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Au moment de l’émergence de sa conception actuelle (1978), l’évaluation formative se distinguait nettement de l’évaluation certificative. Mais la conception francophone dans laquelle l’évaluation formative est régulatrice des apprentissages et est fondée sur des « relevés » périodiques génère la confusion chez les élèves et chez leurs parents. Quelle différence faire entre un exercice à but formatif noté et un exercice à but certificatif noté ? S’il s’agit d’exercices à support écrit, dans les deux cas, l’évaluation donne lieu à un énoncé prescrivant des tâches à réaliser, dans un temps plus ou moins limité.

Ce questionnement sur la distinction à faire entre l’évaluation formative et l’évaluation sommative est traité différemment par les professeurs et les chercheurs.

3.3.1.

Des pratiques et des recherches qui divergent

3.3.1.1.

Des pratiques d’évaluation formative

Dans sa conception française, l’évaluation formative dans son acception formelle donne lieu à des épreuves périodiques proposées aux élèves au cours d’une séquence d’apprentissage (Allal, 1978). Pour les élèves concernés, ces épreuves ressemblent aux épreuves certificatives « qui comptent pour le bilan de fin de trimestre » : elles sont basées sur un énoncé et donnent lieu à une production écrite ; en revanche, elles sont souvent plus courtes, elles ne sont pas toujours programmées et enfin elles ne sont pas (toujours) notées, contrairement aux évaluations certificatives.

Comme le soulignent différents rapports de l’inspection générale (2005, 2007, 2013), une confusion s’est installée chez les praticiens de terrain (enseignants, inspecteurs). Une évaluation faite en cours de séquence d’enseignement (en cours de formation) est formative : l’évaluation formative donne lieu à une nouvelle forme d’épreuve d’évaluation sommative

qui a été compris »). La confusion est liée au fait que ces épreuves « en cours de formation » sont souvent notées (Mottier Lopez, 2015) et prises en compte dans le bilan de fin de trimestre. Scallon (1988) note déjà les « contaminations » possibles entre évaluation formative et évaluation sommative quand celle-ci n’est pas fondée exclusivement sur une épreuve terminale, mais prend en compte différentes épreuves intermédiaires : pour l’auteur, le statut de ces épreuves et leur exploitation sont à l’origine de ces « contaminations ».

Dans une sorte de relativisme généralisé (« tout étant dans tout »), les épreuves d’évaluation certificative peuvent être utilisées à des fins formatives56, et inversement l’évaluation formative (formelle ou informelle) contribue à l’établissement du bilan des acquis des élèves.

« Dans l’ordre des modalités d’évaluation sommative des étudiants, l’usage d’une procédure d’évaluation exclusivement terminale est un cas extrême. Mais la pratique de l’évaluation sommative peut s’orienter dans la direction opposée, qui est celle d’une pratique continue ou scores et notes diverses sont accumulés en cours d’année en vue d’un classement final. Lorsque l’évaluation formative est implantée dans un système éducatif caractérisé par une telle pratique d’évaluation sommative, certaines contaminations peuvent survenir entre les deux types d’évaluation. »57 Perrenoud (2001) tient pour responsable de l’opposition entre évaluations formative et certificative, un modèle archaïque de l’évaluation certificative. Il prône le passage de « l’ère du soupçon » qu’ont développée et entretenue les recherches en docimologie, vers une « évaluation authentique ». Pour lui, l’évaluation des compétences rend cette question encore plus importante. Il préconise d’utiliser les mêmes données pour les deux types d’évaluation, mais de façon différente. Il ne prône donc pas de fusionner les évaluations formative et certificative, mais de s’assurer de leur cohérence en les fondant sur les mêmes données.

« […] un modèle archaïque d’évaluation certificative, [nous sommes] obsédés par l’équité formelle davantage que par la pertinence du jugement. Mieux vaut dans l’esprit des élèves, de leurs parents, des étudiants, voire des professeurs, un QCM qui ne mesure rien d’essentiel, mais paraît plus « objectif » que le jugement d’un professionnel compétent et expérimenté, qu’on estime d’emblée « subjectif » »

« Observation formative et évaluation certificative pourraient alors devenir deux phases du même travail, fondées sur les mêmes données, mais utilisées dans des postures et à des fins différentes :

- lorsqu’il reste du temps, les données sont réinvesties dans des stratégies de formation ; c’est la fonction formative, qui n’exclut pas, bien au contraire, des bilans périodiques des acquis ;

56 Cette affirmation s’appuie sur l’observation du temps passé à corriger des « contrôles écrits à but sommatif »

dans les classes, en suivant la logique des feedbacks.

