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La problématique et la méthodologie

Chapitre 1 : la rupture provoquée par l’évaluation

2. D’une conception statique à une conception dynamique de

2.4. Le processus évaluatif est interactif : les interactions évaluatives

2.4.4. L’interactionnisme (symbolique) dans l’évaluation

Les recherches en sciences de l’éducation se sont appropriées les mots interactions ou

interactionnisme ; ils en ont banalisé l’usage. Altet (cf. supra) donne une description des

interactions pédagogiques, mais pas une définition. Cela pourrait laisser croire que son usage relève de l’évidence partagée. Or, l’interactionnisme est un concept mis au point et travaillé par l’école de sociologie de l’Université de Chicago depuis les années 1930.

Morrissette (2010) prend le soin de détailler ce qu’est l’interactionnisme sans doute pour que celui-ci ne soit pas confondu avec l’usage que, de façon assez courante et parfois peut-être abusive, la recherche fait de mots tels que interactions, interrelations. Son alerte est claire.

« D’autres auteurs adoptent une perspective interactionniste pour interroger différents objets qui relève de la situation éducative, et ce, même s’ils n’inscrivent pas directement leurs travaux dans l’héritage intellectuel des sociologues de Chicago (par exemple, Halté, 1993 ; Mottier Lopez, 2005 ; Specogna, 2007). »30

C’est en référence à l’école de Chicago, qu’elle propose ensuite « un point de vue différent sur l’évaluation des apprentissages ». Elle se réfère explicitement à la sociologie et elle en utilise des éléments de méthode : utiliser une perspective interactionniste qui « propose une alternative aux façons habituelles de faire de la recherche dans ce champ [celui de l’évaluation des apprentissages]. »31

Mettant en évidence différentes limites des méthodes de la psychologie (la psychologie cognitive pour les apprentissages et le courant psychométrique pour l’évaluation), elle présente deux caractéristiques de l’approche interactionniste :

x d’abord, le paradigme interprétatif : il s’oppose à la prétendue scientificité de la psychométrie due entre autres, à l’usage des mathématiques dans sa mise en œuvre. Le paradigme interprétatif s’inscrit dans la même ligne que les travaux sur la subjectivité de l’évaluation (Gérard, 2002) et se démarque des travaux sur la « note juste » ou sur « l’objectivité de l’évaluation » ;

x ensuite, l’importance à donner à la partie empirique ce qui distingue la façon de faire de la sociologie dans l’école de Chicago, des méthodes antérieures.

30 Morrissette, (2010). Une perspective interactionniste. Un autre point de vue sur l’évaluation des

apprentissages. SociologieS. URL : http://sociologies.revues.org/3028. § 6.

31

Adaptant ces éléments généraux issus de la sociologie, au cas particulier de l’évaluation des apprentissages, elle poursuit son étude sur « l’un des acteurs-clés, soit celui qui organise et adapte les processus d’enseignement-apprentissage, soit l’enseignant(e). »

« Adoptant la perspective selon laquelle l’enseignement se réalise dans une suite infinie d’interactions indéterminées, à travers lesquelles se négocient et se construisent des représentations et des réifications des savoirs reconnus comme légitimes dans une société donnée, il semble que l’un des acteurs-clés soit celui qui organise et adapte les processus d’enseignement-apprentissage, soit l’enseignant(e). »32

De ces travaux, deux aspects peuvent éclairer cette recherche :

x « l’un des acteurs-clés » est identifié : c’est l’enseignant. Toutefois, la présentation de la conclusion inclut le doute « il semble que l’un des acteurs-clés… ». Cette formulation peut laisser penser que pour l’auteure, il pourrait exister d’autres acteurs- clés : ce ne peuvent être que les élèves ;

x en rappelant l’importance à donner à la partie empirique, Morrissette reprend l’un des principes des études sociologiques, prônés par l’école de Chicago.

Au moment où Morrissette rédige cet article, l’idée de considérer l’évaluation certificative comme un processus interactif n’est pas encore systématique : c’est donc assez naturellement qu’elle situe principalement son investigation dans une perspective d’évaluation formative, en en constatant les excès instrumentalistes. En revanche, en fonction des évolutions actuelles, l’orientation qu’elle propose semble exploitable dans une recherche sur l’évaluation certificative.

2.4.5.

La dissymétrie dans les interactions

2.4.5.1.

Le professeur, acteur-clé

Après l’existence des interactions évaluatives, leur dissymétrie fait consensus parmi les chercheurs et les acteurs de terrain. Les acteurs génériques, professeur et élèves, n’ont évidemment pas le même rôle dans les interactions évaluatives.

Cette réalité d’évidence se traduit par une focalisation des recherches sur le professeur, son action, ses pratiques. Il est l’acteur-clé parce que son action est primordiale à différents moments du processus évaluatif :

x il est celui qui déclenche le processus ;

32

x il est l’auteur du jugement évaluatif, même si des pratiques d’auto-évaluation ou de co-évaluation sont mises en œuvre. Hadji (2015) évoque la différence à faire selon lui, entre l’autoévaluation et le jugement évaluatif dans le cadre d’une évaluation certificative : « Mais il n’appartient pas à l’élève de « s’autoexaminer », au sens propre, lors d’une évaluation sommative/certificative […] »33

;

x il est le concepteur de l’énoncé de l’épreuve : il en choisit le contenu, la longueur, la forme…

2.4.5.2.

L’élève ignoré

La focalisation des recherches sur les professeurs s’accompagne d’une absence de recherches sur les élèves. Différentes raisons peuvent l’expliquer :

x une vision obsolète de la position de l’élève dans la classe où il « serait instruit » (Sensévy, 2006).

« Le fait que la relation didactique soit fondamentalement dialogique ne signifie nullement qu’elle est symétrique. Le professeur instruit l’élève de tel ou tel savoir, de telle ou telle œuvre, et l’élève est instruit de ce savoir, de cette œuvre, par le professeur. »34

L’usage du passif (« est instruit ») pour décrire le rôle et la place de l’élève montre la place que l’auteur lui réserve dans la relation didactique : l’élève serait comme « la terre du potier que le professeur modèlerait à sa façon » ;

x la volonté de faire la distinction entre l’élève et sa production. Cette distinction trouve sa justification dans certains comportements évaluatifs abusifs de professeurs (Merle, 2005) où ce sont les élèves qui sont jugés et non pas seulement leurs productions. Le vocabulaire utilisé par l’institution scolaire et par la recherche suit une évolution parallèle en abandonnant la mention de l’élève : l’évaluation des élèves (Piéron, 1934) ; l’évaluation des acquis des élèves (IGEN, 2005) ; l’évaluation des acquisitions (questionnée par l’IGEN, 2005) ; l’évaluation des apprentissages (Mottier Lopez, 2015).

Progressivement, l’élève disparaît de l’évaluation : ce sont des objets dont il est l’auteur et le « transmetteur » et qui lui seraient « extérieurs », qui sont évalués35. L’artifice est d’autant

33 Hadji, C., Bentolila, A., Meirieu, P., & Raulin, D. (2015). L’évaluation à l’école : pour la réussite de tous les élèves. Paris : Nathan. p. 81.

34 Sensévy, G. (2006). L’action didactique : éléments de théorisation. Revue suisse des sciences de l’éducation 28 (2). 205-225.

plus discutable que dans la phase d’exploitation des informations recueillies dans une évaluation, c’est la personne-élève qui est au centre des décisions en réponse à des questions telles que Peut-il passer dans la classe supérieure ? Obtient-il l’orientation souhaitée ?

2.4.6.

Synthèse partielle : la dissymétrie dans les