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5.1 L’ INGÉNIERIE DE LA FORMATION

5.1.3 La demande et l’analyse des besoins en formation

Il y a beaucoup de références dans la littérature consultée en ce qui concerne le point de départ d’une démarche de formation. Habituellement les auteurs parlent d’un « besoin », d’une « demande » qu’il faudrait relevés puis explorer et analyser afin de pouvoir formuler des objectifs d’apprentissage.

Pain (2003) remarque par exemple que « la première demande est le moteur mobilisateur de l’action pour arriver à un projet de formation dont le point d’arrivée est la commande. » La demande serait au début « la simple manifestation de l’insatisfaction, ou des buts d’un individu, ou d’un groupe », la commande « une formalisation de la demande sous la forme d’un contrat, généralement basé sur un cahier des charges, dont l’ampleur des spécifications est variable, passé avec un professionnel ou un organisme. » (Pain, 2003, p. 142).

Ce n’est pas très clair qui procède à cette transformation d’une demande vers la commande et implicitement cela veut aussi dire que le centre de formation ne peut pas travailler qu’avec une commande.

Pain (2003) considère que le « projet de formation doit être considéré comme une réponse opérationnelle à une demande formulée au professionnel de la formation par un responsable de l’organisation » et que cette demande est le point de départ sous différentes formes comme

« problème à résoudre, objectif à atteindre, difficulté à surmonter » (Pain, 2003, p. 111).

Selon Peretti (1998) l’analyse des besoins en formation aurait un double but :

« Permettre d’adapter les salariés aux changements structurels et aux modifications des conditions de travail impliqués par l’évolution technologique et organisationnelle » et

« permettre de déterminer et d’assumer les innovations et les changements à mettre en place pour assurer le développement de l’entreprise » (Peretti, 1998 dans Carré et Caspar, 1999, p.

117).

Viallet (1987) parle déjà d’un point qui nous semble important :

Il leur (aux ingénieurs ndlr) faut, par des méthodes rapides, arriver à diagnostiquer la situation effective des agents qui se trouvent dans le secteur étudié ; seule une approche concrète du milieu faite de visites nombreuses, d’entretiens, d’observation minutieuse, éventuellement des stages, permet de repérer ce qu’il faut transformer, et ce qu’il convient de créer. (pp. 38-39)

Alors que l’ingénieur de formation doit s’imprégner du terrain dans lequel la formation s’insère, ce que Pain (2003) confirme sous une forme légèrement différente :

La construction du projet de formation repose sur l’étude de la situation dans laquelle la demande est déclenchée. Les caractéristiques originales de cette situation, sa place dans l’organisation dont elle fait partie, méritent d’être soulignées. […] Sous ce qui est visible au moment de l’observation il y a tout le passé de l’organisation et de ses membres, leur histoire comprenant plusieurs dimensions. (pp. 95-97)

Concernant la première phase Pain insiste donc beaucoup sur la considération du contexte où il faudrait se questionner sur « les raisons d’existence et sur les possibilités d’insertion de l’action de formation. » Ceci en précisant l’origine de la demande et le problème de fond par une prise en compte des positions des acteurs point de vue « caractérisation du problème » et

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« efficacité de la solution formation », ainsi leur position face à la formation (Pain 2003, p.19).

Pain remarque que « les interrogations sur le contexte obligent à une réflexion anticipative et à se donner les moyens d’un dialogue avec les acteurs sur le terrain, pour créer les conditions de faisabilité de l’action de formation et pour assurer l’application des acquis sur le terrain » (Pain 2003, p. 19-20).

Quant aux méthodes d’analyse des besoins de formation, Meignant (2006) parle de deux groupes :

Les méthodes centrées sur les besoins de compétences de l’organisation dont le principe est l’identification des écarts entre compétences souhaitées et présentes dont « la formation pourra être l’un des moyens pour combler cet écart » et les démarches centrées sur l’expression des attentes des individus ou des groupes (p. 143 et p. 167).

Il souligne que « le besoin « objectif » analysé par les spécialistes doit aussi être ressenti par les futurs participants. Il ne suffit pas d’avoir raison pour être cru […] et encore moins suivi avec enthousiasme. » Ceci créerait une « dialectique de l’envie et du besoin » où ces deux termes sont croisés (oui/non) pour pouvoir « prédire » la viabilité d’une démarche de formation (Meignant 2006, p. 191-193).

