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Ancrage mythique du film d’ascension

Section 1 L’ultime refuge

La sensation éprouvée par l’alpiniste de s’élever par sa pratique au-delà des vicissitudes du quotidien et, par la même de s’exonérer des contraintes sordides du commun des mortels, procède également du mythe d’un âge d’or perdu. Ces paradis révolus chers à Capra et qu’Heinrich Harrer* a tenté d’utiliser, pour se refaire une virginité après son passé nazi, imprègne l’imaginaire social. Ainsi le régime hitlérien organisa-t-il une expédition en Himalaya afin d’y retrouver la souche d’une race aryenne primordiale.

En effet, d’après une légende tibétaine, une vallée cachée de l’Himalaya se-rait le refuge de sages immortels et purs dont la fonction sese-rait de protéger les secrets spirituels de l’humanité. Par l’enseignement qu’ils dispensent à leurs dis-ciples, ces êtres omniscients auraient une influence sur le destin des hommes. L’idée de ce paradis perdu séduisit le romancier américain James Hilton qui en tira un livre, Horizons perdus139, publié en 1933, ce livre raconte les aventures de trois aviateurs américains dont l’avion s’écrase dans une vallée perdue de l’Himalaya. Le roman fut adapté quatre ans plus tard au cinéma par Franck Ca-pra, le film qui en fut tiré remporta deux oscars et connut un certain succès. De ce film, qui engloutit la moitié du budget annuel de Columbia, on retiendra les in-vraisemblables décors de Stephen Goosson représentant Shangri La, la lamase-rie ; «... Ce dernier est certainement, de tous les décors produit pour Columbia dans les années 30, celui dont on se souvient le mieux, davantage sans doute pour son ostentation moderniste que pour sa justesse dramatique... 140»

Indé-pendamment de la querelle portant sur la paternité, ou non, de Hilton quant au terme Shangri La141, il semble que Hilton ait puisé son inspiration dans la légende du royaume de Shambhala. Les références les plus anciennes se rapportant à ce royaume secret se trouvent dans les livres canoniques tibétains, le Kanjur et le Tanjur et plus particulièrement le Tantra de Kalachakra :

On est certes très limité par la méthode historique qui part de traces écrites, de don-nées archéologiques, de documents. Selon les Tibétains, le Tantra de Kalachakra remonte au Bouddha et a été transmis au roi de Shambhala. Mais d’après ce que l’on peut savoir des sources historiques disponibles, c’est à dire de textes écrits, les

139

HILTON James, Lost horizon, London, Macmillan, 1933, Les Horizons perdus, collection Marabout, 1956, pour l’édition française.

140

BERTHOME Jean-Pierre, Le Décor au cinéma, éd. Cahiers du cinéma, 2003, 287 p., p.155. Notons, le remake (même titre), sous forme de comédie musicale, réalisé par JARROTT Keith en 1973.

141L’histoire et le nom connurent un succès considérable et le Président F. D. Roosevelt donna le nom de Shangri La au domaine présidentiel qui est devenu par la suite Camp David.

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documents font remonter ce tantra au Xème siècle après JC, et ils proviennent du nord de l’Inde, des milieux bouddhistes pratiquant déjà le tantrisme. Un sage indien, Chilupa, maître bouddhiste, est le premier à avoir mis par écrit cet enseignement.142

On retrouve cette persistance, en un endroit reculé, d’un paradis perdu, d’un coin du monde où le temps se serait arrêté à un hypothétique âge d’or, dans nombre d’ouvrages de la littérature. Le Paradis perdu, de John Milton procède de cette représentation :

Mais il suffit de lire Milton pour comprendre que ce n'est pas un jardin anglais qui nous est dépeint, mais bien ce dont le jardin anglais fut à la fois l'approche et la mé-taphore : le paysage montagnard. Or, la montagne que décrit Milton, c'est la mon-tagne par excellence depuis le Haut Moyen Âge : le Paradis terrestre, qui surpasse en hauteur toutes les autres et présente par excellence ce dont on les crédite si sou-vent : l'inaccessibilité.143

