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Chapitre V : Discussion

2. Amélioration de l’efficacité thérapeutique de l’éthionamide

Lorsqu’un patient tuberculeux est infecté par une souche multi-résistante, un traitement

comportant des antibiotiques de 2ème ligne, en général moins actifs et surtout plus toxiques,

est initié (Cox et al., 2006). L’éthionamide, un de ces antibiotiques de 2ème ligne, est

uniquement utilisé pour le traitement des MDR-TB à cause de ses effets secondaires, principalement générés par les doses élevées administrées.

Ces dernières années, la compréhension du mécanisme d’action de l’ETH a fortement progressé. Sa nature de pro-médicament activé par EthA dont l’expression est régulée par EthR est aujourd’hui confirmée (Baulard et al., 2000, DeBarber et al., 2000).

Les études structurelles réalisées sur la protéine EthR cristallisée ont fourni une piste de recherche intéressante permettant d’entretenir l’idée de réduire les doses d’ETH nécessaires pour le traitement de la tuberculose. En effet, EthR possède un site de fixation pour un ligand, et lorsqu’un ligand y siège, EthR ne peut plus effectuer sa fonction de répresseur

transcriptionnel (Frenois et al., 2004). Nous avons entrepris un processus de développement de molécules-ligands capables d’inhiber la liaison d’EthR à l’ADN et donc permettant d’augmenter l’expression d’EthA et l’activation de l’ETH.

Après plusieurs étapes d’optimalisation, 2 molécules furent sélectionnées, BDM31381 et BDM31343, et une batterie de tests in vitro et in vivo furent réalisés sur ceux-ci. BDM31343 présenta un meilleur profil pharmacocinétique ainsi qu’un meilleur effet boostant sur l’activité anti-tuberculeuse de l’ETH in vivo comparé au BDM31381, bien que ce dernier se soit montré plus actif in vitro. Cette différence peut s’expliquer par des propriétés pharmacodynamiques différentes entre les deux molécules. La combinaison d’ETH avec BDM31343, permit de réduire le dosage de l’ETH de 3x dans un modèle murin de tuberculose, confirmant l’efficacité de cette approche. Bien que potentiellement améliorable, une réduction du dosage de l’ETH d’un facteur 3 permet d’atténuer significativement les effets secondaires majeurs associés à l’utilisation de cet antibiotique. Cette réduction de la toxicité d’ETH apporte l’espoir d’envisager l’utilisation de ce médicament comme agent de première ligne (Willand et al., 2009).

Contrairement aux antibiotiques de première ligne, les antibiotiques de seconde ligne sont utilisés à des concentrations relativement proches de leur CMI afin de limiter leurs effets toxiques (Zhu et al., 2002). Leur concentration pouvant descendre sous la CMI après quelques heures de post-absorption, l’efficacité du traitement peut s’en trouver compromise, de même que la sélection de bactéries résistantes est à haut risque. L’utilisation d’inhibiteurs d’EthR permet d’envisager des concentrations d’antibiotiques activés plus élevées, avec une toxicité moindre pour le patient.

La bi-thérapie ETH et INH devrait permettre d’éviter la sélection de souches MDR. Le mécanisme de résistance à l’INH est principalement provoqué par des mutations des gènes

katG ou inhA (Guo et al., 2006). Les mutants résistant à l’INH présentant une mutation du

gène katG conservent leur sensibilité à l’ETH, et leur hypersensibilité à l’association ETH - inhibiteurs d’EthR. La résistance à l’ETH, quant à elle, se produit principalement suite à l’acquisition de mutations du gène ethA, qui n’affectent par l’activation de l’INH (DeBarber

et al., 2000). Donc, bien que les deux antibiotiques activés ciblent InhA, seule une faible

résistance croisée est observée, chez les isolats cliniques présentant une mutation d’inhA (Banerjee et al., 1994, Morlock et al., 2003). Ces mutants inhA présentent en général un

faible taux de résistance et peuvent donc être éliminés par l’utilisation de plus hautes doses d’INH (Schaaf et al., 2007). Une telle pratique est cependant difficile à mettre en place car cela nécessite une caractérisation moléculaire préliminaire afin d’exclure les souches mutées dans katG. Dans ce contexte, les combinaisons d’inhibiteurs d’EthR/ETH avec INH préviendraient la sélection de bactéries résistantes mutées soit dans katG soit dans ethA. De plus, cette combinaison produirait une plus haute concentration d’inhibiteurs d’InhA pouvant prévenir l’émergence de mutants inhA. On pourrait dès lors espérer une réduction drastique de l’émergence de bactéries résistantes à l’INH et l’ETH.

Des applications plus larges peuvent également être imaginées avec des inhibiteurs de EthR. Par exemple, on peut émettre l’hypothèse que d’autres thioamides, tel que l’isoxyl (ISO) ou le thiacétazone (TAZ) sont également activés par EthA (Dover et al., 2007, Kordulakova et

al., 2007, Alahari et al., 2007). Dès lors, leur utilisation combinée à celle d’inhibiteurs

d’EthR pourrait également être bénéfique pour le traitement de la tuberculose. Les résultats des tests de sensibilité (Bactec) rapportés dans notre étude, montrent que l’utilisation du ligand BDM31343 résulte en une augmentation de la sensibilité au TAZ, mais pas à l’ISO. Ces données concordent avec les observations publiées récemment indiquant qu’une souche de M. bovis BCG, dont le gène ethR a été inactivé, est plus sensible au TAZ in vitro alors que sa sensibilité à l’ISO est pratiquement inchangée. Une étude récente a montré que le TAZ peut être modifié par les flavine-monooxygénases (FMO) humaines produisant alors des métabolites toxiques pour l’homme. L’association du TAZ avec un inhibiteur d’EthR pourrait tant stimuler son effet antibiotique que cela limiterait la production de métabolites toxiques par les FMO humains (Qian & Ortiz de Montellano, 2006). Un autre exemple d’application concerne le traitement de la lèpre (Hastings et al., 1988). En effet, les médicaments activés par EthA sont également utilisés avec succès contre les infections causées par

Mycobacterium leprae : l’utilisation d’inhibiteurs d’EthR pourrait également être bénéfique

pour le traitement de cette maladie (Fajardo et al., 2006).

Globalement, notre étude montre que la sensibilité de M. tuberculosis au pro-médicament ETH peut être substantiellement augmentée en interférant pharmacologiquement avec le mécanisme régulateur de son activation. Plus largement, nous illustrons ici la possibilité d’agir pharmacologiquement sur le processus d’activation d’un antibiotique. Un raisonnement semblable pourrait être suivi pour booster l’efficacité d’autres médicaments

anti-mycobactériens et limiter ainsi leurs effets secondaires suite à la possibilité de réduire la dose thérapeutique.

Le but de ce travail n’était pas de trouver la molécule-ligand idéale mais bien de prouver qu’une telle démarche peut être fructueuse et mérite réflexion. A présent, nous tentons de modifier la molécule qui a montré les meilleurs résultats dans cette étude, de façon à améliorer encore son activité et ses propriétés pharmacocinétiques ainsi que pharmacochimiques, en particulier sa solubilité qui n’est pas optimale (dilution par le solvant DMSO de toxicité non-négligeable).