L’auteur remarque que les « besoins en formation » n’existent en tant que tels : « Le terme parfois utilisé dans les entreprises de « recueil des besoins » exprime souvent cette idée finalement naïve qu’il suffit de demander directement aux gens quels sont leurs besoins pour qu’ils les expriment de façon fiable » (Meignant 2006, p. 133). On confondrait ainsi « le besoin » et « l’envie ». La personne peut exprimer qu’il a envie de se former sans avoir besoin et le fait qu’il n’exprime rien ne veut pas dire qu’il n’en a pas besoin. L’auteur parle de la possibilité de l’existence d’un « besoin objectif » mais qui n’est pas forcément en lien avec ce qui est exprimé par l’employé, car le contexte, la problématique n’est pas conscient (Meignant 2006, p. 133).

Il considère que « le besoin de formation est la résultante d’un processus associant différents acteurs concernés, et traduisant un accord entre eux sur des « manques » à combler par le moyen de la formation. » (Meignant 2006, p. 133). Il y a dans cette définition une dimension

« sociale » et une dimension « opérationnelle ».

La qualité de ce résultat dépendrait essentiellement d’une interaction optimale entre trois groupes de facteurs : Les acteurs qui analysent, leurs méthodologies et le déroulement temporel de l’opération. (Meignant 2006, p. 134)

Selon lui une « bonne méthodologie » pour l’analyse des besoins de formation prend en compte les « facteurs inducteurs » pertinents, implique les acteurs, est adapté « à son objet, et en particulier au type d’objectif de formation qu’il s’agit d’atteindre » et est efficient (Meignant 2006, pp. 142-143).

Une réflexion de Carré et Caspar (1999) va dans le même sens en parlant du « processus éducatif » qui doit rendre compte des acteurs impliqués avec leur propre cheminement de formation et de vie et de qu’il serait « tout à fait nécessaire que le processus d’ingénierie de la formation soit réalisé avec une démarche participative, considérant les agents ou les employés d’une organisation comme des partenaires ou des co-acteurs du processus d’ingénierie. » (Carré et Caspar, 1999, p. 341).

Aussi Le Boterf parle dans le chapitre « La démarche d’ingénierie de formation » d’une première opération à mener à bien c’est celle de « la reconnaissance de la configuration du problème d’ingénierie ». Elle devrait passer par une analyse de demande précise (Carré et Caspar, 1999, p. 341).

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Ainsi la prise en compte de la demande, sous une forme ou une autre semble indispensable pour la construction d’une action de formation. A souligner que la prise en compte du terrain et de ses acteurs est relevée comme un point crucial, surtout en ce qui concerne la mise en place d’une formation, mais aussi comme « fournisseurs » des informations sur les besoins en formation.

5.1.3.1 Méthodes de recueil de données

En ce qui concerne les méthodes de relever les besoins en formation il semble y avoir eu des changements dans l’approche durant les vingt dernières années.

Viallet proposait 1987 par exemple une « approche directe des informations ». Il serait utile

« de construire un questionnaire qui sera soumis systématiquement aux différentes instances » pour cerner d’une part la structure de la situation (techniques, connaissances nécessaires, personnes en lien…) d’autre part les fonctions du travail. (pp. 39-42).

Cette analyse pourrait être complétée par des entretiens de groupes, la « description d’une journée de travail » et d’une « observation directe des situations de travail » qui « fait enfin apparaître certains aspects des tâches que les titulaires ou leurs supérieurs omettent de mentionner comme des spécificités. » (Viallet, 1987, p. 48).

La démarche « questionnaire » est depuis souvent mise en doute et Pain (2003) parle par exemple de « résultats […] décevants » (pp.143-144) et Meignant (2006) remarque, en analysant un entretien fictif entre Directeur d’un établissement, DRH et responsable de formation interne :

Qu’il utilise un questionnaire pour « recueillir les besoins » est sans doute une indication sur sa manière de procéder : la vraie communication passe surtout par le dialogue direct, au contact du terrain et des situations concrètes, pas par un questionnaire qui, à tort ou à raison paraîtra administratif. (pp. 35-37)

Bernard Masingue (in Carré et Caspar, 1999) se donne critique par rapport aux méthodes

« choix par catalogue » et « recensement ».