Plus récemment, Sept ans au Tibetc, de Jean Jacques Annaud traite de la même problématique. Heinrich Harrer, alpiniste allemand prisonnier en Inde, s’échappe et trouve refuge dans une vallée du Tibet où il connaîtra enfin un apai-sement et une sérénité en dehors du temps. Harrer ne s’en tira pas, finalement, à si bon compte puisque la sortie du film fut également l’occasion d’exhumer un passé qu’il avait pour le moins édulcoré. De même Jean Jacques Rousseau a-t-il recours à cette image dans sa métaphore des Montagnons isolés et protégés par deux "sanctuaires" l'un temporel, l'hiver, le second géographique, l'île artificielle de l'Élysée. De Mu, le continent perdu144 de James Churchward à The Lost

Em-pire 145 des studios Disney, littérature et cinéma abondent de ces récits empreints de la nostalgie d’un paradis révolu, d’une enclave géographique où le temps se-rait figé. On trouve dans ces représentations, l’éternel tentation humaine de se tourner vers un passé idéalisé quand surgissent les difficultés. Le film de Capra,

Lost Horizon, fut tourné à l’heure où la situation internationale multipliait conflits déclarés et conflits en devenir.

Une fois encore, l’Éden primordial et préservé n’apparaît qu’en filigrane dans le film d’ascension. Il procède en l’espèce de la combinaison d’une conception de la montagne en tant qu’espace vertical et en tant qu’espace temps. La quête de

142

LENOIR Frédéric, historien des religions, Quel Kalachakra pour le XXI° siècle ?

http://www.buddhaline.net (juillet 2005).

143

JOUTY Sylvain, « Naissance de l’altitude », Compara(i)sons, nº 1, 1999. Texte mis en ligne sur http://www.jouty.com/alti.htm (août 2005).

144

CHURCHWARD James, Mu, le continent perdu, J’ai Lu, 1969 (1ère éd. 1926).

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l’alpiniste tend ainsi vers une forme euphémisée, concernant plus le temps que l’espace, d’un éden disparu.

La persistance, largement surestimée, d’une nature préservée et l’abstraction temporaire des pesanteurs mortifères, donne à l’alpinisme le carac-tère d’une quête de l’éternelle jeunesse. D’autre part, si l’ascension éloigne de l’enfer et donc de la mort, elle est également retour dans l’espace temps. Les hé-ros qui grimpent dans les pas d’un être cher disparu (Die weiße Hölle vom Piz

Palüc, Föhnc, The White Towerc, Third Man on The Mountainc...) sont en quête d’une époque révolue où l’être aimé était encore au nombre des vivants ; de même ceux sur qui pèse le poids d’une faute sont à la recherche de ce même état antérieur de pureté (Premier de cordéec, Cliffhangerc, Vertical Limitc...). De cette acception de la montagne comme persistant éden, Luis Trenker a fait le thème de son film Der Verlorene Sohnc. Se souciant peu des subtilités de la mé-taphore, le cinéaste allemand fait clairement des hautes terres une forme de pa-radis dont Tonio Feuersinger a été exclus pour avoir cédé aux sirènes de la mo-dernité. Devenu l’ombre d’un homme hantant les rues déshumanisées de New-York, son retour au jardin d’éden est traité sur le mode baroque d’une fête aux accents païens des cultes solaires primitifs. De manière explicite, d’aucuns di-raient simpliste, Luis Trenker oppose montagne et ville dans la dualité mani-chéenne d’un affrontement entre l’enfer et le paradis.

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Paraphrasant les cathédrales de pierre de Ruskin, Trenker fait des gratte-ciel newyorkais la marque de l’expulsion deTonio Feuersinger du paradis originel.

De cette interpénétration de symboliques disparates devait naître la confu-sion interprétative que généra ce film. Considéré tout à la fois anti et pro améri-cain, anti et pro nazis, anti et pro clérical cette œuvre suscite encore le débat147

.

146

Der Verlorene Sohn c.

