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La recherche est paradoxale dans ses travaux sur le processus évaluatif, en marginalisant l’action de chaque élève. De façon complémentaire aux travaux qui ont permis de mettre en évidence l’existence du professeur-évaluateur, cette recherche émet l’hypothèse de celle de l’élève-évalué. Le processus évaluatif fonctionne parce qu’il y a des interactions ; analyser et comprendre l’action et la réaction des élèves permettraient de mieux comprendre le processus évaluatif. La part de l’action que la recherche donne à l’élève dans le processus évaluatif concerne sa capacité à « évaluer sa production ou celle d’un de ses pairs », lui permettant ainsi de mieux comprendre ses / les apprentissages et donc de les améliorer.

96 Gérard, F.-M. (2006). Les outils ouverts d’évaluation ou la nécessité de clés de fermeture. In G. Figari,

L. Mottier Lopez, & ADMEE-Europe (Eds.). (2006). Recherche sur l’évaluation en éducation: problématiques,

méthodologies et épistémologie : 20 ans de travaux autour de l’ADMEE-Europe. (pp 147-154). Paris :

L’Harmattan. p. 151.

En revanche, aucune investigation ne porte sur la façon dont un élève quelconque, engagé dans une situation d’évaluation ordinaire organisée par son professeur, aborde et se comporte au cours du processus évaluatif : comment se prépare-t-il à l’épreuve ? Durant l’épreuve, comment gère-t-il l’énoncé, le temps ? Au moment de la restitution de son travail, comment exploite-t-il les feedbacks ? Or, outre l’importance pour l’élève lui-même en termes de formation possible, les réponses à ces questions peuvent éclairer le fonctionnement et le déroulement du processus évaluatif.

En considérant les interactions dans le processus évaluatif, c’est l’implication respective et réciproque de ses « protagonistes »98 qui est explorée ici.

3.5.4.

Les objets d’évaluation

3.5.4.1.

Introduction

Dans le processus évaluatif, après le professeur et l’élève, le troisième élément du système didactique est le « savoir évalué » qui se formalise dans les tâches prescrites. Dans les évaluations formelles à but certificatif, l’ensemble de celles-ci constitue l’énoncé de l’épreuve :

x dans les enseignements scientifiques au collège, l’énoncé est en général composé de différents exercices qui comportent des questions indépendantes ou enchaînées ; x le double sens du mot épreuve semble convenir au ressenti des élèves de collège : les

épreuves sont à la fois pour eux, l’occasion de « faire leur preuve » et constitue une « réelle difficulté ».

L’épreuve ; l’énoncé

Conformément à l’usage courant, le mot épreuve est utilisé ici pour désigner l’ensemble constitué par le moment d’effectuation des élèves (sa date, sa durée) et par son énoncé. Perrenoud (1984), Rey O. (2012) : Rey B. (2012) et Roegiers (2010) ; Vantourout & Goasdoué (2014) utilisent le mot épreuve sans le définir.

« Nous distinguons au sein de l’activité des évaluateurs deux facettes, la conception d’épreuves et leur correction au sens large. »99

98

Leutenegger, F. (2009). Le temps d’instruire : approche clinique et expérimentale du didactique ordinaire en

« […] qu’un individu sera capable de répéter à l’avenir le type d’opération qu’on l’a vu accomplir une ou plusieurs fois en situation d’évaluation (examen, épreuve, interrogation). »100

« […] l’objectif de notre travail était de construire des épreuves évaluant des compétences […] » 101

« Ce chapitre a pour objet de tracer quelques pistes relatives à la mise en œuvre pratique d’une épreuve d’évaluation, et du traitement des informations qui lui est associé. Trois pistes seront principalement développées : l’élaboration d’une épreuve d’évaluation […] »102

« […] l’école évalue de façon plus ou moins continue le travail scolaire de chaque élève et ses performances à l’occasion d’épreuves écrites ou d’interrogations orales. »103

L’usage du mot épreuve apparaît donc banalisé. Roegiers estime nécessaire de le préciser en utilisant l’expression épreuve d’évaluation. Le risque de confusion étant infime, le mot

épreuve est utilisé par la suite, sans précision complémentaire.

