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B) La détention dans les locaux de police

II) La détention provisoire en France et au Canada

1) En France

La mise en détention provisoire d’une personne peut être justifiée par plusieurs motifs. Sont examinés dans cette section le statut de mis en examen durant l’instruction, les infractions entrant dans le champ d’application du régime de la détention provisoire, les objectifs législatifs devant être poursuivis pour justifier un placement en détention provisoire d’une personne ainsi que la nécessité du caractère insuffisant du contrôle judiciaire et de l’assignation à résidence avec surveillance électronique. Finalement, un cas qui fait exception aux conditions précédemment mentionnées est traité, soit lorsqu’une personne contrevient à ses obligations de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique.

1.1) Le statut de mis en examen durant l’instruction

Il faut savoir qu’en France, « l’instruction préparatoire » est une phase d’investigation qui est obligatoire en matière de crime et facultative en matière de délit459. Dans le cadre de celle-ci, le juge d’instruction instruit « à charge et à

décharge »460. Dans les autres cas, lorsqu’il n’y a pas d’instruction préparatoire, bien

que le renvoi à l’article 137-3 du Code de procédure pénale461 ne soit pas toujours systématique - celui-ci édictant les conditions nécessaires à une détention provisoire - , les critères de cet article sont tout de même appliqués462.

Lorsque la détention provisoire est envisagée durant l’instruction, il est essentiel que la personne ait le statut de « mis en examen » afin qu’il satisfasse aux critères de

459 Art 79 C proc pén. 460 Ibid, art 81 al. 461 Ibid, art 144.

462 Encyclopédie juridique Dalloz : répertoire de droit pénal et de procédure pénale, « Détention provisoire »

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l’article 143-1 du Code de procédure pénale463. Il est à noter sur ce point que le statut de « mis en examen » peut être attribué à personne à l’égard de qui « il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblables »464 que la personne ait pu

participer à la commission des infractions qui sont en cause465. L’indice grave est

« celui qui, à lui seul, paraît de nature à établir cette vraisemblance »466. Malgré le

pluriel utilisé dans cet article, il semble qu’un seul indice soit suffisant pour établir cet état de vraisemblance du moment qu’il est grave467. Quant au critère de

concordance, celui-ci s’applique lorsque plusieurs indices concordants existent, bien qu’ils ne puissent être qualifiés de graves468. Finalement, l’attribution de ce statut est

obligatoire lorsque les indices à l’égard de cette personne sont à la fois graves et concordants469.

1.2) Les infractions entrant dans le champ d’application de la détention provisoire

Conformément à l’article 143-1 du Code de procédure pénale, lorsque la détention provisoire est envisagée durant l’instruction, elle ne peut être ordonnée ou prolongée que si la personne encourt soit une peine criminelle ou soit « une peine correctionnelle d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement »470.

1.3) La poursuite d’un ou plusieurs objectifs

Il est précisé à l’article 137-3 du Code de procédure pénale qu’une ordonnance tendant à ordonner ou prolonger un placement en détention provisoire ou qui rejette une demande de mise en liberté doit « comporter l’énoncé des considérations de droit ou de fait sur le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire et le motif de la détention de la détention par référence aux seules dispositions des articles 143-1

463 Art 143-1 C proc pén. 464 Ibid, art 80-1 al 1. 465 Ibid.

466 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 1736. 467 Ibid.

468 Ibid.

469 Art 105 C proc pén. 470 Ibid, art 143-1.

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et 144 » du Code de procédure pénale471. Alors que l’article 143-1 limite le champ d’application de la détention provisoire à des infractions d’une certaine gravité472,

l’article 144 dispose que la détention provisoire doit être l’unique moyen de poursuivre un ou plusieurs des objectifs qui y sont énumérés, objectifs qui ne pourraient alors être atteints par un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique473.

L’article 144 contient à cet effet sept objectifs474. Ceux-ci sont exhaustifs et un

magistrat ne peut se fonder sur un autre motif pour justifier une détention provisoire475. Bien que cet article concerne la détention provisoire durant

l’instruction, il est référé aux critères de cet article ainsi qu’à l’article 137-3 – ce dernier référant lui aussi aux articles 143-1 et 144 du Code de procédure pénale476 - ailleurs dans le Code de procédure pénale dans les cas où la détention provisoire a lieu en dehors du cadre de l’instruction477. Ce sont ces objectifs qu’il convient

maintenant d’étudier.

a) « Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité »478

Cet objectif rarement utilisé sert essentiellement à s’assurer que la preuve soit préservée479. Toutefois, comme le fait remarquer Christian Guéry, il semble que ce

critère ne puisse justifier qu’une détention provisoire de courte durée puisque si elle est ordonnée afin de préserver un ensemble de preuves et d’indices matériels, cet objectif est atteint dès que l’acte visant à la conservation de ces éléments – par exemple, une perquisition - est accompli480.

