• Aucun résultat trouvé

L’interpr´etation utilis´ee dans la publication

Dans cette section, j’aborde la question de l’interpr´etation quantique qui est uti- lis´ee dans la publication des travaux. J’ai indiqu´e `a quelques reprises que c’est tr`es souvent l’interpr´etation orthodoxe, et plus particuli`erement sa version minimale57,

qui est employ´ee. Je souhaite `a pr´esent dresser ce constat plus solidement.

Tout d’abord, il faut reconnaˆıtre que la tr`es grande majorit´e des physiciens adopte l’interpr´etation orthodoxe (minimale) et utilise la pratique scientifique qui en est is- sue, pour tous leurs travaux. De fa¸con grossi`ere, cela peut ˆetre dˆu `a deux facteurs : ou bien ils estiment que l’interpr´etation orthodoxe fournit une image vraie du monde, ou bien ils restent agnostiques quant `a l’interpr´etation de la m´ecanique quantique, mais utilisent l’interpr´etation orthodoxe par d´efaut, de fa¸con pragmatique58. De fa-

¸con naturelle, tous ces physiciens publient leurs travaux en utilisant l’interpr´etation orthodoxe.

55

Cf. par exemple Vaidman (1999), ainsi qu’Aharonov et Vaidman (1996), p. 1.

56

Dans le cas des articles de Griffiths et Niu, r´edig´e avec l’interpr´etation des histoires d´ecoh´erentes alors que Niu adopte l’interpr´etation orthodoxe, on peut supposer que, si c’est l’interpr´etation de Griffiths qui figure dans l’article, c’est parce que Niu ´etait son ´etudiant.

57J’ai pr´esent´e cette version minimale au chapitre 2, section 1.3. 58Je reviens sur ce pragmatisme dans le chapitre suivant, section 1.2.1.

Consid´erons maintenant les physiciens qui adoptent d’autres interpr´etations que l’interpr´etation orthodoxe. Nous avons vu de nombreux exemples (sections 3.1 et 3.2) qui ´etablissent que ces physiciens, s’ils sont moins nombreux, n’en sont pas moins ´eminents. Dans leur grande majorit´e, les travaux dans le domaine du calcul quan- tique sont publi´es avec l’interpr´etation orthodoxe (´eventuellement dans sa version minimale), alors que d’autres interpr´etations ont clairement contribu´e `a leur ´elabo- ration. Ainsi, c’est l`a encore l’interpr´etation orthodoxe qui figure dans les articles publi´es. Dans les exemples que j’ai donn´es, les seuls physiciens qui utilisent une autre interpr´etation quantique pour la publication (Deutsch et Griffiths) sont d’ardents d´e- fenseurs de cette interpr´etation (respectivement, l’interpr´etation d’Everett et celle des histoires d´ecoh´erentes).

De fa¸con g´en´erale, lorsque les articles laissent transparaˆıtre l’utilisation d’une autre interpr´etation, c’est souvent de fa¸con minime. Le cas de Aharonov et Vaidman (2007) est peut-ˆetre exemplaire : il s’agit d’un article de synth`ese concernant un certain for- malisme quantique, dit ✓ des deux ´etats ✔, qui est utile pour l’analyse de certaines exp´eriences pr´esentant une sym´etrie temporelle. En plus de l’interpr´etation ortho- doxe, cet article utilise l’interpr´etation des mondes multiples, dont j’ai indiqu´e que Vaidman est un d´efenseur. N´eanmoins, l’article d’une cinquantaine de pages n’aborde la question interpr´etative que dans un seul petit paragraphe final. Les remarques in- terpr´etatives sont ainsi dissoci´ees du corps du travail. De nombreux physiciens sont de l’avis que cela devrait ˆetre le cas. Par exemple John Sipe, un professeur de Physique de l’Universit´e de Toronto qui s’int´eresse de pr`es aux interpr´etations quantiques, estime que les remarques interpr´etatives doivent figurer au mieux en note ou en conclu- sion d’un article59. Bien souvent, les pr´ef´erences interpr´etatives n’apparaissent tout

simplement pas, ni non plus les ´el´ements de la pratique issue d’une interpr´etation particuli`ere qui a pu aider le physicien. C’est le cas par exemple de Deutsch et Jozsa (1992), alors que Deutsch est partisan de l’interpr´etation des mondes multiples. On ne trouve pas non plus dans Shor (1994) de trace de l’interpr´etation des mondes mul- tiples, alors qu’il dit qu’il s’est appuy´e sur elle. Ainsi, on peut dresser le constat que la tr`es grande majorit´e des physiciens ´evitent d’utiliser publiquement une pratique diff´erente de celle de l’interpr´etation orthodoxe (seuls ceux qui d´efendent activement une interpr´etation le font).