Quant au mot énoncé, il désigne dans une évaluation formelle, l’objet - le texte imprimé - par lequel le professeur indique aux élèves, les tâches qu’il leur demande de réaliser. Pour les élèves, leurs actions les plus observables se situent au moment de l’épreuve où après avoir pris connaissance de l’énoncé, ils transforment les tâches prescrites en activités personnelles.

3.5.4.2.

Le contenu de l’épreuve : l’énoncé

Le choix des contenus des épreuves internes d’évaluation relève de l’enseignant.

Amigues et Zerbato-Poulou, en se référant au concept de négociation didactique (Chevallard, 2006), explique l’incertitude du professeur quand il conçoit son énoncé.

« Pour l’enseignant, l’épreuve, empreinte d’incertitude, débute avec la conception du sujet du contrôle écrit. Aussi vaut- il mieux être un peu exigeant au départ quitte à négocier à la baisse au cours de la passation de l’épreuve en aidant les élèves par des remarques ou des commentaires. »104

Dans les disciplines scientifiques, l’énoncé prend en général la forme d’une série d’exercices qui comportent un nombre variable de questions, enchaînées ou indépendantes. C’est pour cela que lorsqu’il commence à élaborer l’énoncé, le professeur doit faire de nombreux choix :

99 Vantourout, M. & Goasdoué, R. (2014). Approches et validité psycho-didactiques des évaluations, Education & Formation – e-302, Décembre. pp 139-156. p. 142.

100 Rey, O. (2012) Dossier d’actualité veille et analyse, n°76, juin 2012. IFE. p. 4.

101

op. cit. p. 95.

102 Roegiers, X. (2010). L’école et l’évaluation des situations complexes pour évaluer les acquis des élèves.

Bruxelles : De Boeck. Chapitre 6.

103 Perrennoud, P. (1984). La fabrique de l’excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d’évaluation.

Genève : Librairie Droz. p. 14.

x la part respective des tâches et donc le-s niveau-x des opérations cognitives sollicitées ou mobilisées (D’Hainaut, 1986) ;

x les objets qu’il souhaite évaluer : connaissances ou compétences. Il peut alors tenir compte des niveaux de compétence et des facteurs de complexité105 (Sayac, 2013) ; mais aussi, de façon apparemment plus simple,

x la longueur du sujet au regard du temps alloué et du temps qu’il estime acceptable / raisonnable pour effectuer les différentes tâches ;

x la diversité des thèmes d’études106

sur lesquels portent les tâches prescrites ;

x la forme de la réponse attendue des élèves (QCM, schéma, réponse courte, réponse rédigée…).

Les travaux sur les épreuves considèrent en général celles-ci de façon indépendante du processus interactif évaluatif :

x Sayac et Grapin (2013) explorent les items d’une évaluation externe ;

x Pasquini (2013) se réfère au concept d’alignement curriculaire : il place l’évaluation dans le système didactique global, et réfère le contenu de l’épreuve aux curriculums mais n’intègre pas l’aspect interactif d’une situation d’évaluation ;

x l’introduction des compétences dans les contenus d’enseignement ont posé des questions nouvelles concernant la conception des épreuves. Rey (2012) après avoir distingué trois niveaux de compétences, propose une méthode d’élaboration d’épreuves conformes à cette gradation ;

x une autre approche de l’énoncé est proposée par De Ketele et Roegiers (1993) qui proposent des critères de fiabilité, pertinence et validité, constituant ainsi un cadrage dans le travail d’élaboration de l’énoncé de l’épreuve.

De Ketele et Gérard (2005) fixent en effet trois critères de qualité pour « les épreuves élaborées à des fins évaluatives » : la pertinence, la validité et la fiabilité.

