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Chapitre I : Introduction

9. Les antibiotiques anti-tuberculeux : classification, mécanisme d’action et de résistance

9.1. Médicaments anti-tuberculeux de « première ligne »

9.1.1. L’isoniazide

L’isoniazide (INH, acide isonicotinique hydrazide) est un antibiotique synthétique dont l’activité antituberculeuse a été mise en évidence en 1952 (Fox, 1952, Bernstein et al., 1952). Sa spécificité pour les mycobactéries, sa haute efficacité et sa faible toxicité pour le patient ont fait de cette molécule le pilier de la lutte contre la tuberculose dans le monde entier. Bien que la structure de la molécule soit relativement simple (Figure 18), le mécanisme d’action de l’INH est complexe (Vilcheze & Jacobs, 2007). Il fallut attendre les années 70, soit environ vingt ans après sa découverte, pour qu’une étude montrent que l’INH exerce son activité anti-tuberculeuse en inhibant la synthèse des acides mycoliques de la paroi des mycobactéries (Winder & Collins, 1970). Peu après, un autre groupe décrivit une accumulation d’acide gras à longues chaînes dans le milieu lors d’un traitement à l’INH. Ces résultats menèrent progressivement à l’hypothèse que la cible de l’INH devait être impliquée dans l’élongation des acides mycoliques (Takayama et al., 1972, Takayama et al., 1975). Il fallut encore vingt ans pour progresser dans la compréhension détaillée du mécanisme d’action.

Figure 18 : structure de l’isoniazide (INH) (www.chembiofinder.com)

En 1992, une étude montra que des isolats cliniques de M. tuberculosis résistants à l’INH présentaient une activité catalase réduite (Zhang et al., 1992). L’analyse génétique de ces isolats en révéla la cause : des mutations au sein du gène katG encodant la catalase-péroxydase KatG. Ces travaux permirent d’affirmer que l’INH est une pro-drogue, transformée en une forme active par KatG et que les mutations du gène katG sont

responsables du phénotype INH-résistant par défaut d’activation de l’antibiotique. Cette hypothèse fut confirmée par la restauration de la sensibilité à l’INH suite au transfert d’un gène katG sauvage dans un mutant INH-résistant de M. smegmatis ou M. tuberculosis (Zhang

et al., 1992, Zhang et al., 1993). La structure de l’INH-activé n’a pas encore été élucidée, elle

semble constituée d’un radical isonicotinoyle très réactif (Figure 19).

Figure 19 : Structure de l’isoniazide et son hypothétique forme active, le radical isonicotinoyle (Timmins & Deretic, 2006)

Un second gène impliqué dans le mécanisme d’action (et de résistance) de l’INH a été identifié : inhA codant une énoyl-ACP (acyl carrier protein) réductase du système FAS II (Fatty Acid Synthase), impliquée dans l’élongation des chaînes d’acides gras utiles à la synthèse des acides mycoliques (Banerjee et al., 1994). Le transfert du gène inhA portant la mutation S94A dans une bactérie M. tuberculosis sauvage est suffisant pour conférer la résistance à l’INH et l’inhibition de la synthèse des acides mycoliques (Vilcheze et al., 2006). De même, la surexpression d’InhA au sein d’une souche de M. tuberculosis sensible confère également la résistance à l’INH (Larsen et al., 2002). Toutes ces études renforcent l’idée qu’ InhA est la cible de l’INH-activé.

La cristallisation d’InhA en présence d’INH et de NADH a, cependant, permis d’établir que l’INH-activé ne se lie pas directement à InhA (Rozwarski et al., 1998). En effet, l’INH forme avec le cofacteur NAD un complexe covalent INH-NAD capable de se loger dans le site actif

d’InhA à la place de son substrat naturel (NADH), bloquant l’action d’InhA dans lasynthèse

des acides mycoliques.

Au vu de ces résultats, le modèle général d’activation et d’action de l’INH pourrait se présenter comme suit : l’INH entrerait dans la cellule mycobactérienne par diffusion passive (Bardou et al., 1998), il serait ensuite activé par la catalase-peroxidase KatG pour former un radical hypothétique isonicotinoyle qui lie le NAD et le complexe INH-NAD résultant

inhiberait alors InhA, l’énoyl-ACP réductase du système FASII. Ces étapes successives provoqueraient l’inhibition de la synthèse des acides mycoliques, l’accumulation d’acide gras à longue chaine et finalement la mort de la mycobactérie (Vilcheze & Jacobs, 2007, Timmins & Deretic, 2006).

Résistance à l’INH

La majorité des cas de résistance à l’isoniazide chez M. tuberculosis sont liés à la présence de mutations au sein du gène katG (Heym et al., 1995). En effet, 42 à 58% des isolats cliniques résistants à l’INH présentent des mutations ponctuelles, des petites délétions et insertions et dans de très rares cas la délétion complète du gène katG (Slayden & Barry, 2000, Ramaswamy & Musser, 1998) (Figure 20). La résistance s’explique par le défaut d’activation de l’isoniazide par l’enzyme KatG mutée. La mutation Ser315Thr est de loin la mutation la plus fréquente : ~40-50% des souches INH-résistantes. Cette haute fréquence s’explique par la mutation qui génère une enzyme présentant une capacité réduite à activer l’INH mais qui maintient cependant encore 50% de son activé catalase-peroxidase (Wengenack et al., 1997) ce qui représente un avantage sélectif pour la mycobactérie.