147

Sur cette variation des interprétations, voir notamment : REIMER Robert C., Cultural History Through a

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Exclus du paradis, Andreas (Der Bergfürherc), Michel Servoz (Mort d’un guidec

), Gabe Walker (Cliffhangerc), Martin (Cerro Torre – Schrei Aus Steinc

), Johannes Krafft (Die Weiße Hölle Vom Piz Palüc), Peter Garrett (Vertical Limitc) ou Simon Yates (Touching The Voidc) le sont pour avoir failli à des titres divers et c’est de leur héroïsme que dépendra une possible réintégration consécutive au néces-saire pardon.

La capacité de la haute montagne à se constituer en refuge abritant un éden révolu ouvre la porte à tous les passéismes. Dans son ouvrage La République du

Mont Blanc148, Saint-Loup* exploite la possible perception de la montagne comme paradis rélictuel* d’un point de vue temporel plutôt que géographique. En cette occurrence, l’écrivain controversé affiche les hautes vallées comme pos-sible moyen de protection contre la déchéance morale et le déclin racial par mé-tissage. Cette approche, volontiers qualifiée de fascisante eu égard à la person-nalité de l’auteur, est le prolongement exacerbé d’une des fonctions souvent prê-tées à la montagne ν films d’ascension, Bergfilm, Heimatfilm, présentent les hautes vallées comme des ilots de vertus ancestrales imperméables à la perver-sion par le progrès non maîtrisé.

Distale, du point de vue géographique, dans de nombreuses sociétés, la montagne l’est également d’un point de vue temporel. Achroniques, plutôt qu’uchroniques les sociétés fantasmées de l’univers montagnard sont la méta-phore d’édens primordiaux, préservant dans un écrin de sommets, les valeurs fondatrices d’un idéal humain depuis perverti.

Là les hommes sont naturellement bons, montrant un “air de bienveillance” et d’intérêt qui “épanouit le cœur” de Ramond, ravi par “l’expression touchante de ce sentiment de fraternité universelle que l’abord d’un étranger réveille singulière-ment”.149

Véritable tour d’ivoire, les massifs montagneux ont à recueillir tout ce qui n’a pas sa place dans la plaine prisonnière de l’accélération du temps social. Ainsi en est-il des vestiges surannés d’une pensée révolue aussi bien que des pionniers d’idée battant en brèche les modèles dominants.

43-44 ; RENTSCHLER Eric, The ministry of illusion: Nazi cinema and its afterlife, Harvard University Press, 1996, pp. 74-75.

148

SAINT-LOUP, La République du Mont Blanc, Paris, Table ronde, 1982, 282 pages.

149

JANTZEN René, Montagne et symboles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1988, P. 141 citant μ RAMOND, MONGLOND André , Voyage dans les Pyrénées - La eunesse de Ramond , Lardanchet, Lyon, 1927, 206p.

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Le film d’ascension quant à lui privilégie une haute montagne réceptacle de valeurs rélictuelles, temporairement en sommeil.

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Chapitre 3 – Transgression

C’est l’état de transgression qui com-mande le désir, l’exigence d’un monde plus profond, plus riche et prodigieux, l’exigence en un mot, d’un monde sa-cré.150

En tant que pratiquant ayant pris le temps de réfléchir sur les motivations de sa passion, il nous semble que le maître mot concernant l’alpinisme est celui de transgression, en effet :

Quelle signification peut-on attribuer à cette attitude paradoxale qui non seulement consiste à rechercher des situations tenues généralement pour périlleuses, mais qui de surcroît procure incontestablement beaucoup de plaisir et de satisfaction ?151

Le carcan rigide et puritain qui pesait sur les esprits de l’époque victorienne ne pouvait qu’appeler à une salutaire transgression. On conçoit aisément quelle pouvait être l’apport d’oxygène, au sens moral de la représentation, qu’apportait une expédition sur les sommets après les évolutions policées au sein des clubs de la gentry. La psychanalyse nous l’a expliqué, le poids d’une éducation par trop rigide favorise les personnalités marginales par réaction dont une des caractéris-tiques peut être la propension à une prise de risque quasiment suicidaire. Sans déceler dans l’alpinisme une manifestation d’état limite, il n’est pas exagéré de voir dans cette pratique l’expression d’une forme de marginalité socialement ac-ceptable. La communauté des alpinistes de Vertical Limitc est ainsi une réunion de personnalités évoluant à la marge à des titres divers ;

Post-hippies, infirmière en rupture de ban, aventuriers, la communauté des alpinistes de Vertical Limitc n’est pas un modèle de population intégrée.152

150

BATAILLE Georges, Lascaux ou la naissance de l’art, Genève, Skira éditions, 1955, p. 38.

