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10.2 L A DÉMARCHE DE LA CONSTRUCTION DE L ’ OFFRE

10.2.1 La demande de formation

10.2.1.3 Des cours « sans » demande externe au centre de formation

Une autre façon de voir comment les cours émergent ou l’idée d’un cours, n’est pas en lien (direct) ni avec un recueil systématique, ni avec des demandes explicites, mais se base sur certaines situations vécues ou entendues par les formateurs, ou même « seulement » sur une conviction, comprise comme demandes implicites. L’offre précède ici en quelque sorte la demande, ou est-ce qu’il faudrait dire : une offre sans demande peut dans certain cas créer une demande ?

Nous nous rendons compte à travers de ce qui est dit dans les deux chapitres précédents que ce n’est pas très clair sous quelle forme et comment les donnés recueillies sont d’abord exprimées puis « traduites » par le formateur et ensuite reformulées en termes de cours. En effet les données de base pourraient être des indications très directes en forme de contenu de cours, mais aussi prendre la forme d’expression d’un problème, d’une difficulté ou la

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présentation d’une situation problématique, une façon plus indirecte, implicite, pour être interprétée en tant que demande.

Une ambiguïté qui trouve son expression par exemple ici :

Donc la 1ère étape c’est de recueillir ça et de le structurer sur la base d’un document, Excel ou Word peu importe, qui permet d’identifier quel est le besoin. Ce besoin il est traduit également en besoin de formation. Au départ, je dirai on n’a pas un besoin de formation mais un besoin de développement, un besoin de travailler sur certains axes et ceci est également traduit en objectifs de formation. (HUG, 135-142)

Il semble qu’il y a une « traduction » entre les données « brutes » et l’offre de formation et il ne s’agit pas seulement d’une reformulation, mais déjà de « sentir » dans une situation une demande de formation. Ou peut-être de créer une demande en formulant la situation en termes de problème ?

Ceci est bien sûr encore plus visible s’il s’agit d’idées de formations venant des centres de formation même :

Mais je n’ai jamais eu de demandes pour le burn out. C’était plutôt ce que nous entendions comme venant de difficultés vécues dans les institutions qui nous ont fait dire, mais il faut offrir quelque chose dans ce secteur là. Dans la même logique, on a offert, mais sans succès, quelque chose autour du mobbing. Où on entendait…des difficultés…la section vaudoise me disait par exemple qu’ils avaient beaucoup de questions juridiques des questions de protection…dans ce registre là et puis on a offert et personne n’est venu, personne ! (EC, 526-533) et dans le même sens (EC, 598-602) Dans ce registre les centres ont différentes manières de trouver des sujets de formation souvent très dépendante des formateurs :

Moi ce que je regarde aussi c’est ce qui se fait, une partie c’est les demandes directes sur place, une autre partie c’est moi se sont mes idées, donc ça change avec les responsables parce qu’on a des idées différentes et puis une autre partie moi je vais voir, je vais voir ce qu’ils font au Canada, soit par des revues, soit par internet et je me dis tiens ça c’est intéressant ça pourrais marcher ici. (AsiGE, 169-173)

Un spécialiste peut aussi faire une offre spontanée, proposer une nouvelle façon d’aborder un sujet, l’établissement de formation peut trouver de manière subjective intéressant et proposer le cours (EC, 355-361) et (EC, 338-345).

Ou : « Souvent les offres de formations se font de deux manières, soit on est interpelé par quelqu’un qui a une offre, qui nous propose un sujet, un thème, une session, soit nous on a une idée, quand je dis nous c’est le comité souvent de la section », ou encore des participants ou des formateurs d’un cours. « C’est comme ça un peu, ce n’est pas très scientifique, mais je dirais c’est systématique, mais pas très scientifique » (AsiGE, 30-38).

Il y a des propositions aussi des membres de l’équipe de formation travaillant dans les unités de soins qui rentrent en ligne de compte sur le terrain, selon une sorte d’évaluation des besoins (AsiVS, 398- 403).

Les responsables citent ici souvent les motivations de leurs actions :

Alors, bien sûr, toutes les portes d’entrées sont possibles. Si vous prenez peut être l’offre de l’ASI comme arrière fond il y a des offres qu’on a mises sur le marché parce qu’on estimait qu’elles devraient être mises pour être dans l’ouverture que les soins devrait avoir. (EC, 88-90)

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Alors quand on dit « on » de cette façon ça peut être des responsables de formation ça peut être l’association professionnelle, des professionnels qui font de la recherche et qui montrent que dans le développement des soins il y a des aspects qui doivent aujourd’hui y figurer. Et à ce moment là, on est plutôt dans un registre « descendant » si j’ose dire pour permettre à la base d’acquérir tout un ensemble de réflexions qui nous sont fondamentales pour le développement des soins. (EC, 112-117)

Et concernant des cours que les formateurs malgré un échec relatif ou absolu ont quand-même envie de mettre dans le programme :

