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La contribution des agriculteurs burkinabé

PREMIÈRE APPROCHE DE L’EROSION DANS LE MOUHOUN

3.1. Des indicateurs de l’érosion

3.1.1. La contribution des agriculteurs burkinabé

Une des approches pour déterminer et comprendre l’érosion perceptible dans le Mouhoun consistait à conduire des investigations sur le terrain auprès des individus concernés par ce problème. Nous nous sommes donc demandés quelles sont les personnes les plus vulnérables vis à vis de la dégradation des sols. Ce sont incontestablement les usagers de la terre. C’est pour cette raison que nous avons choisi de recueillir leurs témoignages (Planche n°5) et d’aborder la question de l’érosion à travers leur regard et leur perception. Pour cela, nous avons mené des enquêtes de terrain à l’échelle des unités d’exploitation qui sont le niveau de base pour l’observation et l’analyse du fait agricole mais aussi à l’échelle villageoise (Annexe IV). En zone de savane, la conduite des activités agricoles fait intervenir différents niveaux

« depuis les individus jusqu’aux espaces régionaux, en passant par les parcelles, les unités de production, les terroirs, les lignages, les villages… » (Serpantié et Ouattara, 2001). Des discussions moins formelles mais tout aussi instructives, lesquelles se sont déroulées au cours de rencontres avec les villageois, les encadreurs de la Sofitex, le personnel administratif de la Direction régionale de l’agriculture ou autre ont complété l’apport des questionnaires. Assez rapidement, nous avons pris conscience, grâce à ces échanges, que les réactions des exploitants vis à vis de l’érosion et surtout, que leur implication dans la construction

Planche n°5 : Les enquêtes villageoises

Photo n°13:

Séance de

questionnement dans le village de Doudou

(Hauchart, 2003)

Photo n°14:

Village dafing de Nounou

(Hauchart, 2001)

Photo n°15:

Village bobo de Kamendéna (Hauchart, 2001)

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d’aménagements anti-érosifs dépendaient des formations que les organismes d’encadrement avaient dispensées dans leur village.

En 2001, puis en 2003, les enquêtes visaient à préciser la variation spatiale de la dégradation des sols, de ses dynamiques, de sa perception et de sa gestion. Mais comment mettre en évidence la différenciation des mécanismes d’érosion et des techniques agricoles selon les critères suivants :

- le mode de culture, à savoir la culture manuelle, mécanisée ou motorisée, cette dernière étant faiblement représentée comme nous l’évoquerons ultérieurement,

- le type de champ, celui-ci pouvant correspondre à un bas-fond, à un jardin de case, à un champ de village ou encore à un champ de brousse,

- et leur situation géographique, c’est-à-dire de leur localisation en fonction du modelé ? Nous avons résolu cette question par un échantillonnage méthodique des villages enquêtés de telle sorte que la diversité des cas soit prise en compte et que l’ensemble du périmètre soit couvert (Fig. n°12 p122). Ainsi, dans le paysage sahélo-soudanien confus de notre périmètre d’étude, nous avons retenu trois sous-espaces morpho-pédologiques dont les villages illustrent une variété de cas tant du point de vue de l’appartenance ethnique des chefs de terres que de la réserve foncière disponible (cf. Annexe V). Au cours des deux premières missions, les conditions climatiques et l’accessibilité des pistes en saison des pluies ont déterminé le parcours entre les villages. Ces dernières sont aussi mauvaises qu’il s’agisse des grandes voies, comme celle reliant Dédougou à Bobo-Dioulasso, qui sont rongées par le ravinement, ridées et déformées par les nids de poule emplis d’eau rouge et boueuse ou qu’il s’agisse des pistes étroites tantôt trop sableuses sur le glacis intermédiaire, tantôt trop argileuses, comme c’est le cas le long du fleuve où les aires inondables et inondées se multiplient.

Ainsi, en 2001, nous avons sélectionné dix-neuf villages selon trois toposéquences orientées NNE-SSW et respectivement localisées le long de la Volta noire, sur le glacis intermédiaire et dans la région des collines du Birrimien. L’objectif des questionnaires était d’apporter un éclairage général sur les indices de la dégradation repérés localement par les agriculteurs et sur les techniques anti-érosives mises en œuvre (Annexe IVa, Fiche par parcelle, par exploitation et Fiche villageoise). Dans le cadre de cette première mission de terrain, force a été pour nous de reconnaître que les exploitations motorisées étaient beaucoup plus rares que ne l’avait laissé présager la lecture des écrits de Schwartz (1993), de Dao et Neuvy (1988) ou

encore de Tersiguel (1995). S’il est incontestable que le Mouhoun a bénéficié, dans le passé, d’un programme de vulgarisation du matériel agricole et notamment de diffusion de quelques dizaines de tracteurs (Schwartz, 1993), les exploitations motorisées sont aujourd’hui très marginales à cause, le plus souvent, d’une maintenance défaillante du matériel. Cet état de fait nous a contraint à reconsidérer nos hypothèses puisqu’il ne nous était pas possible d’établir de lien entre la motorisation des exploitations cotonnières et les mécanismes d’érosion.