471 Art 137-3 al 1 C proc pén. 472 Ibid, art 143-1.

473 Ibid, art 144. 474 Ibid.

475 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 2709. 476 Art 137-3 al 1 C proc pén.

477 Voir par ex Spar art 396 al 3 C proc pén. 478 Art 144 para 1 C proc pén.

479 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 51. 480 Ibid.

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b) « Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille »481

Tel que l’affirme Christian Guéry, cet objectif est fréquemment utilisé pour justifier une détention provisoire puisqu’il existe beaucoup d’infractions qui impliquent qu’il y ait une victime à l’occasion de la commission de celles-ci482.

Toutefois, pour que cet objectif soit utilisé, encore faut-il qu’il y ait des divergences entre les déclarations faites par le mis en examen ou l’accusé et les victimes ou les témoins483. La raison est que cet objectif vise à prévenir les pressions possibles sur les

témoins ou les victimes qui auraient pour effet de les pousser à changer leurs déclarations484. Ainsi, cet objectif est utilisé à bon droit dans un arrêt de la Cour de

cassation de 2013 où les déclarations d’une personne accusée de viols et de tentative de viols sont en totale contradiction avec celles des victimes, ces dernières habitant à proximité du domicile de l’accusé485.

c) « Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices »486

L’objectif ici poursuivi est d’éviter que les coauteurs ou complices communiquent entre eux dans le but d’élaborer un « scénario mensonger »487. Pour que cet objectif

soit utilisé, cela implique nécessairement qu’il y ait plusieurs personnes ayant participé à l’infraction soit en tant que coauteurs ou complices. En outre, il est bon de noter que le contrôle judiciaire peut prévoir lui aussi une interdiction de communiquer avec certaines personnes488. La difficulté d’utilisation de ce critère

réside donc dans le fait qu’il faille justifier l’insuffisance d’une telle interdiction dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour justifier une détention provisoire489. Cet objectif

est notamment utilisé dans un arrêt de la Cour de cassation de 1997 alors que la

481 Art 144 para 2 C proc pén.

482 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 48. 483 Ibid au para 49.

484 Ibid au para 49.

485 Cass crim, 23 janvier 2013, (2013) Bull crim no 27, no 12-87.382. 486 Art 144 para 3 C proc pén.

487 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 46. 488 Art 138 al 2 para 9 C proc pén.

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personne mise en examen pour des infractions entre autres d’abus de confiance et d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable dispose, au moment des faits générateurs de l’infraction, d’une grande influence sur les autres personnes mises en cause dans cette affaire490.

d) « Protéger la personne mise en examen »491

Cet objectif qui est très rarement utilisé sert notamment « lorsqu’il existe un danger de règlement de compte » pour la personne mise en examen492. Ce danger

peut résulter par exemple de la divulgation par la personne mise en examen de l’existence de complices ou de coauteurs493.

e) « Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice »494

Cet objectif vise les cas où il existe un risque que la personne tente de fuir pendant l’instruction ou son procès495. Généralement, ce risque est perçu à l’égard de

personnes de nationalité étrangère ou qui n’ont pas de domicile fixe496. L’importance

de la peine peut aussi être invoquée à l’appui des motivations, mais constitue rarement une motivation autonome497. En outre, une personne ayant déjà fui la justice

et ayant conséquemment fait l’objet d’un mandat de recherche peut également potentiellement faire l’objet d’une détention provisoire pour ce motif498.

f) « Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement »499

Alors que la partie « mettre fin à l’infraction » dans l’article vise les cas où l’infraction est continue ou à tout le moins répétée, la deuxième partie vise plutôt les

490 Cass crim, 22 juillet 1997, (1997) Bull crim no 276, 945, no 97-82.683. 491 Art 144 para 4 C proc pén.

492 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 52. 493 Ibid.

494 Art 144 para 5 C proc pén.

495 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 43. 496 Ibid.

497 Ibid. 498 Ibid.

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cas où il existe un risque de récidive500. En pratique, ce critère est systématiquement

invoqué dès lors que la personne a un important casier judiciaire, et ce, surtout lorsqu’il y est fait mention de la commission antérieure de la même infraction501. Par

exemple, dans un arrêt du 15 mars 2016, une demande de mise en liberté est refusée alors qu’un des motifs de maintien en détention est de vouloir prévenir son renouvellement y étant fait mention que la personne a été condamnée antérieurement à sept reprises à des peines502.

g) « Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. »503

Par « trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public »504, il est fait référence à

une infraction qui aurait causé « une très vive émotion dans l’opinion publique »505 et

où le fait de laisser la personne en liberté risque de provoquer « un violent sentiment d’incompréhension et d’injustice »506. Puisque toute infraction cause un trouble à

l’ordre public, le législateur a cru bon de spécifier que ce trouble doit être « provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé »507 voulant ainsi réserver l’utilisation de cet objectif aux

infractions les plus graves508. En outre, la Loi du 5 mars 2007509 a ajouté deux précisions à ce paragraphe, soit que le trouble ne peut « résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire »510 et que cet objectif ne peut pas être invoqué

lorsqu’il est question d’un délit511. Ces ajouts sont tirés des enseignements de

l’affaire très médiatisée dite d’Outreau dans le cadre de laquelle le placement de plusieurs personnes en détention provisoire est ordonné en raison de la qualification

500 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 44. 501 Ibid.