57

Scallon, G. (1988). L’évaluation formative des apprentissages. Sainte-Foy, Québec : Presses de l’Université Laval. p. 77.

- lorsqu’il ne reste plus de temps, qu’on s’approche de la fin d’une formation (cycle d’étude ou module), il est temps de dresser un bilan consolidé ; c’est la fonction certificative. » 58

De Ketele (2010) note également cette confusion, dans un développement sur les différentes fonctions de l’évaluation.

« Si le concept d’évaluation formative est connu de tous les enseignants (mais dans les pratiques souvent confondu avec l’évaluation certificative), […] » 59

3.3.1.2.

Des recherches sur l’évaluation

formative

Parallèlement à ces pratiques de l’évaluation formative ou certificative plus ou moins déviantes, les recherches quant à elles, focalisent l’instrumentation, dans une vision intégriste de la mise en œuvre de l’évaluation formative : les instruments deviennent de plus en plus complexes (les grilles de suivi des acquis des élèves dans une logique d’abandon de la notation chiffrée ; les énoncés qui comportent les compétences évaluées, détaillées par exercice ou par question) et leur utilisation de plus en plus exigeante (par exemple, les feedbacks différenciés). Ces travaux ne contribuent pas à l’extension de nouvelles pratiques évaluatives chez les professeurs de l’enseignement scolaire. Ces excès technicistes font que l’évaluation formative est difficile à mettre en œuvre et que sa prise en compte dans les salles de classe relève plutôt de l’adaptation à la marge, de pratiques antérieures (Mottier Lopez, 2015).

« L’accent mis sur l’évaluation formative laisse croire que la certification des acquis des élèves en fin de cycles d’apprentissage n’existe plus. Un hiatus se développe auprès des partenaires sociaux (y compris chez les enseignants) qui ne comprennent pas la fonction certificative d’un livret scolaire sans notes dans les premiers degrés de l’école primaire. Autrement dit, l’évaluation certificative qui se transmet de façon qualitative en fin de cycle est considérée comme une évaluation formative. »60

« La confusion entre évaluation formative et évaluation certificative sans notes a quasiment discrédité la fonction pédagogique et didactique de l’évaluation consistant à fournir des informations pour soutenir l’apprentissage des élèves et pour réguler et différencier les processus d’enseignement. »61

58 Perrenoud, P. (2001). Évaluation formative et évaluation certificative : postures contradictoires ou

complémentaires ? Formation professionnelle suisse n°4. 25-28.

59

De Ketele, J-M. (2010). Ne pas se tromper d’évaluation. Revue française de linguistique appliquée 2010-1 (vol

XV). 25-37. p. 27.

60 Mottier Lopez, L. (2015) L’évaluation formative des apprentissages des élèves : entre innovations, échecs et

possibles renouveaux par des recherches participatives. Questions vives. Recherches en éducation. Évaluation et

changement. 23 | 2015. § 13. 61

3.3.1.3.

Des questions renforcées par

l’approche par les compétences

Ces interrogations et la tendance à un retour en arrière constatée par Mottier Lopez sont antérieures à la réforme curriculaire engagée en 2005. Mais le choix de l’approche par les compétences a pour conséquence la nécessaire prise en compte de nouveaux éléments de convergence entre les phases d’apprentissage et d’évaluation :

x pour assurer les apprentissages des compétences fixées dans les curriculums, les élèves doivent être confrontés à des tâches complexes ou à des situations-problèmes (Rey, 2012, Roegiers, 2010) ;

x pour certifier leur niveau de maîtrise des compétences, ils doivent aussi être confrontés à des tâches complexes (Rey, 2012) ;

x ainsi, les tâches prescrites dans des situations d’apprentissage ou d’évaluation certificative sont de moins en moins discernables ;

x par ailleurs, dans une perspective socioconstructiviste du développement des compétences, l’application du concept de zone proximale de développement62

(Vygotsky, 1934/2002) amène le professeur à épauler les élèves qui en ont besoin pour leur permettre de réaliser la tâche prescrite dans son intégralité : pour ce faire, le professeur pratique une forme d’évaluation formative (sans doute informelle, ce qui la rend invisible à beaucoup d’entre eux63

) en continu (Allal, 1978).64

La prise en compte contingente du socioconstructivisme, de la ZPD et des compétences, fait que l’apprentissage et l’évaluation formative se développent dans des situations très proches de celles décrites pour l’évaluation certificative : les situations proposées aux élèves sont complexes et inédites (Perrenoud, 2004 ; Rey, 2012).