Les scientifiques avancent plusieurs raisons pour le justifier. Je vais simplement les ´evoquer ici, car je les aborde de mani`ere normative au chapitre 7. Tout d’abord, la grande majorit´e des scientifiques ne s’int´eressent tout simplement pas aux questions

d’interpr´etations, d’o`u le fait qu’ils se limitent `a une pratique minimale ; pour cer- tains, cela est dˆu `a une conception instrumentaliste de la science. Parmi ceux qui s’in- t´eressent `a la question interpr´etative, une grande partie consid`ere que les remarques interpr´etatives n’ont pas leur place dans les publications scientifiques. Une des rai- sons qu’ils avancent est que l’interpr´etation de la th´eorie est davantage une question philosophique que scientifique, et n’a donc pas sa place dans un article scientifique60.

Une autre raison invoqu´ee est qu’une interpr´etation ou une formulation math´ema- tique particuli`ere pourrait gˆener ou rebuter leurs lecteurs, dans l’hypoth`ese o`u ils adoptent une autre position interpr´etative61. Ils s´eparent ainsi la partie technique des

consid´erations plus interpr´etatives. Il semble donc que l’usage publique de la pratique issue de l’algorithme soit adopt´ee avec le soucis explicite de maintenir une unit´e dans la communaut´e, en ´evitant les possibles divisions qui pourraient venir de la pluralit´e d’interpr´etations. Je reviendrai plus longuement sur ces questions dans le chapitre 7. Cette section 3 a pr´esent´e des travaux majeurs de m´ecanique quantique dans lesquels des interpr´etations quantiques vari´ees ont jou´e des rˆoles, dans la production ou dans la publication de ces travaux. Ces exemples se veulent significatifs de la recherche contemporaine en m´ecanique quantique. S’il est vrai que les physiciens orthodoxes sont les plus nombreux, il faut reconnaˆıtre que pour ce qui est de r´esultats majeurs de plusieurs domaines, les physiciens qui adoptent d’autres interpr´etations sont tr`es bien repr´esent´es. L’interpr´etation orthodoxe est utilis´ee presque toujours pour la publication des travaux. On peut en conclure, de fa¸con g´en´erale, que les interpr´etations jouent effectivement des rˆoles dans la recherche et que la pluralit´e d’interpr´etation est aussi une r´ealit´e dans la pratique scientifique.

Conclusion

Ce chapitre a propos´e un nouveau regard sur la pluralit´e des interpr´etations quan- tiques qui a ´et´e pr´esent´ee dans la premi`ere partie de cette th`ese. Il a examin´e en quoi les interpr´etations quantiques sont employ´ees dans la pratique scientifique. J’ai mon- tr´e tout d’abord que lorsqu’un physicien adopte une interpr´etation quantique, c’est toute sa pratique scientifique (telle que d´efinie par Kitcher) qui peut se trouver modi-

60

Il ne semble pas qu’il soit correct d’affirmer que l’interpr´etation de la th´eorie n’est pas une question scientifique. J’ai montr´e dans la section 1.7 qu’il n’est pas possible de d´efinir une pratique scientifique interpr´etativement neutre. Par cons´equent, la simple utilisation de la th´eorie suppose un choix interpr´etatif, ce qui fait de l’interpr´etation une question scientifique.

fi´ee. J’ai ainsi d´efini la notion de pratique scientifique sugg´er´ee par une interpr´etation quantique. J’ai montr´e qu’il n’existe pas de pratique scientifique qui soit interpr´etati- vement neutre. Cela signifie que la simple utilisation de la th´eorie suppose de faire un choix interpr´etatif et que ce choix peut influencer la recherche. Autrement dit, toute pratique scientifique doit ˆetre li´ee `a une interpr´etation particuli`ere, et l’´etude de la pratique scientifique en m´ecanique quantique ne peut ´eviter de prendre en compte la pluralit´e des interpr´etations. J’ai ensuite distingu´e deux fa¸cons dont la pratique sug- g´er´ee par une interpr´etation peut jouer un rˆole dans un travail de recherche : dans sa production et dans sa publication. J’ai finalement ´etabli que les pratiques scientifiques issues de plusieurs interpr´etations diff´erentes sont employ´ees dans de nombreux tra- vaux significatifs : la pluralit´e d’interpr´etations quantiques est aussi une r´ealit´e dans la recherche scientifique. Ce constat va ainsi contre l’id´ee que la pluralit´e des inter- pr´etations quantiques serait une possibilit´e de principe, r´eserv´ee aux discussions de salon. Le fait qu’il existe plusieurs interpr´etations pour la m´ecanique quantique a des cons´equences dans la pratique.

