nombre de maçons s’élevait à sept cent ou huit cent mille dans les années 1950, serait, aujourd’hui, de cent vingt mille à cent quarante mille. Les anglo-saxons, qui représentaient 95 % des effectifs de la maçonnerie ne sont plus que trois millions. M. Alain BAUER affirme qu’à l’inverse les effectifs de la maçonnerie dite libérale – c’est-à-dire la maçonnerie qui n’est pas attachée à la GLUA – auraient augmenté, passant de cent cinquante mille à trois cent mille. Il n’hésite d’ailleurs pas à employer le terme d’ « explosion » pour qualifier ce phénomène205, ajoutant que la France et la Belgique

sont les deux seuls pays où toutes les franc-maçonneries progressent. Ce constat s’explique sans doute par la situation particulière des loges de type français qui sont extrêmement variées (masculines, féminines, mixtes, a-dogmatiques, laïques, traditionnalistes…).

99. - Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, c’est en Islande que l’on trouve le plus grand nombre de maçons rapporté au nombre d’habitants avec près de trois mille maçons pour moins de trois cent mille habitants.

100. - En Europe de l’Est, la franc-maçonnerie, chassée par les nazis puis par les staliniens, se reconstruit progressivement. Les obédiences françaises (GLNF, GODF, GLF, GLFF, et DH) participent à cet effort de reconstruction. Le processus est plus ou moins rapide : Bulgarie, Hongrie et Pologne sont, de toute évidence, les pays plus performants alors que la République Tchèque et la Slovaquie sont beaucoup plus lentes. En Roumanie, elle est peu présente, mais en développement, sans doute sous l’effet de la prégnance de la culture française. Néanmoins,

203 A. BAUER, op. cit., p. 30. 204Ibid.

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les différentes tentatives d’établir une franc-maçonnerie russe ont été corrompues par la tendance à l’affairisme, selon M. Alain BAUER206.

101. - En France, l’effectif maçon se répartit de façon inégale entre les différentes loges. Selon son site internet, le Grand Orient accueillerait environ quarante sept mille membres répartis dans plus de mille cent cinquante loges. Le site de la Grande Loge nationale française ne mentionne, pour sa part, aucun chiffre. Il précise toutefois que toutes les régions de France accueille une loge, y compris la Martinique et la Réunion. M. Jean MURAT207, ancien candidat à la grande maîtrise de cette obédience – et qui a quitté la GLNF depuis – affirme qu’elle compterait vingt trois mille membres. La Grande Loge de France revendiquait en 2012 trente quatre mille maçons au lieu de trente mille un an et demi plus tôt. Cette progression s’expliquerait par une crise interne, née de contestations relatives à la conception et la pratique jugée autoritaire de la grande maîtrise exercée par M. François STIFANI208.

206 A. BAUER, op. cit., p. 31.

207 V. F. KOCH, « GLNF : rupture avec la GLUA et chute des effectifs », article paru sur le blog L’Express de

l’auteur La lumière, le 12 septembre 2012 : http://blogs.lexpress.fr/lumiere-franc-macon/2012/09/12/glnf-rupture- avec-la-glua-et-chute-des-effectifs/ (consulté le 3 juin 2013)

208 V. F. KOCH, « La GLDF profite de la crise de la GLNF », article paru sur le blog L’Express de l’auteur La

lumière, le 27 juin 2012 : http://blogs.lexpress.fr/lumiere-franc-macon/2012/06/27/la-gldf-senvole-sur-le-dos-de-la- glnf/ (consulté le 3 juin 2013)

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