151

ASSEDO Yvette, "Structure contraphobique d’une conduite transgressive, l’alpinisme" in COLLECTIF,

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De manière générale, l’alpiniste de cinéma, quand il n’est pas professionnel de la montagne, gravite, pour des motifs variés, aux marches d’une société qui ne l’accepte pas pleinement ou qui le tient, au minimum, pour un original.

La société victorienne en tant qu’entité sociale et la reine elle-même réprou-vèrent cette prise de risque qu’elles jugeaient déplacée. Pour autant, le risque et le courage physique n’en restèrent pas moins des fondements d’une solide édu-cation. Cela était d’autant plus nécessaire que cette société rationaliste, dans sa quête d’une explication à toute chose, ne laissait que peu de place aux aléas que d’aucuns estiment pourtant être le sel de la vie.

L’alpinisme est-il pour autant l’expression codifiée d’une pulsion suicidaire ? Pour avoir fait partie de ce milieu, et sauf à être dépourvu de toute qualité d’empathie, il ne nous est pas apparu que nos compagnons de montagne aient plus que tout autre des difficultés à porter le poids de leur existence. Toutefois, eu égard aux risques encourus, quel puissant moteur sous-jacent peut pousser des êtres sains d’esprit à s’exposer de leur plein gré. Dans les films que nous avons retenus, ainsi que dans ceux que nous avons visionnés dans d’autres con-textes, les alpinistes grimpent pour résoudre une situation narrative donnée et le film de fiction appelle une causalité immédiatement perceptible par le spectateur. En revanche aucune explication n’est jamais donnée sur ce qui les a fait alpi-nistes. Si dans les documentaires de Marcel Ichac, Rébuffat, ou Messner, le commentaire se livre à des digressions sur les motivations profondes du grim-peur, Il est peu envisageable de susciter l’intérêt du public des néophytes en lui suggérant que les souffrances qu’endure l’alpiniste sont :

[...] rapportées au complexe de la phase phallique dont l’un des éléments constitutifs se traduit par un " sentiment de culpabilité inconscient ", un besoin de punition, ré-sultant des revendications pulsionnelles de cette phase du développement.153

Ce même public préfère sans doute l’aura de mystère plutôt que l’explicitation des méandres psychologiques des pratiquants qu’il veut admirer.

152

CAMPBELL Martin, Vertical limit.

153

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Section 1 – Défier la mort : une attitude transgressive contraphobique ? Pour pouvoir courir une aventure, il faut être mortel, et de mille manières vulné-rable ; il faut que la mort puisse pénétrer en nous par tous les pores de l’organisme par tous les points de l’édifice corporel.154

S’il est vrai que « l’ennui naquit un jour de l’uniformité »155, l’alpinisme est sans doute aucun, un puissant remède à cet ennui. Cela étant, il n’en demeurre pas moins que cette pratique est à joindre à la liste de celles pour lesquelles il convient de mettre en jeu l’intégrité physique du pratiquant. Aussi, sommes-nous en droit de nous interroger sur le substrat des motivations qui amènent un prati-quant à mettre sa vie en jeu à seule fin de se distraire.

Il n’est pas question ici de gloser ou de remettre en cause le regard qu’a porté la psychanalyse sur l’alpinisme. Simplement, notre propos est de trouver un ancrage symbolique commode qui expliquerait l’adhésion du public à la psycho-logie du grimpeur. Il nous semble à ce sujet qu’il est plus pertinent de retenir, plu-tôt qu’un type de masochisme à dimension érogène, la piste de motivations con-traphobiques. En effet lors des conversations qui se tiennent au refuge ou au bi-vouac la veille d’une course, l’un des sujets les plus prisés est d’évoquer, avec force frissons, les accidents, de préférences horribles, qui ont eu lieu dans le sec-teur. Les Étoiles de midic156, de Marcel Ichac, présente une remarquable scène du genre, scène qui impressionne grandement le novice qui affrontera son pre-mier 4000 le lendemain. Cet exercice procède autant de la conjuration que de la forfanterie ν il est sans doute la verbalisation d’une motivation enfouie que l’on peut mettre sur le même plan que l’attitude qui consiste à toucher du bois pour conjurer la puissance d’une évocation porteuse d’adversité.