L’unit´e de la m´ecanique quantique d’un

point de vue pratique

Introduction

Le chapitre pr´ec´edent a montr´e comment les interpr´etations quantiques peuvent modifier la pratique scientifique. Il a aussi ´etabli que, d’une part, il n’existe pas de pratique scientifique qui soit interpr´etativement neutre, et d’autre part, que les pratiques scientifiques de la recherche actuelle refl`etent effectivement la pluralit´e des interpr´etations quantiques. La pluralit´e d’interpr´etations quantiques est ainsi une r´ealit´e de la recherche scientifique contemporaine. Ce chapitre propose d’en examiner certaines cons´equences, `a travers la notion de l’unit´e de la th´eorie.

L’unit´e de la m´ecanique quantique est abord´ee dans ce chapitre `a travers l’´etude de la pratique scientifique. Je n’en reste pas `a une approche ✓ en principe ✔ de l’unit´e, qui analyse les relations logiques entre des formulations diff´erentes de la th´eorie. Cela a fait l’objet d’une ´etude dans la premi`ere partie de cette th`ese : les diff´erentes interpr´etations quantiques conduisent `a une ´equivalence empirique et elles sont des interpr´etations d’une mˆeme th´eorie au sens de la conception s´emantique. Ainsi, la th´eorie quantique, bien que diverse par ses formulations et ses interpr´etations, est unie par cette ´equivalence en principe. Dans ce chapitre, je consid`ere `a pr´esent l’unit´e de la m´ecanique quantique1. en prenant en compte les pratiques scientifiques et leur

1J’emploie l’expression✓ l’unit´e de la m´ecanique quantique ✔ pour abr´eger celle, plus longue mais

plus exacte, de ✓ l’unit´e de l’activit´e scientifique qui s’appuie sur la m´ecanique quantique ✔, sans vouloir indiquer que je r´eduis l’´etude `a la seule th´eorie quantique, puisque l’approche adopt´ee consi- d`ere la pratique scientifique qui naˆıt de l’utilisation de cette th´eorie. Parfois, l’expression ✓ l’unit´e de la m´ecanique quantique✔ sera remplac´ee par ✓ l’unit´e de la recherche en m´ecanique quantique ✔.

diversit´e.

D’un point de vue pratique, il existe plusieurs raisons de penser que l’unit´e de la m´ecanique quantique peut ˆetre probl´ematique, `a cause de la pluralit´e de ses inter- pr´etations. Tout d’abord, les positions des physiciens concernant ces interpr´etations semblent assez marqu´ees et exclusives. Je veux dire par l`a qu’un certain nombre de physiciens sont des d´efenseurs d’une interpr´etation quantique particuli`ere2 et ne vou-

draient pas employer les concepts ou les lois d’autres interpr´etations. Par exemple, l’immense majorit´e des physiciens ne sont pas prˆets `a employer les ´equations de l’interpr´etation bohmienne et ne les connaˆıt peut-ˆetre mˆeme pas. Si des physiciens bohmiens les utilisaient dans leurs travaux, ceux-ci pourraient ne pas ˆetre compris par les autres physiciens et cela pourrait entraˆıner une division de la communaut´e scientifique. Ce n’est pas le cas de la m´ecanique classique : cette th´eorie dispose de plusieurs formulations et interpr´etations, mais tous les physiciens s’accordent `a les reconnaˆıtre toutes.

