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Chapitre V : Discussion

1. Caractérisation de la résistance au PAS

En 2004, une avancée majeure a été réalisée dans la compréhension du mécanisme de résistance de M. tuberculosis à l’acide para-aminosalicylique (PAS). En effet, Rengarajan (et collègues) montrèrent que le gène de la thymidylate synthase A (thyA), participant à la voie de biosynthèse du folate, est impliqué dans la résistance au PAS (Rengarajan et al., 2004). Dans l’étude de population réalisée ici, nous avons analysé la séquence nucléotidique du gène

thyA chez 118 souches incluant des souches de références, des souches cliniques

(génétiquement variées et d’autres génétiquement liées) et des mutants spontanés PAS-résistants, et nous avons observé que seuls 37% des échantillons présentaient une mutation du gène thyA. Etant donné l’association limitée entre le phénotype PAS-résistant et les mutations du gène thyA, il apparaît qu’un ou plusieurs autres mécanismes de résistance au PAS restent

encore inconnus. Cette constatation nous a amené à étendre notre analyse moléculaire des mutants spontanés et isolats cliniques PAS-résistants, et notamment à l’examination des séquences nucléotidiques de 5 autres enzymes impliquées dans la voie du folate et de la biosynhèse de la thymine, ainsi que les séquences codantes de 3 N-acétyltransférases. Aucune mutation ne fut identifiée dans ces 8 gènes, indiquant que d’autres molécules que celles de la voie de biosynthèse du folate ou de la thymine sont probablement impliquées dans le(s) mécanisme(s) de résistance inconnu(s).

Vingt-quatre mutations différentes ont été identifiées dans le gène thyA, dont 4 trouvées uniquement dans les isolats cliniques, et 20 observées chez les mutants spontanés. Seul le polymorphisme du codon 202, rapporté précédemment, fut identifié à la fois dans les isolats cliniques et dans un mutant spontané (Rengarajan et al., 2004). Cette divergence au niveau des types de mutations observées dans les isolats cliniques et mutants spontanés peut résulter du biais expérimental lié à la sélection des mutants spontanés PAS-résistants à concentration élevée de PAS (16 µg/ml), ou par le nombre limité d’isolats PAS-résistants étudiés. Alternativement, ThyA peut ne pas être une enzyme essentielle in vitro (d’où les mutations dispersées le long du gène chez les mutants) alors qu’elle assumerait une fonction plus significative in vivo (expliquant la sélection de souches cliniques portant des mutations dans des régions affectant moins la structure de l’enzyme). Ceci peut correspondre à une demande plus importante de thymine in vivo, une plus faible disponibilité de thymine extracellulaire ou même une différence fonctionnelle de la complémentarité par ThyX qui pourrait nécessiter une ThyA plus active. L’observation que 9 des mutants spontanés encodaient une protéine ThyA tronquée supporte cette idée, cependant de plus amples travaux sont nécessaires pour la confirmer.

La mutation la plus prévalente touche le codon 202 (ACC→GCC). Cette mutation est

présente chez les souches cliniques appartenant aux génotypes P et AB ainsi que chez les souches cliniques appartenant à d’autres génotypes. L’analyse du gène thyA révéla la présence de la mutation 202 chez tous les isolats du génotype P résistants au PAS et 12 d’entre eux présentaient, en plus, une mutation additionnelle du codon stop. Comme aucun isolat ne présente uniquement la perte du codon 264STOP, cette mutation est probablement survenue après la mutation 202.

Notre étude montre également l’importance d’utiliser des souches cliniques génétiquement diversifiées pour tirer des conclusions sur l’association entre une mutation et une résistance à un antibiotique. En effet, lors de cette étude, de rares mutations ont été mises en évidence dans le gène folP2 mais uniquement chez les souches du génotype AU, phénotypiquement résistantes ou sensibles au PAS. Ces mutations sont donc vraisemblablement phylogénétiques et non associées à la résistance.

L’analyse de plusieurs isolats appartenant au même génotype est également intéressante pour étudier l’évolution des souches au sein de cette population. De ce fait, dans ce travail, nous avons montré que la mutation 202 s’est produite avant la mutation du codon 264STOP chez les souches du génotype P.

Afin d’éviter tout biais dans ce type d’étude, nous avons essayé, en général, de sélectionner (dans la mesure du possible) des souches phylogénétiquement variées. Pour faire ce choix, nous nous sommes basés sur les 9 clusters génétiques décrits par Gutacker (Gutacker et al., 2006) et le génotypage des souches cliniques utilisées.

L’étude prédictive de la structure de la protéine ThyA, suite à l’effet des différentes mutations identifiées, a révélé que les 24 mutations trouvées affectent la structure générale, le site fonctionnel (site de liaison du substrat ou du co-facteur et site catalytique) ou l’interface du dimère de l’homodimère ThyA. La plupart des mutations rapportées affectent des acides aminés hautement conservés dans la famille des protéines thymidylates synthases (chez les autres bactéries). Ces altérations délétères de ThyA n’hypothèquent pas la viabilité de M.

tuberculosis grâce à la présence de ThyX, l’homologue fonctionnel de ThyA, qui ne semble

pas sensible à l’action du PAS. En effet, contrairement aux autres bactéries, M. tuberculosis présente l’avantage de posséder deux gènes, thyA et thyX, codant pour des thymidylates synthases.

L’analyse des niveaux de résistance et l’étude des profils de croissance des organismes résistants au PAS nous ont permis de constater deux éléments intéressants : premièrement, les mutations du gène thyA sont toutes associées à des hauts taux de résistance au PAS ; deuxièmement, les mutants spontanés porteurs d’une mutation de la protéine ThyA présentent un profil de croissance constant en présence de concentrations croissantes de PAS. Un mécanisme « tout ou rien » peut donc être évoqué : si la protéine ThyA est mutée, la

résistance au PAS est complète et de hauts niveaux de résistance sont obervés, confirmant nos résultats antérieurs de détermination de la sensibilité par Bactec (Mathys et al., 2009). Les organismes résistant au PAS possédant une protéine ThyA sauvage répondent, quant à eux, aux concentrations croissantes de PAS de façon dose-dépendante, indiquant que le(s) mécanisme(s) alternatif(s) associé(s) à la résistance au PAS est (sont) dose-dépendant(s).

Ces résultats suggèrent que le PAS est actif seulement en présence d’une enzyme ThyA fonctionnelle et renforcent l’hypothèse, déjà mentionnée par Rengarajan, que le PAS, comme d’autres agents anti-mycobactériens (isoniazide, éthionamide et pyrazinamide), pourrait être un pro-médicament dont l’activation nécessiterait l’action de la thymidylate synthase ThyA sauvage (Rengarajan et al., 2004). Si l’on adhère à cette hypothèse, ThyA devrait donc être l’activateur du PAS et la véritable cible du médicament activé devrait par conséquent être identifiée. De plus, les mutations de cette cible pourraient, dans ce cas, expliquer les 63% de mutants PAS-résistants présentant une protéine ThyA sauvage. L’obtention de nouveaux mutants PAS-résistants (par transposon) serait nécessaire pour tenter d’identifier tous les mécanismes impliqués dans la résistance.