Chapitre 1 : la dyspraxie développementale comme objet de recherche entre corps et esprit
III. La dyspraxie développementale comme entité clinique
Au vue de cette clinique on saisit que le trouble du geste au cœur de la dyspraxie
développementale ne constitue pas un signe pathognomonique de cette maladie. Le trouble du
geste se retrouve dans de nombreuses pathologies infantiles d’ordre structurel ou réactionnel
sans pour autant porter le nom de dyspraxie. Le geste troublé renvoie donc à une
étiopathogénie multifactorielle et est transnosographique.
La dyspraxie développementale nous confronte à ce que Berger 1999 appelle pathologie du
mouvement. Le geste est inséparable du sujet qui le produit. Le geste est par essence
développemental et participe à la construction du sujet. Il nous faut donc aborder la dyspraxie
développementale comme entité clinique fruit de la rencontre entre une pathologie du
mouvement et la période de construction psychique ontogénétique d’un sujet. La construction
psychique ontogénétique comprend la construction et l’interrelation entre la sphère cognitive
et la sphère affective comme l’ont théorisée Wallon et Vygotski. En cela, la dyspraxie
développementale est à étudier comme une entité clinique témoignant de l’histoire de la
formation d’un fonctionnement psychique, et du fonctionnement d’une fonction motrice.
Le trouble du geste que présente l’enfant dyspraxique nous invite à étudier le lien psyché
soma. L’unité somatopsychiquetient un rôle majeur lors de l’enfance et de la prime enfance.
Le corps de l’enfant est le premier outil qu’il possède pour entrer en relation avec le monde,
mais aussi pour décharger les tensions internes ou externes. Le travail aboutissant à une unité
somatopsychique est celui qui permet à l’enfant de s’approprier son propre corps et donc de
se représenter les espaces et les rites de son corps. Ce travail d’appropriation passe par la
séparation avec la personne secourable.
Gauthier (1999) postule que l’enjeu auquel est confronté le petit homme, est celui de
s’approprier son propre corps. Ce travail d’appropriation ne peut se faire sans le travail de
séparation d’avec la personne secourable. Gauthier (ibid) montre que dans les premiers temps
de vie il existe une indifférenciation des corps entre celui de la personne secourable et celui de
l’enfant. S’approprier son corps c’est s’approprier son propre espace, son espace imaginaire,
différencié de celui de la personne secourable. Cet espace de séparation se constitue à partir
des vécus corporels de l’enfant (corps réel) et par la mise en représentation de ces vécus
corporels (il en découlera la création d’un espace de pensée). Il y a une représentation
progressive de l’espace, de soi et de l’autre. C’est par le jeu des interactions et des
perceptions, inscrites dans la séparation, que vont naitre des représentations motrices chez
l’enfant (Claudon, 2003) apportant la représentation corporelle. L’action du corps et la
perception sont donc deux composantes d’une même entité :
« Cela nous amène à constater que le corps réel est inscrit dans l’interaction à un double
registre chez l’enfant. D’abord, il permet à l’interaction de se faire dans une réalité de
l’échange, la proprioception étant une catégorie fondamentale et dominante du vécu
somatique, ce corps supporte l’interaction principalement par les marques sensorielles qu’il
intègre pour créer l’expérience. Ensuite, cet état corporel permet de donner une logique ou
une consistance à l’échange dans la mesure où il objective pour l’enfant la structure de
l’interaction, lui faisant éprouver les faits et les régularités. Par exemple, les gestes et les
mouvements matérialisent les rapprochés/éloignements infanto-maternels […] On peut
retenir que ce qui impulse cette liaison entre le corps et sa représentation est de nature tout
autant biologique qu’interactive : action, sensation, représentation s’associent dans
l’interaction. La présence de l’objet interactif (la mère) est un facteur central d’un facteur
possible du biologique au psychologique. En outre, l’organisation temporelle (rythmicité) et
l’organisation spatiale (actes entrés sur le corps, déplacement du corps du bébé, mouvement
et représentation des objets) que la mère produit dans l’élevage de l’enfant (nourrissage,
soin, jeu) constituent les bases fondamentales de l’identité infantile de par leurs régularités et
leurs consistances. Le corps manipulé par la mère fonctionne comme un organisateur
Ce schéma basique de son propre corps acquis, le bébé va pouvoir orienter ses perceptions et
élaborer des images prémices de représentations. Ainsi se développe la cognition.
