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250. - La franc-maçonnerie mène depuis de longues années, en loge, une réflexion sur la fin de vie. L’obédience le Droit humain, qui a fait des problèmes de santé et des réflexions morales qui s’y rattachent une de ses spécificités, s’est interrogée, dès 1951 sur les rapports pouvant exister entre eugénisme et démographie. S’interrogeant en 1967 sur le respect de la vie, le Droit Humain poursuit sa démarche en 1978 en envisageant « les droits de l’homme

devant la mort ». En 1999, la question se précise et est désormais posée en ces termes :

« L’augmentation de la durée de vie pose des problèmes d’adaptation et de survie à notre

518 V. P. BURNAT et C. de VILLENEUVE, Les francs-maçons des années Mitterrand, Grasset, 1994, p. 18. 519 B. PAVARD, F. ROCHEFORT, M. ZANCARINI-FOURNEL, Les lois Veil – Contraception 1974, IVG 1975,

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société. Quelles structures, quels moyens mettre en place pour assurer à chaque Homme ou Femme une retraite et une fin de vie honorables ? ». En 2009, la question à l’étude des loges

est la suivante « Respecter la vie, disposer de sa mort : un droit, un choix, une liberté ? »520. De 2000 à 2008, le Grand Orient de France s’interroge trois fois sur ce thème, orientant sa réflexion autour des questions de l’éthique et de la dignité521. En 2004, C’est au tour de la Grande Loge féminine de France de se saisir de ce thème522. La Grande Loge de France invite ses loges à travailler à leur tour sur ce thème, à l’occasion d’une question posée en 1999, et consacrée à la dignité :

« La notion de dignité se situe au centre des préoccupations contemporaines. Elle apparaît en

des domaines aussi divers que ceux de la bioéthique, de l’euthanasie, du droit au travail et au logement, du statut des étrangers, des conditions de la détention. […] En mai 1998, le colloque organisé aux Antilles par la Grande Loge de France à l’occasion du cent- cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage a mis en évidence l’importance de cette notion. Une réflexion sur la dignité humaine […] permet [aux maçons] de poursuivre l’œuvre hors du temple, à travers les principaux débats de leur époque.

- Quels sont les liens entre démarche initiatique et dignité humaine ?

- De quelle façon la Grande Loge de France doit-elle faire entendre sa voix en faveur

de la prise de conscience et de la défense de la dignité humaine ? »523

Un maçon, Henri CAILLAVET, s’est particulièrement distingué dans ce débat, en soutenant l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) dont il a longtemps été le président (§ 1) et dont il a été l’un des acteurs militants les plus actifs (§ 2).

§ 1. Henri CAILLAVET : un maçon président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité

251. - Henri CAILLAVET, décédé en 2013, à l’âge de quatre-vingt dix-neuf ans, était franc- maçon depuis près de quatre-vingts ans. Ayant atteint le trente-troisième degré, soit le plus haut grade maçonnique, au Grand Orient de France, il se définissait lui-même comme étant « très attaché à [l’] idéal de solidarité, d’humanisme »524. Avocat de formation, il a aussi exercé de nombreux mandats électifs pendant une quarantaine d’années, avant de siéger à la

520 A. BAUER et J.-C. ROCHIGNEUX, A quoi réfléchissent les Francs-maçons ? Ed. Véga, 2010, Paris, p. 137. 521 A. BAUER et J.-C. ROCHIGNEUX, op. cit., pp. 68-71.

522 A. BAUER et J.-C. ROCHIGNEUX, op. cit., p. 110. 523 A. BAUER et J.-C. ROCHIGNEUX, op. cit., pp. 91-92.

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Commission nationale Informatique et Liberté et au Comité consultatif national d’éthique525. Il a aussi exercé des fonctions ministérielles sous la IVème République, à l’Outre Mer, en

1953, au sein du gouvernement de René MAYER et à trois reprises dans les gouvernements de Pierre MENDES FRANCE, auprès d’Edgar FAURE, puis de François MITTERRAND, en 1954 et 1955. Son parcours politique s’interrompt en novembre 1958, lorsqu’il vote contre l’octroi des pleins pouvoirs au général de GAULLE. Il redevient alors avocat, et ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard qu’il est à nouveau élu député du Lot-et-Garonne.

