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B) La détention dans les locaux de police

II) La détention provisoire en France et au Canada

2) Au Canada

Il convient maintenant d’étudier les motifs justifiant la détention provisoire d’une personne au Canada. Il sera traité dans cette partie des infractions entrant dans le champ d’application de la détention provisoire, du droit garanti par le paragraphe 11 e) de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que des objectifs qui doivent être poursuivis pour justifier le placement d’une personne en détention provisoire.

2.1) Les infractions entrant dans son champ d’application

Le champ d’application de la détention provisoire n’est pas plus limité ou étendu que celui pour la mise sous garde puisque la décision relativement à la remise ou non en liberté survient suite au délai maximal de vingt-quatre heures d’une mise sous garde, la personne comparaissant par la suite devant un juge de paix à cette fin532.

Ainsi, cela représente une différence majeure avec le régime de détention provisoire en France puisque ce dernier restreint l’application du régime de détention provisoire aux crimes et aux délits punis d’une peine égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement533.

2.2) Le caractère exceptionnel de la détention provisoire et ses exceptions Ce droit prévu par l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés534 prévoit deux droits distincts, conformément aux enseignements de l’arrêt Pearson535. Alors que la deuxième partie impose qu’en cas de mise en liberté, les conditions de celle-ci doivent être raisonnables536, il est consacré dans la première partie le droit de

ne pas être privé d’une mise en liberté sans cause juste537. Il est affirmé dans l’arrêt

St-Cloud au sujet de ce droit « qu’en droit canadien, la règle cardinale est la mise en

liberté de l’accusé et la détention, l’exception »538. Ainsi, la détention provisoire

532 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (1). 533 Art 143-1 al 1 para 1, 2 C proc pén.

534 Ibid.

535 R c Pearson, [1992] 3 RCS 665 à la p 689. 536 Ibid.

537 Ibid.

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d’une personne doit être justifiée par une « juste cause »539. Toutefois, la règle

voulant que la mise en liberté provisoire soit la règle souffre de plusieurs exceptions qui sont justifiées par la jurisprudence en général par la notion de « juste cause »540.

En effet il existe plusieurs situations dans le cadre desquelles le juge compétent doit en principe ordonner la détention provisoire de la personne sauf si cette dernière réussit à convaincre ce magistrat que sa détention n’est pas nécessaire au regard des objectifs de l’article 515 du Code criminel541. Ainsi, c’est le cas pour plusieurs infractions mentionnées au paragraphe 6 de l’article 515542, notamment des

infractions en lien avec une organisation criminelle543, des infractions contre la

personne avec l’utilisation d’une arme à feu544 et certaines infractions reliées au

terrorisme545. C’est le cas également pour toutes les infractions comprises dans la liste

de l’article 469 du Code criminel546. Plusieurs de ces cas font l’objet d’arrêts par la Cour suprême du Canada, celle-ci ayant validé la constitutionnalité de ceux-ci avec la notion de « juste cause », alors que d’autres soit ne font l’objet d’aucune décision sur leur constitutionnalité, soit ne font l’objet que de décisions de cours d’appel547. À

titre d’exemple, l’arrêt Pearson de la Cour suprême du Canada valide la constitutionnalité du paragraphe (6) d) de l’article 515548 en affirmant que ces cas de

refus de remise en liberté pour des infractions reliées au trafic de stupéfiants reposent sur une juste cause549. La cour poursuit son raisonnement en expliquant que cette

juste cause est fondée sur deux motifs, soit le fait que ces exceptions sont limitées et qu’elles servent à assurer le bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution550. Sur cette dernière raison, la cour affirme qu’en général, ces infractions

sont reliées au crime organisé et que ces activités ne cessent pas lorsqu’il y a seulement arrestation et mise en liberté sous caution par la suite, la détention

539 R c Pearson, [1992] 3 RCS 665 à la p 691. 540 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1861.

541 Code criminel, LRC 1985, c C-46, arts 515 (6), (10), 522 (2). 542 Ibid, art 515 (6).

543 Ibid, art 515 (6) a) (ii). 544 Ibid, art 515 (6) (vii). 545 Ibid, art 515 (6) (iii).

546 Code criminel, LRC 1985, c C-46, arts 469, 522 (2). 547 Béliveau et Vauclair, supra note 14 aux para 1861-1863. 548 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (6) d). 549 R c Pearson, [1992] 3 RCS 665 à la p 693. 550 Ibid.