Pour les enquêtes de 2003, nous avons conservé la représentation des trois principaux sous-ensembles topographiques mais nous n’avons prospecté que dans deux villages par unité de terrain, laissant de côté l’échantillonnage nord-sud (Fig. n°12 p122). En effet, la position latitudinale ne s’était pas révélée une source de distinction significative et ceci quelque soit le thème abordé dans les questions de 2001. Pour la deuxième mission de terrain, l’objectif des questionnaires était d’interroger le maximum d’exploitants de chaque unité géographique pour avoir matière à comparer leur perception de la dégradation et les moyens mis en œuvre pour y remédier. Par ailleurs, nous avons affiné les questionnaires avec un volet

« dégradation » (Annexe IVb, Questionnaire général d’enquêtes) visant, d’une part, à évaluer comment les agriculteurs perçoivent leurs terres de culture, d’un point de vue qualitatif, d’autre part, à examiner la façon dont ils ressentent l’évolution de la valeur agronomique de leurs champs, ensuite, à estimer comment les exploitants remarquent et comprennent la dégradation de leurs terres, et enfin, à détailler comment ils appréhendent ces phénomènes de ruissellement et d’érosion et quelles solutions ils y apportent.

Les enquêtes comportaient trois types de question d’où des réponses de différente nature, à savoir des réponses chiffrées pour les questions portant, par exemple, sur la taille de l’exploitation ou sur la superficie emblavée en coton, des réponses informatives lorsqu’il s’agissait pour les exploitants d’évoquer leurs techniques culturales ou leur perception de la dégradation, et enfin, des réponses négatives ou affirmatives pour les questions fermées concernant le fait de pratiquer la jachère ou le brûlis.

Les réponses apportées par les exploitants ont fait l’objet d’analyses diversifiées soit pour recenser les réponses et prendre en compte leur variété, soit pour faire des moyennes et mettre en évidence des tendances générales. Dans tous les cas, le traitement statistique avait pour double objectif de préciser la variabilité des réponses en fonction de l’unité de terrain, puis de

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Fig. n°12 : Localisation des villages enquêtés sur les trois unités, en 2001 et en 2003 (Hauchart, 2005)

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0 10 20 km |_______|_______|

Source : BNDT

tirer profit de la richesse de notre terrain afin de déterminer l’influence de l’appartenance ethnique, du droit foncier, du niveau de développement mais également du fait de cultiver ou non du coton sur les caractéristiques de l’exploitation1, sur les pratiques agricoles et sur les techniques anti-érosives. Les réponses que nous ont fournies les exploitants du Mouhoun permettront de comprendre les causes de la dégradation, ses manifestations, de son intensité et d’établir des liens entre les activités agricoles et l’érosion. En conséquence, elles seront abordées comme facteurs explicatifs (cf. infra 5.1 et 5.2) et non comme indicateurs de l’érosion. De même, les réponses relatives à la perception et à la gestion de l’érosion ne seront exposées que lorsque nous évoquerons les moyens éventuels de prendre en compte la dégradation et de préserver l’environnement (cf. infra 8.1.)

En avril 2004, notre mission de terrain avait des objectifs différents qui justifiaient le besoin d’aller dans le Mouhoun au cours de la saison sèche. Il s’agissait, en effet, d’étayer certaines hypothèses concernant les relations complémentaires entre les mécanismes d’érosion hydrique et éolienne. Par ailleurs, il s’agissait de déterminer les activités de contre-saison afin de préciser la disponibilité laissée aux exploitants pour édifier des aménagements anti-érosifs.

Enfin, nous souhaitions observer les travaux préparatoires à la saison agricole dans le but d’établir leurs liens avec le calendrier agricole et le calendrier des pluies, dans l’hypothèse où le sol nu et labouré est particulièrement sensible à l’agressivité des premières pluies.