252. - Parallèlement à ses mandats électifs et à son appartenance à la franc-maçonnerie, Henri CAILLAVET est un militant convaincu. Son riche parcours d’élu révèle les thèmes pour lesquels il s’est engagé, tant comme parlementaire que comme militant. Il s’est en effet distingué lors de débats tels que ceux sur la fin de vie, l’interruption volontaire de grossesse, le transsexualisme, le divorce par consentement mutuel526, l’insémination artificielle, les

greffes d’organes, la lutte contre les discriminations… Il a aussi fondé une association, Euro Muter. Cette structure, dont Pierre SIMON était le secrétaire, avait pour but d’harmoniser les législations des différents états constituant alors la communauté européenne, en ce qui concerne la procréation artificielle en général et la gestation pour autrui en particulier527. Par

la suite, l’association a été dissoute par décision de justice. Inscrivant sa démarche dans la tradition de la désobéissance civile, Henri CAILLAVET écrit dans son ouvrage Paroles de

maçon528 : « Il faut […] oser rejeter les lois injustes, renverser les tabous ». Il définit le

Franc-Maçon comme « « un vagabond, un nomade de l’esprit » à la recherche de l’approche

de la vérité, du bien, du juste, d’autre part « un insurgé, un rebelle » qui se bat

inlassablement contre les égoïsmes collectifs, les injustices sociales et les inégalités »529. On

retrouve là un discours classique de maçon engagé « dans la cité ».

253. - Henri CAILLAVET, président de l’ADMD pendant de nombreuses années, en démissionne le 23 juin 2007, à l’âge de 93 ans. Pour soutenir l’action de l’ADMD et faire

525 V. infra n° 315.

526 Sa proposition de loi tendait à permettre aux époux qui engageaient une procédure de divorce par consentement

mutuel de personnaliser le projet de convention comportant les modalités des effets du divorce.

527 Rappr. de Civ. 1ère, 13 décembre 1989, 88-15.655, publié au bulletin, D. 1990, p. 273, rapport J. MASSIP, JCP

1990, II, 21526, note A. SERIAUX : rejet du pourvoi formé par l’association Alma Mater contre l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence prononçant sa nullité sur le fondement de l’art. 3 de la loi du 1er

juillet 1901, en raison de l’illicéité de son objet.

528 H. CAILLAVET, op. cit., p. 8. 529 H. CAILLAVET, op. cit., p. 9.

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rayonner l’association, il médiatise son engagement en faveur de l’euthanasie en multipliant les conférences sur le sujet et en publiant des ouvrages tels que Comment mourir dans la

dignité ?530 Il y explique les raisons de son engagement, expose le régime de l’euthanasie

qu’il envisage et promeut l’ADMD.

§ 2. Le rôle de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité dans le processus de mise sur agenda de la fin de vie

254. - L’engagement militant le plus notoire d’Henri CAILLAVET est sans doute celui concernant la fin de vie, promouvant à la fois la légalisation conditionnelle de l’euthanasie et luttant contre l’acharnement thérapeutique. Ce parti pris s’est matérialisé par sa participation à la création531, en 1980532, de l’ADMD. C’est la principale association militant en ce domaine.

Elle compte aujourd’hui plus de cinquante mille membres et couvre l’ensemble du territoire 533. Ses adhérents sont aussi bien des médecins et personnels médicaux et

paramédicaux, que des enseignants, des magistrats, des scientifiques, ou encore des élus, des artistes et des intellectuels. L’ADMD précise que ses adhérents sont issus « de tous les

milieux sociaux, politiques, philosophiques et confessionnels »534.