Le second point, et c’est le plus important, vient du chapitre pr´ec´edent, o`u il a ´et´e ´etabli que la pratique scientifique d´epend n´ecessairement de l’interpr´etation quantique adopt´ee (il n’existe pas de pratique neutre). Le fait est que chaque interpr´etation quan- tique peut intervenir dans la production et la publication d’un travail de recherche, par exemple au moyen de ses concepts ou de la formulation math´ematique associ´ee. L’interpr´etation quantique n’est pas simplement une position m´etaphysique qui se- rait sans lien avec la pratique de la recherche (auquel cas l’unit´e en pratique ne serait peut-ˆetre pas menac´ee). J’ai aussi indiqu´e qu’on peut d´efinir des pratiques scienti- fiques associ´ees `a chacune des interpr´etations. Peut-ˆetre ces pratiques n’ont-elles rien de commun. On assisterait `a un ´eclatement de la communaut´e scientifique, suivant les lignes trac´ees par la pluralit´e des interpr´etations. Les physiciens pourraient aussi de- venir s´epar´es les uns des autres `a cause de l’interpr´etation quantique qu’ils adoptent, sans qu’il n’existe de communication entre les diff´erentes ´ecoles interpr´etatives. Ainsi, l’unit´e en pratique de la m´ecanique quantique ne semble pas s’imposer d’elle-mˆeme, `a cause de la pluralit´e des interpr´etations que la th´eorie admet ; s’il existe une unit´e en pratique, elle doit ˆetre recherch´ee et l´egitim´ee.

Le but du pr´esent chapitre est d’´etablir si la m´ecanique quantique est effectivement d´esunie en pratique, ou s’il est possible au contraire de d´egager une notion d’unit´e en pratique. Cette ´etude n’a pas ´et´e entreprise jusque-l`a. Du cˆot´e des philosophes ou his- toriens qui adoptent l’approche en pratique, les ´etudes de cas ont tr`es souvent concern´e d’autres th´eories que la m´ecanique quantique. Par exemple, Kuhn (1962/1970) a ´etu-

di´e la m´ecanique classique, l’´electro-magn´etisme, la thermodynamique ou la chimie ; Kitcher (1993) s’est int´eress´e `a la th´eorie darwinienne de l’´evolution. Les quelques fois o`u la m´ecanique quantique a ´et´e ´etudi´ee, elle l’a ´et´e pour d’autres aspects que celui de l’unit´e — g´en´eralement, c’est la naissance de la th´eorie qui ´etait le point focal3.

Des historiens ont insist´e sur certaines divisions intellectuelles ou sociales entre les acteurs scientifiques qui adoptaient des interpr´etations diff´erentes, mais sans propo- ser d’analyse de ce qui constitue l’unit´e scientifique en g´en´eral4. Une exception est

peut-ˆetre Beller (1999), qui ´etudie l’histoire de la r´evolution quantique et insiste sur la place des dialogues dans la recherche scientifique de cette p´eriode. Mais l’analyse de Beller se concentre surtout sur la p´eriode historique de la naissance de la m´eca- nique quantique (1925-1935) : elle ne porte pas sur la pluralit´e des interpr´etations de la p´eriode plus contemporaine (`a partir des ann´ees 1950) qui m’int´eresse ici. En fait, l’unit´e de la m´ecanique quantique a surtout ´et´e ´etudi´ee par les philosophes tenants de l’approche en principe. Ils se sont attach´es `a ´etablir l’´equivalence pr´edictive entre les diverses interpr´etations : c’est un th`eme classique de la philosophie de la m´ecanique quantique5.

Ainsi, la question de l’unit´e en pratique de la m´ecanique quantique est nouvelle, et il n’existe pas de position pr´ealablement d´efendue dont je pourrais discuter. Il existe en revanche des outils d’analyse qui ont ´et´e forg´es par l’approche en pratique. Diff´erents concepts ont ´et´e d´evelopp´es pour analyser la pratique scientifique, d´efinissant au moins implicitement diff´erents concepts d’unit´e en pratique. C’est donc naturellement que je vais essayer d’utiliser ces outils dans le cas de la m´ecanique quantique. Je discute en d´etail de l’analyse propos´ee par Kitcher. Il s’agit d’´etudier la question de savoir si le concept d’unit´e en pratique qu’il a propos´e peut s’appliquer `a la situation actuelle en m´ecanique quantique, c’est-`a-dire s’il la consid`ere comme ´etant unie.

