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Chapitre V : Discussion

4. Caractérisation de la résistance à l’isoniazide et à la rifampicine dans une région

L’isoniazide et la rifampicine constituent le noyau dur du traitement anti-tuberculeux. La résistance des bacilles tuberculeux à ces deux antibiotiques complique donc fortement le traitement de la maladie et compromet les chances de réussite de celui-ci. En effet, les études ont montré que l’efficacité du traitement standard est proche des 100% lorsque la thérapie est correctement suivie mais chute autour des 65 à 80% dans le cas de souches résistantes

(FARES, 2006a).

Suite à l’accord conclu entre la Finlande et la Fédération Russe concernant l’amélioration du programme de contrôle de la tuberculose, nous avons participé à la première étude clinique visant à caractériser les cas de tuberculose multi-résistante à Mourmansk (prévalence, mutations associées,…). Cette étude de surveillance, réalisée sur des échantillons récoltés durant les années 2003 et 2004, révèle une extrêmement haute prévalence de MDR-TB à Mourmansk. En effet, un quart (26.0 %) de tous les nouveaux cas de tuberculose et trois quarts (72.9%) des cas « précédemment traités » sont multi-résistants. Les hauts taux de mortalité (15% et 22%, respectivement en 2003 et 2004) et d’échec de traitement (11% et 17%, respectivement en 2003 et 2004) observés dans la région de Mourmansk peuvent

vraisemblablement être attribués au nombre élevé de MDR-TB. A notre connaissance, cette prévalence de MDR est la plus élevée jamais rapportée dans une population civile à la fois pour les nouveaux cas et les cas « précédemment traités », exception faite de la situation rencontrée en Azerbaidjan, où près d’un quart des nouveaux cas de tuberculose (22.3%) sont des MDR-TB (WHO, 2008a).

Seule une identification rapide et fiable des cas de tuberculose résistante et l’administration précoce d’un traitement anti-tuberculeux adéquat peuvent freiner la transmission de telles souches. Cet objectif n’est pas évident étant donné le manque d’infrastructure médicale efficace et le manque d’adhérence au traitement et au programme DOTS de cette population socialement marginalisée (Kimerling, 2000). Le problème est exacerbé par le nombre élevé de cas MDR et par la co-infection par le VIH. Les résultats de cette étude confirment la fiabilité des tests de sensibilité aux antibiotiques réalisés par le nouveau laboratoire central de la tuberculose établi à Mourmansk.

Comme l’épidémiologie moléculaire des MDR-TB de Mourmansk n’a jamais été étudiée précédemment, tous les isolats provenant de nouveaux patients tuberculeux furent caractérisés par génotypage (spoligotyping). La plupart des échantillons récoltés à Mourmansk appartenaient à la famille Beijing (44%). Le spoligotype le plus prévalent, SIT1, caractérisait 41.9% des isolats et 80% des isolats MDR. Ce spoligotype est caractéristique des souches de la famille Beijing/W, connue pour sa fréquente association avec des épidémies de tuberculose multi-résistante et une haute émergence mondiale. La haute prévalence des isolats Beijing et des cas de MDR-TB en Russie, à la fois dans les prisons et dans la communauté, a été mise en exergue par un certains nombre d’études (Glynn et al., 2002, Drobniewski et al., 2005, Toungoussova et al., 2002). Les isolats appartenant au génotype SIT1, furent également génotypés par RFLP-IS6110 (Van Soolingen, 2001). L’homogénéité des profils identifiés et le fait qu’un quart des nouveaux cas de tuberculose sont des MDR-TB, indiquent que ces souches tuberculeuses multi-résistantes sont activement transmises au sein de la communauté de Mourmansk.