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provisoire permettant alors de s’assurer de mettre un terme à ces infractions551. En

outre, la cour affirme que lorsqu’il est question de trafic de stupéfiants dans le cadre du crime organisé, il existe un risque important que le prévenu veuille se soustraire à la justice552.

Il faut finalement savoir que la notion de « juste cause » permet d’exercer un contrôle constitutionnel sur les motifs énumérés dans le régime législatif de la détention provisoire. C’est ainsi que la notion « d’intérêt public », figurant autrefois parmi les motifs justifiant une détention provisoire, est jugée inconstitutionnelle dans l’arrêt Morales et n’existe plus depuis puisqu’elle contrevient à l’article 11 e) de la

Charte canadienne des droits et libertés553 en raison de son caractère large et imprécis554.

Ces exceptions au caractère exceptionnel de la détention provisoire représentent une grande différence avec le droit français qui reconnait le caractère exceptionnel de la détention provisoire sans souffrir d’exceptions semblables555. En effet, lorsqu’il est

question des exceptions mentionnées précédemment, si le prévenu ne s’objecte pas à ce qu’il fasse l’objet d’une détention provisoire, le juge n’a pas à se référer à un des motifs du paragraphe (10) de l’article 515556 et est tenu d’ordonner sa détention557.

2.3) Les objectifs devant être poursuivis par une détention provisoire

Les objectifs devant être poursuivis par une détention provisoire se trouvent tous à la même disposition, soit à l’article 515 en son paragraphe (10) du Code criminel558. Il en existe trois559 et il convient maintenant de les étudier.

a) La nécessité de la détention pour assurer la présence du prévenu au tribunal560

551 R c Pearson, [1992] 3 RCS 665 à la p 695. 552 Ibid à la p 696.

553 Charte canadienne, supra note 4, art 11 e). 554 R c Morales, [1992] 3 RCS 711 à la p 732. 555 Art 144 C proc pén.

556 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (10). 557 Ibid, arts 515 (6) et (6.1) et 522 (2).

558 Ibid, art 515 (10). 559 Ibid, art 515 (10) a)-c).

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Comme l’indique l’article, il s’agit essentiellement ici de s’assurer de la présence du prévenu au tribunal en temps voulu561. Son objet n’est donc pas de se demander si

le prévenu pourra être aisément retrouvé ou non en cas de fuite, mais bien de se questionner sur le risque que le prévenu ne se présente pas au tribunal en temps voulu562. Plusieurs facteurs peuvent être pris en considération. Un premier facteur est

le fait que le prévenu ait des attaches ou non dans la région563. Par « attaches », il est

entendu tous les facteurs qui font que l’individu a une vie bien établie dans la région. Ainsi, le juge peut être davantage porté à libérer l’individu qui a un travail, une famille, une résidence et des amis à proximité564. Toutefois, le juge peut également

prendre en considération le fait que l’individu ne dispose pas de moyens financiers importants, facteur qui joue contre l’individu qui veut s’échapper puisque, tel qu’il est affirmé dans l’arrêt Pearson, échapper à la justice est non seulement difficile, mais également très dispendieux565. En outre, la possibilité que l’individu ait des personnes

le connaissant bien et pouvant potentiellement agir comme caution est un facteur qui peut être pris en considération566. Le fait que l’individu ait fait défaut de comparaître

récemment alors qu’il était en mise en liberté provisoire pour une autre infraction est également un facteur pertinent567. Finalement, la force de la preuve contre le prévenu

et la gravité de l’infraction sont généralement également prises en considération puisque la tentation de l’individu à fuir la justice est plus grande lorsque la peine potentielle est sévère et que la preuve est convaincante568.

