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La détention aux fins d’enquête au Canada

A) Les mesures de détention à l’extérieur des locaux de police

2) La détention aux fins d’enquête au Canada

Le pouvoir de détention pour fins d’enquête permet à un agent de la paix de restreindre à l’égard d’un individu son droit à la liberté d’aller et de venir pendant une période de temps relativement brève sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’arrestation de cet individu183. Ce pouvoir de détention est apparu dans la jurisprudence de la Cour suprême

du Canada pour la première fois dans l’arrêt Dedman184, mais s’était limité dans cet arrêt au

cas de barrage routier aux fins de sécurité routière185. Afin de justifier la légalité d’un tel

pouvoir, la cour dans l’arrêt Dedman utilise le test de l’arrêt Waterfield186 de la Cour

d’appel d’Angleterre sur la doctrine des pouvoirs ancillaires187. Par la suite, en 1993, l’arrêt

Simpson188 de la Cour d’appel d’Ontario étend la portée du pouvoir de détention aux fins d’enquête de façon considérable au-delà du simple cas de barrage routier189. Il faut toutefois

attendre jusqu’à l’arrêt Mann190 en 2004 pour que le pouvoir de détention aux fins d’enquête soit officiellement consacré en droit canadien191.

180 Lévesque Mandanici c R, 2014 CanLII 1517 aux para 68-69 (QC CA).

181 R c Storrey, [1990] 1 RCS 241 à la p 251, 1990 CanLII 125 (CSC) ; R c Latimer, [1997] 1 RCS 217 au

para 26, 1997 CanLII 405 (CSC).

182 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1706.

183 Alexandre Boucher, François Lacasse et Thierry Nadon, « La création de la détention pour enquête en

common law : dérive jurisprudentielle ou évolution nécessaire? Un point de vue pragmatique » (2009) 50 C de D 771 (QL) [La création de la détention pour enquête en common law] au para 1.

184 Dedman c. La Reine, [1985] 2 RCS 2.

185 La création de la détention pour enquête en common law, supra note 182 au para 18. 186 R v Waterfield, [1963] 3 All ER 659.

187 Dedman c La Reine, [1985] 2 RCS 2 aux para 68-69. 188 R v Simpson, 1993 CanLII 3379 (ON CA).

189 La création de la détention pour enquête en common law, supra note 182 au para 19. 190 R c Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 RCS 59.

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Le sens à donner au terme détention est éclairci par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Grant192 en 2009, la cour se basant sur les enseignements de l’arrêt Therens193. Ainsi, le terme détention, se trouvant aux articles 9 et 10 de la Charte canadienne des droits

et libertés194, doit s’entendre :

[…] de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une

contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.195

Dans cette partie, il est question de cette mesure de détention particulière au droit canadien, soit la détention pour fins d’enquête. Sont abordés, en tout premier lieu, les motifs permettant une telle mesure. Sont ensuite traitées les garanties juridiques existantes pour le justiciable qui en est l’objet. Cette partie se conclut enfin avec un commentaire concernant son absence d’équivalent en droit français.

2.1) Motifs

Afin d’étudier les motifs de cette détention, il est nécessaire de s’attarder à son objectif poursuivi, au niveau de suspicion relatif à la commission d’une infraction et enfin à l’exigence du caractère nécessaire de cette détention.

a) L’objectif poursuivi

La détention aux fins d’enquête sert, pour l’agent de la paix, à confirmer ou à infirmer l’implication de la personne suspectée relativement à la commission récente ou en cours d’une infraction et son utilisation doit aboutir à une arrestation ou à une relaxe196. Ce

pouvoir de détention est donc limité aux cas où l’agent de la paix n’aurait pas constaté la commission d’une infraction197.

192 R c Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 RCS 353.

193 R c Therens, [1985] 1 RCS 613 ; R c Grant, 2009 CSC 32 aux para 34, 44, [2009] 2 RCS 353. 194 Charte canadienne, supra note 4, arts 9, 10.

195 R c Grant, 2009 CSC 32 au para 44, [2009] 2 RCS 353.

196 La création de la détention pour enquête en common law, supra note 182 au para 30. 197 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1662.