Voici quelques commentaires sur la m´ethodologie adopt´ee et sur les limites de l’´etude entreprise dans ce chapitre. Ce qui peut jouer un rˆole en pratique dans l’acti- vit´e scientifique, de pr`es ou de loin, peut ˆetre extrˆemement vaste : il peut s’agir de fac- teurs aussi bien ´epist´emiques, historiques, sociologiques, politiques, qu’´economiques. Dans ce chapitre comme dans le pr´ec´edent, mon analyse de la pratique scientifique ne consid`ere que des facteurs ´epist´emiques, qui sont en g´en´eral publics et conscients :

3

Cf. par exemple Kuhn (1987).

4

Par exemple Freire (2004), (2005), (2006), (2009), Osnaghi et al (2009).

5

C’est ce que j’ai fait au chapitre 2, section 4. J’avais cit´e Albert (1992) ; tous les ouvrages de philosophie de la m´ecanique quantique parlent de cette ´equivalence de fa¸con plus ou moins approfondie. Pour une ´etude historique de l’´equivalence vers 1926, voir par exemple Muller (1997a, b) et Perovic (2008).

j’´etudie plus particuli`erement les contenus des publications scientifiques. Je d´elaisse ici par exemple les comp´etences tacites et je n’´etudie pas non plus les divisions de la communaut´e scientifique pour des motifs sociologiques, comme les institutions. En revanche, je m’int´eresse aux raisons ´epist´emiques pour lesquelles un contenu n’est pas accessible `a une certaine partie de la communaut´e scientifique (formalisme diff´e- rent, interpr´etation inconnue...). Le projet de ce chapitre est donc bien philosophique, dans la mesure o`u il s’agit d’´etudier la question de savoir si un concept d’unit´e (´epist´e- mique) peut s’appliquer `a la m´ecanique quantique. Les questions pos´ees relativement `a l’unit´e d’une th´eorie ou d’un champ disciplinaire peuvent ˆetre de deux ordres : descriptif ou normatif. Je n’ai parl´e jusqu’`a pr´esent que du premier aspect descriptif, celui que ce chapitre prend `a sa charge. Les deux prochains chapitres aborderont la question normative li´ee `a cette unit´e. Je traite ici le cas de la m´ecanique quantique, mais la m´ethodologie et certains r´esultats pourraient s’appliquer `a d’autres th´eories ou champs disciplinaires qui admettent plusieurs interpr´etations ou formulations math´e- matiques. J’indiquerai au fil du chapitre la possibilit´e de g´en´eralisations (notamment `a la section 2).

La d´emarche que j’adopte dans ce chapitre est la suivante. Je commence par envisager la conception de l’unit´e que propose Kitcher. Elle repose sur l’existence, dans la communaut´e scientifique, d’un consensus `a propos d’une certaine pratique scientifique. Je montre qu’en un sens strict, la pratique scientifique consensuelle est quasiment inexistante en m´ecanique quantique. En revanche, en un sens pragmatique et instrumentaliste, la pratique orthodoxe minimale est accept´ee par tous les phy- siciens. Cela permet d’´etablir un premier sens selon lequel la m´ecanique quantique est unie en pratique : les scientifiques partagent, de fa¸con pragmatique, une mani`ere commune de faire de la recherche. Cette conception de l’unit´e est fond´ee sur la notion de consensus et elle fixe un instantan´e de l’´etat de la discipline. Je d´efends l’id´ee que la notion d’unit´e selon Kitcher fait face `a certaines limites parce qu’elle repose sur l’id´ee d’un consensus. Elle ne parvient pas `a saisir certaines nuances de l’id´ee intuitive d’unit´e, qui sont pr´ecis´ement en jeu dans le cas de la m´ecanique quantique. Je pro- pose alors dans la section 2 un nouveau concept d’✓ unit´e par la f´econdation ✔, fond´e sur une certaine relation de r´eutilisation entre les travaux scientifiques, que j’appelle ✓ relation de f´econdation ✔. Un domaine de recherche est uni pourvu que d’anciens travaux scientifiques puissent ˆetre r´eutilis´es, sous certains conditions. La conception de l’unit´e qui s’en d´egage est dynamique, dans la mesure o`u d’anciens travaux sont utilis´es pour de nouveaux, et que cela ´etablit une certaine continuit´e. Cette unit´e autorise l’existence d’une diversit´e de positions au sein des scientifiques. Elle est ainsi

compl´ementaire de l’unit´e comprise comme un consensus, par exemple celle de Kit- cher. Je montre finalement (section 3) que cette notion d’unit´e par la f´econdation