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L’homme contre la femme

Introduction de la deuxième partie

Section 5 L’homme contre la femme

Référence intertextuelle forte du film d’ascension, le statut de la femme est éminemment symbolique. Elle est au mieux un modérateur, le plus souvent une entrave voire un obstacle supplémentaire. Qu’elle soit mère interdisant l’accès à la montagne (Der Berg des Schicksalsc, Third Man On The Mountainc) ou fiancée souhaitant retenir l’alpiniste au foyer (Der Berg Ruftc

, Der verlorene Sohnc), elle est la quintessence des valeurs traditionnelles et de la raison qui limite l’initiative.

La femme est généralement cantonnée à un rôle d’observatrice. Son rôle dans l’entreprise se borne alors à l’inévitable séquence de l’observation des grimpeurs à la lunette d’approche. Toutefois elle peut participer, peu ou prou, à l’ascension (Der Heilige Bergc

, Die Weiße Hölle vom Piz Palüc, Stürme über dem

Mont Blancc, Der verlorene Sohnc…), voire même en être l’instigatrice (Der Berg

des Schicksalsc, The White Towerc, Vertical Limitc, Nordwandc, ….). Dans ce con-texte narratologique, elle est alors un élément perturbateur supplémentaire et le catalyseur des passions : elle apporte la dissension au sein de la cordée, exa-cerbant les passions par sa seule présence.

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Section 6 – L’alpiniste contre « ceux d’en bas »

Indigène ou touriste, l’alpiniste est source d’incompréhension de la part du commun des mortels. De l’apparition de cette pratique à nos jours, la perspective de mettre en jeu sa vie pour des enjeux somme toute assez futile reste un mys-tère pour le non pratiquant ; les grimpeurs eux-mêmes n’ont d’ailleurs guère su mettre une raison sur cette propension à escalader les montagnes, la réponse de Mallory « Parce qu’elles sont là » si elle fit florès n’en est pas moins une déro-bade en forme de pirouette. Nimbé de l’aura dont le pare cette fascination morti-fère, l’alpiniste est perçu et se veut au dessus du commun : « […] regardant avec son orgueil infini […] ces multitudes plébéiennes qui ne faisaient jamais le moindre effort pour s’élever jusqu’aux hauteurs altières »341

. Clairement, les alpi-nistes constituent une caste supérieure qui plane loin au dessus des contin-gences quotidiennes de ceux d’en bas. Cette virile fraternité transcende les anta-gonismes précédemment cités : Whymper et Carrel (Der Berg Ruftc), tout adver-saires qu’ils soient, font partie de la race des héros surhumains dont leurs con-génères ne peuvent comprendre et encore moins partager les aspirations. Karl et Vigo (Der Heilige Bergc) sont amoureux de la même femme, Diotima, mais cet amour ne saurait supplanter la fraternité de la cordée et à l’heure du choix c’est cette dernière qui prévaudra. Même des personnages aussi dépourvus d’humanité qu’un tueur à gage appointé par des services secrets ou sa cible ne parviennent pas à transgresser cette union sacrée et le traître sauvera l’espion qu’il sait engagé pour l’éliminer (The Eiger Sanctionc

).

Expression de cette dualité, la horde grouillante qui observe les alpinistes agonisant sur les pentes de l’Eiger est un avatar des foules se repaissant de la mort des gladiateurs dans la Rome antique.

Dès les prémices du genre (Blind Husbandsc) l’alpiniste se voit gratifié d’une part de la pureté qui auréole les cimes : le mari alpiniste est animée par la rigueur morale face au séducteur incarnation quasi exhaustive et parfaite de tous les vices sous les traits d’Erich von Stroheim que l’on « adorait déjà détester »342

. Fred Zinnemann utilise cette propension à la fraternité sacrée pour installer un suspens intéressant dans Five Days One Summerc. Après que sa maîtresse l’ait informé de son intention de le quitter et que son guide ait fait preuve de son intérêt pour cette dernière, Douglas Meredith est conscient du fait que le jeune montagnard est son concurrent dans le cœur de Kate. À deux reprises, le jeune

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KRACAUER Siegfried, De Caligari à Hitler, Lausanne, L’Age d’homme, 1973, p. 122.

