• Aucun résultat trouvé

Les figures de l’alpiniste

Introduction de la troisième partie

Section 1 Les figures de l’alpiniste

Comme le cinéma, l’alpiniste est enfant du XIXe

siècle. Et, si comme nous l’avons vu plus haut, les premières ascensions sont bien antérieures à l’ère in-dustrielle, les ascensionnistes d’alors n’ont pas pour préoccupation principale le seul fait de parvenir au faîte d’une sommité.

Le plus haut sommet d’Europe conquis, l’alpinisme connut des débuts hési-tants414. En effet les ascensions se résumèrent tout d’abord à la répétition de l’ascension du Mont Blanc, ce qui aura l’avantage de susciter l’émergence d’une corporation de guides. Si des personnages tels que les Meyer*, ou J. D. Forbes415 sillonnèrent les Alpes, leurs périples tenaient souvent plus de l’exploration que de l’alpinisme et les réalisations intéressantes furent l’exception416

. Vers le milieu du 19e siècle, un peu moins de cent pics avaient été gravis et l’alpinisme n’était pas encore, loin s’en faut, autre chose qu’une pratique confidentielle. Ajoutons à cela

414 La date de naissance de l’alpinisme est généralement marquée par l’ascension du Mont Blanc par Paccard et Balmat le 8 août 1786.

415

FORBES James D., The tour of Mont Blanc and of Monte Rosa, Edinburgh, Black, 1855, 320 pages. Cet ouvrage est la réédition de son ouvrage de 1844, Travel through the Alps of Savoy, allégée des cha-pitres purement scientifiques.

416

Grossglockner (3798 m) en 1800 par le comte de Salm, Ortler (3905 m) en 1806 par Gebhart et Pi-chler, Breithorn (4165 m) en 1813 par Henri Maynard, Pelvoux, (3946 m) en 1928 par Durand, Finsteraar-horn (4275 m) en 1829 par Hugi... On remarquera que la quasi-totalité de ces sommets sont situés en Suisse.

173

le fait que la conquête du Mont Blanc, fut suivie d’une période historique fort troublée en France et en Europe.

Les précurseurs de nos agences de publicité allaient se charger de donner de l’élan à la nouvelle activité. En 1851, Albert Smith, médecin anglais417

, réalisait l’ascension du Mont Blanc. Pensant pouvoir tirer quelque bénéfice de son exploit, il fit monter, à Londres, un spectacle sous la forme d’une conférence illustrée et dramatisée jusqu’à l’outrance. Le succès fut tel que le spectacle resta à l’affiche six années de suite. Nombre de britanniques découvrirent les Alpes par ce biais, ce qui pourrait justifier que Geoffrey Winthrop Young ait baptisé Smith le « prophète des Alpes ». Il convient, toutefois de rappeler qu’A. Smith ne fut pas le premier à vouloir « rentabiliser » la montagne. Le Suisse Léonard Gaudin, fa-briqua une reproduction des montagnes suisses qu’il exposa à Londres en 1825. Le Genevoix qualifia, avec une modestie toute relative, son œuvre de « l’ouvrage le plus extraordinaire dû au génie et à l’industrie humains »418

. Alexandre Dumas cite un diorama représentant la vallée de Chamonix en 1835 ; H. Baker et R. Bar-ford exposent un panorama représentant la vallée depuis la Flégère. Smith lui-même propose un spectacle de lanterne magique sur l’ascension du Mont Blanc et publie plusieurs ouvrages dans lesquels la montagne occupe une place de choix.

419

Une représentation du spectacle du Dr Smith.

417

Notons que si le titre de docteur en médecine ne peut être discuté à Albert Smith, il abandonna très vite la médecine pour le journalisme et devient membre du comité de rédaction du Punch, journal saty-rique anglais.

418

Cité par ENGEL Claire-Éliane, opus cité p.89.

419 Mont Blanc Sideshow d’Albert Smith, source, ENGEL Claire-Éliane, « Mont Blanc Sideshow, The Lite and Times of Albert Smith», in La Montagne, n°265, janvier 1935, pp. 31-32.

174

Si l’amour de la montagne y est présent, l’image qui en est donnée est pour le moins dramatisée :

Et parfois le brouillard gèle si fort que vous ne pouvez le traverser. Et on perd la vue à cause de la luminosité de la neige.