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En plus de pouvoir poser des questions, les agents de la paix disposent du pouvoir accessoire de fouille par palpation, mais celui-ci ne peut pas être utilisé afin de découvrir l’existence de preuve198. L’utilisation de ce pouvoir de fouille n’est justifiée que lorsque

l’agent de la paix croit pour des motifs raisonnables que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée199.

b) Le niveau de suspicion relatif à la commission d’une infraction

Afin de pouvoir utiliser le pouvoir de détention aux fins d’enquête, l’agent de la paix doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner, compte tenu de toutes les circonstances, la participation de l’individu à la commission d’un acte criminel200.

L’infraction doit être récente ou en cours et il doit y exister un lien clair entre l’individu et cette infraction201. Il est à noter que ce degré de suspicion relatif à la commission d’une

infraction est moindre que celui requis par l’arrestation, ce dernier exigeant « des motifs raisonnables de croire »202 en la commission d’une infraction203.

Tout comme c’est le cas pour l’arrestation, cette norme est à la fois subjective et objective204. Elle est subjective dans le sens où l’agent de la paix doit avoir ces soupçons

lorsqu’il procède à la détention205. Elle est également objective puisque les soupçons

doivent être raisonnables, au sens où ils sont basés sur des motifs raisonnables206. Pour que

ces soupçons soient raisonnables, la Cour suprême écarte la possibilité que ceux-ci puissent être fondés exclusivement sur l’intuition du policier207. À cet égard, la Cour suprême dans

l’arrêt Harrison réaffirme ce propos dans un cas où l’intuition du policier avait été confirmée par le résultat de l’enquête208. Finalement, il est affirmé dans l’arrêt MacKenzie

que l’appréciation du caractère raisonnable des soupçons doit être faite au cas par cas209.

198 R c Mann, 2004 CSC 52 au para 40, [2004] 3 RCS 59. 199 Ibid.

200 Ibid au para 45. 201 Ibid au para 34.

202 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 495 (1) a), b). 203 R c Mann, 2004 CSC 52 au para 27, [2004] 3 RCS 59. 204 Ibid. 205 Ibid au para 34. 206 Ibid. 207 Ibid au para 35. 208 R c Harrison, 2009 CSC 34 au para 20, [2009] RCS 494. 209 R c MacKenzie, 2013 CSC 50 au para 32, [2013] 3 RCS 250.

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c) Le caractère nécessaire de la détention

Il ne suffit pas qu’il y ait existence de motifs raisonnables de soupçonner la participation à une infraction, encore faut-il que cette détention soit nécessaire compte tenu de l’ensemble des circonstances210. Ces circonstances, selon la Cour suprême, comprennent

« principalement la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d’accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de cette atteinte »211. Il est impératif que ce critère soit

satisfait puisqu’à défaut, la détention est jugée arbitraire en raison du caractère abusif de cette détention212.

Dans tous les cas, cette détention se doit d’être brève, à défaut de quoi elle est arbitraire213. La durée raisonnable de la détention est déterminée au cas par cas214.

2.2) Garanties juridiques

Les policiers ont l’obligation de satisfaire sans délai aux obligations qui leur sont imposées principalement par l’article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés215. Les droits d’une personne en détention sont : le droit d’être informé des motifs de la détention216, le droit à l’assistance à l’avocat217 et le droit de garder le silence218.

a) Le droit d’être informé des motifs de la détention

Dès le début de la détention, les policiers ont l’obligation constitutionnelle219

d’informer l’individu détenu dans un langage clair et simple des motifs justifiant sa détention220. 210 R c Mann, 2004 CSC 52 au para 34, [2004] 3 RCS 59. 211 Ibid. 212 Ibid. 213 Ibid au para 45.

214 La création de la détention pour enquête en common law, supra note 182 au para 30. 215 Charte canadienne, supra note 4, art 10 ; Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1676. 216 Charte canadienne, supra note 4, art 10 a).

217 Ibid, art 10 b).

218 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1676. 219 Charte canadienne, supra note 4, art 10 a).

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b) Droit à l’assistance d’un avocat

Les policiers ont également l’obligation d’informer l’individu de son droit à l’assistance d’un avocat221. L’arrêt Suberu a par ailleurs précisé que cette information doit être donnée

immédiatement après le début de la mesure de détention et que les policiers ont en outre l’obligation de faciliter l’exercice de ce droit222.