Cet objectif sert les mêmes fins que celui de « [g]arantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice »569. En effet, dans les deux

cas, lorsqu’il existe un risque de fuite, la personne peut être placée en détention provisoire. En outre, il existe une certaine similarité dans les facteurs qui sont pris en

560 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (10) a). 561 Steven Penney, supra note 287 au para 6.59.

562 États-Unis d’Amérique c Taillon, 2003 CanLII 17935 au para 8 (QC CA). 563 Steven Penney, supra note 287 au para 6.60.

564 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1872. 565 R c Pearson, 3 RCS 665 à la p 696.

566 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1872. 567 Steven Penney, supra note 287 au para 6.62. 568 Ibid, au para 6.64.

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considération, notamment les considérations en lien avec la peine570 et le fait que

l’individu ait déjà tenté de fuir l’administration de la justice dans le passé571.

b) La nécessité de la détention pour la « protection ou la sécurité du public »572

L’objectif de l’article 515, en son paragraphe (10) b), est à l’effet que la détention provisoire peut être :

nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l’infraction ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s’il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l’administration de la justice 573[.]

La portée de cet objectif n’est pas simplement de refuser la mise en liberté provisoire d’une personne à l’égard de laquelle il existe un risque qu’elle commette une infraction criminelle ou qu’elle nuise à l’administration de la justice574. Il est

indiqué sur ce point dans l’arrêt Morales que la mise en liberté « n’est refusée que s’il y a une « probabilité marquée » que le prévenu commett[e] une infraction criminelle ou nui[se] à l’administration de la justice et seulement si cette « probabilité marquée » compromet « la protection ou la sécurité du public » »575. Il ne suffit donc

pas qu’il existe un simple risque que le prévenu commette une infraction criminelle ou nuise à l’administration de la justice, une « probabilité marquée » étant nécessaire576. En outre, la détention doit être nécessaire pour la protection ou la

sécurité du public et elle n’est donc pas justifiée lorsqu’elle est simplement « commode ou avantageuse »577.

570 Steven Penney, supra note 287 au para 6.62 ; Christian Guéry : Détention provisoire, supra note 461 au

para 43.

571 Ibid.

572 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (10) b). 573 Ibid.

574 R c Morales, [1992] 3 RCS 711 à la p 737. 575 Ibid.

576 Ibid. 577 Ibid.

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Pour évaluer la probabilité de dangerosité de l’individu pour le public, l’arrêt

Rondeau de la Cour d’appel du Québec fait mention de plusieurs facteurs qui sont

pris en considération :

(1) la nature de l’infraction, (2) les circonstances pertinentes de celle-ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, (3) la probabilité d’une condamnation, (4) le degré de participation de l’inculpé, (5)la relation de l’inculpé avec la victime, (6) le profil de l’inculpé, i.e., son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, (7) sa conduite postérieurement à la commission de l’infraction reprochée, (8) le danger que représente, pour la communauté particulièrement visée par l’affaire, la liberté provisoire de l’inculpé578.

Outre la possibilité que le prévenu commette une infraction criminelle, il est édicté par l’article 515 que la protection ou la sécurité du public peut être compromise si le prévenu nuit à l’administration de la justice579. La possibilité de nuire à l’administration de la

justice dans un tel contexte porte principalement sur les cas où soit le prévenu tente d’exercer des pressions sur les témoins afin que ceux-ci changent leur version des faits ou encore lorsqu’il détruit des éléments de preuve580. Ainsi, « [l]e prévenu ne doit pas nuire à

la bonne administration du système de justice ; s’il y a de fortes probabilités que le prévenu ne coopère pas, on exigera sa détention »581. Toutefois, lorsque la personne est en détention

en raison de la probabilité marquée qu’elle nuise à l’administration de la justice en exerçant des pressions sur les témoins ou en modifiant les éléments de preuve, l’arrêt Whyte de la Cour d’appel d’Ontario relève le fait que ce risque diminue au fil du temps lorsque la personne est placée en détention provisoire, enlevant progressivement du même coup le caractère justifié de la détention582.

