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Partie 1 : La contractualisation des transferts de technologie

A. La cession totale des droits sur une technologie

La cession totale des droits sur une technologie peut s’appréhender via une cession internationale (1) ou bien par un apport en société (2).

1. La cession

Le transfert de technologie peut prendre la forme d’une cession internationale. La loi chinoise des contrats de 1999 traite explicitement des transferts de technologie à la section 3 de son chapitre 18. Ils sont définis comme notamment des « contrats de cession de brevet, de cession de demande de brevet, de transfert de secret technique et de licence d’exploitation de brevet »235. Ainsi, pour le droit chinois, le transfert peut être une cession

de brevet et/ou de « secret technique ».

S’agissant des brevets, il ne fait pas de doute que le titre puisse être transmissible. L’article 10 de la loi chinoise sur le droit des brevets énonce qu’un brevet ou une demande de brevet est transmissible236. En revanche, la transmission d’une technique secrète a fait débat dans

la doctrine. La difficulté du droit à admettre la propriété d’une connaissance secrète la rend difficile à transmettre237. A l’inverse, pour d’autres auteurs comme Jean-Marc Mousseron

lorsqu’on admet que les savoir-faire et les connaissances secrètes en général ont une valeur commerciale, il apparait plus facile d’envisager leur transmission. C’est la garantie du secret

235 Shujie Feng et Audrey Drummond, « Contrat de transfert de technologie. Les précautions à prendre en cas de trasnfert de savoir-faire vers la Chine », (9 juillet 2020), http://chinepi.com/contrats-de-transfert-de- technologie/

236 Article 10 de la loi chinoise sur le droit des brevets du 12 mars 1984 237 Frédéric Pollaud-Dulian, supra note 117 n° 790

par le détenteur qui sera à l’origine de la réservation et qui va permettre la transmission. C’est par cette obligation de confidentialité que le détenteur du secret s’identifie à un cédant238.

En France comme en Chine la cession de brevet d’invention est analysée comme un contrat de vente239. Le contrat de cession est une convention par laquelle les droits attachés à un

brevet ou à un savoir-faire sont transférés de son propriétaire appelé le cédant, au cessionnaire moyennant un prix convenu240. Le cessionnaire devient le nouveau

propriétaire de la chose cédée. Il peut jouir de tous les attributs de la propriété en exploitant l’objet de la cession et peut même la céder à son tour.

Lorsque la cession a pour objet un brevet, le bénéficiaire peut s’opposer à toute utilisation par un tiers, conformément au monopole dont jouit le propriétaire du titre de brevet. La cession peut porter sur une demande de dépôt de brevet ou bien sur le titre délivré en lui- même. Néanmoins en cas de rejet de la demande de dépôt, le contrat de cession sera résolu pour défaut de contenu.

2. Apport en société

En outre, la propriété d’une technologie peut être transférée via un apport en société. La Chine a tout particulièrement encouragé ce type de transfert de technologie. Dès 2004, le pays se positionne comme le premier récepteur d’investissements étrangers241. Pour cela le gouvernement a mis en place des mesures tendant à favoriser les

transferts notamment des dispositions fiscales favorables dès les années 1980242. A partir

de 1988, l’apport en capital d’un droit de propriété intellectuelle ou d’un savoir-faire est

238 Junmin Ren, supra note 6 p.238 239 Ibid

240 Olivier Lestrade, « Cession de brevet », (1996) 4720 :1 Juris-Classeur Brevets p. 1 241 Junmin Ren, supra note 6 p.241

régie par des règles particulières : la réglementation relative aux investissements étrangers243.

L’apport en société nécessite que le brevet ou la connaissance secrète transférée par le cédant devienne une partie du capital social d’une co-entreprise. L’apport peut intervenir au moment de la constitution de la société ou bien lors d’une augmentation en capital ou d’une fusion244.

L’apport peut être constitué soit d’un brevet ou d’un savoir-faire. Comme dans le cas d’une cession l’apport d’une connaissance secrète fait débat de par l’absence de titre. Néanmoins, on constate dans la pratique, que c’est plutôt l’évaluation de la valeur de cet apport qui fait débat245. C’est même la raison la plus fréquente de rupture des pourparlers. En ce sens, la

désignation d’un commissaire aux apports semble indispensable246.

En France, l’apport en société peut être un apport en propriété ou bien un apport en jouissance. En Chine, il ne peut s’agir que d’un apport en propriété. Le législateur refuse le simple apport en jouissance comme constitutif d’un apport en société. Ainsi, l’apport en propriété à une co-entreprise chinoise nécessite que l’apporteur se départisse de sa propriété. Cette dernière devient le nouveau propriétaire des droits sur le brevet ou des connaissances secrètes. La société pourra alors exercer tous les droits attachés à cet apport. L’apporteur deviendra l’associé mais il n’aura pas plus de contrôle que les autres sur l’objet de son apport.