Dans les villages souvent difficiles d’accès, nous avons rencontré des problèmes de communication et de compréhension avec les populations qui parlent des langues vernaculaires comme le bwaba, le dioula ou le moré. De ce fait, nous avons fait appel, pour tous nos déplacements en brousse, aux services d’un « guide-interprète » local qui nous servait, tout d’abord, à trouver les villages puis à y questionner les habitants. Toutefois, la présence de W.C., guide avec qui nous avons travaillé en 2001 et en 2003, n’a pas résolu tous les problèmes. En effet, W.C. est bwaba, ethnie majoritaire dans notre périmètre, mais cette majorité n’empêche pas le manque de sympathie des autres ethnies. De ce fait, lorsqu’en 2001 nous sommes allés dans les villages dafing comme Sodien, Lékui ou Nounou, nous avons obtenu assez difficilement des réponses détaillées et en apparence sincères de la part des exploitants qui ne cachaient pas leur déplaisir de discourir avec un Bwaba. De plus, la compagnie d’un guide n’a pas résolu tous les problèmes linguistiques. Dans quelques cas, nous avons dû reformuler ou supprimer certaines questions, soit parce que les agriculteurs

1 Comme la superficie totale des terres de culture, la part des emblavures cotonnières, le nombre d’actifs…

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n’en comprenaient pas le sens, soit parce qu’ils n’avaient rien à y répondre. A titre d’exemple, en 2003, nous avons dû supprimer une question portant sur les critères de choix retenus par les paysans pour défricher ou mettre en culture une parcelle car ces derniers ne sont pas maîtres de choisir. La mise en culture dépend plus des besoins en récoltes ou des disponibilités en terres que de la nature du sol, du précédent cultural ou des caractéristiques de la parcelle. De même, les agriculteurs burkinabé comprennent difficilement les expressions d’«érosion pluviale » ou de « saturation foncière ». Dans le premier cas, ils disent que « l’eau emporte la terre » et dans le second, que « la terre est finie ».

En outre, c’est avec leurs yeux et leur patrimoine culturel que les agriculteurs locaux perçoivent les problèmes qu’ils rencontrent. Cette perception diffère de celle que nous en avons, notamment par le fait que les exploitants du Mouhoun raisonnent sur le court terme et occultent le devenir de leur environnement. Ils font preuve d’un manque de mémoire sur le long terme et en 2003, il nous est arrivé de parcourir plusieurs kilomètres avec un producteur pour aller voir des cordons pierreux qui n’existaient pas ou plus, ou peut-être qui existaient ailleurs mais que nous n’avons pas vus. Nous avons également pu observer que des exploitants qui avaient évoqué des problèmes en 2001 n’en faisaient plus mention en 2003, ceux-ci ayant été remplacés, dans leur mémoire, par leurs soucis du moment. C’est pourquoi, les exploitants ont du mal à se laisser convaincre par le bien-fondé du discours des encadreurs qui les incite à passer plus de temps à la préservation du capital environnemental et dépenser de l’énergie pour édifier des aménagements anti-érosifs, comme des cordons pierreux, dont ils ne retireront pas immédiatement les bénéfices. Pour eux, cette démarche les empêcherait de venir à bout des travaux agricoles saisonniers et pourrait hypothéquer leurs récoltes lesquelles récoltes sont vitales puisqu’elles permettent à la fois le remboursement des emprunts contractés mais aussi la satisfaction des besoins alimentaires. Comme le rappelle Schwartz (1996), leur but est « de tirer le meilleur parti possible des terres », dans l’instant présent. Et ceci est d’autant plus vrai que les agriculteurs du Mouhoun sont marqués par un profond fatalisme qui leur permet d’expliquer à la fois la dégradation mais aussi leur refus de lutter contre elle. Nous avons eu l’occasion d’évoquer ce point avec J.-B.D. qui est consultant en agronomie. Celui-ci précisait en outre que la terre n’est pas perçue comme un bien individuel ce qui n’encourage pas les exploitants à la préserver. Il notait également que l’appréciation de la dégradation varie selon qu’elle est le fait des chefs d’exploitation, des éleveurs, des femmes, des équipes d’encadrement ou du personnel des structures administratives, chacun d’entre eux en faisant un usage différent.

Par ailleurs, mener à bien nos enquêtes villageoises impliquait de respecter les usages et les règles locales de bienséance. La première démarche consistait à aller trouver le chef du village pour nous présenter et lui exposer les raisons de notre présence, ceci afin d’obtenir de lui l’autorisation de questionner les villageois. Cette requête s’est soldée, dans bien des cas, par le partage d’une calebasse de dolo, bière de mil locale, marquant l’hospitalité. L’autorisation du chef conditionnait le comportement des villageois qui ne répondaient à nos questionnaires que si le chef avait donné son accord, ce qui prouve une influence encore active de la chefferie. Or, en pleine saison des travaux agricoles, il n’était pas toujours facile pour nous de trouver le chef au village, celui-ci étant parti en brousse, parfois pour plusieurs jours. Il fallait alors nous faire accompagner non seulement de notre guide mais encore d’un villageois, le plus souvent un fils du chef. Ceci n’était pas sans poser de problème de transport car les villageois n’avaient pas toujours à leur disposition un vélo ou une mobylette mais aussi car les pluies conditionnaient les déplacements. Les difficultés rencontrées pour trouver le chef se sont renouvelées chaque fois qu’après l’avoir consulté, nous avions à aller interroger les exploitants dans leurs champs de brousse.