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L’instabilité de jump-to-contact Loi d’échelle

En microscopie à force atomique, une des problématiques les plus importantes lorsqu’on image une surface est celle des instabilités. Ces instabilités sont des phénomènes physiques qui apportent des informations très précieuses sur le comportement et les propriétés physiques des systèmes, mais, en microscopie à force atomique, elles peuvent aussi dégrader la qualité des images et diminuer la résolution spatiale du microscope.

Certaines sont liées à la méthode elle-même, comme dans le cas du mode dynamique AM-AFM [Garcıa and Perez,2002]. D’autres sont purement mécaniques, comme le snap-in [Bhushan, 2010],[Tabor and Winterton,1965] ou le jump-to-contact. L’instabilité de snap-in se produit à l’approche d’une pointe AFM solide sur un substrat solide ou peu déformable. Il s’agit

d’une instabilité mécanique due au levier lui-même, proche de l’instabilité de flambage d’une poutre. Elle intervient à l’approche de la surface, lorsque la raideur du cantilever devient inférieure à la raideur équivalente aux forces attractives entre la pointe et le substrat :

k < max ✓ @Fps @z ◆ = kpsmax (5.22)

où Fps est la force d’interaction pointe-substrat.

L’instabilité de jump-to-contact est une instabilité hydrodynamique du liquide en inter- action avec la pointe AFM. La déformabilité très grande des liquides confère à cette instabilité un statut particulier par rapport à celui du snap-in. Le phénomène repose sur la compétition, pour le liquide, entre deux forces antagonistes : la force de tension superficielle qui maintient la cohésion de l’interface liquide et la force attractive de van der Waals due à la pointe AFM, qui tend à déstabiliser cette interface. Tant que la distance d reste supérieure à la valeur seuil dmin, l’énergie d’interaction de la pointe n’est pas assez élevée pour déstabiliser l’interface. En

approchant la pointe, cette énergie augmente, est convertie en énergie de surface, jusqu’à ce que celle-ci tende à diverger. L’instabilité se déclenche, aboutissant à la rupture de l’interface. On peut raisonner de manière analogue à ce qui vient d’être vu pour écrire l’équation 5.22et dégager ainsi une loi d’échelle reliant la distance seuil dminde jump-to-contact au rayon

de la pointe R et aux paramètres physiques du liquide. En affectant à l’interface liquide/air une raideur kl ⇡ [Chen et al., 2004], on peut écrire la condition de déclenchement de

l’instabilité : < max ✓ @Fpl @z ◆ = kplmax (5.23)

Si on prend, pour modéliser la force d’interaction pointe-liquide, la relation5.5obtenue dans l’approximation de Derjaguin, la valeur seuil de dmin obéit à l’équation :

= HplR 3 d3 min ) dmin⇡ ✓ HplR 3 ◆1/3 (5.24) Cette loi d’échelle peut aussi être écrite en terme de distance adimensionnée d⇤

min, en fonction

du nombre d’Hamaker Ha (défini au5.2.2) sous la forme :

d⇤min⇡⇣⇡ 4

⌘1/3

Ha1/3 (5.25)

Nous verrons au chapitre7 que cette relation est bien vérifiée expérimentalement dans le cas d’une interaction sphère-flaque, confirmant ainsi les mécanismes dominants mis en jeu dans le phénomène de jump-to-contact.

Dans ce qui suit, nous allons voir comment la théorie décrite au 5.2 amène à une description quantitative du phénomène de jump-to-contact.

5.3.1 Diagramme de bifurcation

Grâce à l’étude numérique décrite au 5.2, on peut tracer ⌘⇤

0 en fonction de D⇤= d⇤+ 1

(voir Fig.6) et mettre en évidence une valeur seuil de d, au-dessous de laquelle l’équation de Young-Laplace n’a pas de solution et ⌘⇤

0 n’existe pas.

Figure 6: Diagramme de bifurcation donnant la déformation à l’apex ⌘⇤

0 en fonction

de D⇤ = d+ 1, pour Ha = 10 3 et B

0 = 10 10. On distingue les domaines où

l’état du système pointe-liquide est stable (faibles valeurs de ⌘⇤

0, flèche bleue) et les

états instables (flèche rouge). La droite en pointillés correspond à ⌘⇤

0 = D⇤ 1 = d⇤,

c’est-à-dire la base de la sphère. Graphe extrait de l’article de R.Ledesma-Alonso et al.[Alonso-Lesdesma et al.,2012c].