Et vos vaisseaux sanguins explosent sous l’effort.

Et on tombe dans les grands trous des glaciers, et on n’en sort pas avant vingt-quatre heures, surgissant au milieu du lac de Genève.

Et on est encorné par les chamois sauvages. Et on est becqueté par les aigles.

Et on est jeté à terre par les avalanches.

Et on perd l’équilibre jusqu’à rouler droit jusqu’en Italie, comme un ballon de football, et rien ne vous arrête, à moins que vous ne tombiez dans une crevasse.420

La fortune du spectacle d’Albert Smith tient sans doute au fait qu’émanant d’un vainqueur du Mont Blanc, son récit bénéficiait d’une aura à nulle autre pa-reille :

Tout le monde va voir son Mont Blanc. On y conduit les enfants. La Reine Victoria le fait venir trois fois à Windsor ; [...] Quelques compositeurs de musique, enthousias-més, dédient certaines de leurs œuvres à Albert Smith ; ce sont naturellement des pièces de circonstance : Les Échos du Mont Blanc, de Jullien ; The Mont Blanc

Quadrille, de Tilly ; The Chamonix Polka, de Cooke. [...] D’un point de vue esthé-tique, ce panorama du Mont Blanc devait être un scandale ν mais personne ne s’en doutait. En tout cas, il venait à point nommé. Les premières lignes de chemin de fer rendaient les Alpes rapidement accessibles421.

422

Partitions de The Chamonix Polka.

420

SMITH Albert, The struggles and adventures of Christopher Tadpole at Home and Abroad, volume 1, Londres, R. Bentley, 1848, pp. 331-332.( Traduction personnelle).

421

ENGEL Claire-Éliane, critique de l’ouvrage Mont Blanc Sideshow, The life and Time of Albert Smith, in

La Montagne, n°265, février 1936, p.31.

422

Livrets musicaux de polkas dédiées à Albert Smith, source, BALLU Yves, Montagne et musique, http://yvesballublog.canalblog.com/archives/2009/12/06/ 16056872.html, (mars 2011).

175

La vision « anglocentriste » de l’alpiniste

1854 est considérée, par les anglo-saxons, comme l’année marquant le dé-but de l’âge d’or de l’alpinisme423

. Cette année là va voir affluer un nombre sans précédent de grimpeurs dans le massif alpin :

Comme s’ils obéissaient à un signal convenu, une multitude de grimpeurs ambitieux et accomplis firent leur apparition dans les Alpes au cours de cet été là, poussant leurs reconnaissances et leurs exploitations en tous sens au cœur des calmes royaumes de rocher ou de neige, où nul homme jusqu’alors n’avait jamais pénétré. En 1855, ils étaient en plus grand nombre, plus nombreux encore en 1856, et, pen-dant la décade qui suivit, l’invasion grossit rapidement424

.

Pour autant, cette soudaine multiplication n’est pas le fruit du hasard ; en 1851 (année de l’ascension du Mont Blanc par Albert Smith), à Londres, capitale du Royaume-Uni, dominant alors outrageusement la politique et l’économie mon-diale, se tient la première exposition universelle. Avatar moderne des foires du moyen âge, le concept nouveau d’exposition universelle permet la présentation des produits industriels du moment. L’Angleterre, berceau de la révolution indus-trielle, dispose alors d’une avance indiscutable sur ses voisins européens et, par voie de conséquence, sur le monde. La construction du Crystal Palace dans

Hyde Park n’est que la matérialisation de cette suprématie :

Les Anglais ont le niveau de vie le plus élevé au monde (33 livres sterling par tête en moyenne alors que les Français ne disposent que de 21 livres et les Allemands de 13 seulement). Ce sont eux qui inventent et propagent les chemins de fer qui révolu-tionnent l’économie mais qui permettent également de faire accéder au voyage des catégories sociales qui jusqu’alors n’y avait pas droit.425

De fait, le règne de la reine Victoria, représente « Dans une certaine mytho-logie, […] les plus belles heures de l’histoire nationale »426 qui marqueront d’une anglophilie envieuse les cénacles intellectuels européens de l’époque. Le 20 juin 1837, Victoria, âgée de 18 ans, succède à son oncle Guillaume IV sur le trône du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande. A l’aube de son règne, la

423

Henri Isselin préfère retenir la période 1919-1950 comme période de l’âge d’or. ISSELIN Henri, L’Âge

d’or de l’alpinisme, éditions Arthaud, Paris, 1983, 237 pages.