Les gènes katG et rpoB impliqués respectivement dans la résistance à l’INH et à la RIF furent également analysés par séquençage pour chacune des souches MDR-TB étudiées. La mutation de résistance la plus communément rencontrée dans notre étude de population fut la mutation katG Ser315Thr, présente chez 98% des isolats MDR primaires de Mourmansk. Ce

chiffre concorde avec l’observation, précédemment rapportée, d’une haute proportion de mutations du codon 315 du gène katG caractérisant les souches INH-résistantes en Russie (Marttila et al., 1998, Nikolayevsky et al., 2004). Les études réalisées précédemment en Russie ont montré que les mutations des codons 516, 526 et 531 de rpoB sont responsables de 86 à 100% des cas de tuberculose résistante à la RIF (Marttila et al., 1998, Nikolayevsky et

al., 2004). Ces mutations sont également parmi les plus fréquemment rapportées dans les

autres régions à haut taux de MDR-TB (Ramaswamy & Musser, 1998). Nous avons fait la même constatation sur les échantillons récoltés à Mourmansk, où des mutations dans l’un de ces 3 codons sont présentes chez 91.2 % des souches résistantes à la RIF parmi les isolats MDR primaires. La mutation rpoB531 était plus prévalente parmi les souches MDR du type Beijing que les non Beijing (81.5% contre 54.5%), alors que la mutation Ser315Thr dans

katG était hautement prévalente indépendamment du génotype impliqué. L’existence d’une

corrélation entre la prévalence des mutations et certains spoligotypes n’est pas établie et des données contradictoires ont été publiées. Certains proposent plutôt un phénomène régional pour expliquer cette relation mutation-génotype (Lipin et al., 2007, Hillemann et al., 2005) due à la dispersion fréquente de clones résistants et virulents du génotype Beijing.

Etant donné que les bactéries tuberculeuses résistantes à l’INH et à la RIF à Mourmansk sont porteuses de mutations communes, c’est-à-dire fréquemment rapportées dans la littérature, des tests moléculaires ciblant ces quelques mutations spécifiques peuvent être utilisés pour une détection rapide des cas de tuberculose multi-résistante. Il faut savoir que les souches résistantes uniquement à la RIF sont rares (en général ces souches sont également résistantes à l’INH). La mise en évidence de l’une des mutations fréquentes du gène rpoB est donc un excellent moyen pour identifier rapidement un grand nombre de souches MDR-TB. Cette détection permet d’isoler rapidement le patient et de le placer sous traitement alternatif alors que les tests de sensibilité usuels sont encore en cours (WHO, 2006a). Des techniques de PCR ont, par exemple, été développées pour déterminer la présence ou l’absence des mutations 531 et 526 du gène rpoB, en utilisant des amorces spécifiques de la mutation ou du gène sauvage (Dubiley et al., 2005). Cette méthode PCR est basée sur le même principe que celle que nous avons utilisée dans ce travail pour déterminer les PGG (les détails de cette méthode sont décrits dans le chapitre « Matériel et Méthode »).

Cinq des 114 isolats MDR analysés présentaient plus d’une mutation dans le gène rpoB. De telles mutations doubles ou multiples du gène rpoB ont déjà été rapportées dans d’autres

études (Titov et al., 2006, Aktas et al., 2005). Les échantillons originaux ont été séquencés deux fois afin d’éliminer d’éventuelles erreurs de séquençage ou mutations apparues lors des sous-cultures. De plus, les données de fingerprinting n’indiquent pas de présence d’infection double.

Neuf pourcents (8,8%) des isolats MDR ne présentaient pas de mutation dans la région RRDR du gène rpoB qui, habituellement, contient la grande majorité des mutations trouvées dans ce gène. Ce chiffre est proche de ceux rapportés dans d’autres études portant sur les souches MDR des prisons de Tula (7,5%) et Serpukhov (11%) en Russie (Ignatova et al., 2006, Shemyakin et al., 2004). Pour ces souches, nous avons entrepris le séquençage du gène

rpoB dans sa totalité (3519 pb). Cette analyse permit d’identifier une mutation du codon 450

chez 7 des 10 isolats étudiés de façon plus approfondie, cependant la corrélation entre ce SNP nouvellement rapporté et la résistance à la RIF n’a pas été confirmée expérimentalement. En conclusion, une prévalence extrêmement haute de MDR-TB combinée avec une transmission active du génotype Beijing fut observée à Mourmansk. La mise en évidence précoce des souches MDR est cruciale pour la prévention de la dissémination. Etant donné les mutations de résistance portées par les souches tuberculeuses de Mourmansk, l’utilisation de méthodes moléculaires pourrait permettre de détecter rapidement ces cas de MDR-TB et donc d’améliorer le contrôle de la maladie et diminuer sa transmission dans cette région (Mäkinen et al., 2009).