Concernant le « choix par le catalogue » il note :

Celui-ci s’appuie sur la consultation de l’offre construite et préexistante […] pour décider des choix en matière de formation. La consultation de cette offre, considérée de ce fait comme un instrument a priori pertinent, invite un salarié (ou un hiérarchique) à rechercher pour lui-même (ou un de ses collaborateurs), la réponse à une question qu’il ne s’est pas nécessairement posée : à quoi se former ? (Carré et Caspar, 1999, p. 358)

Elle ferait « appel davantage à une logique de consommation, d’expression de désirs, que de besoins véritables et nécessaires » et donnerait aux « producteurs un pouvoir d’influence déraisonnable ».

Le « recensement » (depuis une simple note jusqu’à un questionnaire avec questions fermées et ouvertes…) serait à voir comme « un réel progrès par rapport à la seule consultation du catalogue car le primat du besoin est ici affirmé, la demande ambitionne de déterminer l’offre

», mais elle aurait des effets négatifs dans le sens que les personnes et supérieures auraient de la peine de reconnaître et d’exprimer leurs « besoins de formation ». Ils auraient « comme réflexe de circonscrire leurs demandes de formation soit dans le champ du connu soit dans les besoins conventionnels » donc ce qu’ils ont entendu dire qui seraient nécessaires. Et cela

« parce qu’être capable d’exprimer ses « besoins de formation » nécessite des individus qu’ils aient une représentation complète et réaliste de leur contexte de travail et de ses évolutions, ce qui est l’idéal et donc l’exception. » (Carré et Caspar, 1999, p. 358).

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Il y aurait le risque « d’entraîner des pratiques de formation déconnectées des besoins réels » et de favoriser « des phénomènes ponctuels d’hyperspécialisations (souvent dans les domaines techniques) tout en négligeant des déficits (par exemple sur des compétences transverses) » (Carré et Caspar, 1999, p. 358).

Plus récemment le recueil des besoins le plus utilisé serait l’entretien individuel dans le cadre de l’entretien annuel par exemple et « l’analyse des documents émanant de la hiérarchie » (Carré et Caspar, 1999, p.117), ce qui impliquerait souvent qu’il existe des « référentiel de compétences » ou des « normes liées à l’activité professionnelle » (Carré et Caspar, 1999, p.117).

Pour différents auteurs le mot « besoin » est déjà ambigu et on ne saurait « jamais très bien dans quel registre de significations on se trouve (objectif ou subjectif) ». Parler d’analyse des besoins reviendrait « à sous-entendre qu’une démarche de nature scientifique est susceptible d’être appliquée aux besoins, considérée donc comme une donnée. » Et il ne serait pas possible de « constater des besoins objectifs » mais que « des expressions de besoins formulées par des agents sociaux divers, pour eux-mêmes ou pour d’autres. » (Pain 2003, p.

147).

Ainsi Bernard Masingue (dans Carré et Caspar, 1999) soutien une « logique d’investissement » dans laquelle les besoins de formation n’existent pas en tant que tels et où il faut passer « d’une logique de consommation à une logique d’investissement » alors

« donner du sens à la dépense ». La formation devrait donc s’appuyer « sur l’analyse des besoins de changement et d’évolution des compétences et les objectifs de formation doivent être déterminés à partir de ceux-ci » sans oublier de prendre en compte « les projets et les motivations des individus » pour que cela deviennent un « co-investissement » (Carré et Caspar, 1999, p. 359).

Pain (2003) propose une « approche centrée sur la demande » qui s’appuierait « sur l’initiative des acteurs du terrain, dont le recours à un professionnel implique la reconnaissance de la formation comme outil efficace à la résolution de certains problèmes. » Le professionnel de la formation passerait « d’une position d’offreur/fournisseur d’une palette de produits […] sur la base de son expérience et/ou de l’offre du marché, à celle d’un homme-ressource considéré capable d’entendre les préoccupations du terrain et d’y trouver, par ses méthodes de travail, une réponse efficace » (p. 149).

La demande de formation naîtrait donc « dans l’activité quotidienne de production, comme le résultat de l’analyse d’un dysfonctionnement, menée généralement par décision d’un responsable. » La formation pourrait donc être vue comme « outil dans une stratégie managériale » où la demande est adressée à un service de formation interne ou à un professionnel extérieur (Pain 2003, p. 154).

Le recueil de données semble alors avoir passé d’une merveilleuse simplicité (il suffit de demander l’acteur) à quelque chose de très complexe qui nous laisse l’impression que seulement un concepteur expérimenté étant dans un contact presque empathique avec le terrain puisse y trouver des traces de véritables besoins en formation.