424

ULLMAN James Ramsey, La grande conquête (High conquest), éditions Arthaud, Grenoble, 1948, 372 p., p. 47.

425

TAILLAND Michel, "L’Alpine Club, l’émergence d’un modèle institutionnel ", in Deux siècles

d’alpinismes européens, Origines et mutations des activités de grimpe, HOIBIAN Olivier & DEFRANCE

Jacques directeurs, éditions l’Harmattan, Paris, 2002, p. 9.

426

176

chie anglaise est au plus mal. La dynastie des Hanovre est discréditée par la longue folie du roi George III et les inconséquences de ses deux fils et succes-seurs, George IV et Guillaume IV (qui aurait eu dix enfants illégitimes). Les soixante-quatre ans de règne de la souveraine (1837-1901), apporteront à la na-tion britannique une prospérité jusqu’alors inégalée :

Les héros de cette époque restent vivants dans la mémoire collective, comme l’ingénieur Isambard Kingdom Brunel, l’infirmière Florence Nightingale ou encore madame Beeton qui dans son manuel Housebold Management, établit les règles de la domesticité bourgeoise. On pense aussi à Charles Darwin ? Champion de la doc-trine de l’évolution, à Charles Dickens, le romancier le plus célèbre de la littérature nationale, et à John Stuart Mill qui donne au libéralisme britannique une portée uni-verselle.427

Cette nouvelle Angleterre va se bâtir autour de trois axes forts : hausse dé-mographique, industrialisation et urbanisation. A cela s’ajoute une longue période de paix depuis la défaite de Napoléon Ier premier jusqu’à la guerre 1914-1918 : à l’exception de la guerre de Crimée, de1854 à 1856, le pays ne participe à aucun des conflits européens et ne connaît pas les convulsions révolutionnaires qui af-fectent le continent. Cette conjugaison de phénomène participe à l’apparition d’un nouveau personnage : « le milord anglais globe-trotter ». La morale de l’effort in-dividuel et de la respectabilité sous-jacente à la société victorienne induite par le couple Victoria et Albert de Saxe-Cobourg-et-Gotha, va influencer considérable-ment l’éducation, théorisée par Samuel Smiles*

et mise en pratique par le docteur Thomas Arnold. Directeur de la public school de Rugby, Thomas Arnold crée un enseignement basé sur :

[…] la morale chrétienne, le comportement d’un gentleman, le savoir classique, l’esprit de communauté et de devoir, la valeur de l’effort et le courage physique. Des collèges comme Uppingham, Stowe, Oundle, Hailebury, Malvern, the Leys, devien-nent la pépinière de générations de jeunes bourgeois et d’aristocrates, imbues du sens d’une moralité qui est à la fois patriotique, chrétienne et marquée par l’esprit d’entreprise.428

Associée à la coutume du « Grand Tour*», cette éducation allait donc voir, entre autres conséquences, les jeunes britanniques réduire les autres nations à la portion congrue dans la conquête des Alpes. Ces considérations pourraient sembler s’éloigner de notre propos, elles sont pourtant à notre sens, la clé de la

427

MORRIS Peter, opus cité p. 132.

428

177

prééminence anglaise dans les Alpes et par un effet de conséquence de la pra-tique de l’alpinisme jusqu’à la première guerre mondiale ; prapra-tique dont découlent les différentes figures de l’alpiniste que nous allons évoquer.

Le milord anglais globe-trotter

Immortalisé en France, et dans le monde entier, par Jules Verne ce person-nage est l’héritier direct de la prospérité anglaise, de l’immensité de l’empire et de la coutume du Grand Tour* remis au goût du jour par l’Angleterre victorienne. L’invention et le développement du chemin de fer et d’autres moyens de locomo-tion raccourcissant les distances, les Phileas Phog en herbe pouvaient arpenter la planète. Sir Oliver S. Lindenbrook (Journey to the Centre of the Earth429, (1959, 1978, 2008...), le professeur Pierre Aronnax (20 000 Leagues under the Sea (1916, ), Sir Henri Vining (Five Weeks in a Balloon) ou encore Lord Glenarvan (In