« Les épreuves élaborées à des fins d'évaluation selon chacune de ces approches seront inévitablement différentes. Néanmoins, les questions qui se posent par rapport à ces épreuves sont les questions classiques relatives à tout recueil d'informations : sont-elles pertinentes, valides et fiables (De Ketele & Roegiers, 1993) ?

105 Actes du 25ème colloque de l’ADMEE-Europe Fribourg 2013. 106

• La pertinence est le caractère plus ou moins approprié de l'épreuve, selon qu'elle s'inscrit dans la ligne des objectifs

visés (De Ketele et alii, 1989). C'est son degré de "compatibilité" avec les autres éléments du système auquel elle appartient (Raynal & Rieunier,1997,2003).

• La validité est le degré d'adéquation entre ce que l'on déclare faire (évaluer telle ou telle dimension) et ce que l'on fait

réellement, entre ce que l'outil mesure et ce qu'il prétend mesurer (Laveault & Grégoire, 1997,2002).

• La fiabilité est le degré de confiance que l'on peut accorder aux résultats observés : seront-ils les mêmes si on

recueille l'information à un autre moment, avec un autre outil, par une autre personne, etc. ? Elle nous renseigne sur le degré de relation qui existe entre la note obtenue et la note vraie (Cardine & Tourneur, 1985 ; Laveault & Grégoire, 1997,2002). Il ne faut cependant pas perdre de vue que la note vraie est une abstraction, un point de convergence souhaité indépendant des évaluateurs et des circonstances. »107

Mise à part cette approche globale de la problématique liée aux épreuves, l’élaboration de l’énoncé n’est pas véritablement considérée comme faisant pleinement partie des problématiques à explorer.

La première mention dans la littérature est apparemment faite par Scallon (2007) qui situe cette question dans un registre méthodologique. Gérard (2007) pour sa part, focalise la difficulté d’élaboration d’une épreuve, quand il s’agit d’évaluer des compétences, ce qui nécessite de recourir à des situations complexes : il insiste sur la « complexité » de l’opération. Par la suite, l’importance à donner à cette phase du processus évaluatif est développée notamment par Roegiers (2010) qui implicitement reprend l’idée du continuum didactique puisque la « composition des épreuves […] conditionne l’avant [l’ensemble des apprentissages] et l’après [la réussite des élèves]. »

« Quel que soit l’objet de l’évaluation – connaissances, habiletés, savoir-être ou compétences – un aspect méthodologique important traversera tous les chapitres de ce livre : la conception de tâches ou de situations-problèmes permettant aux élèves de démontrer ce dont ils sont capables. »108

« Dans ce contexte, une des complexités fondamentales de l’évaluation des compétences par situations complexes est d’élaborer des situations pertinentes et valides. » […] « Pour en terminer avec la complexité de l’élaboration des épreuves d’évaluation par situations complexes, [...] »109

« La question de composition des épreuves d’évaluation est importante à un double titre. Non seulement, elle conditionne la réussite de l’élève, au moment de la certification, mais elle conditionne l’ensemble des apprentissages :

107

De Ketele, J.-M. & Gérard, F.-M. (2005). La validation des épreuves d’évaluation selon l’approche par les

compétences. BIEF. 108op. cit.

109 Gérard, F.-M. (2007), La complexité d'une évaluation des compétences à travers des situations complexes :

nécessités théoriques et exigences du terrain, Actes du Colloque international « Logique de compétences et

développement curriculaire : débats, perspectives et alternative pour les systèmes éducatifs », Montréal : ORÉ,

d’une part, l’investissement d’un élève dans les apprentissages est fonction de la représentation qu’il se fait du mode d’évaluation, d’autre part l’action de l’enseignant est aussi dictée par la nature de l’évaluation qui va sanctionner les apprentissages. 110

Le rapport que Roegiers marque entre les apprentissages et la composition des épreuves d’évaluation rappelle la critique du pilotage par l’examen.