Pour d⇤ d

min, le graphe donnant la déformation à l’apex ⌘0⇤en fonction de D⇤= d⇤+1

fait apparaître deux branches : pour une même valeur de d, peuvent a priori exister deux points de fonctionnement P et Q, donc deux états du système pointe-liquide. L’état P de faible valeur de ⌘⇤

0 est celui de plus faible courbure, donc de faible énergie de surface. C’est

donc l’état stable, celui qui correspond à l’état d’équilibre du fluide lorsqu’on approche la pointe. L’autre point de fonctionnement Q correspond à un état instable.

Lorsque la pointe est approchée de la surface du liquide, d⇤ diminue, et la déformation

maximale ⌘0 à l’apex augmente. La Fig. 7 montre l’évolution temporelle de la déformation

normalisée, pour différentes distances d : tant que d reste inférieur ou égal à dmin, la défor-

mation reste bornée au cours du temps et la surface du liquide atteint un état d’équilibre stable en un temps caractéristique ⌧vis = R/Uvis = dµ/ . Pour d = dmin (courbe en trait

Figure7: Déformation à l’apex normalisée ⌘⇤

0, pour différentes valeurs de la distance

d, en fonction du temps normalisé par t⇤ = t/(Rµ/ ). Les graphes correspondent à

Ha = 10 3 et B0 = 10 10. La distance seuil correspondant à la courbe en trait

plein est dans ce cas d⇤

min = 0.1682. Les courbes en pointillés correspondent à des

distances supérieures à dmin, pour lesquelles le liquide atteint un état d’équilibre

stable et les courbes en tireté correspondent à une divergence de la déformation et à l’instabilité. Graphe extrait de l’article de R.Ledesma-Alonso et al.[Alonso-Lesdesma et al.,2012b].

déclenchée. Dès que ce seuil est dépassé, l’évolution temporelle de la déformation n’est plus bornée, plus aucun équilibre n’est possible et l’instabilité est déclenchée : la déformation di- verge et le liquide mouille la pointe. Un ménisque entre la pointe et le film liquide apparaît. Par la suite, si on fait de nouveau augmenter d⇤, après rupture du ménisque, on peut avoir

un état d’équilibre où une partie du liquide est sur la pointe et l’autre dans le film déformé. Le phénomène de jump-to-contact est irréversible, et s’accompagne d’un très rapide mouvement de fluide vers la pointe, après rupture de l’interface liquide-air, en un temps ca- ractéristique égal au temps de relaxation du système, ⌧vis = dminµ/ . dmin est de l’ordre

de grandeur de la portée des forces de van der Waals (inférieure à 50 nm). Pour les fluides utilisés en AFM dans cette thèse, les viscosités sont comprises entre 25.10 3 et 1 Pa.s, et les

tensions superficielles sont de l’ordre de 50 mN/m. Le temps de relaxation est donc compris entre 4 ns et 400 ns. Ce temps est beaucoup plus court que les temps de réponse des sys- tèmes d’asservissement et les temps d’échantillonnage accessibles en AFM (de l’ordre de la microseconde) : le phénomène sera pour nous instantané (voir introduction au chapitre6).

5.3.2 Calcul semi-analytique de dmin

Outre la mise en évidence qualitative de la notion de jump-to-contact et de l’existence de dmin, la théorie permet de calculer cette valeur seuil. Comme on l’a vu au 5.2.4, pour

par rapport à d⇤, puis de faire tendre @⌘

0/@d⇤ vers +1. Cela conduit à une équation en ⌘0⇤

[Alonso-Lesdesma et al.,2012c] : (⌘0⇤)3+ ✓ Ha 2C ◆1/3 (⌘⇤0)5/2 1 16 ✓ Ha 2C ◆2/3 = 0 (5.26)

La résolution numérique de cette équation donne, pour un couple de valeurs des pa- ramètres B0 et Ha, et pour chaque valeur de la distance d, la hauteur de liquide à l’apex

au moment du jump-to-contact : ⌘⇤

max. On en déduit ensuite la valeur de d⇤ = d⇤min par la

relation5.21.

Les équations 5.26 et 5.21 sont les deux équations fondamentales sur lesquelles nous allons nous appuyer dans la suite pour la vérification expérimentale de cette théorie.