Search of the Castaways) sont de parfaites illustrations de ces nobles ou

bour-geois anglais, membres de la Royal Geographical Society, soucieux de combler les blancs figurant sur les cartes ou dans les connaissances humaines. Cela étant, par un glissement intellectuel commode, Edward Whymper, vainqueur du Cervin (Der Bergruft c), est souvent assimilé de fait à cet aréopage de savantes personnes. Pourtant il est apprenti graveur lorsqu’il découvre la montagne, par le biais du diorama d’Albert Smith, et c’est mandaté, en tant qu’illustrateur du se-cond tome de la revue de l’Alpine Club : Peaks, Passes and Glaciers, qu’il est envoyé en Suisse et dans le Dauphiné. Cependant la posture du milord anglais seyait mieux à la dramaturgie et c’est bien sous les traits d’un aristocratique an-glais que Mario Bonnard, Nunzio Malasomma (Der Kampf ums Matterhorn c, 1928) et Luis Trenker (Der Bergruft c) le décriront. En effet, la nécessaire dualité évoquée plus haut, entre le guide autochtone et le citadin infatué par la morgue inhérente à sa classe sociale s’imposait pour respecter les codes du genre. Il est clair au cours du récit que, si Carrel l’indomptable entend conserver son libre ar-bitre, un rapport de l’ordre de la soumission du guide envers son client s’installe lors de leurs tentatives communes. De même le Capitaine John Winter (Third

Man On The Mountainc) s’il affiche une attitude nettement plus conciliante n’en demeure pas moins le chef incontesté dont dépendent toutes décisions concer-nant l’expédition. Nous reviendrons d’ailleurs sur les particularités de ce film qui présente une originalité incontestable quant aux rapports humains et la

429

178

tion de la haute montagne. Dans Five Days One Summer c, en revanche, on re-trouve une attitude plus conforme à la représentation stéréotypique du client an-glais de l’alpinisme classique ; Douglas Meredith, le riche client, entretient avec son guide, Johann Biari, les rapports qu’il entretient probablement avec sa do-mesticité. D’ailleurs lorsque sa jeune nièce et maîtresse suggère de recevoir le jeune montagnard à leur table, elle soulève l’hilarité de son compagnon devant l’incongruité de sa proposition : « - Je pensais que tu allais l’inviter à s’asseoir... – Il n’aurait pas accepté, voyons, ça ne se fait pas.430

»

431 432

433

Le gentleman anglais entend retrouver au plus profond des vallées le confort auquel il est habitué.

Ainsi existe-t-il une vision de l’alpiniste, que nous avons choisi de qualifier d’anglocentriste, quand bien même est-elle également présentée comme conve-nue dans les films français ou suisses, entres autres. Dans la liste des films qui présente cette vision du client omnipotent et qui va de Der Bergfürherc à Vertical

Limitc, l’argent et ses corollaires dégradants impose son primat à la rude sagesse issue de l’expérience.

Dès le film que nous considérons comme fondateur, Der Bergfürherc, est exposé le schéma narratif qui régira dès lors la relation du client de type

430

Five Days One Summer c.

431

Der Bergruft c.

432

Five Days One Summer c.

433

179

centriste et du guide de haute montagne : sûr de son expérience et conscient de l’arrivée du mauvais temps le guide, par définition raisonnable, conseille à son client une prudente retraite. Le citadin fort de son pouvoir de payeur exige de poursuivre et s’ensuit l’échange au cours duquel il met en doute le courage de son guide qui ne peut accepter cette atteinte à son honneur et accepte de pour-suivre434. Une fois encore cette péripétie narrative renvoie à l’histoire puisque la première catastrophe alpine, celle du docteur Hamel, déjà évoquée, a pour ori-gine l’obstination du conseiller aulique du Tsar. Ce dernier devant le conseil de ses guides de rebrousser chemins les traita de lâches. Selon les cas le client perd la vie victime de son incurie ou de son manque de préparation (Der