502 Cass crim, 15 mars 2016, no 15-87.611. 503 Art 144 para 7 C proc pén.

504 Ibid.

505 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 2709. 506 Ibid.

507 Art 144 para 7 C proc pén.

508 Frédéric Desportes, supra note 30, au para 2710.

509 Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007, JO, 6 mars 2007, à l’art 9 para I. 510 Art 144 para 7 C proc pén.

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de celles-ci comme étant des « monstres » par les médias512. Il faut toutefois savoir

qu’en pratique, les motifs des magistrats portent habituellement sur la gravité et les circonstances de l’infraction ainsi que sur le préjudice important qu’elle a causé plutôt que sur le trouble à l’ordre public qui en résulte513.

La Cour de cassation a apporté quelques précisions quant à ce trouble514. Ainsi, le

trouble causé à l’ordre public ne se limite pas à celui pouvant être causé en France515.

De plus, les souffrances de la victime ne peuvent être assimilées au trouble à l’ordre public516. Finalement le trouble ne peut pas simplement être éventuel, mais doit être

actuel517.

1.4) L’insuffisance du contrôle judiciaire et de l’assignation à résidence avec surveillance électronique

Bien que ces deux mesures aient fait l’objet d’une courte définition pour chacune à l’occasion de l’introduction, il convient de rappeler leur définition afin de bien comprendre l’analyse qui suit. Le « contrôle judiciaire » est une mesure à l’occasion de laquelle plusieurs obligations et interdictions mentionnées à l’article 138 du Code

de procédure pénale peuvent être imposées à une personne518. L’assignation à

résidence avec surveillance électronique, quant à elle, est une mesure obligeant une personne à « demeurer à son domicile » ou dans une résidence déterminée et à ne pas s’y absenter sauf pour les motifs déterminés par le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction519. La particularité de cette dernière mesure est que la

personne est munie d'un dispositif électronique pouvant retracer ses déplacements520.

512 Frédéric Desportes, supra note 30, au para 2709.

513 Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au para 39. 514 Ibid, au para 41.

515 Ibid. 516 Ibid.

517 Cass crim, 21 août 1990, (1990) Bull crim no 304, 768, no 90-83.745 ; Cass crim, 26 juin 1989, (1989) Bull

crim no 269, 666, no 89-82.210.. 518 Art 138 C proc pén. 519 Ibid, art 142-5 al 2.

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Il ne suffit pas que soit motivé en fait et en droit que la détention provisoire soit justifiée par la poursuite d’un des objectifs mentionnés à l’article 144521, encore faut-

il que soit démontrée l’insuffisance du contrôle judiciaire et de l’assignation à résidence avec surveillance électronique522. Le législateur a ainsi consacré le

caractère exceptionnel de la détention provisoire au Code de procédure pénale523 en faisant de la détention provisoire une mesure subsidiaire524.

1.5) L’exception dans les cas de violation des obligations de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique

Cas qui fait exception aux règles précédemment mentionnées, la violation des obligations d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique peut avoir pour conséquence que la personne soit placée en détention provisoire525526.

En effet, autant le contrôle judiciaire que l’assignation à résidence avec surveillance électronique permet d’imposer à la personne sujette à ces mesures un certain nombre d’obligations que celle-ci se doit de respecter527. Si la personne

contrevient volontairement à ces obligations, elle peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt ou d’amener528. La personne qui contrevient à ces obligations peut en outre

être placée en détention provisoire529. Son placement n’aura pas besoin de respecter

les conditions énoncées aux articles 143-1 en son alinéa 1 et 144 du Code de

procédure pénale530 puisque la violation des obligations justifie à elle seule la mise en détention provisoire de la personne531.

521 Art 144 C proc pén.

522 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 2711. 523 Art 137 al 3 et 144 C proc pén.

524 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 2711. 525 Art 141-2, 142-8 al 2 et 143-1 al 2 C proc pén. 526 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 2707. 527 Arts 138 et 142-5 C proc pén.

528 Ibid, arts 141-2, D. 32-20. 529 Ibid, arts 141-2, D. 32-20. 530 Ibid, arts 143-1 al 1, 144.

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