Parce qu’on se rend compte que c’est une problématique fondamentale qui faudrait pouvoir amener parce qu’on n’a pas envie non plus que de faire de la technique ou des mises à jour des aspects techniques mais qu’on a aussi envie justement d’amener des notions peut être plus réflexives donc on s’est dit : eh ben oui…mais c’est toujours de l’intuitif ou par rapport à l’évolution de la profession ou au niveau des préoccupations… » dont elles ont « connaissances » à l’aide de leurs « antennes » par exemple au travers de personnes travaillant dans un service. (AsiNE, 261-275)

Un autre exemple :

Ben voilà, nous, dans notre pratique on voit qu’il y a ça qui manque et on essaie de développer, mais c’est peut être un besoin par rapport à un idéal de soins, par besoin d’économie ou rentabilité des institutions. Mais c’est vrai il n’y a pas eu vraiment une analyse pour la mise en place d’un projet au niveau des besoins. (AsiFR, 193-199) Il s’agit là probablement plutôt des cours transversaux, mais il y a aussi des sujets spécifiques qu’un centre aimerait traiter en anticipant une évolution, dans l’exemple suivant il s’agit des transmissions ciblées :

Ou alors s’il y a vraiment une évolution dans les pratiques qui font qu’on a envie d’anticiper les changements sur le terrain et à ce moment là on va avant observer les difficultés, on va dire bon ça c’est un domaine ou on aurait envie de démontrer qu’il y a un intérêt là dedans et qu’il faut que les gens investissent dans ces orientations….

(AsiNE, 275-279)

Il arrive aussi que tout un éventail d’offres modulaires destiné à certains groupes de soignants (cliniciennes, praticiennes formateurs dans ce cas) soit basé sur une anticipation :

Cela vient si vous voulez de notre expérience. A un moment donné […] on s’est dit : mais par rapport à ce qui se fait ailleurs ce qui se prévôt dans le domaine de la formation continue en entreprise, donc il faut qu’on développe des cursus qui permettent aux gens de se former sur le plus long terme sur le même sujet. (CHUV, 133-144)

Bien entendu « notre expérience » comme « moteur » se réfère ici à l’équipe des formateurs ou même uniquement au responsable de formation.

Mais il y a aussi des problèmes avec cette façon d’anticiper qui sont exprimés :

Mais c’est une règle : quand la demande, quand l’offre précède la demande, dans les soins c’est difficile…. Je pense qu’on a une population féminine qui est plutôt à mon avis d’un type, comment il faut dire…, je dirais, je ne mets pas des valeurs, conservateur. Et donc la nouveauté de l’offre est difficile à faire passer quand les choses sont comme ça un peu anticipée. (EC, 137-144)

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Et ceci semble pouvoir même être le cas quand il s’agit d’accompagner par la formation un changement qui est en train de se faire où la formation devient obligatoire parce qu’elle n’est pas suivie sur une base volontaire (EC, 117-133), (EC, 420-425).

Commentaire :

Il ne s’agit alors pas ici de demandes explicites, mais ressenties comme étant finalement une demande envers les soignants de la société, une entité floue incluant toute la population et au-delà, pour que celles-ci se forment dans certains domaines (éthique par exemple).

Cette forme de « trouver » des sujets de formation, à priori sans demande, est probablement néanmoins toujours liée à une demande qui ne vient certes pas des participants potentiels, ni même des employeurs, mais plutôt du client, du destinataire des soins de façon très indirecte, jamais vérifiée.

Ce sont alors les responsables de la formation (stimulé par exemple par l’ASI ou des recherches) qui décident de mettre ces cours au programme (effet de mode ? actualités ? réflexions d’une élite ? réflexions d’une direction ?). Ces réflexions sont prises en compte quand elles viennent des cadres des centres de formation en contact étroit avec l’ASI central ayant pour mandat de veiller sur la qualité des soins infirmiers. Ces démarches ne sont pas du tout en lien avec une efficience immédiate d’exécution de tâches pouvant être décrites dans un cahier de charge, mais bien dans une visée recherche de qualité qui est sous-tendue par certains éléments qui portent les soins au-delà d’une pure fonctionnalité ou d’une application de modes d’emploi. La recherche en quelques sorte d’une conciliation entre l’approche soignant et l’approche plus technique et/commerciale de la profession.

La façon d’« offrir sans demander » revient à une manière précaire de procéder qui est du genre « essai – erreur », présente ici sous la forme d’une proposition d’un cours sans validation d’un besoin ou encore de remettre un cours qui a « marché » hier dans le programme en supposant (ou en espérant) que la participation est non seulement expression d’un besoin du présent, mais aussi du futur.

Même si la demande est parfois « construite », il apparaît suite à ces chapitres, que la demande et son analyse est la partie la plus importante (et complexe) de la construction de l’offre ce qui renforce l’impression donnée par la partie théorique.

10.2.2 Du recueil de données à l’offre : L’organisation « technique » de la construction