Bergfürherc, La Croix du Cervinc, Vertical Limitc…) ou le guide succombe victime de son devoir (Five Days One Summerc, Premier de cordéec…). Der Bergfürherc

introduit également l’élément narratif essentiel que constitue la notion de preuve au sein du drame alpin. De retour dans la vallée Andreas, le guide, est en proie à la vindicte générale : il a dérogé au devoir sacré du guide qui consiste à ramener le client sain et sauf et sa rivalité au sein du triangle amoureux, qui deviendra également un des moteurs du film d’ascension, est de notoriété publique ; tout le condamne donc jusqu’à ce que le corps d’Alfred Foch le touriste entêté soit re-trouvé. Dans ses derniers instants l’alpiniste en détresse a, sur son calepin, écrit les quelques lignes qui disculpent son guide ; ce dernier ne profitera, cependant, pas de sa rédemption car avant d’apprendre la nouvelle salvatrice il est foudroyé au milieu de son troupeau. Le « cliché » des mots griffonné sur le calepin est at-tribué à Paul Hervieu qui y a recours dans sa célèbre nouvelle L’Alpe homicide.

Toutefois il s’agit là d’une paternité indue, puisqu’une fois encore la réalité alpine a précédé la fiction la plus romantique. Ce recours au carnet comme ultime con-fident : « [...] Hélas mes doigts glacés ne peuvent plus rien tenir... Mais yeux se ferment malgré moi. [...] Au revoir mon amie, dans l’existence éternelle. Pour vous sera mon dernier soupir ! [...] »435 n’est, somme toute, que la réécriture ro-mancée de la mort du pasteur écossais le révérend George McCorkindale. En septembre 1870, le docteur G. Bean, le révérend G. McCorkindale, J. Randall, les guides Jean Balmat, Edouard Simond, Joseph Breton et les porteurs Al-phonse Balmat, Fernand Tairraz, Auguste Couttet, Auguste Cachat et Johan Graf se perdent dans la tourmente au Mont Blanc et meurent après une agonie de neuf jours. Sur le corps du pasteur écossais, on retrouvera le carnet sur lequel il

434

Dans Der Bergführer, la faute originelle du guide est de se laisser fléchir au point d’obéir à l’ordre de son client de le laisser continuer seul.

435

180

avait tenu la chronique de ses derniers instants : Je n’ai que la force d’écrire ces quelques mots [...] Je meurs dans la foi en Jésus-Christ et dans des pensées

d’amour pour ma famille ; je vous dis adieu à tous […]»436

Ce tragique épisode a également inspiré la scène du carnet dans Die weiße Hölle vom Piz Palü. La puissance narrative des ultimes réflexions écrites par un homme à l’heure de ces derniers instants dans un environnement hostile est telle qu’elle n’est pas l’apanage des films d’ascension puisque Michael Cimino fera de ce procédé l’ultime confident de Nathan D. Champion succombant sous la mitraille des mi-lices des Cattle Barons (Heaven’s Gate437

).

Au final, cette figure est le modèle archétypal réel de l’alpiniste amateur tel qu’il a dominé des origines de l’alpinisme avec l’ascension du Mont Blanc par Paccard et Balmat le 8 août 1786 (Der Ewige Traumc) à l’entre deux guerres et l’arrivée de ceux que l’on devait appeler les « sans guides ». Cette forme de pra-tique a largement été formalisée par les représentations véhiculées par les membres de l’Alpine Club et si nous avons choisi d’utiliser pour cette figure de

l’alpiniste le néologisme d’ « alpinisme anglocentriste » c’est que de 1786 à 1853 les deux tiers des ascensions au Mont Blanc furent le fait de Britanniques et qu’il en fut de même de 1850 à 1890 pour 45% des ascensions tous sommets con-fondus.

La figure traditionnelle du guide de haute montagne

Car l'Eternel, est celui qui marche devant toi, sera lui-même avec toi ; il ne te délaissera point et ne t'abandonnera point ; ne crains donc point, et ne sois point effrayé.

(Deutéronome XXXI, 8).

Comme nous l’avons vu, dès la première course, de ce que nous qualifions de forme classique438, était associé à un « honnête homme 439» un habitant de la vallée connaisseur des sentiers approchant aux hautes cimes. Comme nous l’avons évoqué plus haut ces coureurs de sentiers étaient, souvent, les habitants

436

Cité par GOS Charles, Tragédies alpestres, Payot, Lausanne, 1946, 304 pages (chapitre VIII « traqués dans cette furie blanche à 4700 mètres » p. 63-82).

437

Heaven's Gate, CIMINO, Michael, États-Unis, Partisan Productions, 1980, 149 min (219 min pour la version « réalisateur »)

438

À savoir la première ascension du Mont Blanc.