A la suite de cette motricité des premiers temps, vient l’apprentissage de la marche. Dans la
même dimension l’apprentissage de la marche possède une valeur expressive et identitaire
(Wallon 1942). C’est lors de cette période allant de 12 à 24 mois que l’enfant se construit une
représentation de son propre corps et de ses affects sur le monde. La marche confronte
l’enfant à passer d’une dépendance à une indépendance. Gautier (1999) explique que dès la
naissance le corps de l’enfant appartient à l’autre et que l’appropriation de son propre corps va
conditionner l’identité. Il y a une modification du lien entre l’enfant et la personne secourable.
Il y aurait un échec de ce déploiement de l’autonomie de l’enfant. Ce dernier est empêché
dans son autonomie car pris par des demandes d’attachements de la part de la personne
secourable qui n’arrive pas à élaborer ce nouveau lien avec l’enfant de par ses propres
préoccupations. L’activité motrice n’apporte plus l’indépendance mais prend la forme d’une
activité source de plaisir pour la personne secourable. L’enfant est empêché dans son
autonomie. L’enfant prend le statut d’objet narcissique pour l’autre. On retrouve ici les
réflexions de Bergès (1999) sur la dyspraxie.
Dans cette perspective la dyspraxie ne serait pas un symptôme dans le sens d’une formation
de compromis mais comme un trouble de la constitution de la psychomotricité en rapport avec
la maturation du corps et le développement affectif. Le trouble dyspraxique peut-être un
indice de la façon dont l’enfants’est approprié son propre corps.
L’objectif de cette recherche est de mieux comprendre comment le trouble dyspraxique a
rencontré la métapsychologie de l’inconscient et s’est lié, intégré et formé une entité clinique
sous la forme d’un fonctionnement psychique pathologique ? Autrement dit comment le geste
pathologique, qui est par nature essentiel et développemental, est venu se fixer dans un
tableau de développement dysharmonique de la personnalité appelé dyspraxie
développementale ?
Cette recherche consiste donc à décrire au mieux le fonctionnement des enfants présentant
une dyspraxie développementale. Nous pensons que les expériences motrices participent à la
construction de l’identité et de la pensée du sujet. Nous développerons donc dans cette
recherche l’idée que la dyspraxie développementale met en exergue l’autonomisation du sujet
et son identité. L’action est à l’origine de la création de la pensée. La dyspraxie
développementale est donc une pathologie du processus de subjectivation concomitante avec
une pathologie de l’activité de la pensée.
En cela, nous proposons une approche à la fois clinique et psychopathologique. Outre les
divergences de cette approche vis-à-vis de l’approche neuropsychologique, neurocognitive,
nous mettons l’accent sur les possibles points de rencontre et de complémentarité pouvant, in
fine, bénéficier aux enfants dyspraxiques.
Ainsi nous nous situons dans ce que Jasper (1913) nomme une approche compréhensive, dont
le but est de rendre compte de l’expérience intérieure du sujet. Ce que nous visons c’est la
recherche du sens. Celle-ci se fait en reliant les signes observables à une structure psychique
(métapsychologie) et aux relations intersubjectives (Chagnon, 2014 p 31). En cela on
cherchera la compréhension des mécanismes reliant le dysfonctionnement instrumental (le
trouble praxie) et le fonctionnement psychique.
Nous faisons donc le choix d’analyser les interrelations entre la dyspraxie développementale
et le fonctionnement du psychisme du petit enfant dans une vision synchronique et
diachronique, le tout soutenu par une théorie du fonctionnement mental. Nous nous inscrivons
ainsi dans la pensée de Chagnon (2014). Nous cherchons donc à repérer des modes de
fonctionnement ou dysfonctionnement permettant une meilleure compréhension du sujet. La
dyspraxie ne devient plus un objet d’étude, mais un sujet à observer, écouter et comprendre.
Sujet qui sera l’objet d’une approche clinique et psychopathologique permettant de mettre en
lumière son fonctionnement psychique à travers la métapsychologie psychanalytique.
Dans le document
Étude clinique et psychopathologique de la dyspraxie développementale chez l'enfant
(Page 51-55)