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"L'homme que vous adorerez détester" était le slogan vendeur servant à la promotion des films ou Von Stroheim apparaissait en officier dépravé (The Mery Widow, Blind Husbands, Foolish Wives...).

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guide est à sa merci et l’on s’attendrait, dans tout autre film, à ce que le gentle-man britannique se débarrasse à moindre risque de son adversaire. Zinnegentle-mann étire les gros plans sur le visage de Meredith, suggérant ainsi la tentation à la-quelle est soumis ce dernier. Pour autant, la solidarité alpine prend le dessus et le riche anglais s’avère un compagnon de cordée irréprochable.

Si cette conscience d’appartenir à une forme d’élite est une constante de la littérature de montagne, et même la base de l’organisation de certains clubs343

, elle prend une signification particulière au regard de l’histoire et est un des argu-ments qui permirent a posteriori de voir dans le Bergfilm un genre cinématogra-phique particulièrement en phase avec l’idéologie nazie.

Philipp Stölzl (Nordwandc) propose une représentation de ces deux mondes condamnés à se toiser sans jamais pouvoir se rejoindre. Avant l’ascension, les alpinistes, peu fortunés, établissent leur campement sous le regard des touristes qui les toisent d’en haut. Le plan suivant donne aux campeurs la mesure de ce qui les sépare des nantis en termes d’ascension sociale. La plongée est alors « favorable » à ces derniers qui contemplent ceux qui vont mourir. Une fois l’ascension engagée, les grimpeurs sont investis de l’aura des héros de l’Alpe et les regards doivent s’élever jusqu’à eux depuis les terrasses de la Kleine

Sheidegg.

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Regards sur l’alpinisme.

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Prenons pour exemple le très élitiste Alpin Club en Grande Bretagne et Le Groupe de Haute Montagne (G.H.M.) en France.

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Ainsi, qu’ils le toisent avec incompréhension ou qu’ils le scrutent avec une admiration mêlée de terreur, les citadins ne peuvent qu’observer à distance un monde qui leur échappe.

Par définition la dualité inhérente au film d’ascension s’organise en opposi-tions binaires. Cette combinaison s’organise à partir de l’opposition originelle d’un état de nature préservé et mélioratif, l’espace montagnard, à un état de culture péjoratif, la société industrielle moderne ν moderne s’entendant en tant que pro-grès inconsidéré en regard d’une société parvenue à une situation d’équilibre sy-nonyme de félicité partagée. À l’exemple de ce que propose Raphaëlle Moine pour le western345, nous pensons être en mesure de résumer l’ensemble des procès narratifs du film d’ascension en une suite de situations duelles découlant primitivement des représentations d’un milieu singulier : la montagne.

Montagne Plaine Nature Culture pureté corruption spontanéité calcul expérience transmission pratique théorie empirisme légalisme En haut En bas agriculture industrie travail plaisir utilité notoriété unité diversité tradition progrès passé futur L’alpiniste La société aventure sécurité éthique lois compétition coopération fraternité individualisme futilité utilité affrontement évitement 345

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Dans le film Nordwandc, Toni Kurz et Andi Hinterstoisser les deux alpinistes, d’une part, et Henry Arau, le journaliste, d’autre part, sont une parfaite illustration de cette évidente dualité. Il en est de même dans Mort d’un guidec

, pour la cor-dée (Michel Servoz, le guide et Patrick Falavier, l’aspirant) et Maurice Merinchal le journaliste. Dans ces deux cas, le journaliste est l’interface entre les aventu-riers des cimes et la société dont les motivations ne sont pas exemptes d’une forme de voyeurisme teinté à la fois de répulsion et d’envie. Cela dit, l’articulation de cette dualité peut également se faire une place dans un même personnage. Douglas Meredith (Five Days One Summerc) et Edward Whymper (Der Berg

Ruftc, Der Kampf Ums Matterhornc) sont tour à tour les deux pôles de cette oppo-sition. Porteur des miasmes malsains de la société d’en bas lorsqu’ils sont con-frontés à la personne de leur guide, ils représentent la marge transgressive lors-qu’ils évoluent parmi leurs pairs sociaux dans les salons de la bourgeoisie.