Cet objectif correspond dans une certaine mesure aux objectifs « [d’e]mpêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille »583 , « [de c]onserver les

preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité »584 et

578 R c Rondeau, 1996 CanLII 6516 à la p 5 (QC CA). 579 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (10) b). 580 Steven Penney, supra note 287 au para 6.74. 581 Béliveau et Vauclair, supra note 14 au para 1876. 582 R v Whyte, 2014 CanLII 268 au para 37 (ON CA). 583 Art 144 para 2 C proc pén.

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celui de « [m]ettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement »585. Toutefois, n’ayant

trouvé aucune décision où cet objectif est utilisé afin d’éviter une concertation frauduleuse entre le prévenu et ses complices ou coauteurs, il reste à voir si dans le futur cet objectif peut servir éventuellement à cette fin afin qu’il y ait correspondance entre l’objectif en droit français586 à cet effet et celui-ci. Sur ce dernier point, il est à noter que, bien que le droit

canadien semble ne pas en faire un objectif, une interdiction de communiquer avec certaines personnes peut être imposée non seulement à la personne qui est remise en liberté, mais aussi à la personne sous détention provisoire587.

c) La nécessité de la détention « pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice »588

Dans l’évaluation de l’opportunité de mettre le prévenu en détention provisoire sur la base de ce motif, il est nécessaire que toutes les circonstances de l’affaire soient prises en compte, ce qui comprend notamment589 : « le fait que l’accusation paraît

fondée »590, « la gravité de l’infraction »591, « les circonstances entourant sa

perpétration, y compris l’usage d’une arme à feu »592 ainsi que « le fait que le prévenu

encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans »593.

Il s’agit ici d’un motif autonome justifiant également à lui seul la détention provisoire de la personne malgré le fait que les circonstances mentionnées devant être prises en considération le soient également dans le cadre des deux autres objectifs594.

L’objectif du législateur ici est de « maintenir la confiance du public dans le système de mise en liberté sous caution et l’ensemble du système de justice »595. L’arrêt Hall

585 Art 144 para 6 C proc pén. 586 Ibid, art 144 para 3.

587 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 515 (4) d), (12). 588 Ibid, art 515 (10) c).

589 Ibid.

590 Ibid, art 515 (10) c) (i). 591 Ibid, art 515 (10) c) (ii). 592 Ibid, art 515 (10) c) (iii). 593 Ibid, art 515 (10) c) (iv).

594 R c Hall, 2002 CSC 64 au para 25, [2002] 3 RCS 309. 595 Ibid au para 41.

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mentionne en outre que les quatre facteurs qui y sont énumérés ne sont pas exhaustifs, le juge devant prendre en considération l’ensemble des circonstances, bien qu’il doive porter une attention particulière à ces facteurs596.

Afin d’effectuer le test pour savoir si la confiance du public peut être affectée par une décision de remise en liberté de l’individu, il est nécessaire de se référer à la notion de « personne raisonnable »597. Cette « personne raisonnable » qui sert à

représenter le public dans cette analyse n’est pas une personne « trop prompt[e] à réagir de façon émotive »598. Elle n’est toutefois pas non plus la personne la mieux

informée en droit dans la société tels un avocat ou un juge599. Ainsi, habituellement,

la personne raisonnable est la personne moyenne dans une société, « mais uniquement lorsque l’humeur courante de la société est raisonnable »600. Tel qu’il est affirmé dans

l’arrêt St-Cloud, cet individu « connaît […] les rudiments de notre État de droit et il est sensible à nos valeurs fondamentales en droit pénal, dont celles protégées par la

Charte »601. La personne raisonnable est donc « une personne réfléchie et non une

personne aux réactions émotives, mal informée sur les circonstances d’une affaire ou en désaccord avec les valeurs fondamentales de notre société »602. « [L]es tribunaux

doivent de se garder de céder aux réactions purement émotives de la population ou susceptibles d’être fondées sur une connaissance inappropriée des véritables circonstances de l’affaire ».603 Le juge ne doit donc pas fonder sa perception de la

personne raisonnable dans les circonstances « sur des reportages médiatiques qui ne seraient nullement représentatifs d’un public bien informé »604.