Ainsi, l’apport en société et le contrat de cession présentent de nombreuses similitudes. Dans les deux cas de figure le transfert est total. Le cédant reçoit en échange le prix convenu lors d’une cession ou bien les parts de la société dans le cas d’un apport en société. En

243 Iris Choi-Bellanger, supra note 32 p. 849 244 Junmin Ren, supra note 6 p.242

245 Iris Choi-Bellanger, supra note 32 p. 849 246 Junmin Ren, supra note 6 p.242

revanche, la différence entre ces deux types de contrat tient à la poursuite ou non des relations contractuelles par la suite. Lors d’un apport en société le lien entre le cédant et la société n’est pas rompu par la transmission de l’objet de l’apport. L’apporteur doit par la suite exercer des droits sociaux en tant qu’associé. Il va participer aux bénéfices et subir des pertes en fonction de la part sociale ou des actions qu’il détient suite au transfert247.

Pour faciliter ce type de transfert de technologie trois types de sociétés ont été créés en Chine. Il existe la joint-venture contractuelle (JVC), la joint-venture sino-étrangère (JVE) et la société étrangère (WFOE). Les joint-ventures ont des capitaux mixtes à la fois étrangers et chinois alors que la société étrangère Wholly foreign owned entreprise (WFOE) est constituée de capitaux 100% étrangers. Un accord franco-chinois du 30 mai 1984 avait spécialement été prévu pour favoriser la coopération entre la Chine et la France via ce type d’entreprises.

Dès les années 1988, l’administration chinoise va préciser via des circulaires quelle est la part maximum que peut détenir l’apporteur étranger via un transfert de technologie248.

Ensuite, ces dispositions ont été reprises par la loi sur les sociétés de 1999. La part maximum que peut détenir l’apporteur étranger via un transfert de technologie est fixée à 20% dans les sociétés à responsabilité limitée selon l’article 24 § 2. Le même taux maximum est énoncé à l’article 80 § 2 pour les sociétés anonymes249.

Aujourd’hui, il est question de remettre en cause ce système de co-entreprise. En effet, plus une société est performante sur le plan technologique, plus elle cherchera à éviter d’entrer sur le marché chinois via un coentreprise250. De plus, les entreprises étrangères, comme

Renault par exemple ont eu tendance à ne transférer que des technologies moins avancées dans les pays où il existe un risque de violation des droits. Ce type de comportement

247 Junmin Ren, supra note 6 p.242

248 Iris Choi-Bellanger, supra note 32 p. 867 249 Junmin Ren, supra note 6 p.242

perpétué par des entreprises occidentales a eu pour effet de dégrader les relations avec les coentreprises. Néanmoins, certains secteurs demeurent soumis à l’obligation d’avoir un partenaire local, comme l’automobile par exemple. Et il est courant que l’État désigne le partenaire. Dans ce cas ce dernier sera le plus souvent une entreprise d’État251.

S’il est vrai que la coentreprise peut être le moyen de profiter d’une certaine complémentarité grâce à un partenaire qui connait le marché local, il n’en demeure pas moins que cette situation est souvent source de tension. Les deux entreprises relèvent de cultures différentes et ont inévitablement des intérêts divergents. En effet, même s’il est dans l’intérêt des deux entités que la co-entreprise soit un succès, il reste que ce gain de productivité et de concurrence n’est pas exempt de risque pour l’apporteur de connaissance. Le partenaire d’un jour peut devenir, ou est même déjà, un sérieux concurrent. Il peut chercher pour cela à exploiter directement la connaissance ou la technologie transférée. Néanmoins, la perspective de profits via l’accès à un nouveau marché de consommateur est bien souvent plus forte que le risque avéré.

La célèbre affaire Danone-Wahaha est une des illustrations de ce phénomène. Danone s’était lancé dans l’aventure de la co-entreprise pour accéder au marché chinois. Néanmoins, la multinationale n’a pas souhaité transférer ses dernières recettes ainsi que ses techniques les plus avancées. Danone accusait Wahaha d’exploiter les mêmes produits et la même marque via un jeu de société écran et en violation de la clause de non- concurrence. Les deux entreprises ont finalement résolu le litige par une transaction en 2009. Danone a cédé ses parts dans la coentreprise. Cet épisode n’a pas empêché la multinationale de se lancer dans une nouvelle co-entreprise dès 2013.

Le récepteur du transfert encoure aussi un risque. Il est possible que la technologie ou la connaissance transférée soit difficile à mettre en œuvre, du moins de manière autonome.

Parfois l’implication de l’émetteur du transfert est indispensable pour pouvoir exploiter la technologie.

L’un des points de tension important, est « l’épineuse question de l’attribution de la propriété en cas d’amélioration ». Il s’agit du cas dans lequel, le partenariat avec la co- entreprise a permis une amélioration du savoir-faire transféré ou du brevet. Le partenaire local peut envisager de déposer un brevet en Chine sur cette amélioration. Avant 2019, si le contrat ne précisait pas ce cas de figure le droit des contrats chinois s’appliquait par défaut. Le propriétaire de l’amélioration est celui qui l’a développée252. Depuis la révision

en mars 2019 du Règlement sur l’administration de l’importation et l’exportation de technologie ces dispositions ont été supprimées. La situation du cédant s’améliore. On constate que de plus en plus de règles impératives entrainant l’application du droit chinois sont abrogées.

Néanmoins, face aux risques encourus des deux côtés, dans la majorité des cas, l’émetteur souhaitera ne pas se départir totalement de ses droits sur l’invention ou de son secret. En ce sens, l’émetteur optera pour un autre type de transfert de technologie : la licence et plus particulièrement les « licences croisées »253.