255. - De toute évidence, l’ADMD hérite de l’expérience de la création du Planning. On notera même le transfert de certains de ses militants (J. COHEN, Anne-Marie DOURLEN- ROLLIER et bien sûr, Pierre SIMON)535. Elle milite par le biais de conférences, débats,

réunions et interventions multiples auprès des pouvoirs publics et des médias.

530 Editions Pleins feux, 2003, 45 p. Transcription, revue et corrigée par l’auteur, d’une conférence prononcée le 4

février 2002 dans le cadre des Lundis Philo, à Bouguenais. Il aborde aussi la question, mais plus brièvement, dans

Paroles de maçon, op. cit., 2001, 63 p.

531 Régie par la loi du 1er juillet 1901, elle a été créée sous l’impulsion de l’écrivain Michel LEE LANDA, après la

parution d’une tribune libre, « Un droit », dans le quotidien Le Monde, le 19 novembre 1979 et après la proposition de loi d’Henri CAILLAVET destinée à prohiber l’acharnement thérapeutique.

532 V. annonce au Journal Officiel du 5-6 mai 1980.

533 Elle dispose d’une délégation par département, y compris à l’Outre Mer. Paris compte une délégation par

arrondissement. Il existe même une délégation au Sénégal, une à Monaco. En outre, l’association dispose d’un bureau international situé à Paris.

534 Présentation de l’association sur son site internet : http://www.admd.net/la-structure/presentation.html

535 V. le témoignage issu de l’intervention de Pierre SIMON au séminaire du 25 novembre 2005, au centre

d’histoire de Sciences Po, transcrit par F. POUGNON, synthétisé et annoté par C. BARD, p. 142, in C. BARD et J. MOSSUZ-LAVAU (dir.) Le planning familial – Histoire et mémoire (1956-2006), Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 141 et s.

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256. - Quant à son objectif, l’ADMD précise qu’elle « n’a cessé d’affirmer que la prise en

charge efficace de la douleur s’imposait, même au risque de précipiter le décès du malade en

souffrance. Très retardataire en ce domaine, la France est en deux décennies passée du 40ème

au 5ème rang mondial des utilisateurs de morphine. »536 A cet égard, il est à noter qu’en 1986,

l’ADMD intègre la commission mise en place par le ministre de la Santé de l’époque, Edmond HERVE, lequel rédige en août de la même année une circulaire relative à l’organisation des soins et à la création en France des premières unités de soins palliatifs pour l’accompagnement des malades en phase terminale. Depuis, l’ADMD réclame l’intensification du développement de ces soins. Parallèlement, elle a milité contre l’acharnement thérapeutique. Certaines de ses revendications ont été satisfaites lors du vote de la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002. Mais l’association intervient à nouveau lors de la médiatisation de la fin de vie de Vincent HUMBERT, réclamant la légalisation de l’euthanasie active537. Ce jeune homme devenu, à 19 ans, tétraplégique, non voyant et muet, à

la suite d’un accident survenu en septembre 2000, avait néanmoins conservé toutes ses facultés intellectuelles. Il avait, en vain, demandé au Président de la République, en novembre 2002, d’autoriser son médecin ou sa mère à lui donner la mort pour mettre fin à ses souffrances sans que ceux-ci ne soient poursuivis pénalement. Dans sa réponse personnelle, M. Jacques CHIRAC lui a écrit: « Je ne peux vous apporter ce que vous attendez ». En septembre 2003, sa mère tente alors de mettre fin à sa vie en lui injectant une forte dose de barbituriques, ayant pour effet de le plonger dans le coma. Le surlendemain, à la demande de sa mère, le Dr CHAUSSOY, chef de service de réanimation, a débranché le respirateur et lui a administré une substance mortelle. Comme le Planning en son temps, l’ADMD n’a pas hésité à instrumentalisé ce fait d’actualité, pour porter ses revendications et ainsi provoquer la mise

sur agenda. Selon un sondage Brulé Ville et Associé, l’un des principaux instituts de sondage

en France, réalisé les 17 et 18 octobre 2003 pour la revue Profession politique, 86 % des personnes interrogées se prononcent pour la liberté des personnes atteintes de maladies