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Chapitre 3 – Une logique de conquête

Where there is a will there is a

way346

Dans le film d’ascension, la montagne ne saurait être l’objet de contempla-tion qu’elle était pour les romantiques ; les règles narratologiques du genre lui imposent le statut d’un but à atteindre, d’un défi à relever, d’un ennemi à vaincre. En effet, la contemplation chère aux Ruskin, Shelley, Byron, Gautier, Lamartine ou Hugo, sied à merveille aux films documentaires ou peut servir d’écrin aux émois d’Heidi (Heidi347) et d’Elsa (Le Papillon348

), de refuge à Bruno Le Roux (Cavale349) et à Berg-Ejvind350 ou de chantier à Faletti (Die

Herrgotts-Grenadiere351). Les cimes du film d’ascension, elles, ne sont qu’un but à atteindre et ne laissent que peu de place aux atermoiements romantiques. Seul le guide Gaston Rébuffat, figure originale de l’alpinisme connue pour son éthique et son culte de la beauté, pesa suffisamment sur l’adaptateur de roman qu’il conseilla352

pour introduire une vision moins prométhéenne de l’alpiniste (Third Man On The

Mountainc).

Aussi, ne nous y trompons pas pour le réalisateur de films d’ascension, l’ascension est un combat. D’ailleurs, le vocabulaire employé par les alpinistes est le même que celui des militaires. Le point de départ d’une voie est l’attaque, les cordées de têtes sont les cordées d’assaut et les conquérants de l’inutile em-ploient volontiers un langage guerrier comparant les sommets à des citadelles ou des bastions qu’ils conquièrent ou qui les condamnent à une retraite sans gloire.

La conquête des cimes prend donc le plus souvent des accents martiaux. Cela dit, pouvait-il en être autrement alors que nombre d’autres sports emprun-tent volontiers au vocabulaire militaire. Toutefois, il serait réducteur de ne voir dans la notion de conquête qu’une simple évocation militaire même si le fait « de prendre, de soumettre par la force, par les armes353 » est la première acception lexicale du terme. L’alpinisme des origines s’est paré des exigences de la

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« La où il y a une volonté il y a un chemin » attribué le plus généralement à Lénine, mais encore à Churchill, Kipling, De Gaulle voire Lao Tseu, cette expression est un proverbe anglais cité comme tel dans un écrit de Dickens de 1852 (DICKENS Charles, " Birmingham Glass Work", in Households Words-A

Weekly Journal, n° 105, Londres Bradbury and Evans, 27 mars 1852, p.33).

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Heidi, DWAN Allan, États-Unis, Twentieth Century Fox Film Corporation, 1937, 88 min.

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Le papillon, MUYL Philippe, France, Alicéléo, 2002, 85 min.

349

Cavale, BELVAUX Lucas, France-Belgique, Agat Films & Cie, 2002, 117 min.

350

Berg-Ejvind och hans hustru, opus cité.

351

Die Herrgottsgrenadiere, KUTTER Anton, Allemagne-Suisse, Gefi-FilmGenossen- Schaft, 1932, 100 min, n/b.

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Third Man On The Mountain, est une adaptation du roman ULLMAN James Ramsey, Banner In The

Sky, Philadelphie, Lippincott, 1954, 252 pages.

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verte scientifique. Scientifique la démarche consistant à réaliser des mesures im-possibles à des altitudes inférieures, scientifique également la volonté géogra-phiques d’effacer toute tache blanche sur les cartes du monde connu. De même que les Livingstone, Charcot, et autre Pery étaient probablement mus par la vo-lonté de découverte, les premiers alpinistes pouvaient se targuer encore de pré-occupations de cet ordre. Une fois le monde dûment cartographié, l’intérêt porté aux cimes inviolées n’avait plus possibilité de se parer du costume de la nécessi-té. Ne restait alors que la volonté de conquérir un sommet. Il a longuement été question ici ou ailleurs des motivations poussant les hommes à se mesurer aux géants de pierre. Indépendamment des motivations de l’alpiniste, la caractéris-tique diégécaractéris-tique primordiale et nécessaire du film d’ascension est cette conquête, ou tentative de conquête d’un sommet. Nous l’avons dit, l’alpiniste est la figure paradigmatique du genre qui nous intéresse et sa seule préoccupation est de parvenir au faîte du but qu’il s’est fixé et ce au moyen des différentes techniques de l’ascension. En cela, il procède en fonction de la seconde acception lexicale du mot conquête : « gagner, acquérir au prix d’efforts ou de sacrifices 354

