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I.4. Les nanotubes de carbone

I.4.8. La dispersion en solution

Rappel sur les interactions à l’échelle colloïdale

La stabilisation de particules colloïdales dans un milieu nécessite la connaissance des interactions qui interviennent entre ces particules, et souvent d’induire des interactions répulsives entre ces dernières. Nous présentons ici les interactions les plus couramment rencontrées.

Interactions attractives

Interactions de van der Waals

Elles proviennent des interactions dipolaires entre particules. Pour la plupart des corps, il s’agit principalement d’interactions entre dipôles induits, ce que l’on appelle des interactions de London. Le potentiel d’interaction pour des particules séparées d’une distance D grande devant leur taille, a pour expression [Israelachvili 1985] :

6

D C UvdW =−

avec D la distance entre les particules C la constante de Hamaker

C dépend de la polarisabilité des molécules et de la densité du milieu. Si D est suffisamment faible, les interactions de van der Waals peuvent être assez fortes pour maintenir le système dans un état agrégé.

Interactions de pontage

Les interactions de pontage sont attractives et proviennent de l’adsorption d’une chaîne de polymère sur deux particules. Ces phénomènes ne sont possibles que si la surface est faiblement couverte en polymère [Israelachvili 1980]. Au-delà d’une certaine concentration en polymère, les interactions répulsives de type stériques empêchent les particules d’entrer en contact, ce qui les stabilise dans le solvant.

Interactions de déplétion

Lorsque des petites particules sont mises en présence de plus grosses particules, elles définissent autour de ces dernières une zone de volume exclu, c'est-à-dire un volume dans lequel leur centre de gravité ne peut pénétrer en raison d’interactions stériques. Ces particules peuvent être solides mais aussi être des micelles de tensioactif ou des pelotes de polymère. Lorsque les grosses particules sont suffisamment éloignées les unes des autres, les petits colloïdes induisent autour de celles-ci une pression osmotique uniforme. Dès lors que les grosses particules sont suffisamment proches pour qu’il y ait recouvrement des zones de volume exclu, les petites particules n’ont plus la possibilité de se glisser entre les gros colloïdes et la pression osmotique s’exerçant sur ces derniers n’est alors plus uniforme. Il apparaît alors une interaction attractive, dite de déplétion, entre les grosses particules. L’importance de la pression osmotique va dépendre de la concentration en petites particules, ce qui explique que des effets d’agrégation peuvent alors lieu lorsque la concentration augmente.

Interactions répulsives Répulsion stérique

Elle est due à la modification de la surface des particules par des chaînes de polymères greffées ou adsorbées. Si le polymère est en bon solvant, les chaînes gonflent et occupent un certain volume autour de la particule. L’efficacité de la répulsion va dépendre du solvant employé et de la quantité de polymère recouvrant la surface [Israelachvili 1985]. Pour des particules sphériques de rayon r et séparés d’une distance D, le potentiel d’interaction va être infini pour D = 2r et nul pour D > 2r.

Répulsion électrostatique

Lorsque des particules colloïdales sont chargées par exemple, à cause de l’adsorption de molécules chargées à leur surface, la couche de charges adsorbées va induire une certaine distribution des espèces ioniques en solution près de la surface de la particule. Cette distribution est appelée couche diffuse. Les interactions entre les particules chargées résultent du recouvrement de leurs couches diffuses lors du rapprochement des surfaces. Pour des particules séparées par une distance D, et dans le cadre de certaines approximations, le potentiel d’interaction électrostatique s’écrit [Israelachvili 1985] :

( .κ)

exp D

B

U

E

= −

avec B le facteur dépendant de la taille, de la géométrie et de la charge des particules

I

e

T

k

B 2 1

ε.

κ

=

avec ε la permittivité diélectrique du solvant e la charge d’un électron

I la force ionique du système

La force ionique se définit comme la demi-somme des concentrations en ions présents en solution multipliées par leur charge au carré :

2 . 2 1 i i z c I =

avec ci la concentration en ions i

zi la charge de l’ion i

La dispersion des nanotubes de carbone en solution

Pour pouvoir disperser les nanotubes de carbone en solution, il faut tout d’abord « casser » les agrégats présents dans la poudre de nanotubes de carbone à l’issue de la synthèse et donc aller à l’encontre des interactions qui existent entre deux nanotubes, les interactions de van der Waals. Ces interactions se manifestent dans le cas des SWNTs en fin de synthèse lorsqu’ils forment des faisceaux et dans le cas des MWNTs lorsqu’ils sont enchevêtrés de façon compacte. Baughman et al. [Baughman] ont montré que le regroupement en faisceaux entraîne une diminution des propriétés mécaniques et électriques comparé aux résultats théoriques calculés. La valeur de l’énergie de cohésion vaut 40 000 kBT pour deux SWNTs parallèles d’environ 1 µm de longueur [Girifalco, Szleifer]. La figure I-8 représente le potentiel d’interaction de deux SWNTs parallèles en fonction de la distance entre ces tubes. Lorsque les nanotubes sont à une distance comprise entre 0 et 2.5 nm, ce potentiel chute fortement indiquant une forte attraction entre eux. Cette interaction attractive n’est toutefois que de courte portée et atteint des valeurs en dessous de kBT sur seulement 2.5 nm de séparation (figure I-8). Il faut donc, pour isoler et stabiliser les nanotubes de carbone, une répulsion relativement faible mais à portée et amplitude suffisante [Shvartzman-Cohen 2004].

