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Les garanties juridiques portant sur la durée raisonnable d’une détention provisoire

B) Les garanties

3) Les garanties juridiques portant sur la durée raisonnable d’une détention provisoire

Il convient maintenant d’analyser les diverses garanties juridiques protégeant la personne détenue contre une durée déraisonnable de détention provisoire.

3.1) En France

En France, la personne en détention provisoire dispose d’une double protection en vertu du droit européen, soit la garantie assurant la durée raisonnable de la détention en vertu du paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de

l’Homme et des libertés fondamentales668 ainsi que la garantie portant sur la durée

raisonnable du procès en vertu du paragraphe premier de l’article 6 de cette même convention669. Il faut se garder de confondre ces deux garanties puisqu’il est possible

qu’il y ait atteinte au droit à un procès d’une durée raisonnable alors qu’il n’y aurait pas atteinte au droit à une détention d’une durée raisonnable lorsque, par exemple, la personne fait l’objet d’une mesure de détention provisoire alors que le procès est déjà

667 Béliveau et Vauclair, supra note 14 aux para 1254-1255. 668 Convention EDH, supra note 84, art 5 para 3.

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commencé670. Ces deux garanties peuvent donc se compléter, et ce, au bénéfice de la

personne détenue671. Il est à noter qu’alors que le droit à la durée raisonnable de la

détention couvre la période entre le début de la détention et au plus tard le moment où le jugement de première instance sur la culpabilité de la personne est rendu, le droit à la durée raisonnable du procès couvre une période plus étendue, allant jusqu’à ce que le jugement soit définitif, soit jusqu’à l’épuisement des voies de recours672. Les

critères servant à évaluer cette durée raisonnable sont similaires dans les deux cas, ceux-ci comprenant : « [la] complexité des investigations, [le] comportement de la personne détenue et [le] comportement des autorités compétentes »673.

Au niveau national, l’article 144-1 du Code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire durant l’instruction « ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité »674. En

outre, le Code de procédure pénale prévoit la durée maximale de la détention provisoire durant l’instruction en matière criminelle et correctionnelle675. Par contre,

il convient de noter qu’il n’est pas nécessaire que ces plafonds soient atteints afin qu’il puisse être jugé que la durée de la détention est déraisonnable676.

Ainsi, en matière correctionnelle, la durée de la détention provisoire durant l’instruction ne peut excéder quatre mois en principe677. Toutefois, lorsque la peine

d’emprisonnement encourue est supérieure à cinq ans, la détention peut faire l’objet de prolongations de quatre mois jusqu’à concurrence d’un an678. Dans le cas de

certains délits plus graves, ces prolongations de quatre mois peuvent être ordonnées afin qu’elle dure jusqu’à un maximum de deux ans679. Une ultime prolongation est

finalement possible au-delà de cette période de deux ans lorsqu’il existe un risque

670 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 413. 671 Ibid.

672 Ibid au para 414. 673 Ibid au para 415.

674 Art 144-1 al 1 C proc pén. 675 Ibid, arts 145-1, 145-2.

676 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 2737. 677 Art 145-1 al 1 C proc pén.

678 Ibid, art 145-1 al 2. 679 Ibid, art 145-1 al 2.

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d’une certaine gravité pour la sécurité des personnes ou des biens680. Dans tous les

cas, l’ordonnance de prolongation doit être motivée en fonction des critères de l’article 137-3 du Code de procédure pénale681. Il convient également de noter que pour le cas spécifique du délit d’association de malfaiteurs terroriste, cette durée maximale est portée à trois ans682.

En matière criminelle, le principe veut que la détention provisoire durant l’instruction ne puisse durer qu’un maximum de deux ans683. Des prolongations de

six mois chacune sont possibles jusqu’à concurrence de trois ans et quatre ans dans le cas de certaines catégories de crimes684. Dans tous les cas, une ultime prolongation de

quatre mois est possible lorsque la mise en liberté causerait un risque d’une certaine gravité pour la sécurité des personnes et des biens685. Il existe également ici une

exigence de motivation des ordonnances de prolongation686.

Il convient de noter que le juge d’instruction a l’obligation de remettre la personne en liberté si sa détention n’est plus nécessaire687. En outre, au terme de

l’instruction, la détention provisoire ne peut excéder deux ans dans l’attente d’un procès en matière criminelle688. Au terme de ce délai, l’accusé doit être remis

obligatoirement en liberté s’il n’a toujours pas comparu689. En matière

correctionnelle, au terme de l’instruction, la détention provisoire de l’accusé dans l’attente de son procès ne peut durer plus de six mois690. Au terme de ce délai de six

mois, l’accusé doit être remis en liberté691.

Il convient finalement de noter que la réparation qu’une personne peut obtenir lorsque la durée de la détention ou du procès est déraisonnable est d’ordre

680 Art 145-1 al 3 C proc pén. 681 Ibid, arts 137-3 al 1, 145-1 al 2. 682 Ibid, art 706-24-3. 683 Ibid, art 145-2 al 1. 684 Ibid, art 145-2 al 1, 2. 685 Ibid, art 145-2 al 3. 686 Ibid, art 145-2 al 1. 687 Ibid, art 147 al 1. 688 Ibid, art 181 al 8, 9. 689 Ibid, art 181 al 9. 690 Ibid, art 179 al 4, 5. 691 Ibid, art 179 al 5.

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pécuniaire692693. La personne qui invoque ce recours doit donc prouver qu’elle a subi

un préjudice694.