». Ce projet est donc, répétons le, ce qui différencie le film d’ascension d’un film de montagne lambda et c’est ce qui différencie notre approche de celles d’auteurs qui considèrent être en présence d’une situation générique dès lors que certaines valeurs communautaristes alpines sont présentes. De cette volonté de parvenir à un sommet découle une trame narrative stéréotypique, cette structure diégétique imposant à son tour une somme de passages obligés à l’auteur. D‘autre part c’est la valeur de corollaire de cette logique conquérante qui permet au specta-teur de convoquer les valeurs mythiques associées à ce type d’entreprises. L’apparition de la figure de l’alpiniste installe le spectateur dans l’attente d’un as-saut envers un objectif vertical dans le respect des règles de l’art et des présup-posés représentatifs qu’il se fait de la pratique. La présentation de l’alpiniste dans un dispositif narratif autre que celui de la conquête ne peut être que le fait de la parodie ou de l’humour décalé. L’assaut de la face nord d’Uxbridge Road ne vaut que par le réalisme de la représentation conventionnelle et immédiatement re-connaissable de l’alpiniste. C’est cette fidélité aux codes vestimentaires et com-portementaux des pratiquants qui provoque l’incongruité de leur présence sur les trottoirs londoniens et enclenche ipso facto le moteur comique sur lequel repose la parodie (Climbing the North Face of the Uxbridge Road355). A contrario c’est

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Idem.

355

“Climbing the North Face of the Uxbridge Road”, in Monty Python's Flying Circus, Monty Python’s, BBC, Londres, 1974.

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l’absence des mêmes codes visuels spontanés qui provoque le comique de situa-tion de personnages inadéquats présentés dans un environnement de haute montagne ν cela est particulièrement vrai pour les œuvres burlesques (Cretinetti

sulle Alpi356, Max émule de Tartarin357).

Pour être crédible en tant qu’alpiniste, le héros se doit de suer sang et eau sur les parois rocheuses qui se dérobent volontiers sous ses pas. C’est à cette seule condition de souffrance que la mythologie alpine peut être convoquée. Une entreprise qui ne se concrétiserait pas dans la douleur n’a pas sa place dans le « film d’ascension ». Il est singulier de noter à ce propos la forme de gêne qui s’empara de Lionel Terray après la réussite exemplaire de l’expédition française au Makalu. « La facilité déconcertante avec laquelle [fut] vaincu ce géant » fut l’objet pour le chef d’expédition d’une « légère déception358

». De retour en France l’alpiniste français écrivit ce qui met en lumière la nécessaire dimension mortificatoire, que d’aucuns pourraient taxer de masochisme, de toute entreprise montagnarde d’envergure.

La victoire doit se payer à son prix d’efforts et de souffrances. Les progrès de la technique et la clémence du ciel ne nous ont pas donné celle-ci à sa juste valeur. [...] Je l’avais rêvée toute autre cette grande victoire. Je m’étais vu blanchi de givre, em-ployant la dernière énergie que m’avait laissé le farouche combat, me traîner sur la cime dans un effort désespéré. Or, je suis parvenu ici sans lutte, presque sans fa-tigue.359

Clairement, pour Lionel Terray la réussite au Makalu ne respecte pas les lois du genre. Il est vrai qu’en l’espèce les Français avaient placé la barre très haut avec l’invraisemblable pathos entourant la première ascension d’un sommet de 8000 mètres, l’Annapurna. Dans la geste alpine telle qu’elle habite l’imaginaire social, la tranquille réussite au Makalu n’est que de peu de poids face au chemin de croix d’Herzog et Lachenal sur les pentes himalayennes. C’est sur cet imagi-naire, bâti à coup de drames que le cinéaste ancre la trame de son récit. Ainsi l’acteur même de l’exploit qu’est Lionel Terray prend-il conscience dès la réalisa-tion de sa performance en quoi elle pêche au regard des canons narratologiques construit par la représentation de l’alpinisme au cinéma, dans la littérature et peut être plus encore dans les media d’information. En conséquence de ces présup-posés, l’hédonisme n’a pas sa place dans le film d’ascension. Pour enfoncer ce

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Cretinetti sulle alpi, Italie, Itala Film, 1909, 175 m, n&b, muet.