Figure I-8 : Interaction par unité de longueur entre deux SWNTs en fonction de la distance entre les deux tubes [Gilrilfaco, Shvartzman-Cohen 2004].

Les dispositifs permettant d’aller à l’encontre de ces interactions sont, en plus de l’utilisation d’un agent dispersant, l’agitation magnétique, le mélangeage, le reflux, mais aussi de façon répandue les ultrasons, sous forme de bain ou de sonde.

Les ultrasons à haute puissance délivrés par les sondes à ultrasons fournissent des dispersions métastables de nanotubes ou de mélange nanotubes/polymère dans différents solvants. Il faut toutefois noter que les ultrasons utilisés pendant une longue durée ou à forte puissance raccourcissent les nanotubes de carbone et donc leur rapport d’aspect. Badaire et al. mettent en évidence en 2004 la fragmentation des SWNTs par les ultrasons par des mesures statistiques de longueurs effectuées par diffusion dynamique de la lumière (DLS) sur des SWNTs dispersés en milieu aqueux par du Sodium Dodecyl Sulfate. Les auteurs montrent que cette dégradation est d’autant plus importante que la puissance ou le temps d’application des ultrasons sont élevés. Ils remarquent qu’il est préférable d’employer de fortes puissances d’ultrasons pour individualiser les SWNTs initialement en faisceaux [Badaire]. Plus récemment, Lucas et al. montrent que, dans le cas des MWNTs, c’est l’énergie acoustique fournie qui est prépondérante dans le mécanisme de scission observé lors du passage aux ultrasons [Lucas].

Une fois les nanotubes de carbone désenchevêtrés ou les agrégats cassés, plusieurs méthodes de dispersion peuvent être envisagées pour les disperser efficacement en solution. La plus évidente consiste à disperser directement les nanotubes dans un solvant. Une méthode [Pénicaud], développée récemment, consiste à faire réagir des nanotubes avec un sel réducteur, chargeant les nanotubes en surface et les rendant soluble dans un solvant. Cette « dissolution douce » ne modifie pas les nanotubes de carbone comme lors de l’usage des ultrasons ou lors de la fonctionnalisation covalente mais elle nécessite toutefois un milieu non oxydant et une absence complète d’humidité. Les parois des nanotubes peuvent également être modifiées pour les fonctionnaliser et donc augmenter leur dispersion dans le milieu, en réalisant ce qu’on appelle une fonctionnalisation covalente des nanotubes de

carbone [Chen 1998]. Enfin, une autre méthode fait intervenir un agent dispersant pour aider la dispersion des nanotubes de carbone dans le solvant. Cette méthode s’appelle la fonctionnalisation non covalente et elle est employée dans l’ensemble de cette étude pour sa simplicité de mise en œuvre. L’agent dispersant peut être par exemple, un polymère, qui va jouer le rôle d’agent amphiphile pour disperser les nanotubes de carbone. Différents types de polymères ont été étudiés dans la littérature, tels que les homopolymères dont les polyélectrolytes et les copolymères à blocs.

Le polyélectrolyte étudié dans ce travail est le poly(acide acrylique). Il présente plusieurs intérêts pour son utilisation à l’échelle industrielle. Tout d’abord, la raison principale est que ce polyélectrolyte est sensible au pH, ce qui le rend particulièrement intéressant pour atteindre nos objectifs, c'est-à-dire un contrôle de son interaction avec les nanotubes pour la fabrication de composites conducteurs. De plus, ce système est compatible avec la formulation de peintures conductrices. Enfin, il est disponible commercialement, en grande quantité, pour un faible coût, ce qui n’est qu’un avantage supplémentaire mais n’est pas la réelle motivation. Une bibliographie de ce polymère sera détaillée à la fin de ce chapitre. L’étude de son interaction avec les nanotubes de carbone fera l’objet du chapitre II de ce travail.

Nous avons également étudié un copolymère à blocs, le poly(styrène)-b-poly(butadiène)-poly(méthylméthacrylate) (SBM). Le choix de son étude est motivé par ses propriétés mécaniques intéressantes et son effet dispersant des nanotubes de carbone. L’étude bibliographique de ce copolymère triblocs figurera à la fin de ce chapitre et l’étude de l’interaction de ce copolymère à blocs avec les nanotubes de carbone fera l’objet du chapitre III de cette thèse.