3.2) Au Canada

Au Canada la situation est quelque peu différente. En effet, il n’existe qu’une garantie juridique protégeant la personne en détention provisoire contre une durée excessive, soit le droit d’être jugé dans un délai raisonnable en vertu du paragraphe b) de l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés695. À cet effet, l’arrêt

Jordan de la Cour suprême du Canada a récemment élaboré un nouveau cadre

d’analyse afin d’évaluer s’il y a atteinte à ce droit696.

Tel qu’il est affirmé dans cet arrêt, une des utilités de cette protection est qu’elle « permet à l’inculpé de demeurer le moins longtemps possible en détention avant son procès »697. Une facette importante de ce cadre d’analyse est qu’il fixe un plafond au-

delà duquel l’atteinte à ce droit est présumée698. Ce plafond est de dix-huit mois pour

les affaires instruites devant une cour provinciale et de trente mois pour les affaires instruites devant une cour supérieure ou devant une cour provinciale lorsqu’il y a une enquête préliminaire avant le procès dans ce dernier cas699. Le délai pris en compte

commence à partir du dépôt des accusations et prend fin au moment de « la conclusion réelle ou anticipée du procès »700. Dans cette période de temps, il n’est

toutefois pas pris en compte les délais qui sont imputables à la défense701. Les délais

imputables à la défense peuvent être de deux ordres702. Le premier type est constitué

des délais que la défense renonce à invoquer, par exemple, lorsque celle-ci, après avoir exercé son option d’être jugée devant une cour supérieure, réexerce son option

692 Frédéric Desportes, supra note 30 au para 417. 693 Code de l’organisation judiciaire, art 141-1.

694 Voir par ex Spar Cass Commission nationale de réparation des détentions, 18 décembre 2006, no 06-

CRD049.

695 Charte canadienne, supra note 4, art 11 b). 696 R c Jordan, 2016 CSC 27 au para 105. 697 Ibid au para 20. 698 Ibid au para 46. 699 Ibid. 700 Ibid au para 47. 701 Ibid. 702 Ibid au para 61.

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afin d’être jugée devant une cour provinciale703. Le deuxième englobe les délais qui

sont directement causés par la défense en raison soit de son inaction alors que le ministère public et le tribunal sont prêts à procéder ou lorsque le délai résulte d’une conduite délibérée en ce sens de la part de celle-ci704.

Lorsque ce délai ainsi calculé dépasse les plafonds prévus, il est présumé déraisonnable705. Il appartient alors au ministère public de justifier le dépassement de

ce plafond par l’existence de circonstances exceptionnelles706. « Des circonstances

exceptionnelles sont des circonstances indépendantes de la volonté du ministère

public, c’est-à-dire (1) qu’elles sont raisonnablement imprévues ou raisonnablement

inévitables, et (2) que l’avocat du ministère public ne peut raisonnablement remédier aux délais lorsqu’ils surviennent »707. Ces circonstances exceptionnelles peuvent être

de deux ordres, le premier regroupant les « événements distincts » qui peuvent comprendre notamment les urgences familiales ou médicales, les affaires comportant une dimension internationale, les cas de témoins qui soudainement refusent de témoigner ainsi que les cas où le délai est plus long que celui auquel toutes les parties s’attendaient708. Le deuxième est lorsque l’affaire est particulièrement complexe709.

La complexité d’une affaire est mesurée en fonction de la nature de la preuve – par exemple lorsque celle-ci est particulièrement volumineuse - et des questions complexes soulevées710. La gravité de l’infraction n’est donc pas en soi pertinente711.

Si le ministère public ne réussit pas à justifier le dépassement du délai, celui-ci est alors jugé déraisonnable et il est ordonné l’arrêt des procédures712. Il est également

possible pour la défense d’invoquer ce droit en l’absence de dépassement de ces plafonds, mais elle devra alors prouver « (1) qu’elle a pris des mesures utiles démontrant qu’elle a fait des efforts soutenus pour accélérer la procédure, et (2) que

703 R c Jordan, 2016 CSC 27 au para 62. 704 Ibid au para 63. 705 Ibid au para 68. 706 Ibid au para 68. 707 Ibid au para 69. 708 Ibid aux para 72, 73. 709 Ibid au para 77. 710 Ibid au para 77. 711 Ibid au para 81. 712 Ibid au para 47.

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le délai a été plus long de manière manifeste que celui qui aurait été raisonnable que prenne la cause »713. Il est aussi à noter qu’autant du côté de la défense que de

l’avocat du ministère public, il n’est pas exigé que ces deux parties aient conduit l’affaire de façon parfaite, mais bien manière raisonnable714.

Une première remarque s’impose au sujet de la comparaison de ces garanties du droit français et canadien, soit le fait tel qu’il est analysé précédemment que le droit européen prévoit une double protection alors que le droit canadien n’en prévoit qu’une. La protection semble donc être plus complète en droit français à cet égard qu’en droit canadien. Toutefois, en raison de l’existence de la phase d’instruction en France, la durée maximale de détention provisoire possible d’une personne est presque le double de celle possible au Canada, ce qui a pour conséquence que les objectifs justifiant une détention provisoire sont poursuivis pendant une période de temps beaucoup plus importante. Finalement, une dernière différence existant entre le droit français et le droit canadien porte sur la protection possible en cas de violation de ces garanties. En effet, tel qu’il est expliqué précédemment, la réparation est d’ordre pécuniaire en France alors que le remède au Canada est l’arrêt des procédures. Le remède est évidemment plus important au Canada puisque l’arrêt des procédures ordonné en vertu de l’article 24 (1) de la Charte canadienne des droits et

libertés715 équivaut à un acquittement716. L’incitatif pour la poursuite de respecter

cette durée raisonnable est donc plus important au Canada.

4) L’existence du droit de demander de recouvrer sa liberté à toutes les étapes de