Une des moteurs de l’émergence de l’alpinisme à l’ère victorienne est donc cette volonté de transgression qui consiste à risquer sa vie. Non pas risquer sa vie par mépris de l’existence, mais risquer sa vie pour en mesurer le prix. Les so-ciétés anxiogènes, c‘était le cas de l’époque victorienne, induisent un insidieux

154

JANKÉLÉVITCH Vladimir, L’Aventure, l’ennui, le sérieux, Paris, Éditions Montaigne, 1963, p. 19.

155

HOUDAR de La MOTTE Antoine, ʺLes Amis trop d’accordʺ, in PASCAL Jean Noël, La Fable au Siècle

des Lumières 1715-1815 : Anthologie des successeurs de La Fontaine, de La Motte à Jauffret, France,

Université de Saint-Etienne, 1991, p. 54.

156

ICHAC Marcel, Les Étoiles de midi, 1960. Voir à propos de cette séquence SEGUIN Gilles, Mythes et

imaginaire social de la montagne dans les films d’ascension de Marcel Ichac, Mémoire de première année

de master Arts et Sciences de l’Enregistrement, Université de Marne la Vallée, sous la direction de Ma-dame Sylvie Dallet, travaux suivis par MaMa-dame Béatrice de Pastre, soutenu le 15 septembre 2005, p. 122-125.

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sentiment de danger permanent ; le danger suprême étant de perdre la vie. L’alpiniste, et par procuration le spectateur, a capacité en risquant son existence d’avoir l’impression, paradoxale, d’en dominer le cours μ puisqu’il la met en jeu elle est bien sa propriété inaliénable et la risquer en connaissance de cause lui en rend la maîtrise. Un chanteur français présentant son action caritative décla-rait à propos du titre d’une de ses chansons, Donne moi une vie, que le sens symbolique en était « Donne moi quelque chose à perdre »157 . Donner une réali-té concrète à une menace diffuse en diminue la nociviréali-té ; risquer sa vie en affron-tant une montagne, King Kong ou les séides du Spectre158, c’est ne plus risquer de la perdre victime d’un infarctus, d’une agression, vitrifié par le feu nucléaire, affamé par la mondialisation ou le réchauffement climatique.

Le français alcoolique de The White Towerc n’attache plus de prix à son existence qu’il estime être un fiasco. Sa participation à la tentative d’ascension la lui rendra précieuse. Les héros de Vertical Limitc et de Cliffhangerc, rongés par une faute primordiale reprendront le contrôle de leur existence, et par voie de conséquence l’estime de soi, en la misant dans le grand jeu de l’alpinisme.

Dans un registre moins extrême, la banalité d’un quotidien fastidieux n’est pas moins anxiogène. Archétype de cette dichotomie victorienne, Douglas Mere-dith, le personnage principal de Five Days One Summerc, n’est que transgres-sion. Modèle de la société intégrée des années 1930, marié, il a fait carrière aux Indes et bénéficie d’une grande aisance matérielle. En opposition à ce statut lisse, il court les sommets et transgresse l’ordre moral en faisant de sa nièce sa maîtresse. On peut voir dans ce personnage le représentant de la nécessité d’échapper à une société puritaine, rationaliste et rigoureuse qui appelle au fran-chissement de la limite. Dans un même ordre d’idée, l’immuable société des hautes vallées bien que source de stabilité n’en présente pas moins le caractère intangible d’un sillon tracé d’avance. De cette monotonie peut naître le besoin de fantaisie transgressive générant les prises de risques, qui, si elles sont un danger pour la communauté, peuvent représenter le salut psychique pour certains de ses représentants.

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NOAH Yannick, interview accordée à la radio Europe n°1, 11 août 2007.

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