Figure 20 : résumé des mutations identifiées dans le gène katG d’isolats de M. tuberculosis résistants à l’INH (Ramaswamy & Musser, 1998)

Alternativement, des mutations dans le gène inhA, ainsi que dans sa région promotrice, surviennent chez 20 à 35 % des isolats cliniques résistants à l’INH (Slayden & Barry, 2000,

Ramaswamy & Musser, 1998) (Figure 21). Les enzymes InhA mutées présentent une réduction de leur capacité de liaison au complexe NAD-INH empêchant ainsi l’action inhibitrice de l’isoniazide sur la synthèse des acides mycoliques. Les mutations dans la région promotrice d’inhA provoquent, quant à elles, la surexpression d’InhA augmentant la quantité de molécules cibles de l’INH et entraînant de ce fait une résistance à cet antibiotique.

Figure 21 : résumé des mutations identifiées dans le gène inhA et sa région promotrice, chez les isolats de M. tuberculosis résistants à l’INH (et ETH) (Ramaswamy & Musser, 1998)

Les mutations de katG et inhA ne suffisent pas pour expliquer tout les cas de résistance à l’INH observés car 25% des isolats cliniques INH-résistants présentent à la fois les gènes

katG et inhA sauvages. Plusieurs autres cibles hypothétiques ont été proposées pour INH

mais aucune n’a été confirmée jusqu’à présent :

NdhII

La présence de mutations dans le gène ndhII, constitue la base d’un autre mécanisme hypothétique de résistance à l’INH chez M. tuberculosis. En effet, ce gène encode NdhII, une NADH déshydrogénase. L’activité réduite de la NdhII mutée conduit à une accumulation de NADH et à une augmentation du rapport NADH/NAD (Vilcheze et al., 2005) qui inhibe la formation des complexes INH-NAD et protége, de ce fait, InhA. Jusqu’à présent quelques mutations de ndhII ont été détectées dans des isolats de M. tuberculosis résistants à l’INH. La confusion naît du fait que l’une de ces mutations a également été retrouvée dans des isolats INH-sensibles (Lee et al., 2001, Hazbon et al., 2006).

KasA

Plus récemment, une autre cible a été proposée pour l’INH-activée. Il s’agit de KasA, une β

-ketoacyl-ACP-synthase, également impliquée dans le système FAS II (Mdluli et al., 1998). Cette hypothèse fut proposée suite à la mise en évidence de la formation d’un complexe entre

l’INH, l’AcpM (acyl-carrier protein mycobacterial) et KasA dans les cellules traitées à l’INH et la détection de mutations de kasA dans des isolats résistants à l’INH (Mdluli et al., 1998). Des études ont infirmé cette hypothèse. En effet, la surexpression de KasA chez M.

smegmatis, M. bovis BCG et M. tuberculosis ne confère pas de résistance à l’INH

contrairement à ce qui était attendu (Larsen et al., 2002). L’existence d’un complexe INH-AcpM-KasA a été confirmée chez M. smegmatis traité à l’INH mais la quantité de KasA libre y restait constante et suffisante pour la synthèse des acides mycoliques (Kremer et al., 2003). De plus des mutations de kasA ont également été retrouvées dans des isolats de M.

tuberculosis sensibles à l’INH (Lee et al., 1999, Piatek et al., 2000).

DHFR

L’isoniazide s’est également révélée capable d’inhiber la dihydrofolate réductase (DHFR), une enzyme impliquée dans la synthèse des acides nucléiques, après formation d’un adduit avec le NADP (Argyrou et al., 2006).

AhpC

Des mutations dans la région régulatrice du gène ahpC des isolats résistants à l’INH ont été rapportées. Ces mutations provoquent la surproduction de l’alkyl hydroperoxide réductase AhpC, une enzyme impliquée dans la détoxification des peroxydes organiques, tout comme KatG. La surexpression d’AhpC ne semble donc pas être un mécanisme de résistance supplémentaire mais plutôt une mutation compensatoire qui permet à une bactérie INH-résistante mutée dans le gène katG, de compenser la perte d’activité catalase-peroxidase KatG engendrée par la mutation (Heym et al., 1997). En effet, KatG est un facteur important pour la survie de l’organisme, il est donc favorable pour la bactérie de compenser toute réduction de son activité (Sherman et al., 1996). A nouveau, des études infirmant cette hypothèse ont été publiées, suggérant une origine phylogénétique pour certaines des mutations identifiées dans ahpC (Baker et al., 2005).

Les mutations des gènes inhA (région codante et promotrice) et katG sont donc les seules admises unanimement comme étant impliquées dans la résistance à l’isoniazide. InhA reste à ce jour la seule cible connue de l’INH. Cependant, une interférence entre d’autres cibles cellulaires encore inconnues ou controversées et les dérivés actifs et instables de l’INH ne peut être exclue.