3.3.1.4.

Des problématiques

interdisciplinaires

Scallon (1988) utilise le mot de contamination pour décrire le rapprochement qu’il distingue dans les pratiques d’évaluation. Le mot, d’origine médicale, laisse penser que ce

62 ZPD : « la différence entre le niveau de résolution de problèmes sous la direction et avec l’aide d’adultes, et

celui atteint seul. » (d’après Vygotsky).

63 Ces professeurs ont une pratique d’évaluation formative continue, sans le savoir. 64

rapprochement comporterait un risque de détérioration : il y aurait une évaluation véritable et une autre qui le serait moins. Loin de craindre ce rapprochement, dans les dernières années, les recherches ont visé à améliorer la cohérence et la complémentarité entre évaluation formative et évaluation certificative.

Ainsi, l’évaluation formative et l’évaluation certificative devraient converger à travers les situations-problèmes, cadre privilégié de la prise en compte des compétences. Différentes marques de cette tendance sont observables dans la littérature.

x Roegiers (2010) reste relativement prudent en évoquant les liens entre les deux formes d’évaluation. Sa position est assez représentative de l’évolution des préoccupations des recherches sur l’évaluation pédagogique : d’abord, il utilise le qualificatif

certificative, abandonnant par là-même celui de sommative ou bilan, et ensuite il

évoque les « liens » entre évaluation certificative et évaluation formative.

« Il [ce chapitre] aborde successivement l’évaluation certificative, en montrant notamment en quoi elle est le reflet des valeurs d’un système éducatif, et d’évaluation formative, en faisant apparaître son rôle ainsi que ses liens avec l’évaluation certificative »65

« Dans les pratiques courantes, on distingue essentiellement deux types de recueils : les recueils sommatifs et les recueils intégrés. […]

On oppose le recueil sommatif au recueil intégré, qui, au lieu d’être basé sur une somme d’items isolés, correspondant à une somme d’objectifs, est basé sur la résolution d’une tâche complexe, ou d’un petit nombre de tâches complexes » […] un recueil intégré porte sur une compétence ou sur un ensemble de compétences. » 66

x Mottier Lopez (2015) se montre beaucoup plus convaincue pour défendre le principe de la nécessaire recherche « d’alignement entre les différentes fonctions de l’évaluation qui, pourtant, doivent coexister au sein d’une même classe et d’un même système scolaire. » Elle développe son argumentation en se fondant sur l’existence des deux évaluations, « constitutives d’un même système. »

« Les fonctions formative et certificative de l’évaluation sont souvent considérées comme irréductiblement opposées, notamment quand des enjeux de sélection s’en mêlent (e.g., Perrenoud, 1998). Notre proposition, développée dans Mottier Lopez (2015), est plutôt de les conceptualiser, malgré leurs oppositions, comme étant constitutives d’un même système. |…] Plus généralement, peu d’études francophones ont été entreprises sur les relations, tensions, ruptures, recherche d’alignement entre les différentes fonctions de l’évaluation qui, pourtant, doivent coexister au sein d’une même classe et d’un même système scolaire. Les recherches que nous avons présentées s’inscrivent dans cette visée,

65

Roegiers, X. (2010). L’école et l’évaluation. Des situations complexes pour évaluer les acquis des élèves. Bruxelles : De Boeck. p. 13.

tentant de dépasser une approche strictement instrumentale souvent associée à l’évaluation scolaire, afin d’appréhender les processus, les tensions, les significations, les enjeux multiples tels qu’ils sont perçus par les enseignants, en relation avec le contexte socio-historique des pratiques et à la fois les contextes singuliers qui se négocient au quotidien dans les classes. Les questions que cette visée soulève sont vives et méritent de poursuivre les recherches. »67

x A l’automne 2016, le colloque international ASSIST-ME68

2016 porte sur la mise en œuvre « combinée » des deux formes d’évaluation, dans les enseignements scientifiques au collège, alors que l’objet central de cette recherche est l’apprentissage de la démarche d’investigation.

« Le projet ASSIST-ME étudie la mise en œuvre combinée de l'évaluation sommative et formative dans un enseignement de sciences expérimentales (Physique, Chimie et Sciences de la vie et de la Terre), de technologie et de mathématiques fondé sur les démarches d'investigation. »69

La préoccupation concerne les phases d’apprentissage, mais pour autant ce projet, mené par des didacticiens, intègre l’évaluation certificative.

3.3.2.

Synthèse partielle : le processus évaluatif

interactif pose la question de la complémentarité entre