536 Site internet de l’ADMD : http://www.admd.net/la-structure/presentation.html

537 L’euthanasie est aujourd’hui envisagée de deux manières. On distingue l’euthanasie active de l’euthanasie

passive. La première « est envisagée comme le droit, pour la personne, de demander à un tiers, voire d’exiger de lui, qu’il provoque sa mort. » Elle se distingue donc de l’euthanasie passive, ou orthothanasie, qui « désigne les comportements consistant à ne pas recourir à des techniques modernes de soins en termes […] “d’acharnement thérapeutique”, ou à interrompre délibérément le recours à ces techniques lorsque l’on se trouve en présence de malades gravement atteints et incurables, pour lesquels une survie […] ne peut être envisagée qu’aux limites d’une vie complètement amoindrie. ». V. F. TERRÉ et D. FENOUILLET, Les personnes – La famille – Les incapacités, Dalloz, Précis, 8ème édition, 2012, n° 95, pp. 99-100.

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douloureuses et irréversibles, de mourir quand elles le désirent, et 80% estiment qu’une nouvelle loi sur l’euthanasie est « nécessaire » ou « plutôt utile ». Le rôle des associations, telles que l’ADMD538, vers la voie de la mise sur agenda mérite d’être souligné. L’ADMD a cherché en vain à obtenir des pouvoirs publics la reconnaissance d’une déclaration de volonté de mourir dans la dignité, aussi appelée « testament de vie ». L’ADMD a formulé des propositions d’amendements à la proposition de loi qui sera finalement votée le 22 avril 2005. 257. - Si le législateur se prononce effectivement sur la question, l’ADMD critique la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie539. Malgré la possibilité pour le

malade en fin de vie de rédiger des « directives anticipées » et de désigner une personne de confiance apte à le représenter auprès du corps médical, l’ADMD déplore que cette dernière n’ait qu’un rôle consultatif. Elle regrette aussi que le législateur se soit contenté d’autoriser la seule euthanasie passive. Pour l’ADMD, les conditions de fin de vie qu’offre l’euthanasie passive – en refusant tout traitement, alimentation et hydratation – ne sont pas acceptables. Elle continue donc de militer en vue de la légalisation de l’euthanasie active540.

CONCLUSION DU CHAPITRE I

258. - Le militantisme individuel de maçons soutenu par des structures associatives dédiées est le premier vecteur de l’influence maçonnique extra-parlementaire. Deux exemples ancrés dans des époques différentes et avec des personnalités partisanes différentes illustrent bien ce phénomène. Pierre SIMON, soutenu par la structure de Mouvement français pour le planning familial a milité avec succès pour la libéralisation de l’avortement après s’être illustré dans la lutte pour l’accouchement dit « sans douleur ». Henri CAILLAVET, ensuite, n’a eu de cesse

538 D’autres associations ont bien sûr milité en ce sens. Ainsi, l’association « Faut qu’on s’active ! », née à l'initiative

de jeunes citoyens en 2004, pour dénoncer les « dérives de notre société, lutter contre les injustices et faire vivre la démocratie » a manifesté son engagement en faveur de la légalisation de l’euthanasie. Elle était alors présidée par Vincent LENA.

539 Loi n° 2005-370.

540 Le site internet de l’association révèle que le 18 juin 2011, au cours de son assemblée générale, ses adhérents ont

voté en faveur d’une proposition de loi visant à « légaliser l’euthanasie et le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins palliatifs ».

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d’œuvrer en faveur de l’euthanasie auprès de l’Association pour le Droit de Mourir dans la dignité. Ces deux maçons ont décidé de porter leurs revendications au-delà des portes du temple, mais ils n’en demeurent pas moins que leur action a été nourrie par la philosophie maçonnique et les débats qui se sont tenus dans son enceinte.

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CHAPITRE II