Sur ce dernier passage, la Cour fait ici référence à l’arrêt Turcotte de la Cour d’appel du Québec où, dans une affaire hautement médiatisée, la personne est accusée de deux meurtres au premier degré de ses deux enfants605. Suite à la décision de

596 R c Hall, 2002 CSC 64 au para 41, [2002] 3 RCS 309. 597 Ibid. 598 R c St-Cloud, 2015 CSC 27 au para 77, [2015] 2 RCS 328. 599 Ibid. 600 Ibid au para 78. 601 R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27 au para 79, [2015] 2 RCS 328. 602 Ibid au para 80. 603 Ibid au para 82. 604 Ibid au para 83.

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première instance ordonnant la mise en liberté provisoire de l’accusé, dans le cadre de l’appel, la couronne produit dans cet arrêt vingt-et-une coupures de journaux qui sont toutes à l’effet que l’individu doit être gardé en détention provisoire606. La cour

répond alors à cette preuve en affirmant que « [l]a plupart [de ces coupures] taisent les principes juridiques essentiels à la prise de décision en matière de mise en liberté »607 et que « [p]eu rapportent fidèlement les faits et rappellent correctement les

principes applicables »608. La cour conclut enfin qu’« [e]n recourant à des articles de

journaux pour établir le critère de la confiance du public, l’appelante tente de laisser à l’humeur des opinions un rôle que le législateur a confié au juge »609. Elle affirme que

« [s]a proposition détourne de ses fins une évaluation fondée sur des valeurs fondamentales de la Charte, sur des critères établis par la loi et sur une analyse rigoureuse et pondérée de toutes les circonstances »610.

Bien que, dans les faits, l’application de ce critère est relativement rare611, il est

bon de mentionner à titre d’exemple d’application de ce motif que l’arrêt Hall, qui reconnait ultimement le bien-fondé de la décision portant sur le refus de mise en liberté de l’accusé sur la base de ce motif612, porte sur un cas où la personne est

accusée de meurtre d’une personne dont les faits font état que la victime aurait reçu trente-sept coups de couteau et que l’accusé aurait tenté, après avoir asséné tous ces coups, de décapiter la victime613. La Cour constate qu’il s’est installé suite à ce

meurtre un « sentiment général de crainte qu’un assassin soit en liberté »614. La

décision de refus de mise en liberté est fondée ici sur le fait que l’accusation soit fondée, sur la gravité et l’horreur du crime ainsi que sur le climat général de crainte dans la collectivité615.

606 R c Turcotte, 2014 CanLII 2190 au para 67 (QC CA). 607 Ibid au para 68. 608 Ibid. 609 Ibid au para 69. 610 Ibid. 611 R c Hall, 2002 CSC 64 au para 31, [2002] 3 RCS 309. 612 Ibid au para 42.

613 Ibid aux para 1-2. 614 Ibid au para 3. 615 Ibid au para 42.

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Cet objectif semble correspondre dans une certaine mesure à l’objectif en droit français consistant à vouloir « [m]ettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé »616. En effet, dans les deux

cas, il s’agit généralement d’infractions ayant causé une vive réaction dans l’opinion publique et la mise en liberté de l’individu aurait pour effet de créer un sentiment d’injustice617. En outre, il existe une similarité dans les facteurs qui doivent être pris

en considération comme la gravité618 de l’infraction et l’ensemble des

circonstances619. Dans les deux cas, le magistrat doit également se garder de céder à

la pression populaire causée par la forte médiatisation de l’affaire620.