Bien qu’existe l’obligation pour les policiers de faciliter l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat, cette obligation pose toutefois certains problèmes en pratique en raison du temps que peut requérir le fait pour une personne d’avoir accès à cet avocat. Récemment, la Cour d’appel d’Ontario, sans trancher de façon définitive ce point, a affirmé qu’il ne serait justifié pour les policiers de prolonger la durée de la détention aux fins d’enquête durant le temps nécessaire afin que la personne détenue ait accès à son avocat, les policiers ayant au contraire l’obligation de relâcher la personne détenue dès que sa détention n’est plus nécessaire223.

Enfin, puisque le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat dès le début du moment de la détention peut poser quelques problèmes en pratique, cela est compensé par le fait que les policiers ont a possibilité de retarder le plus que possible le début du moment de la détention en posant des questions exploratoires à la personne, celles-ci ne portant pas directement sur le lien entre cette personne et la commission d’une infraction et qui ont pour effet que l’individu ne se trouve pas dans le cadre d’une détention au sens de la Charte

canadienne des droits et libertés224.

c) Droit de garder le silence

Il est finalement nécessaire pour les policiers d’informer la personne sur son droit de garder le silence225. En effet, l’individu n’a pas l’obligation de collaborer avec les policiers

221 R c Mann, 2004 CSC 52 au para 22, [2004] 3 RCS 59, 2004. 222 R c Suberu, 2009 CSC 33 au para 42, [2009] 2 RCS 460. 223 R v McGuffie, 2016 CanLII 365 au para 47 (ON CA).

224 La création de la détention pour enquête en common law, supra note 182 au para 38. 225 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1676.

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dans le cadre des questions qui lui sont posées et peut très bien décider de garder le silence au lieu d’y répondre226.

2.3) Son absence d’équivalent en droit français

L’aperçu du pouvoir d’arrestation en droit français sert principalement à introduire cette section de cette étude, soit le fait qu’il n’existe aucune mesure de détention sur la voie publique spécifique aux personnes suspectées d’avoir commis une infraction. Seule l’arrestation est prévue comme moyen coercitif à l’égard de ces personnes. Par exemple, en situation d’enquête de flagrance, l’officier de police judiciaire peut défendre à toute personne de s’éloigner du lieu de l’infraction pour la durée de ses opérations227. De plus, il

peut contraindre à comparaître par la force publique ces personnes228. Toutefois, celles-ci

ne sont pas visées par cette mesure en raison de leur caractère suspect, mais simplement en raison de leur proximité avec le lieu de l’infraction.

En outre, bien que cela n’ait pas lieu sur la voie publique, il existe avec la Loi n° 55-385

du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence229 - dans sa version à jour suite aux modifications causées successivement par la Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015230 ainsi que par la

Loi no 2016-987 du 21 juillet 2016231 - deux formes de détention possibles d’une personne à l’extérieur des locaux de police. La première est un pouvoir d’assignation à résidence alors que la seconde est un pouvoir de rétention d’une personne sur un lieu de perquisition, et ce, pour une durée maximale de 4 heures232. Toutefois, le critère justifiant la prise de

telles mesures à l’endroit d’une personne est lié à un niveau de suspicion relatif à la commission d’une infraction. En effet, ces deux articles se réfèrent comme critère à l’existence de « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics »233. Ce critère ne fait pas référence à une atteinte à

l’ordre ou à la sécurité publics, mais bien à une menace, laissant comprendre que la

226 R c. Mann, 2004 CSC 52 au para 45, [2004] 3 RCS 59. 227 Art 61 al 1 C proc pén.

228 Ibid, art 61 al 2.

229 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, JO, 7 avril 1955. 230 Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, JO, 21 novembre 2015.

231 Loi no 2016-987 du 21 juillet 2016, JO, 22 juillet 2016.

232 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, JO, 7 avril 1955, arts 6 al 1, 11 al 12. 233 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, JO, 7 avril 1955, arts 6 al 1, 11 al 12.

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personne n’a pas à avoir commis une infraction, le comportement constituant une menace n’étant qu’une simple potentialité234.

Le droit français ne connait donc pas d’équivalent à la « détention pour fins d’enquête » puisqu’aucune mesure de détention spécifique autre que la garde à vue n’est prévue à l’égard d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, la garde à vue ayant lieu presque toujours systématiquement dans les locaux de police tel qu’il est affirmé précédemment.

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