« Au-delà de la polarisation de l'intérêt des élèves, l'évaluation guide plus globalement l'enseignement, y compris ses objectifs, ses stratégies et même les tâches utilisées pour le développement de diverses habiletés, qui sont dérivées de l'anticipation de l'évaluation. À partir d'une enquête sur l'enseignement de l'anglais langue seconde en Inde, par exemple, un chercheur montre que la nature de l'évaluation aux niveaux les plus élevés du cycle de formation est cruciale dans la formation des perceptions des enseignants quant à ce qu'il est important d'enseigner et d'évaluer, et quant aux habiletés et compétences qui doivent être développées et encouragées (Agrawal, 2004). »

Une relation d’inclusion est observable : tout ce qui est évalué a été enseigné, alors que tout ce qui a été enseigné n’est pas évalué. La question est alors celle du choix de ce qui est retenu dans l’énoncé de l’épreuve. Cela relève-t-il du hasard ? Jusqu’à quel point et sur quels aspects ? Après les objets évalués, comment sont choisis les habillages des différents exercices ? Le professeur se réfère-t-il à des critères explicites ? L’ordre des exercices est-il le fait du hasard, ou bien le résultat d’une réflexion guidée par exemple, par la difficulté de chacun d’entre eux ?

Des didacticiens se sont préoccupés du contenu des épreuves.

x Sayac et Grapin (2014) développent une argumentation selon laquelle la description d’une évaluation – l’énoncé d’une épreuve – n’est pas suffisante pour déterminer les objets évalués (compétences et connaissances). Leur investigation porte sur les épreuves de l’évaluation nationale externe en fin de CM2, ce qui les amène à examiner les items qui y sont proposés, puis à développer un outil qui permet d’analyser et de décrire ceux-ci, à partir de deux « paramètres représentatifs », le facteur de complexité et les niveaux de compétences.

« Décrire le contenu de l’évaluation à travers les problèmes qui y sont posés ne suffit pas à déterminer les connaissances et les compétences qui seront évaluées. Poser la question de l’évaluation de la compétence d’un élève à résoudre un problème demande que l’on interroge d’abord les connaissances et les capacités mises en jeu dans la résolution pour déterminer des indicateurs qui permettront de les évaluer. En effet, résoudre un problème demande, en plus de la mobilisation de connaissances mathématiques, la possibilité de se représenter le problème (Julo, 1995 et

2002) et de mettre en œuvre des compétences transversales, comme celles de « vérifier, justifier, valider » ou encore de « rédiger une solution » (Coppé et Houdement, 2002). »111

« Pour décrire plus précisément le contenu de l’évaluation, nous avons développé un outil s’appuyant sur différents travaux en didactique des mathématiques (Sayac et Grapin, 2013) qui tient compte à la fois de l’énoncé de la question, des savoirs mathématiques en jeu et des compétences dont l’élève doit faire preuve pour répondre. »112

Les travaux de Sayac et Grapin portent sur l’analyse des épreuves d’une évaluation externe : ils ne peuvent donc pas prendre en compte les apprentissages antérieurs et ultérieurs ; en revanche, rien ne s’oppose à l’exploration d’une utilisation des outils mis en œuvre, dans le cadre d’une évaluation interne ordinaire ;

x Rey (2012) propose une méthodologie d’élaboration d’épreuves pour évaluer les compétences du socle commun. La méthode mise en œuvre ainsi que les épreuves élaborées font partie intégrante de la recherche dont l’auteur présente les résultats. Dans la dernière partie, il propose une analyse de différents énoncés.

« […] l’objectif de notre travail était de construire des épreuves évaluant les compétences telles que définies dans le document socle de compétences. »113

3.5.4.3.

Conclusion intermédiaire : l’énoncé

de l’épreuve, « indépendant » du processus