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Max émule de Tartarin, LINDER Max, France, Pathé Frères, 1912, 225 m, n&b, muet.

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TERRAY Lionel, Les conquérants de l'inutile, Chamonix, Guérin, 2000, p. 438.

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clou diégétique, nous illustrerons notre propos par la séquence d’ouverture du film Les Étoiles de midic. Cette suite de cinq plans, tournés en extérieur jour pré-sente un grimpeur qui, semblant danser sur le rocher, s’élève, défiant les lois de la pesanteur, à la seule force de ses muscles dont l’effort ne transparaît nulle-ment à l’image. Le jeune héros blond qui n’arbore pour tout équipenulle-ment qu’un bandeau rouge retenant ses cheveux pourrait tout aussi bien incarner un rêve d’élévation. Symptomatiquement il grimpe selon une diagonale droite – gauche, à contre courant en quelque sorte. Sa progression l’amène inexorablement à buter sous le surplomb qui causera sa perte. Au cinquième plan le jeune grimpeur ica-rien n’est plus qu’un pantin désarticulé qui rebondit de roc en arête aux accents d’une musique dramatique. Au plan suivant le réalisateur ordonne l’arrêt des ca-méras, car dans cette ouverture en forme de manifeste Marcel Ichac atteste que la montagne ne sied pas aux rêveurs et que la facilité ne peut être qu’invraisemblable fiction. Hors le drame point de salut, et, si Marcel Ichac est avant tout un auteur de documentaire, il n’en véhicule pas moins l’image d’une montagne qui se mérite et avec qui, ou plutôt contre qui, il faut compter. Notons que, sous couvert de réalisme, le réalisateur français adopte ainsi une attitude cinématographique proche de celle des réalisateurs allemands de l’entre deux guerres qu’il voue pourtant volontiers aux gémonies. Comme le subodore Terray, la grandeur de l’exploit se mesurera à l’aune des horions reçus par les héros et du nombre des compagnons tombés en chemin.

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Chapitre 4 – Une logique de revanche, de rachat ou de rédemption

Comme nous l’avons dit plus haut, la motivation de l’alpinisme est pour le moins sibylline aux yeux d’une grande part des profanes. Il est loisible au specta-teur de comprendre qu’un individu lambda souhaite mettre ses forces au service d’une entreprise physique de conquête et il peut adhérer à ce désir de poser le pied où aucun autre être humain ne l’a jamais fait. Cela étant, il est plus difficile de comprendre que cette volonté puisse se faire dans un contexte où la probabili-té de perdre la vie est si importante. Certes les poilus qui franchissent le bord des tranchées dans les films de guerre, les chasseurs de terroristes qui désamorcent une bombe ou encore les soldats qui traversent les lignes indiennes pour alerter la cavalerie ont une probabilité de « s’en sortir » bien plus faible mais le specta-teur perçoit spontanément derrière cette prise de risque le sacrifice de l’individu au bénéfice de la survie du groupe social, le don de soi et l’altruisme sous-jacent. Au vu des films d’ascension, le spectateur pourrait somme toute réagir comme le font souvent les lecteurs de la presse écrite ou les téléspectateurs des journaux télévisés lorsque chaque été le vide évènementiel amène les journalistes à rela-ter la liste des victimes des drames alpins. La réaction va du compréhensif « c’était leur choix » au peu charitable « ils l’avaient bien cherché » ; chacun en-suite de mettre l’accent sur l’égocentrisme inconscient des pratiquants d’une dis-cipline absconse mettant en jeu, pour un plaisir égoïste et peu compréhensible, la vie de courageux sauveteurs au demeurant pères de famille. L’empathie du